Rassemblés dans l’urgence et sans préparation
Août 1914 : pilotes et officiers (avions et ballons).
Lorsque la guerre est déclarée entre l’Allemagne et la France, un certain nombre de pilotes suisses, souvent à l’étranger, se voient mobilisés en Suisse dans le corps où ils ont fait leurs périodes militaires. Audemars est par exemple dans les courriers cyclistes à Morges. On rassemble finalement ces pilotes éparpillés, à leur demande, qui sont transférés à Berne alors que leur avion privé est réquisitionné par l’armée, il leur sera finalement acheté. Le capitaine de cavalerie Théodore Réal (1881-1971), pilote privé, mandaté le 31 juillet dans ce but, réunit ainsi une dizaine de pilotes aux uniformes disparates venus avec des avions encore plus hétéroclites. Parmi les résidents genevois on cite Agénor Parmelin (1884-1917), François Durafour (1888-1967), Edmond Audemars (1882-1970), accompagnés des Vaudois René Grandjean (1884-1963) et Albert Cuendet (1883-1933), Henri Kramer (1892-1977) auxquels se joignent Ernest Burri (1887-1969, La Chaux-de-fonds) et le jeune Auguste Comte (1895-1965, Delémont), sous les ordre d’Oscar Bider.
Le personnel non naviguant se compose d’une vingtaine d’hommes provenant de différentes armes et de 6 auxiliaires, à savoir des mécaniciens, menuisiers, selliers, forgerons et des aides. Le constructeur d’avion Wild (firme Aviatik à Mulhouse) se propose comme conseiller technique On y trouve un soldat complémentaire du nom d’Auguste Piccard, ainsi qu’un belge et le pilote espagnol de Montreux, Montalvan, qui prêtent serment en portant simplement le brassard fédéral. Présence également du professeur de Quervain, comme météorologue.
Quant aux avions, appareils "de sport", ils ne sont pas taillés pour la guerre : il y a le Morane-Saulnier "H" d’Audemars, biplace, le Blériot biplace de Bider, le Grandjean monoplace construit par Grandjean, le Farman biplace de Cuendet. Real réquisitionne les 3 avions exposés à Berne à l’Exposition nationale : un Blériot, un Aviatik (Alsacien) et 2 LVG allemands biplaces. Au total, 9 avions et un moteur de réserve constituent la Swiss Air force. Les avions "de passage" seront réquisitionnés : un Caudron, un Blériot, un Otto, un Astra, un Schneider. Real réquisitionne également la halle des aérostiers de Berne et la ferme voisine. Une troupe d’aérostiers est aussi mobilisée (340 hommes) pour laquelle la mission est claire : l’observation. Mais alors, que fera l’aviation ?
Un certain nombre de pilote, frustrés, n’ont pas été mobilisés, à Genève c’est Emile Taddéoli, Paul Wyss, John Domenjoz, etc.. La sélection a exclu les hommes mariés sauf si leur carrière les rendaient indispensables comme Parmelin qui reçoit des offres anglaises et russes et qui se voit alors mobilisé. Plusieurs pilotes font des offres, y compris les frères Dufaux, mais il ne leur sera même pas répondu. Qu’aurait-on fait d’eux, sans avions, sans structures ? Certains s’embaucheront dès 1914 dans les forces françaises, allemandes, italiennes ou même américaine (voir : Récit).
On leur invente un uniforme qui comporte encore un sabre, peu pratique dans une carlingue. Un insigne spécifique les distingue : une aile de laine ou d’argent. Ceux gradés antérieurement comme Lugrin passent Lieutenant pilote et chef d’escadrille, les autres sont montés non sans mal au grade d’adjudant pilote. Le caporal Bider passe capitaine, Réal devient colonel, Ach ! La seule arme de bord est le pistolet porté à la ceinture ou un fusil mousqueton accroché le long de la carlingue, comme sur le Blériot, quasiment inutilisable envol.
Deux escadres sont constituées. On vole à l’aube pour laisser le terrain d’exercice à d’autres troupes. Durant les 5 mois de 1914, les machines volent 93 jours et accomplissent 662 vols. Les missions sont malheureusement rares. Les commandants des troupes terrestres ne savent pas encore que faire de l’aviation. A deux reprises des avions se déplacent pour rien lors de manœuvres à Bâle-Campagne ou à Fribourg. En décembre, l’aviation quitte l’Allmend trop petit et cabossé, entouré d’obstacles, qui se prête mal à l’entraînement des pilotes et déménage à Dübendorf, terrain réquisitionné en octobre.
Nos aviateurs aux couleurs hélvétiques.
Edmond Audemars, le roi de l’air, pas toujours bien compris
Un jour, les pilotes font une belle démonstration de vol devant tout un régiment d’infanterie bernois composé de 3 bataillons et de ses officiers. Leur commandant dit : "- J’éprouve un plaisir énorme, oui, vraiment énorme. Je n’ai malheureusement pas encore vu de près un champ d’aviation. mais c’est formidable, formidable !... En final, Audemars (voir : Biogr.), l’un des plus talentueux acrobates aériens d’avant-guerre se donne à fond en manœuvres de voltige, profitant de l’occasion pour montrer ses capacités et sortir de la routine militaire avec son Morane-Saulnier surnommé "la guêpe". Le commandant, perturbé, dit alors au Capitaine Real : "- Arrêtez, mon officier, c’est un fou ! Cet homme va s’écraser au sol. Qu’il descende !". Real porte la main à son képi : "- Mon commandant, il n’y a rien à faire ! Aussi longtemps qu’il est dans les airs, l’aviateur échappe à nos ordres... Nous ne possédons malheureusement pas encore de télégraphie sans fil !"
Audemars termine son exhibition en survolant en rase-mottes tout le régiment alors en colonne qui s’éparpille à plat ventre dans l’herbe. A sa descente d’avion il est salué d’enthousiasme par des "hourras" de toute la troupe. Le commandant, lui, abat son poing sur l’épaule d’Audemars si fort que le petit aviateur fléchit des genoux : "- Ce fut affreux ! Plus jamais je ne veux voir quelque chose de pareil ! " Puis les officiers remontent en selle, rejoignent leurs bataillons et le régiment défile, baïonnette au canon avec son commandant qui tire son épée, au son de la Marche bernoise...
Cinq mois sans une grande activité
De g. à d : Bider, Audemars, Parmelin, Lugrin, Cuendet, Burri, Comte, Grandjean, devant le Morane-Saulnier "H".
Combien d’heures de vol un chevronné comme Durafour (voir : Biogr.) a-t-il fait sous la bannière militaire durant les 22 semaines de 1914 : 57h sur les 349 ! Cela représente à peine plus de 2h30 par semaine ! Il n’y pas assez d’avions pour tous, et encore, c’est Durafour qui teste les éventuels appareils que l’armée pourrait acheter un jour. Cela n’a rien à voir avec l’activité des pilotes des pays voisins, aux commandes d’appareils militaires et qui risquent leur vie à chaque mission près du front ou testant diverses armes ou en missions militaires diverses.
Ainsi, à la fin de l’année, la moitié de nos pilotes expérimentés demande des congés militaires : Audemars, Burri, Durafour Parmelin et Grandjean. Ils veulent aller en France et servir l’aviation (voir : Récit). Même le capitaine Réal et Wild demanderont leurs congés en 1916 ...... puis les responsables se succèderont...
En 1915, la poignée de pilotes restants est enfin dotés d’une mission, par obligation : former des pilotes militaires. Dès lors, ils seront en grande majorité Suisse-alémaniques. Cela aura son influence sur le siècle à venir et dès 1919 : la "surmédiatisation" de la carrière de Bider, les postes occupés à l’Office Fédéral de l’Air, dans les compagnies Ad-Astra-Aero, Swissair, puis à Kloten, etc.
Quand on regarde la date de décès de ces divers pilotes militaires romands de la 1ère heure, on constate que cette expérience, que cette époque, ne leur a pas porté malheur. Ils vivront en grande majorité très âgés à l’exception de Parmelin (voir : Biogr.). Ils auront eu toutes les occasions de voir comment les Troupes d’aviation et de DCA vont considérablement évoluer dans les années qui suivent et ils seront plusieurs fois invités aux anniversaires aéronautiques suisses marquants.
De gauche à droite : adjudant Bider, Lt Lugrin, adjudants Audemars, Burri, Parmelin, Durafour, Comte, Grandjean et Cuendet.