Cointrin végète, quand la 2e guerre mondiale débute
Louis Casaï (1888-1955).
En juillet 1939, la situation stratégique de Cointrin est la suivante : il est le 3ème aéroport de Suisse après Dübendorf (ZH) et Bâle, et malgré qu’il possède la seule piste en béton de Suisse (400m) depuis la fin 1936. Huit compagnies desservent Genève qui abrite depuis 20 ans la Société des Nations (future ONU). On ne vole jamais de nuit, rarement le dimanche et quasiment pas de novembre à avril (météo) dans tous les aéroports suisses. Cette année là, on ne dénombrera que 62.231 passagers pour toute l’Helvétie (env. 200 par jour à Genève ?). Le bâtiment de Cointrin, non approprié à l’augmentation du trafic et des services, date de 1920 et jouxte la piste en béton et une piste en herbe de 800m. Trois grands hangars récents (1926-1931) abritent peu d’appareils L’approche du S-E est délicate, un ferme s’élève en bout de piste sur la route de Mategnin. Quant à la piste en béton, elle se termine par un fossé lors d’une approche du N-O. La seule direction dans laquelle l’aérodrome pourrait s’étendre est au S-E.
Le Conseiller d’Etat Louis Casaï (1888-1955) en charge du Dpt des Travaux publics (1936-1954) avait la volonté de rénover l’aéroport quand la 2ème Guerre mondiale débuta. Trop proche de la frontière française, cet aérodrome n’est alors presque plus employé : plus de vols commerciaux et aucun vol militaire suisse. Quelque 600 mines sont placées sous la piste, prêtes à exploser au cas où elle serait envahie. Cointrin est une zone militaire, un terrain inutile ! La situation pourrait être critique quand L.Casaï, soutenu par Charles Bratschi (1907-2004), directeur de Cointrin, imaginent qu’au contraire, il s’agit du moment idéal pour faire des travaux : ces dernier ne gêneront pas le trafic ; de nombreux emplois seront créés en cette période de récession et Genève se tiendra prête à occuper une meilleure situation dans le réseau aérien européen dès la fin des hostilité, quel que soit le vainqueur de la guerre. Mais pour cela il faut de l’argent (voir : Récit).
Les Genevois, grâce à leur main d’œuvre et à leurs impôts vont retourner la situation
Pas plus de 1% de dénivelation !
Le projet de modernisation de Cointrin progresse. Un crédit de 2,5 millions est ficelé avec un autre besoin que les Genevois ne peuvent refuser, sous le nom de "Crédit de regroupement des polycliniques/Aéroport". On n’oserai plus faire cet amalgame aujourd’hui ! Le peuple dit oui et le budget est voté. En août 1940, l’Office Fédéral de l’Air accepte techniquement le projet qui prévoit d’allonger la piste en béton à 975m, l’éclairer, agrandir les aires de stationnement, etc.. Bien que le béton soit une matière devenue rare en Suisse (casemates, défense nationale), des trains entiers vont en fournir à Cointrin durant des années.
Vu la grande faisabilité des travaux sur le terrain en molasse, à chaque exercice comptable un nouveau budget complémentaire est voté. En mai 1941, il est de 5 Mio pour étirer encore la piste en béton à 1.065m sur une largeur de 50m. Le 16 octobre les travaux débutent. En mai 1942, 5 Mio sont à nouveau injectés. En fin d’années les troupes allemandes sont à la frontière dans les bois entourant Cointrin. La Confédération ajoute ses propres ambitions pour Genève et alloue en 1943 un crédit pour rallonger la piste de 200m, soit à 1.200m.
Il faut faire disparaître la ferme dans l’axe de la piste, couper la route de Mategnin qui s’arrêtera dorénavant à l’aéroport et repartira de l’autre côté de la piste. Une colline située vers l’actuelle Transairco est arasée pour servir à combler la pente du terrain et ne pas dépasser une inclinaison de plus d’un 1%. Une autre colline, dite "du Renard" est aplanie dans l’axe de la piste en 1943-45. Elle abritait des sépulture Burgondes que les archéologue Blondel et Jayet n’étudient que brièvement vu la pression des travaux. Quand aux aspects techniques du chantier, les 2 ouvrages cités en bas d’articles illustrent bien ses étapes grâce à de nombreuses photographies. A la fin de 1943, la piste est terminée.
Premiers gros avions à Cointrin : les bombardiers US et les "liners" civils américains
Etat des travaux en 1945 (AIG).
Cointrin ne restera pas inusité pour tout le monde. Les bombardiers alliés savent qu’ils ont maintenant une autre piste en dur assez longue pour se poser en pays neutre, au cas où il ne pourraient rejoindre leur base. Dès avril 1944, B-17 et Liberators vont se dérouter sur Cointrin (voir : Récit), la piste supporte leur atterrissage ce qu’ils n’avaient pas tenté avant. En novembre, un vol américain régulier, en lien avec la Croix-rouge (DC-3), relance l’intérêt pour l’aéroport de Genève. Les travaux d’allongement ont continué et la piste fait maintenant 1.500m, apte au décollage de ces grands quadrimoteurs nés en temps de guerre. Par chance, cette piste n’a jamais été bombardée, même par erreur, alors que quelques gares suisses ont été parfois touchées.
Le vent a tourné en Europe après le débarquement allié de 1944. La Confédération alloue à nouveau 2,3 Mio pour le projet d’une future aérogare, désignant Cointrin comme le futur grand aéroport suisse au détriment de la région zurichoises (juin 1945). Un radio goniomètre militaire américain améliorera la procédure d’atterrissage, complété d’un véhicule contre l’incendie de même provenance. Fin juillet 1945, le trafic commercial reprend avec la ligne Genève-Paris, en utilisant toujours les bâtiments dépassés de 1920. En novembre, renaissance du Genève-Londres ; puis la TWA rejoint Cointrin qui est le seul aéroport intercontinental du pays. Bien joué ! En décembre, l’ILS fonctionne permettant l’approche sans visibilité.
Ainsi, le "grand Cointrin" s’est réalisé en pleine guerre et, en ayant compris comment anticiper son développement, il va continuer en permanence à se développer, appuyé par les pouvoirs publics et la population. En févier 1946, Swissair se lance sur Genève-New-York, en mai c’est le 1er vol de nuit. En juillet, le 1er avion de chasse à réaction "Vampire" est livré depuis l’Angleterre à Genève (il ne supporte pas l’herbe !) . En août la piste atteint 2km et bientôt 3, pour les futurs jets civils ! Alors on s’attaquera au projet de la nouvelle aérogare, celle qui est toujours au bout de la route de Prévessin (qui sera rebaptisée avenue Louis Casaï), l’actuel bâtiment dédié aux vols "low-cost". Quand au segment de la route de Prévessin repartant de l’autre côté de l’aéroport, il sera renommé rue Robert Stierlin (voir : Récit) plus tard encore.
La tour à béton, mère de la piste et indice météorologique
Les volumes considérables de béton utilisés par Cointrin durant ces nombreuses années nécessitèrent la construction d’une "tour à béton", une unité de production qui se trouvait située sous les bâtiments d’Aéroleasing ou terminal Business-Jet. Comme Ch. Bratschi habitait dans une maison situés à 50m de là, il s’en servait comme point de repère météorologique. En automne/hiver, s’il distinguait la tour, l’aéroport était considéré comme ouvert. S’il ne la voyait pas, pour cause de brouillard, Cointrin était alors considéré comme fermé au trafic. Jusqu’à un dernier jour où, ne voyant pas la tour, il fit fermer Cointrin ... cette tour venait d’être démontée la veille, marquant la fin de longs travaux qui donnèrent à l’aéroport un rôle incontestable dans le ciel européen ... jusqu’à ce que les Zurichois décident de créer Kloten ..."unique" pour on ne sait plus quelle raison aujourd’hui.