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Premier looping sur la ville de Genève avec décollage depuis le stade de football de la Servette (1914) [vidéo]

 

Jusque là, on volait "à plat" sans dépasser un angle de vol de plus de 20 degrés. Le 12 février 1914, un français démontre aux Genevois que l’avion peut être positionné dans n’importe quelle situation, même la tête en bas, et en réchapper du moment qu’il possède une certaine altitude pour se repositionner. Les Genevois sont ébahis de découvrir les premiers loopings exécutés au-dessus des toits de la cité.


Le Blériot-XI au sommet de la boucle de son looping.

Une réelle révolution dans les possibilités de vol en 3 dimensions des aéroplanes

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Publicité de Jean Montmain pour "le cercle de la mort".

Jusque là, on volait "à plat" sans dépasser un angle de vol de plus de 20 degrés. En septembre 1913 le Français Adolphe Pégoud (1889-1915) découvre qu’il est possible de mettre son appareil dans n’importe situation et que le pilote puisse le redresser en perdant un peu d’altitude. Il exécute les premiers "looping the loop" (bouclage de boucle). C’est une révolution importante dans le monde des pilotes qui préfigure la future voltige aérienne et les combats tournoyants de la guerre de 1914-18. Parmi les premiers Genevois à reproduire l’exploit : John Domenjoz (oct. 1913) parmi les 5 premiers au monde (voir : Biogr.), puis Edmond Audemars (févr. 1914).

A la fin de 1913 on compte 50 "voltigeurs" dont 28 français, 11 anglais, 4 suisses, 2 américains, etc... Des tournées dans toutes les grandes villes d’Europe sont organisées, et jusqu’à la guerre, par une dizaine de pilotes, montrant au public cette nouveauté "renversante". A Genève c’est le Français Jean Montmain (1888-1915), 26 ans, qui annonce son exhibition au début de février 1914, spectacle intitulé "le cercle de la mort" !

L’Assoc. des Intérêts de Genève organise une démonstration de loopings

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Montmain décèdera en combat aérien dans moins d’un an.

Montmain utilise un avion Blériot-XI (moteur Gnome 50 CV, bougies Oléo, hélice Chauvière ...), une variante récente de l’appareil qui a traversé la Manche en 1909. L’appareil peut décoller sur 100m environ et comme Genève ne possède pas encore d’aérodrome proche de la ville, il décollera du stade de la Servette ("Parc des sports") aux Charmilles pour évoluer au-dessus de la ville, ce qui avantagera la population mais n’empêchera pas que les alentours du stade soient payants pour ceux qui approcheront le pilote de près. Le Genevois Edmond Audemars (voir : Biogr.) avait d’ailleurs déjà décollé de là avec son Morane-Saulnier en mars 1913. Quant à Montmain, il possède son brevet depuis 16 mois seulement, mais à cette époque les révolutions en aéronautique sont extrêmement rapides.

La démonstration est annoncée pour le dimanche 8 février à 14h30 et l’on pourra s’approcher dès le matin auprès de l’appareil pour 50ct (5F actuels) alors que l’après-midi l’entrée coûtera 1, 2 ou 4F (40F actuels !). Les champs entourant alors le stade resteront vides au cas ou un atterrissage d’urgence du pilote serait nécessaire. En pleine période de dégel ces espaces verts ne sont d’ailleurs pas propices au garage des véhicules terrestres. Mais c’est le brouillard qui va survoler Genève en ce jour de congés, rendant impossible la démonstration de voltige, alors que 30.000 personnes se sont rendues sur place espérant une amélioration de la météo. La population s’abstient de lyncher Montmain, ce qui montre qu’elle a fait des progrès depuis le meeting aérien de Viry en 1911. Les cafés des alentours font recette... Le garagiste et aéronaute Louis Ansermier rapporte donc l’appareil aux ailes démontées dans le garage Renault de la rue de Lausanne. La fête est reportée au jeudi à 14h30.

La tête en bas au-dessus des usines Piccard-Pictet

Le jeudi 12 février, vers midi, la météo s’améliore et les 200 ouvriers de chez Pic-Pic sont aux fenêtres de l’usine alors que Montmain va débuter son show : "A 14h10, Montmain fait un 1er vol sur Châtelaine et sur la ville puis se pose. A 15h05’, il reprend sa place dans le baquet ; les mécaniciens le fixent solidement au moyen de bretelles et il s’élève. Il pique sur Châtelaine et revient sur le terrain de football. A ce moment le soleil se met à briller. Après un merveilleux virage sur l’aile, l’appareil reste un instant immobile, puis descend la queue la première et exécute un superbe et impressionnant basculement sur le dos. Après quoi il atterrit avec élégance aux acclamations enthousiastes de l’assistance. Montmain est entouré et félicité. A 15h40 il reprend son vol et s’élève en décrivant d’immenses spirales puis disparaît aux yeux des spectateurs. Tout à coup il surgit en plein soleil, à 400m de hauteur ; il fait un 2ème looping, redescend et, juste au-dessus du champ d’aviation ; boucle pour la 3ème fois la boucle avec une telle précision qu’un cri d’admiration s’élève de la foule. Montmain s’élève encore un peu, exécute 2 ravissants virages sur l’aile et atterrit. L’enthousiasme du public devant cette exhibition est indescriptible." C’est un superbe succès populaire mais qui est réalisé en semaine ; aussi les organisateurs décident-ils de recommencer l’opération le dimanche suivant pour attirer beaucoup plus de spectateurs.

Comme un pigeon-culbutant dans le soleil

Le dimanche 15 février, un chaud soleil règne sur Genève et le ciel est dégagé. Vers 10h, Montmain fait un vol publicitaire rasant sur la ville, à 100m de haut, et largue les tracts prévus pour le dimanche précédent : "Habitants de Genève, salut ! Dimanche 8 février 1914 à 14h30, j’effectuerai aux Charmilles "The Looping the loop" et autres vols renversés des plus impressionnants. Jean Montmain, aviateur. Ce bulletin a été jeté par l’aviateur Montmain survolant Genève avec son monoplan Blériot, le 5 février 1914." Le bruit de l’avion, les tracts, les articles de la presse : personne ou presque ne peut ignorer l’événement !

Vers 14h, plus de 12.000 spectateurs se sont pressés aux Charmilles et quelque 7.000 billets pour l’enceinte du stade sont vendus. Toilettes élégantes tenues sélectes, jumelles en bandoulière, on se croirait à une course hippique. Dans les environs, aux fenêtres, sur les toits, sur les hauteurs au Bois de la Bâtie, à St-Jean et à St-Georges, quelque 60.000 autres personnes attendent de bénéficier gratuitement d’un spectacle jamais vu. Sur place c’est la cohue. L’avion est là, déjà prêt, et Montmain arrive en automobile. Le spectacle va commencer :

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Stade des Charmilles, février 1914, Montmain et son Blériot.

"Il est 14h10 lorsque Montmain prend son 1er départ. L’hélice mise en mouvement tourne à 1200 tours à la minute, balayant la sciure jetée sous l’appareil. En un clin d’œil, les spectateurs placés derrière l’appareil en sont couverts. Des chapeaux volent en l’air et chacun se protége de son mieux contre les violentes rafales d’air. Un soupir de soulagement s’échappe de quelques centaines de poitrine au moment ou l’avion quitte le sol. Il s’élève rapidement pendant que s’exprime une fanfare, effectue un vol et atterrit superbement au bout de 10’. On fait évacuer 2 emplacements estimés très dangereux pour l’atterrissage. Le public installé là avec des chaises récrimine un peu avec raison et il faut un détachement de gendarme pour faire place nette. A 3h40 Montmain reprends à nouveau l’air et effectue à 300m quelques virages stupéfiants d’audace et atterrit. Vingt-cinq minutes après il s’élève longuement à 700m et brusquement, retourne son Blériot et vole la tête en bas pendant plus d’une minute. Dans un soleil un peu gênant pour les yeux, Montmain boucle ensuite superbement !

Au cours d’une dernière épreuve, vers 17h, Montmain boucle à 2 reprises consécutives et vertigineusement exécute une descente en cheminée. Cet impressionnant exploit déchaîne de longues ovations et la musique joue une vibrante Marseillaise. En un vol plané Montmain touche légèrement le sol. Il reçoit une gerbe de fleurs, avec rubans, aux couleurs genevoises. A 17h30, le meeting prend fin. C’est l’assaut des nombreux tramways, taxis et voitures de place. Jamais, nous pouvons le dire, Genève ne vit pareille cohue et c’est un record qui ne sera pas facilement battu."

Montmain va continuer en Suisse ses démonstrations de voltige : Dübendorf (22, 24-25 février, 1 et 4 mars), Bâle (22 mars), Berne (29 mars), Frauenfeld (5 avril), La Chaux-de-Fonds (19 avril), etc.. Avec ses compatriotes voltigeurs Chevillard et Poulet, ils assurent ainsi 14 des 23 journées d’aviation suisses de 1914, juste avant le déclenchement de la 1ère Guerre mondiale.

 

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Le 15 février 1914, aux Charmilles (GE), l’aviateur Montmain boucle une seconde fois la boucle. Au fond, la chaîne du Jura.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 13 décembre 2005
  • Pour plus d’informations, voir : Schweizer Luftfahrt, de E.Tilgenkamp. Ed. Aero Verlag, 1941, vol.2, pp:210-212, ills, à la "Librairie ".
  • A.Pégoud août-sept. 1913 (vidéo-diaporama, n&b, musical, 1,5’, ≈42 Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

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