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Deux amateurs meyrinois doués gagnent un concours de construction d’hélicoptère en France (1954) [3 vidéos]

 

En 1948, dans un village genevois, un jeune mécanicien qui n’a jamais vu d’hélicoptère, décide de se fabriquer son propre appareil. Il en construira finalement plusieurs avec un certain génie, pour un prix de revient dérisoire. Sa seconde réalisation, le Merlin gagne le 1er Prix lors d’un concours français de constructeurs amateurs et sera l’outil de la première école de pilotage d’hélicoptère de Meyrin (1954).


Campagne meyrinoise, à l’été 1954. Sous les yeux de Stierlin, Mercier pilote le Merlin-V2, le 1er hélicoptère réalisé en Suisse qui vole. La population locale n’avait, bien sûr, jamais vu d’hélicoptère avant cette époque (Photo Rico Neidhart, coll. privée).

Un hélicoptère, vous n’y pensez pas !

En 1948, construire un avion est rare, mais de plus en plus de gens y arrivent. Construire un hélicoptère est bien plus complexe. Avant Robert Stierlin, aucun suisse n’est arrivé à décoller avec un hélicoptère de sa fabrication. Deux Genevois, les frères Armand et Henri Dufaux réalisent bien un modèle réduit d’hélicoptère qui vole en 1905 (voir : Récit), mais il ne transporte ni homme ni pilote. Aucune entreprise suisse non plus ne semble avoir essayé ou réussi avant 1948.

Dans un village de moins de 2000 habitants, avec peu de ressources financières, construire un hélicoptère privé est alors aussi complexe que vouloir construire sa propre voiture de formule-1 aujourd’hui. Les hélicoptères sont de rares engins, plutôt militaires, dont on ne maîtrise bien la technique, peu vulgarisée, que depuis 1940. Les Troupes d’Aviation suisses n’en possèdent pas encore, et aucun ne s’est non plus posé à l’aéroport de Cointrin, proche de Meyrin. Néanmoins, en octobre 1947, une première démonstration d’un Bell-47 s’effectua loin de là, à Zurich.

On ne connaît alors qu’un seul livre de qualité, en français (1934, "Le vol vertical", Lamé), sur la théorie des hélicoptères et Stierlin ne l’a pas lu. Avant son mariage, il dessina pourtant les plans d’un premier appareil, et le soir, après le travail, ou le week-end, il passe quasiment tout son temps libre à penser et construire son hélicoptère. Le week-end, la bande de copains, parfois pique-assiette, vient voir où il en est et en même temps lui soumettre des problèmes techniques divers (automobiles, motos, avions) qui les préoccupent.

Dans ces circonstances, construire un prototype qui vole comprend déjà suffisamment de difficultés. Néanmoins, Stierlin va faire en sorte que chaque pièce à construire soit également "de la belle ouvrage". Il préfère ainsi calculer toutes ses pièces et les fabriquer lui-même, y compris le réservoir d’essence, sa jauge et les aiguilles des cadrans, alors que certaines auraient pu être facilement acquises. Seuls les moteurs seront achetés, mais il les améliorera.

Ca, mais c’est un ventilateur !

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1er hélicoptère construit par Stierlin (1948-1950) en se basant sur les rares magazines de vulgarisation en français de l’époque (coll. privée).

En 1948, à 22 ans, Stierlin commence la construction de son 1er prototype d’hélicoptère qu’il termine en 1949, et dont il ne reste à ce jour qu’une dizaine de photos. L’appareil est construit près de chez ses parents, dans l’atelier de son voisin, le mécanicien Roger Brunet. Hormis le moteur toutes les pièces sont de sa main. Ce monoplace, est du type rotor rigide. La partie caudale, démontable est ultra-légère a longtemps été conservée dans l’atelier de Stierlin. Ce dernier, de grande taille (1,82m, 80kg), est assis au raz du sol avec la tête juste sous le rotor !

L’ensemble est sous-motorisé. Aux essais, les pales se courbent manifestement vers le haut, mais l’appareil ne décolle pas. De plus, il génère trop de vibrations, qui éjectent presque le pilote de son siège, probablement dues à 2 sources de traînées aérodynamiques qui se heurtent. Il n’a construit qu’un "ventilateur" sophistiqué, mais ce premier prototype permet à Stierlin de valider de nombreux paramètres techniques propres à la technologie des hélicoptères, qui seront appliqués avec succès par la suite. Pour ne pas rester sur un échec, Roger Mercier (1924-2011) le transforme en un gyroplane bipale pour prouver qu’il peut voler. L’appareil, tracté à 45km/h derrière une voiture, se soulève en autorotation ! (voir : Récit)

Le "Merlin", un hélicoptère enchanteur

Parmi de nombreux projets financés par une demi-douzaine de nations, il existe alors peu de petits modèles qui peuvent initier la nouvelle carrière civile des hélicoptères. Ils sont tous américains et Robert Stierlin va s’inspirer en partie du Bell-47, qui obtint sa licence civile en 1946 (licence commerciale en 1956) et commence à se voir en Europe.

Fin 1952, les concepts et le génie de Stierlin, alors âgé de 26 ans, alliés au pragmatisme et à l’instinct de Roger Mercier, probablement le meilleur soudeur de l’époque, font que ces deux mécaniciens doués et complémentaires forment une équipe performante pour entamer la construction d’un véritable hélicoptère et des machines nécessaires à son usinage. L’écurie proche du logement de Stierlin, à Meyrin, est transformée en atelier où l’appareil est construit en 1953-1954. Ils atteignent rapidement une très haute qualité dans la finition des leurs pièces et commencent à attirer les curieux et autres aficionados.

Sur un châssis tubulaire, l’appareil est équipé d’un moteur d’avion en étoile, un Salmson de 1929 (45cv) qui compte déjà 800h de vol et que Stierlin améliorera. Pour l’acheter, il a revendu sa Ford bleue dont il avait refait le moteur, sans prévenir son épouse. Stierlin et Mercier, n’ayant pas le même poids, le siège du pilote se déplace pour mieux répartir les masses. L’appareil connaît 3 évolutions successive du châssis, mais ce sont surtout, les amortisseurs de la barre gyroscopique qui sont novateurs : d’abord absents, ils finissent télescopiques et hydrauliques, simplifiant terriblement les têtes de rotor de bipale d’alors. Stierlin crée une nouvelle typologie de tête de rotor en bascule pour bipale et s’inspire du système de barre gyroscopique de Bell qu’il améliore considérablement. Finalement. Cet appareil reviendra à 2.500 francs, dont 1.250 pour le matériel, 250 pour le moteur, et le reste en heures de travail. Payé principalement par Stierlin, il revient donc en moyenne à deux salaires bruts par personne, soit 70 fois moins cher que le plus accessible des hélicoptères du marché de 1954.

Meyrin, une sorte de Kitty-Hawk de l’hélicoptère romand ?

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Stierlin aux commandes du Merlin-V2, apprend enfin à piloter, entre R.Mercier et Daniel Bois. Personne n’est protégé du rotor en mouvement et il ne sera jamais déploré de surprise de ce côté là (Photo Boris Ziegler, 15.02.1954, coll. privée).

Tant que l’Office Fédéral de l’Air n’a pas été informé et n’est pas venu voir l’appareil, Stierlin ne veut pas mentionner son existence ou en publier des photos. En 1953, les premiers essais s’effectuent donc dans une certaine clandestinité, à l’écart du village de Meyrin près de Château des Bois (Vernier). L’appareil est alors retenu au sol par des cordes. A pleine puissance, il ne veut pas décoller et ses constructeurs n’ont jamais piloté ce type d’aéronef. Un jour, suite à un meilleur réglage du carburateur par Stierlin, il fait un bond en hauteur. Mercier, aux commandes, le repose au sol aussitôt sans décentrer l’équilibre. C’est le premier vol libre avec son pilote d’un hélicoptère construit en Suisse !

Modifications après réglages, au gré des évolutions et de l’auto-apprentissage de ses pilotes, patiemment, l’appareil finit par voler convenablement dans les trois dimensions. Mercier, plus léger, s’avère un meilleur pilote que Stierlin à leurs débuts, jusqu’à l’arrivée de Daniel Bois, encore plus léger et futur champion suisse d’acrobatie aérienne. L’appareil ne laisse pas les badauds et le voisinage indifférents. Il arbore momentanément le code fictif X40, suite à des appels aux autorités, signalant le survol d’un hélicoptère non immatriculé dans cette région frontalière. Il devient l’attraction du coin et plusieurs articles de presse vont encenser l’œuvre de ces meyrinois dès août 1954. Outre-Sarine, dès 1952, la firme Contraves-Oerlikon-Bührle voulait construire un hélicoptère avec propulsion d’air en bout de pales. Ses représentants sont donc venus voir Stierlin et Mercier et sont repartis stupéfaits par leur avance. Le développement de leur propre prototype peu performant, qui n’a jamais volé librement, est alors abandonné.

Vainqueurs d’un Concours international d’hélicoptère

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Vainqueurs du concours de St.-Etienne le 24.09.1954,. Devant le Merlin-V2 (de g. à d.) E.Jornot, Martin d’Arnal moniteur sur Bell-47, Frieda Stierlin, R.Stierlin, E.Gachet et R.Mercier.

A cette époque naît le nom "Merlin" (MERcier-stierLIN) alors qu’un concours international d’hélicoptère individuel va se tenir à Saint-Etienne (F) et rassembler 29 machines concurrentes et variées. Organisé lors de la Foire économique de Saint-Etienne, ce concours dure une semaine. Sponsorisés par le garagiste OZO de Meyrin-Vernier, ils partent se confronter au reste de l’Europe. Ils y pratiquent de nombreux vols à faible altitude et semblent les favoris. Un soir, ils surprendront quelques personnes mesurant en douce le Merlin dans l’éventualité de produire des plans ou des copies ! Le jeudi 24 septembre 1954, Stierlin et Mercier, médaille d’or et médaille d’argent, gagnent le premier prix, et un chèque de 250.000 anciens francs (environ 1,5 salaires chacun). Martin d’Arnal, pilote instructeur professionnel de Bell, s’est même soulevé aux commandes du Merlin. Quelle consécration !

Retour triomphal à Genève. L’appareil est exposé au magasin Grand-Passage dès le 11 octobre, après avoir traversé la ville tracté derrière une voiture. Henri Dufaux (Biogr.), pionnier de l’aviation, vient le voir. Le Merlin est ensuite exposé à Lausanne, à l’Innovation. Stierlin et Mercier passent à la radio. Plusieurs articles paraissent dans les quotidiens et les revues spécialisées un peu partout en Europe et décrivent cette réussite qui n’est pas issue de firmes aéronautiques. En février 1955, la commune de Meyrin remblaie le terrain du Veyrot qui devient la base de l’hélicoptère, de son hangar en bois puis, pour quelques années, de l’école "Hélicoptère-Club de Genève". Plusieurs personnes vont dorénavant apprendre à piloter un hélicoptère, dont Edouard Jornot, Jean Augsburger, Georges Gorgerat (Récit), etc..

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Meyrin, été 1955 : Le Merlin-V3 équipé de patins et de nouveaux amortisseurs de barre gyroscopique (télescopiques-hydrauliques). Plusieurs personnes vont apprendre à piloter un hélicoptère dans leur école de pilotage (coll. privée).

En août, Stierlin et Mercier se produisent au meeting aérien de Meximieux-Pérouges (F), en présence d’autorités civiles et militaires et la "petite merveille [...] le plus petit monorotor du monde [...] a été fêté comme bien on pense [...] sa maniabilité et son extrême précision surprirent" (La presse). Le Merlin continuera de voler jusqu’en 1958. De l’avis de pilotes d’hélicoptères modernes, au regard de films d’amateurs d’époque, l’appareil démontre une excellente stabilité en vol, ce que ne manquaient pas de souligner déjà les témoins d’alors. Le Merlin n’aura donc fait que deux apparitions devant un public de connaisseurs. Elles auront suffi à immortaliser ce premier hélicoptère de construction suisse qui vole et ces pionniers helvétiques.

Ailleurs, pendant ce temps là ...

En parallèle à la modeste carrière du Merlin, la France produit l’Alouette-I (1951), l’Alouette-II à turbine (1956). La Suisse acquiert ses trois premiers hélicoptères militaires en 1952. En avril 1953, se crée Heliswiss et, en mars 1957, Herman Geiger reçoit son premier Bell-47J (HB-XAU).

Aux Etats-Unis, la firme Bell Helicopter va littéralement agrandir sur un mur une photo du Merlin grandeur nature et l’ausculter. Bell suivra désormais de près les travaux de Stierlin, tant pour faire respecter ses brevets éventuels que pour voir s’il n’y a pas là l’opportunité d’évolutions technologiques. Ce dont on est certain c’est que certaines têtes de rotor de quelques modèles de Bell, s’inspireront beaucoup et tardivement de celle du Merlin volontairement non brevetée. Stierlin recevra bientôt une offre de Bell qu’il refuse. Il préfère voler dans son jardin plutôt que devenir un des nombreux ingénieurs d’une firme américaine avec l’interdiction de voler. Mais, que l’on se rassure, Stierlin saura innover à nouveau ! (voir : Récit).

 

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Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 12 juillet 2005
  • La carrière de R. Stierlin a été traitée dans le magazine Hélico-Revue Nos.43 (1999), 44 et 45 (2000). Voir aussi le magazine de l’Aéroport de Cointrin "23-05" no.20 de juillet 1999 et le journal de la commune de Meyrin "Ensemble" no.20 de mars 2001.
  • [09.2010] Robert Stierlin en images, 1945- 1955 (I/II) (diaporama, 02’30’’, 6Mo) Format MP4.
     
    [02.2007] Tout sur le "Merlin" (1954-1955, N&B & couleur, muet, 2 fois 8’, ≈268 + ≈192 Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.
    Ne pas hésiter à laisser "downloader" un peu la vidéo avant lecture !

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