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Les ballons fantasques de Genève dans l’imaginaire du début du 19ème siècle (1837) [vidéo]

 

Les derniers exploits de l’univers des aéronautes stimulent l’imagination. On commence à croire qu’un gaz léger permettra la création de ballons gigantesques. Certains seront même de véritables vaisseaux aériens équipés du confort des expéditions maritimes et iront d’un continent à l’autre.

Un "ballon-monstre" doit d’ailleurs faire escale à Genève en 1837 pour faire le plein d’énergie. Genève, comme ailleurs, fantasme sur le progrès technique et l’avenir, quitte même à réviser son histoire de 1602.


La ville volante du Bernois Dunker illustre les prophéties du début du 19ème siècle, dont celle de l’ouvrage l’"An 2440".

Une affiche pour annoncer un événement extraordinaire

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Le "ballon-monstre" à vapeur annoncé à Genève en 1837 (Bibliothèque de Genève).

En 1837, paraît à Genève un placard illustré annonçant la visite prochaine, au bout du lac, d’un gigantesque "ballon-monstre" dont l’enveloppe forme une véritable ville aérienne de 24 rues et de 80 maisons ! Sa nacelle abrite une machine à vapeur, les entrepôts à charbon et les logements. Au sommet, un réservoir retient les eaux de pluie et un jardin promet aux voyageurs d’agréables promenades. Ses dimensions sont gigantesques puisqu’il mesure 14.067 pieds de circonférence et 682 pieds de hauteur pouvant abriter 1.000 âmes ou même 4 fois plus ! Outre l’image un peu naïve en noir et blanc, l’affiche intitulée "Grands détails circonstanciés de l’apparition prochaine, à Genève, de l’étonnant ballon-monstre" donne de nombreux détails techniques et historiques sur l’engin dont sa puissance équivalente à 1.800 chevaux de traits qui peut déplacer le ballon à 97 lieues à l’heure !

En fait, un Anglais du nom de Plougam eut cette idée en février 1833 et obtint son financement du Roi d’Angleterre. Le 1er novembre 1836, l’appareil fut finalement terminé et testé en vol avec quelques passagers sur 24 lieues après quelques modestes améliorations techniques. Parti récemment le 1er février 1837 pour un voyage vers l’Ecosse et l’Irlande, le ballon partira ensuite pour Marseille en passant par Paris avec une escale de 2 jours à Genève pour son approvisionnement en charbon. Pour ce séjour sur la plaine de Plainpalais, les Genevois apprennent que 5 coups de canon annonceront l’arrivée de l’engin en ville et que les autorités prendront des mesures afin de prévenir et d’éviter tout accident, aussi : "On prévient les habitants de ne pas s’effrayer sur l’apparition de cette étonnante machine à vapeur".

L’affiche fait même office d’offre d’emploi puisque "l’on demande au service du ballon-monstre un habile mécanicien et deux chauffeurs non mariés. Outre les appointements de 1.500F/an, ils seront nourris … Si le cahotage de la machine ne leur permettait pas de continuer le voyage, ils seraient redescendus immédiatement en parachute". On y trouve aussi une longue liste de détails structurels et techniques des plus incroyables décrivant l’organisation interne du ballon : les logements, ses ressources en eau, la circulation interne des nombreux aéronautes, les loisirs embarqués, etc. qui donnent l’idée d’un véritable palace aérien de croisière, d’une ville volante, justifiant son appellation de "Ballon-monstre". Cet inventaire est encore suivi de 2 poèmes dont l’un fait l’éloge de la machine à vapeur et de ses succès alors que l’autre intitulé "le Nouveau Ballon", s’adresse déjà aux futurs Genevois qui auront le nez en l’air ou à bord :

1) Partout nous voyons en France, 2) Pour arriver à Saint-Etienne, 3) J’ai vu sur nos belles rivières,
Des bureaux pour chaque assurrance, Bien plus facilement qu’à Vienne, Et même sur les étrangères,
De jolis ponts en fil de fer, Le voyageur, le vieux grison, De larges bateaux à vapeur,
Qui surprennent tout l’univers. Choisiront toujours le wagon ; Qui font honneur à l’inventeur.
Des métiers à la mécanique, Pour eux c’est un grand avantage, De Croquignolet en voiture
Inventés par Jaccard l’Unique. Ils font lestement le voyage. Qui marchaient sans chevaux, je jure.
Mais ça ne vaut pas le ballon, Mais ça ne vaut pas le ballon, Mais ça ne vaut pas le ballon,
Qu’à Genève bientôt nous verrons. Qu’à Genève bientôt nous verrons. Qu’à Genève bientôt nous verrons.
4) Regardez celui d’Angleterre, 5) Montgolfier, Blanchard, vous qu’on cite, 6) Vous pourrez donc, jeunes fillettes,
Il étonne toute la terre, Aéronautes de mérite. Vous livrer, dimanches et fêtes,
Par sa large dimension. Que diriez-vous de ce ballon, Aux plaisirs avec votre amant.
Il imenace les nations, Qui va surprendre nos cantons. Dans ce ballon tout surprenant.
Mais dans peu, j’en ai l’assurance, Avant deux mois il doit paraître, Puis dans un joli tête-à-tête,
Par les progrès qu’on fait en France. A Plainpalais, et d’une fenêtre, Vous ferez plus d’une conquête,
Mais ça ne vaut pas le ballon, Vous le verrez incontinent, Soit d’un milord ou d’un baron.
Qu’à Genève bientôt nous verrons. Dans les airs prendre son élan. Que vous verrez dans ce Ballon.

Origines historiques et intellectuelles du concept de vaisseau aérien transcontinental

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"La Minerve" de Robert, version améliorée du dessin de Dunker.

Comment est-t-on arrivé à ce type de projet fou et que savaient les érudits ou la population locale ? Il nous faut remonter à la publication du prolixe écrivain français Louis-Sébastien Mercier (1740-1814). A la fois dramaturge (50 pièces de théâtre) et publiciste il fait paraître en 1770 un ouvrage futuriste "l’An 2440, un rêve s’il en fut jamais" (Amsterdam, in-8°). Dans sa 2ème édition de 1786 (3 vol. in-8°) il incorpore la découverte du vol humain par les frères Montgolfier (1783) et la développe. Il mentionne un grand voyage dans une sorte de "ballon-cité" qui vogue vers la Chine et la Japon. Dans ces 2 livres, Mercier formule surtout et tout à la fois la réalisation des ses utopies en matière d’éducation, morale, politique etc. Aussi, durant une partie de la Révolution française Mercier devra se réfugier dans la Principauté de Neuchâtel, en Suisse (1781-85). Diverses traduction de "L’An 2440" existeront dont en langue allemande (Chr.F.Weisse, "L’année deux mille cent quarante") et l’ouvrage est un succès populaire qui stimulera d’autres auteurs et des aéronautes.

En Suisse toujours, peu avant sa disparition, le peintre et graveur bernois Baltasar Abraham Antoine Dunker (1746-1807), utilisant son imagination, dessine avec beaucoup de détails cette "ville aérienne" futuriste décrite dans "L’an 2440" (image en tête de cette page) et augmente ainsi l’impact du travail de Mercier. Puis vient le Français Etienne Gaspard Robert, né à Liège, alias le Flamand E.G.Robertson, homme polyvalent, abbé et également aéronaute, qui ré-imagine ce ballon du futur, un peu plus réaliste ( ?), apte à une liaison entre les continents, emportant 60 savants à la découverte du reste de la planète, qui s’envolera le 10 mai 2340 ! Il publie La Minerve, vaisseau aérien destiné aux découvertes, et proposé à toutes les académies de l’Europe (Paris, S.V.Degen, 1804). L’ouvrage est réédité en 1820 (Paris, Hocquet) et réutilisera la gravure améliorée de Dunker.

Du côté des aéronautes, c’est surtout le célèbre Anglais Charles Green (1785-1870) qui étonne ensuite le monde. S’il fait des ascensions dès 1821, le 7 novembre 1836 il s’envole de Londres avec 2 passagers et réussit un voyage jusqu’en Allemagne (Weilburg), après 16h de vol et 480 miles. Il s’agit là d’un record exceptionnel pour l’époque qui ne sera d’ailleurs battu qu’en 1907 ! Le monde entier en parle. Il utilise pour cela un ballon d’une très grande taille, 2.500m3, que les Britannique ont baptisé "Monster-Balloon". Lorsque Green réalise ensuite ses 227 et 228èmes ascensions à Paris (19.12.1836, 09.01.1837) le terme de "ballon Monstre" est entré dans la francophonie. Green a aussi pris connaissance entre temps de courants aériens existants sur l’Atlantique et envisage même de tester le vol transocéanique (1839, 1846) mais ne trouvera pas les fonds pour cela. Et dire que depuis 1783 on sait qu’un ballon n’est absolument pas dirigeable horizontalement et ne peut que monter ou descendre !

Ils sont alors nombreux les érudits et les savants de 1837 à croire dorénavant que le gaz léger permettra d’emporter de véritables expéditions aériennes sur de longue distance et sous peu. Quant au public, parfois fasciné, il reste influencé par ce qu’en disent les journaux et bien sûr par la belle affiche prometteuse : "Un Lyonnais voyageant en Angleterre ayant eu connaissance du Ballon-Monstre, comprit adroitement ce genre de constructions et va sous peu fabriquer un nouveau ballon d’une plus petite dimension mais d’une légèreté et d’un travail admirables. Il partira en second près de la rotonde de Plainpalais et doit faire le voyage des 22 cantons."

Un gros poisson d’avril qui dut avoir son succès

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La Mère Royaume hors de portée des assaillants de Genève en 1602 (Chr. Noir).

Tous les ingrédients sont donc présents pour que naisse le projet du "Ballon-monstre", sorte de ville-volante qui doit se poser à Genève au printemps de 1837. Ne nous a-t-il pas été dit qu’il vola en novembre 1836, comme pour le vol record de Green ? Qu’il fut aussi crée par un Anglais ? Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’adresse fournie au bas de l’affiche, pour de plus amples renseignements, cite : "S’adresser à Paris, rue de la Martelleries, No 52 où à Calais, chez M. Roberttis, armateur (France). Roberttis est bien sûr E.G.Robert / Robertson. Quant au poème cité ci-dessus, il est bien plus humoristique que voué au marketing ! Et puisque l’on entendit plus jamais parler de ce ballon-monstre par la suite, il faut bien imaginer qu’un Genevois ou même un Français (un Lyonnais ?), ou même un binational, aura suivi toute cette activité aérostatique et créé son affiche fantasque, probablement pour le 1er avril 1837 ( ?).

D’autres images naîtrons malgré tout de cet univers de fantasme aérien et à l’approche du 20ème siècle, dont diverses cartes postale. Certaines évoquent un futur tout autant fantaisiste, comme celle dessiné par Gantner : des pilotes en avion viennent manger la fondue tout autour d’une montgolfière dont la nacelle est constituée d’un énorme caquelon. Il y a encore la Mère royaume qui survole les assaillants de Genève, debout sous un ballon avec une marmite géante en guise de nacelle ; ou encore ces Savoyards qui attaquent Genève à bord d’avions et dirigeable, etc.… (voir vidéo ci-dessous).

Plus terre à terre et du côté des aéronautes ou des ingénieurs, il reste à citer que le Genevois Alexandre Liwentaal, testera le ballon gonflé à la vapeur en 1901-02 sans succès. La très chaude vapeur détruisant l’étanchéité de sa toile de ballon spécialement enduite à cet effet (voir Récit). La réalité du 20ème siècle, on le sait, sera toute autre : le ballon à air chaud ou à gaz s’avèrera trop limité, relégué au sport ; le dirigeable sera trop fragile et abandonné ; c’est bien le "plus lourd que l’air", l’aéroplane le jet et la fusée, qui occuperont le ciel du nouveau siècle.

Pour en savoir encore beaucoup plus...

 

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Bas de l’affiche de 1837 décrivant le Ballon-monstre (Bibliothèque de Genève).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 25 septembre 2008
Les ballons, fantasme genevois du 19ème siècle (diaporama musical, 02’52’’, 95Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

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