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Le rêve d’un hélico-taxi biplace pour faire des randonnées entre la ville et la montagne (1960) [2 vidéos]

 

Le succès du Merlin incite Stierlin a construire un nouvel hélicoptère qui devrait être biplace et construit en petite série. L’Ecole d’ingénieurs de Genève se greffe sur le projet. Le prototype possèdera un rotor amélioré et même des pales inédites en composite ainsi que de rares commandes de vol hydrauliques. C’est aussi le 1er hélicoptère privé suisse immatriculé : X-HB-XVA.


A Bellevue (GE), derniers essais en vol du RS-65-V2, avant que le 1er hélicoptère privé de Suisse ne soit immatriculé X-HB-XVA. Sans verrière (et sans casque) mais avec commandes hydrauliques et pales en composite (Photo Daniel Bois, été 1960, coll. privée).

Une gestation privée sous les meilleurs auspices dont celles administratives

L’innovation de sa tête de rotor, montée sur son hélicoptère Merlin, a été remarquée par la presse et de grands constructeurs, dont les américains, présents au concours que Robert Stierlin gagne à St.-Etienne (1954). C’est le premier assemblage du genre qui vole ainsi, constitué d’un rotor bipale en bascule sur un seul axe, couplé à une barre gyroscopique allégée, dont les amortisseurs sont à la fois hydrauliques et télescopiques. Robert Stierlin connaît les limites du Merlin et pense déjà à des concepts plus efficaces. Il ne sait pas qu’il a plusieurs années d’avance sur les productions similaires de certaines firmes. Dès novembre 1954, il récupère un moteur Continental de 65cv provenant d’un avion Piper accidenté et commence alors la conception et la construction partielle de ce troisième hélicoptère dans son atelier privé de Meyrin.... où il continue à passer le plus clair de son temps libre.

Jean Haueter et Roger Leutwyler, élèves du Technicum (Ecole d’ingénieurs de Genève) avaient suivi les vols du Merlin. Fin 1954, ils proposent à leur directeur, Albert Seiler, de réaliser les plans de ce nouvel hélicoptère comme thème de leur diplôme de fin d’étude. Seiler se laisse finalement convaincre par Stierlin, un de ses anciens élèves, qui deviendra le maître de travaux de ces deux élèves, rejoints par Roland Simond. Ainsi, Leutwyler dessine la structure du fuselage, fait les calculs statiques et de performances, Haueter traite de l’aérodynamique, dessine le rotor principal et l’entraînement du moteur, et Simond prend en charge le rotor anticouple et les calculs de stabilité. Ils ont la chance d’œuvrer sur un sujet concret pour cet examen qu’ils réussissent avec succès en juin 1955, validé par Seiler.

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Un plan extrait d’un diplôme de 3 élèves du Technicum (GE), alors que Stierlin construit déjà cet hélicoptère depuis un an (Planche 4, du 6.6.1955, par R.Leutwyler, coll privée).

Ces documents officiels attestent des innovations de Stierlin dès 1954 parallèlement à la construction de l’appareil qui progresse. Les plans sont alors exposés au grand meeting d’aviation de Genève-Cointrin de juillet 1955 (voir : Récit). Ils serviront également à l’Office Fédéral de l’Air, pour se préparer à l’homologation future d’hélicoptères privés en Suisse et ils serviront, bien sûr, à l’homologation du nouvel hélicoptère de Stierlin.

Le Technicum et l’Ecole de mécanique vont collaborer assez longuement avec Stierlin pour la réalisation de cet appareil, de diverses façons. Seiler, sous la couverture universitaire de l’école, obtiendra de Bell la gratuité de cinq licences de la barre gyroscopique. Certains imaginent qu’un jour, des hélicoptères biplaces pourront faire le taxi panoramique entre Genève et le sommet du mont Salève ! L’Ecole de mécanique, à titre bénévole, aidera à fabriquer des pièces de grandes dimensions, les pales, l’axe du rotor. Marcel Bassin, son doyen, s’associera avec Stierlin pour terminer la première machine monoplace.

Il est probable qu’à l’époque, plusieurs personnes voient finalement dans les idées individualistes de Stierlin des possibilités de bénéfices, ou de célébrité. Quant à Roger Mercier, soudeur hors-pair agréé par l’OFA, il réalise l’assemblage du châssis tubulaire.

Un monoplace de 65 CV rempli d’innovations

Stierlin a conçu un appareil compacte sur lequel tout le poids est réparti autour et proche du rotor, dont on connaîtra deux versions (1957, 1960). Dès 1954, le concept de Stierlin inclut une barre gyroscopique assez semblable à celle de son Merlin-V3, mais pour la première fois située au-dessus du rotor, une innovation par rapport aux autres rotors du même type. Placée ainsi, tout en facilitant la construction, cette barre va apporter de nombreux avantages de vol, dont une augmentation de la stabilité, tout en l’éloignant de la partie habitable. Ce sera le premier hélicoptère connu en vol utilisant cette configuration, qui se verra appliquée assez rapidement ailleurs à de nombreux autres types d’hélicoptères.

Après 3 ans d’études et la refonte de quelques pièces, l’appareil se termine dans l’atelier de Meyrin. Des premières tentatives de vol captif ont déjà eu lieu en 1956, vers l’atelier du menuisier Zanhd (Meyrin), avec Stierlin aux commandes. D’autres vols stationnaires se déroulent dès septembre 1957, également pilotés par Daniel Bois (1930-2008). L’habitacle est alors fermé par une plaque de plexiglas faisant office de pare-brise et qui vibrait de manière excessive. Encore un peu lourd, l’appareil rattrapera les capacités de vol du Merlin et Stierlin pense déjà à l’améliorer de diverses façons. Parallèlement, il teste des statoréacteurs placés en bout de pale pour mesurer l’efficacité de ce concept.

Premières pales en composite et commandes hydrauliques d’une grande ingénuité

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Une vue du RS-65-V1, lors de tests effectués près de chez M. Zanhd, rue Virginio Malnati, à Meyrin-village, piloté ici par Daniel Bois (Photo Willy Sutter, été 1957, coll. privée).

En 1958, quelques articles spécialisés suisses et internationaux, au grand dam de Stierlin qui n’a pas encore contacté l’Office Fédéral de l’Air, vont révéler aux spécialistes les capacités prometteuses de cet appareil. Le représentant zurichois de Bell, A.R.Forrer, qui l’observe de loin depuis son succès de 1954, viendra aux nouvelles. C’est aussi à cette époque, à 32 ans, que Stierlin se remarie et s’installe près de l’aéroport de Cointrin, tout en continuant intensivement à s’occuper d’hélicoptères pendant ses loisirs. Sa résidence secondaire de Chavannes-des-Bois verra dorénavant voler les appareils construits à Cointrin.

La seconde version de cet hélicoptère naît officiellement en septembre 1960, bien que des essais préliminaires aient lieu depuis 1959. L’appareil s’est allégé, sans pare-brise, la structure rehaussée et renforcée, l’embrayage rénové. Il arbore deux nouveaux réservoirs sphériques stratifiés (26L) et une peinture entièrement jaune. Ses grandes innovations résident dans des commandes de vol intégralement hydrauliques et des pales en composite. L’hydraulique doit permettre à terme de créer un appareil biplace et des déplacer les commandes de vol sans devoir modifier le châssis. La commande hydraulique est rare à l’époque, absente des petits appareils. Il est remarquable qu’un amateur l’ait bien maîtrisé. Quant aux pales, que Aviation-Week (01.1961), qualifiera de "pales en fibre de verre", elles sont en fait en composite et recouvertes de fibre de verre. Crées déjà en 1958, elles allient encore plus de légèreté et de rigidité, s’inspirant de technologies utilisées dans l’environnement professionnel de Stierlin, à l’Organisation Européenne de Recherche Nucléaire (CERN).

Avant chaque, vol, Stierlin réalise un rapide étalonnage de son hydraulique à l’aide d’une seule molette manuelle qui comprime le circuit d’huile et met de minuscules vérins sous tension. En vol, il constate que cela procure une douceur et une souplesse exceptionnelle et corrige les petites fautes. Il reçoit alors une offre d’emploi de la part de Bell, qui souhaite le voir venir avec sa famille aux Etats-Unis, mais sans plus jamais pouvoir voler. Stierlin n’en a cure, il préfère Genève, le CERN, ses amis et voler par pur plaisir intellectuel dans son champ.

L’appareil est immatriculé peu après par l’Office Fédéral de l’Air, après des tests effectués à Prangins (voir : Lieu)où il restera dorénavant basé. Le représentant zurichois de Bell est présent ce jour-là et essaye timidement de piloter l’hélicoptère tout en appréciant les parfaites commandes hydrauliques. Avec l’immatriculation X-HB-XVA, c’est à la fois le premier hélicoptère privé, et construit en Suisse, qui soit immatriculé parmi les quelque trente autres hélicoptères civils et la douzaine de machines militaires volant alors en Suisse. Il est le résultat de quelque 4.000 heures de travail en six ans. A Prangins, on peut le voir voler presque tous les week-ends, mais il ne sera jamais présenté dans un meeting public, mis à part son exposition momentanée dans le hall du Comptoir de Lausanne. Comme il a été mentionné pour le 2ème hélicoptère, le Merlin, les témoins de l’époque et les pilotes actuels remarquent la stabilité exceptionnelle de l’appareil, ce que démontrent toujours les images issues de films d’amateurs.

Ailleurs, pendant ce temps-là ...

Aux Etats-Unis, en octobre 1956, le prototype de "l’Iroquois" de Bell, affiche sa barre gyroscopique au-dessous du rotor, comme sur les anciens Bell-47, mais maintenant couplée à une tête de rotor en bascule sur un seul axe, comme Stierlin. Dès septembre 1958, les "Iroquois" de présérie, les fameux "Huey" de la guerre du Viêt-nam, arborent finalement une barre gyroscopique au-dessus du rotor, quelques années après les vols de Stierlin. De nombreux appareils civils de Bell et Agusta vont faire de même. Puis, on se passera finalement et volontairement de la présence d’une barre gyroscopique.

En 1960, Meyrin compte 3058 habitants. L’armée suisse reçoit ses premières Alouette-II et la France produit ses Alouette-III. Ultime anecdote, en 1963, le rotor du 65cv en fibre de verre conçu par Stierlin a été dérobé dans un hangar de Bellevue, on ne l’a jamais retrouvé !

 

Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 12 juillet 2005
  • La carrière de R. Stierlin a été traitée dans le magazine Hélico-Revue Nos.43 (1999), 44 et 45 (2000). Voir aussi le magazine de l’Aéroport de Cointrin "23-05" no.20 de juillet 1999 et le journal de la commune de Meyrin "Ensemble" no.20 de mars 2001.
  • [03.2007] Le RS-65 intégral, de 1957 à 1960 (vidéo, muet, couleur, 07 minutes, ≈206 Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum. Ne pas hésiter à laisser downloader un peu avant lecture.

    - Robert Stierlin nous fait une autre parfaite démonstration de vol du RS-65 à Prangins, à l’automne 1960. Le son d’époque n’a hélas pas été conservé :

    [03.2014] R.Stierlin et le RS-65 : une démo de vol à Prangins (automne 1960) (vidéo muette, 02’35’’, 92Mo). Format QuickTime 7.5 minimum.

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