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Premier essai d’un ballon emportant sa propre production d’énergie sustentatrice (1901-02) [vidéo]

 

En 1900, gonfler un ballon à l’hydrogène coûte très cher et l’on ne peut pas non plus voler que dans les environs d’un réservoir de gaz de ville. Pour une montgolfière, emporter son foyer est dangereux et il n’existe pas encore ces pratiques bouteilles de propane et les brûleurs utilisés aujourd’hui. Liwentaal va donc tenter d’installer une chaudière à vapeur à bord de la nacelle !


Devant la maison familiale de Liwentaal au Signal de Vernier, la nacelle, l’aéronaute Louis Kaeser, le ballon à terre, et la chaudière à embarquer dans cette nacelle avec 2 passagers.

Un économique ballon à vapeur

En 1901, au Signal de Vernier, Alexandre Liwentaal se lance à nouveau dans la construction d’un ballon, mais cette fois-ci il sera gonflé à la vapeur. Il estime que l’air chaud produit par une chaudière à pétrole légère et embarquée fera s’élever le ballon et que la condensation de cette vapeur sur la toile du ballon formera de l’eau, récupérée, qui sera réintroduite dans la chaudière. Un procédé bien moins cher que le gaz de ville ou l’hydrogène et théoriquement réaliste.

L’enveloppe du ballon est réalisée par toute la famille Liwentaal durant l’été. A l’extérieur, sur des planches retenues par des tréteaux, Jean, le père d’Alexandre, coupe de longues bandes de toile en forme de fuseau. A côté, à l’ombre, la femme de Liwentaal et Jenny, petite sœur de Liwentaal, couturière comme son père, assemblent les fuseaux. Parallèlement, Alexandre teste différents produits de son invention qui visent à rendre cette enveloppe de ballon étanche, afin que la vapeur ne s’en échappe pas. Alexandre réalise aussi la prouesse technique de construire une chaudière légère et puissante.

Les secrets de la fabrication

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Toute la famille au travail réalisant l’enveloppe du ballon.

Ce projet lui vaut quelque notoriété dans la presse spécialisée, dont un article dans la revue du Touring Club Suisse (1er août 1902), bien détaillé, qui est donc cité ici en intégralité : "L’aéronaute Alexandre Liwentaal vient de construire un aérostat qui diffère de ceux que l’on connaissait jusqu’à présent. Ce ballon, au lieu d’être gonflé avec du gaz d’éclairage ou de l’hydrogène, sera rempli de vapeur d’eau fabriquée en cours de route. A cet effet, Liwentaal installe dans la nacelle une chaudière dont la seule fonction consiste à envoyer continuellement dans le sein du ballon des bouffées de vapeur, afin de combattre la condensation et de restituer au ballon sa force ascensionnelle.

La chaudière, que représente la photographie ci-après, est une modification des chaudières marines du type Yarrow [constructeur anglais de navires] ; elle se compose de quinze-cents tubes d’acier appuyés obliquement comme les chevrons d’un toit. Ces tubes ont une longueur de 1,10 m avec un diamètre de huit millimètres et une épaisseur d’un demi-millimètre ; ce qui fournit une surface de chauffe de 44 m2. Les extrémités inférieures de ces tubes plongent dans un réservoir à eau, tandis que les supérieures aboutissent à un dôme, depuis lequel la vapeur est conduite au ballon par une manche d’une dizaine de mètres de longueur, adaptée latéralement.

Sous la chaudière est installé un tuyau ramifié, percé de 5.200 trous, à travers lesquels passent des jets de pétrole gazéifié. L’ensemble de ces brûleurs donne une surface de flamme de 1,20 m de long et de 1,8 m de large. Tubes de chaudière et brûleurs sont soigneusement enfermés dans une carapace de tôle doublée de carton d’amiante, ce qui évite tout rayonnement extérieur, au point que l’aéronaute qui est placé dans la nacelle, à côté de la chaudière, n’en sent même pas la présence. Le pétrole qui alimente les brûleurs provient d’un réservoir de 150 litres. Deux réchauds Primus chauffent des serpentins de cuivre à travers lesquels le pétrole est giffardé et gazéifié pour être expulsé par les 5200 trous de chauffe. La flamme a de six à huit centimètres de hauteur.

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Liwentaal et sa chaudière légère (1902).

L’enveloppe est faite d’une étoffe de coton à vingt-huit fils par mètre carré ; on l’enduit par un procédé spécial, d’un vernis au Celluloïd. Ce tissu de coton supporte, à l’état ordinaire, une traction de 730 kg par mètre à la trame, et de 734 kg à la chaîne ; la traction peut atteindre 900 kg dans les deux sens, quand l’étoffe est celluloidée. En outre, elle est complètement imperméable à la vapeur ; elle est en ceci supérieure à l’étoffe préparée à la Ballonine, avec laquelle Liwentaal avait construit le ballon dirigeable de Zeppelin. Quand le ballon sera gonflé, l’étoffe supportera une pression de quatre millimètres d’eau par centimètre carré !

L’enveloppe est cousue de trente-six fuseaux de 1,20 m de largeur à l’équateur ; le ballon sphérique aura donc un diamètre de treize mètres environ et une capacité de 1.345 m3. La nacelle carrée de 1,90 m de côté est en osier reliée au ballon par douze cordes de suspente. La distance de l’extrémité inférieure du ballon à la nacelle est de onze mètres. Les données suivantes indiquent le poids des différentes parties du ballon à vapeur : chaudière 130 kg ; eau 160 kg ; eau de réserve (lest) 60 kg ; enveloppe du ballon 85 kg ; filet, cercle de charge 75 kg ; cordages, ancre 27 kg ; nacelle 65 kg ; tonneau de pétrole 127 kg ; total 729 kg. - La force ascensionnelle de la vapeur d’eau est de 0,688 et la capacité du ballon étant de 1.345 m3, on voit qu’il peut enlever une charge de 926 kg. Il reste donc à Liwentaal 197 kg de libre pour lui, un compagnon ou ses instruments.

Pour partir, la chaudière commence par vaporiser 800 litres d’eau qui gonflent l’enveloppe. Au lâcher, la chaudière est remplie à moitié. La vapeur se condense en partie sur les parois du ballon, l’eau ruisselle à l’intérieur et s’écoule dans un collecteur placé à l’extrémité inférieure du ballon ; un tube conduit cette eau au réservoir d’alimentation de la chaudière, d’où elle est renvoyée sous forme de vapeur. On voit donc que l’eau parcourt un cycle complet : à l’état liquide elle sert de lest, à l’état de vapeur elle fournit la force ascensionnelle. On voit que l’aéronaute n’a pas besoin de lâcher du gaz, ni de jeter du lest. La pratique de la « double saignée » est remplacée par un système beaucoup plus simple qui consiste à graduer le chauffage au pétrole. Veut-on descendre, il suffit de modérer la flamme, immédiatement la condensation domine la vaporisation, le ballon se dégonfle, le lest augmente, la descente a lieu. Veut-on monter, il faut ouvrir les robinets de chauffe, la force ascensionnelle grandit au détriment du lest et le ballon s’élève dans l’atmosphère. Afin d’éviter les risques de déchirures de l’enveloppe par le fait de la surpression, deux soupapes automatiques ont été placées aux extrémités d’une longue manche fixée à la partie inférieure du ballon ; l’état de cette manche, son aspect flétri ou gonflé, renseigne l’aéronaute sur la pression intérieure, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un procédé plus précis.

Le prix du gonflement au gaz de ce ballon coûterait de 300 à 400F [4.000f actuels] ; le triple avec de l’hydrogène. Avec la vapeur d’eau, la dépense s’élève à une cinquantaine de francs. L’ascension peut s’effectuer dans tous les pays où l’on trouve du pétrole et de l’eau, c’est-à-dire dans le monde entier, tandis que le gonflement au gaz ne peut se faire que dans des villes pourvues de gazomètre ; le gonflement à l’hydrogène nécessite tout un matériel d’usine. Liwentaal termine en ce moment ses derniers préparatifs ; l’enveloppe doit encore recevoir une dernière couche de Celluloïd et l’on procédera au gonflement. La revue du Touring Club Suisse tiendra les lecteurs au courant de ce qui se passera. Signé Alphonse Bernoud, membre de l’Aéro-Club. »

La vapeur alors plus destructrice que sustentatrice !

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Essai de gonflage du ballon à la vapeur.

Les essais de l’hiver 1901 n’apportent pas satisfaction. La puissance décapante de la vapeur nettoie la toile du ballon de son produit étanchéisateur et laissait filer la vapeur à l’extérieur. Malgré tout, il semble que ce soit le premier essai connu d’un ballon gonflé à la vapeur. Liwentaal arrête ses travaux et fait part en détail de ses expériences au comte Zeppelin (février 1902), avec qui il travailla sur le 1er dirigeable du comte, le LZ-1, et entretient avec lui une correspondance régulière (jusqu’en 1912) : " chaudière pesant moins de 3 kg par m2, elle vaporise avec une rapidité extraordinaire, pouvant fournir 450 kilos de vapeur à l’heure.... peut emporter 15h de pétrole et 2 passagers.... l’incendie est impossible.." Il lui envoie même plusieurs photos des essais, reproduites ici.

Ceci pourrait expliquer que le dépôt d’un premier brevet de ballon à vapeur apparaisse en Allemagne, déposé par Hugo Erdmann, en 1908.

Mais il faudra attendre encore 100 ans pour que cette technologie soit véritablement fonctionnelle grâce notamment à un mélange de vapeur et d’oxygène dans une enveloppe en produit synthétique non détériorée par les propriétés décapante de cette vapeur brûlante (2004, Thomas J. Goodey, voir www.flyingkettle.com).

 

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Kaeser participe aux essais du ballon à vapeur de Liwentaal en 1902 (Vernier, GE).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 29 août 2005
  • Pour une biographie détaillée illustrée, voir : « Alexandre Liwentaal, un genevois pionnier européen de l’aéronautique », par J.C.Cailliez. Editions Secavia, Genève 2003, 224p. 80 photos, à la "Librairie ".
  • Source des photos "bleues" : Zeppelin Museum Friedrichshafen (D)
  • Alphonse Bernoud (1875-03.11.1969) alors prof de mathématiques aux Charmilles, bientôt journaliste pour le Journal de Genève, conférencier scientifique et politique, longtemps président du Cercle démocratique, sera aussi ingénieur et Dr es sciences. Il fit en 1903 un vol dans un ballon à gaz de 1.600 m3 qui eut temporairement la soupape supérieure bloquée (nécessaire pour le retour au sol). Membre de l’Aéro-Club de Suisse, il sera l’un des fondateurs du Club Suisse d’Aviation en 1909 (futur Aéro-Club de Genève) [voir : Récit).

    Liwentaal et l’aéronautique en 1890-1902 (sonore, 2’16’’, 48Mo), nécessite le plugin QuickTime, 7.1.3. minimum

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