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Roland Garros et Edmond Audemars : l’amitié, les compétitions et la guerre (1918) [vidéo]

 

L’amitié entre Roland Garros et le Genevois Edmond Audemars est très forte et se traduit par de nombreux épisodes, aériens ou non, sur plusieurs continents, et jusqu’en 1918. A la fois inséparables en meetings, chacun réalise également des raids exceptionnels en solitaire révélant leur bravoure. Seules leurs nationalités les séparent au début de la guerre de 1914. Ils vont cesser de voler à la même époque, pour de tragiques raisons.


Edmond Audemars et Roland Garros, sur la gauche, lors de leur apprentissage du vol sur Demoiselle, à Issy-les-Moulineaux en avril 1910.

Amitié : deux débutants s’entraînent sur la "Demoiselle" au printemps 1910

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Sur la touche lors d’un meeting aux USA en 1911.

En avril 1910, lorsque Roland Garros (1888-1918) reçoit sa "Demoiselle Santos-Dumont" des ateliers Clément-Bayard, il doit commencer son entraînement de pilote, seul et sans moniteur, à Issy-les Moulineaux dans la banlieue parisienne. Sur place il y découvre le Genevois Edmond Audemars (1882-1970) qui a reçu le même appareil depuis peu et qui, avec un mois d’avance, a déjà obtenu quelques résultats aériens. Garros contacte Audemars et une grande amitié va dès lors naître entre les deux hommes. Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit d’une amitié d’homme, sans ambiguïté. Garros est un grand costaud, Audemars est un petit mince, ils sont complémentaires et vont être complices en de nombreuses occasions pendant 9 ans.

Leur apprentissage effectué, non sans casse et non sans bleus, leur brevet de pilote en poche (juin) les 2 hommes vont courir les meetings européens durant l’été et toucher leurs premiers cachets à leurs risques et périls. C’est à cette époque qu’Audemars participe au 1er meeting de Viry (74, F) en août 1910 où les Genevois verront voler la Demoiselle. Avec ses 50kg, Audemars exploite beaucoup mieux le léger appareil de 150kg que Garros, plus lourd. Garros se tournera dès lors vers le Blériot-XI pour quelques années.

En octobre 1910, ils remplacent au pied levé 2 pilotes et partent en tournée aux USA tout en concourant au meeting de Belmont Park à New-York. La "Moisant International Aviators", aussi surnommé "Moisant Circus", va circuler en train spécial avec ses avions, pilotes, mécaniciens, un service publicitaire, etc. pendant plus de 5 mois, parcourir le sud des USA, puis le Mexique et Cuba. Le contrat en dollars est copieux mais les risques sont permanents, en l’air. A San-Antonio, au Texas, ils réalisent un vol au-dessus de troupes mexicaines en guerre, de l’autre côté de la frontière. Ils lancent des oranges à certains et rapportent des informations aux militaires américains, réalisant involontairement le 1er vol d’observation militaire de l’histoire.

Compétitions : bientôt les pilotes les plus adulés de France et d’ailleurs

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La "baronne" de la Roche, Audemars et Garros, 3 pilotes dans les "annexes" du Circuit d’Anjou (juin 1912).

De retour en France, ils se lancent dans le projet d’une Demoiselle sur-motorisée pour gagner la Coupe Gordon-Bennett de vitesse, mais le prototype ne supporta pas les efforts demandés. Ils ne sont pas des ingénieurs mais d’excellents pilotes que la tournée aux USA a formé au vol dans les conditions les plus diverses. Ils vont participer aux nombreuses compétitions européennes de 1911 avec des succès divers. En août Audemars abandonne la Demoiselle et se forme enfin sur le Blériot-XI (voir : Appareil).

Fin 1911 ils sont à nouveau partis pour une tournée de 4 mois en Amérique du Sud : Brésil, Argentine. En mai 1912, de nouveau en Europe, ils reprennent les compétitions, les meetings. Chacun va dès lors frapper de grands coups dans le ciel européen. En août, Audemars réalise le 1er vol entre capitales : Paris—Berlin. Un succès phénoménal ! L’année suivante il réalise encore plus rapidement Berlin—Paris. Des offres copieuses allemandes pleuvront jusqu’en été 1914 pour qu’Audemars vienne former des pilotes allemands. Au concours d’altitude, les 2 hommes battent successivement les records établis.

A la fin de 1912, Garros pilote dorénavant le Morane-Saulnier "H". En mars 1913, Audemars adopte également le même appareil. Jusqu’à l’été 1914, à deux, ils pratiquent des compétitions publiques, sur leurs appareils identiques : vitesse, course en pylône, etc. Grâce à son faible poids, c’est souvent Audemars qui devance Garros à l’arrivée. En septembre 1913, Garros réalise la 1ère traversée de la Méditerranée en avion, de France en Tunisie. Ce succès considérable va le rendre immortel. Audemars et lui sont alors considérés en Europe comme les champions les plus populaires et les plus performants de l’aviation civile. En octobre, Audemars réalise ses premiers loopings, figure crée par Pégoud un mois plus tôt (voir : Récit). Garros les imitera peu après. Leurs démonstrations de voltige aérienne accroîtront leur "aura" au début de 1914. On les voit aussi parfois concourir sur hydravion Morane-Saulnier. Audemars fera les 1ers loopings vus en Suisse, sur Lausanne en février.

Guerre : Français ou Suisse, le destin n’est pas du tout le même !

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Audemars à Vouziers en 1968 à l’anniversaire du décès de Garros.

L’argent gagné lors de leurs exhibitions est assez considérable. On croit souvent dans le monde, sauf en Suisse, qu’Audemars est Français. Garros lui demande pourquoi il ne se naturalise pas français. Audemars insiste sur le fait que le service militaire français est assez long et qu’il lui ferait perdre énormément d’argent s’il ne pouvait courir les meetings. Cette nationalité va diviser l’avenir des 2 hommes quant la guerre débute en été 1914. Le "héros" Garros est mobilisé et sera très vite à la hauteur dans la chasse, avec son Morane "Parasol". Il teste pour Morane-Saulnier un procédé rudimentaire de tir de la mitrailleuse à travers la rotation de l’hélice qui semble lui assurer un avantage sur l’adversaire et abat 3 appareils allemands. Mais il est descendu à son tour en avril 1915, sur le front. C’est le début d’une longue captivité de 3 ans.

De son côté, Audemars est mobilisé dans les Troupes suisses d’aviation suisses naissantes (voir : Récit) où il apporte son propre Morane-Saulnier. Il passe là 6 mois inutiles et demande un congés. Dès janvier 1915 et jusqu’à la fin de la guerre, il reprend de l’activité en France pour la production militaire de Morane-Saulnier ainsi que pour Jaeger-Lecoultre qui produit les comptes-tours et indicateurs de vitesse des avions militaires alliés (voir : Récit).

Dès la fin 1915, grâce une grille de codage qui a quitté l’Allemagne avec le rapatriement d’un grand blessé français, Audemars et quelques amis parisiens entretiennent une correspondance codée avec Garros dans le but de le faire évader. Un exemplaire de cette grille est conservé aujourd’hui au Château de Penthes, près de Genève. Mais Garros est un otage de choix pour l’Allemagne, une sorte "d’aigle français" pris au piège. Il est souvent changé de "stalag" et les plans d’évasion sont à renouveler régulièrement. Il faudra 3 ans pour que le lieutenant Garros s’évade avec son ami Marchal et atteigne la Hollande en mars 1918.

Audemars va rapidement aider Garros à se mettre à jour avec l’aviation, car les appareils on considérablement évolués depuis 1915. Garros suit un stage à Pau, école militaire où René Vidart, de Divonne-les-Bains, fut instructeur (voir : Biogr.), où il pilotera le Spad-XIII, le meilleur chasseur de la fin de la Guerre. A fin août, Garros et à nouveau en escadrille (Spa 26) et reprend la chasse aérienne encore plus motivé qu’avant. Hélas, un mois plus tard il est descendu le 4 octobre et décède. Son Spad s’est désintégré, un mois avant l’armistice ! On l’enterre à la hâte à Vouziers (Ardennes). Le pilote allemand responsable enverra une sorte de lettre d’excuse lorsqu’il connaîtra la nouvelle.

Un hommage presque éternel ?

Peu après l’Armistice du 11 novembre 1918, Audemars est chargé d’une terrible mission. Traversant en voiture une région dévastée par 4 ans de guerre, accompagné du père de Roland, ils arrivent a Vouziers. Audemars fait déterrer le corps de Garros et s’assure qu’il s’agit bien de son meilleur ami. On est le 27 décembre. C’en est aussi fini pour Audemars. Ce champion abandonne l’aviation dès 1919 et se consacrera entièrement à l’activité de la maison Jaeger-Lecoultre.

Dix ans plus tard, c’est à l’initiative d’Emile Lesieur, président du Stade français, et camarade d’étude de Garros aux Hautes Etudes Commerciales (1908), que le nouveau stade de tennis inauguré le 29 juillet 1928 est baptisé d’un nom aujourd’hui connu de tous : "Stade Roland Garros". A quand le baptême du stade de la Praille, à Genève, au nom de "Stade Edmond Audemars" ?

 

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Lettre de Garros, prisonnier, datée du 20.04.1916, à Audemars : "je ne peux / fixe / un / rendez / vous / aussi / juste /dites moi / l’adresse / ou/ puisse / aller / heure / convenu / mais / jour / etc..." A droite, la grille de décodage reçue au préalable (Château de Penthes).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 13 décembre 2005
  • Pour plus d’informations, voir : "1888 Roland Garros 1918" ; revue Icare, 144p, 1988/2, ills. Voir aussi : Roland Garros, pionnier de l’aviation, par J.P.Lefevre-Garros, éd. Ananké/Lefranc, 414p,. 2001, ills à la "Librairie ".
  • Roland Garros & "Eddy" Audemars, 1913-14 (vidéo-diaporama, n&b, musical, 1’, ≈33 Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3. minimum.

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