Une lettre présidentielle alléchante
Durafour s’embarquant pour le Guatemala.
Cinquante ans ont passé, mais dans la petite république d’Amérique centrale du Guatemala on n’a pas oublié "l’événement". Au début de 1962, le Genevois François Durafour reçoit une lettre ornée d’impressionnants cachets, signée de "Miguel Yigoras Fuentes, président du Guatemala" et rédigée en français : Cher Monsieur Durafour, nous ferons tout ce qui sera possible pour célébrer le 24 mars prochain le 50ème anniversaire du premier vol aérien au Guatemala. En ce temps là, j’avais 15 ans et je me rappelle très bien le moment où votre petit avion s’éleva au-dessus du Champ de Mars, plaçant le Guatemala, dès cet instant, parmi les pays formant le concert des nations civilisées. Vous avez été le pionnier. Voler en ce temps là, c’était courir un terrible risque de mort, mais votre bonne fortune et votre prudence vous ont permis de jouir d’une longue vie. Je serais heureux de pouvoir vous annoncer que mon gouvernement vous décorera, s’il vous est possible de venir au Guatemala, invité par mon gouvernement et sans que ce voyage soit trop onéreux pour vous ; nous aurions le plaisir de vous recevoir comme « hôte d’honneur » et nous vous enverrions les billets d’aller et de retour ainsi que les sommes nécessaires pour payer vos frais de trajet."
C’est la seconde fois qu’un président guatémaltèque s’adresse à Durafour. Déjà en 1912 il reçoit des félicitations accompagnées d’un chèque de 1.000 dollars (10.000$ actuels ?) du président d’alors. M. Ydigoras Fuentes ajoute dans son courrier : "Je vous serais reconnaissant de joindre la présente lettre à celle que vous écrivit le président du Guatemala, don Manuel Estrada Cabrera, le 13 avril 1912. Ce serait pour moi un double honneur de savoir ma propre lettre à côté de celle d’un illustre président guatémaltèque qui m’a fait donner une éducation civique et militaire."
En effet, durant l’hiver 1912-1913, Durafour participe à une tournée d’aviateurs en Amérique du Sud, avec son collègue genevois Paul Wyss (voir : Biogr.) et, sans préméditation, devient le 1er pilote à croiser dans les cieux du San-Salvador et du Guatemala. Les nobles organisateurs italiens de la tournée tombent hélas en faillite durant l’hiver et Durafour va exercer des emplois périlleux d’aviateur aux USA avant de pouvoir revenir en Suisse ! (voir : Récit).
Une invitation comme celle là, ça ne se refuse pas !
Grand Officier de l’Ordre du Quetzal.
Durafour est ravi de l’aubaine et s’embarque le sourire aux lèvres depuis Cointrin le 22 mars, dans un long vol absolument pas direct vers Guatemala City : Air France jusqu’à Orly, puis un B-707 de Pan-American via Miami. Il est très chaleureusement accueilli le lendemain par les autorités de la capitale. Elles mettent à sa disposition un officier qui lui sert de guide durant tout son séjour d’une semaine et une limousine qui le conduit dans un palace où un appartement lui est réservé.
Le samedi 24 mars, jour de la commémoration, le président guatémaltèque transmet pendant une minute ses pouvoirs à Durafour, soit l’insigne honneur de couper le ruban barrant l’accès de la nouvelle piste pour "jets" de l’aéroport baptisée "Aurora" (3000m). Le gouvernement a choisi de coupler cette inauguration officielle avec la date anniversaire du vol de Durafour. Plusieurs milliers de spectateurs sont présents et de nombreux discours sont prononcés. La fanfare municipale joue les hymnes nationaux suisses et guatémaltèques, puis le président de la République remet au pionnier genevois le cordon de grand officier de l’Ordre du Quetzal, emblème national. Cette décoration existe depuis près de 400 ans et Durafour en est le 654ème bénéficiaire.
Ce n’est pas tout. Durafour reçoit l’insigne d’or et la licence de vol de l’aviation civile guatémaltèque puis le ministre de la défense le décore de l’insigne d’or de l’aviation militaire. Quant à Durafour, il fait don au président du gouvernement d’une channe suisse aux couleurs genevoises. Le cadeau est modeste, mais ce retraité l’a choisi et payé de sa poche ! Une brillante réception suit la partie officielle. Le lendemain Durafour est convié à un déjeuner en son honneur par M. Max Koening, ministre de la Suisse au Guatemala. C’est l’occasion pour le pionnier de l’air d’adresser une carte souvenir au président de la Confédération suisse, carte également signée par le président guatémaltèque et le ministre de Suisse.
Durafour est extraordinairement touché par cet accueil : "Partout ce ne furent que fêtes, réceptions, invitations. Si j’avais voulu accepter tout ce que l’on m’offrait dans ces différentes villes, je ne serai pas encore ici... Oui, j’ai retrouvé avec une intense émotion tous mes souvenirs et je ne saurai vous dire combien ces marques d’estime m’ont touché jusqu’au fond du cœur...".
La plus longue carrière d’aviateur d’un pionnier de l’air en Suisse romande
Cadeau d’une channe genevoise au président.
En cette occasion et pendant des dizaines d’années, l’aviateur François Durafour à été à sa manière une sorte d’ambassadeur glorieux et itinérant de Genève, bien qu’il ne porte pas ses décorations ni n’en parle. Seul le liseré rouge de la Légion d’Honneur porté à la boutonnière et sur territoire français, lui faisait plaisir et honneur. Pour autant, il les a très durement gagnées souvent au péril de sa vie et pour le progrès de l’aviation et de la paix, et au service de tous et de 2 nations principalement : La Suisse d’abord, qui l’a peu aidé, puis la France pour laquelle il reçoit la nationalité en 1939, qui l’a bien honoré a posteriori. Le Guatemala, on l’a vu, n’a pas eu de trou de mémoire.
Entré dans l’aviation naissante dès 1910, jusqu’à ce que l’âge le contraigne à abandonner sa licence de vol, bien après 60 ans, François Durafour est à créditer de nombreuses premières et d’un superbe palmarès aéronautique :
- Création de l’aérodrome de Collex-Bossy en 1911 (voir : Lieux d’action).
- 1er vol au Guatémala et au San-Salvador en 1912 (voir : Récit).
- Dans la poignée des premiers pilotes militaires suisses en août 1914 (voir : Récit).
- Pilote d’essai mercenaire en France entre 1915 et 1918 (voir : Récit).
- 1er transport de courrier aérien de l’étranger vers la Suisse, en 1919 (voir : Récit).
- 1er transport de passager de l’étranger vers la Suisse en 1920 (voir : Récit).
- 1er à se poser à plus de 4.500m sur le Mont-Blanc et à en revenir, en 1921 (voir : Récit).
- 1er tour de Suisse aérien sans escale en 1935 (voir : Récit).
- Création de l’aérodrome d’Annemasse en 1947 (voir : Récit).
- Et de nombreux événements relatés dans les pages de Pionnair pour la période 1910-1930.
F. Durafour reçoit l’insigne d’or de l’aviation civile du Guatemala (1962).
Quelques hautes distinctions attribuées à F.Durafour
Date | Lieu-Pays | Distinction - décoration | Motif |
06.09.1921 | Lausanne CH | Médaille lausannoise pour le Mérite | Raid au Mont-Blanc |
24.07.1928 | F | Chevalier de la Légion d’Honneur | |
19xx | F | Médaille d’argent de la reconnaissance française (affaires étrangères) | Activité à la frontière dans la 2e Guerre mondiale |
Avant 1952 | F | Médaille d’or des Arts, Sciences et Lettres (département aviation). | |
19xx | F | Médaille de reconnaissance des volontaires suisses au service de la France | Activité au service des armées françaises 1915-18 |
14.11.1952 | Lyon, F | Officier de la Légion d’honneur | |
15.06.1955 | F | Médaille aéronautique | |
xx.xx.1956 | F | Médaille "Aux Ailes françaises" | |
24.03.1962 | Guatemala | Grand Officier de l’Ordre du Quetzal | Pour le vol de mars 1911 |
24.03.1962 | Guatemala | Insigne d’or de l’aviation civile guatémaltèque | Idem |
24.03.1962 | Guatemala | Insigne d’or de l’aviation militaire guatémaltèque | idem |
François Durafour (1888-1967) aviateur
Quelques années après son second séjour au Guatemala, Durafour décède à Genève d’une crise cardiaque, le 15 mars 1967, à l’âge de 79 ans. Il est inhumé seul au cimetière de Collex-Bossy avec un unique mot gravé sous son nom : "aviateur", l’intitulé qui devait résumer sa carrière sur la couverture de l’ouvrage biographique qu’il n’a finalement pas fait paraître. Certes, nul n’est prophète en son pays et en Suisse romande pas plus qu’ailleurs, mais une rue François Durafour a pourtant été baptisée à son nom dans le quartier des Avanchets, à Vernier, entre Genève et l’aéroport.
Curieux ce prénom de Françoise !!!