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Sans la Ballonine de Liwentaal, pas de 1er dirigeable pour le comte F. von Zeppelin (1900) [vidéo]

 

Zeppelin réinvente l’idée du dirigeable rigide de grande dimension et se lance dans la construction du 1er prototype en 1899. Hélas, avec les techniques d’alors, le coût des pertes en hydrogène rend le projet irréaliste. C’est le Genevois A. Liwentaal qui sauve le projet en inventant un produit qui rend étanche les toiles des réservoirs d’hydrogène. Le 1er appareil construit vole, bien que sous motorisé et inefficace contre le vent. Il est le 1er de très nombreux et gigantesques navires du ciel utilisés jusqu’en 1937.


Premier dirigeable rigide réalisé, le LZ1 de Zeppelin manœuvre pour son 1er vol sur le lac de Constance (07.1900).

Genèse du dirigeable rigide "à l’allemande"

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Des enfants observent le 1er vol du LZ-1 (juillet 1900).

Dès 1873, le comte Ferdinand von Zeppelin (1838-1917) imagine comment améliorer encore le principe des dirigeables et dépose divers brevets. Son idée consiste à proposer un train de plusieurs ballons cylindriques attachés l’un derrière l’autre, comme des wagons, pour se transformer finalement en un seul corps rigide contenant une série de très grosses cellules d’hydrogène internes. En dehors des cellules, le reste du volume du dirigeable n’est plus que de l’air libre, il réinvente le dirigeable rigide. Puis Zeppelin fonde la Gesellschaft zur Förderung der Luftschiffahrt, au capital action de 800.000 marks, dont plus de la moitié appartient à sa famille (1898). Parmi les 65 actionnaires et fondateurs allemands existe un unique étranger, le Genevois Frédéric Necker (1838-1911) dont nous reparlerons plus loin.

En été 1898, Zeppelin met en chantier ses locaux techniques du dirigeable, le "Luftschiff Zeppelin 1" (LZ1), aux environs de Manzell, proche de Friedrichshafen sur le lac de Constance (D). La firme embauche 3 employés (1899), ils seront finalement une trentaine et l’ingénieur Ludwig Dürr prend la tête du projet. La construction des pièces du châssis en aluminium est confiée à Carl Berg et leur assemblage, sous forme d’anneaux métalliques entretoisés, pour réaliser la carcasse rigide interne du dirigeable se fait entre autres à Manzell. Puisque le futur dirigeable doit obligatoirement être abrité durant ses séjours à terre, Zeppelin imagine un hangar capable de s’orienter dans le lit du vent afin de faciliter l’entrée du dirigeable. La solution la plus simple consiste à construire ce hangar sur un ponton flottant. Dès l’été 1899, une halle de 140 m de long, 20 m de large et 30 m de haut, est réalisée puis ancrée en face de Manzell.

Coût des pertes d’hydrogène et insatisfaction

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Le roi du Wurtemberg et sa famille sur la berge de Manzell. Le LZ-1 est encore dans le hangar flottant (oct.1900).

Le 1er vol prévu pour l’automne 1899 ne pourra être réalisée parce que la quantité d’hydrogène nécessaire, produit militaire stratégique, ne peut pas être livrée à temps pour remplir les cellules. Mais la plus belle et plus légère structure mécanique du monde ne peut se déplacer en l’air que si le volume et le système de gestion de l’hydrogène sont performants. Les 17 cellules d’hydrogène réparties sur le châssis représentent un volume considérable qui, avec les toiles de ballon de l’époque, ruineraient le projet rien qu’en perte d’hydrogène et en temps de chargement du gaz. Ces cellules doivent donc être constituées d’une enveloppe de toile la plus imperméable possible, sinon les durées de vol seront dérisoires.

Dès 1899, des essais sont entrepris sur une toile de soie avec un produit étanchéisateur qui ne donne pas satisfaction. On essaye alors une toile de coton enduite d’une couche de caoutchouc plus efficace, mais il faut toujours augmenter cette couche. On augmente encore l’épaisseur du tissu de coton sans résultat satisfaisant. L’hydrogène qui s’échappe rend le coût du projet prohibitif et l’autonomie du dirigeable ridicule. C’est alors qu’un habitant de Vernier (GE), Alexandre Liwentaal, va apporter sa contribution à l’édifice. La mère de Zeppelin est d’origine genevoise, on ne s’étonne donc plus de la présence du Genevois, Frédéric Necker, parent, proche de la famille et actionnaire du projet. Ayant connaissance des essais infructueux du comte, il lui fait part des expériences réussies à ce sujet par Liwentaal, à Genève. Le comte envoie aussitôt un télégramme à Alexandre et l’invite à Friedrichshafen.

L’invention de la « Ballonine » par A. Liwentaal

En 1898, Liwentaal œuvre en Hte-Savoie du côté de Morzine et du "Lac-Vert", à Montrion, pour le compte du riche Albert de l’Espée. Ce dernier souhaite ériger une maison isolée dominant ce lac dont les matériaux seraient acheminés par un ballon captif géré par Liwentaal et installé au pied d’une falaise. Ce ballon de 600m3, loué pour 2 ans à Surcouf, semi-gonflé, est d’abord apporté à pied de Morzine au lac, retenu par de nombreuses mains. Il y mène quelques ascensions d’essais captives. Il est testé en vol à la fin octobre, parcourant au dessus des Alpes savoyardes et valaisanne les étapes "Lac-Vert"–Bex–Chaumont (Neuchâtel). Ce ballon ne pouvait être abrité au lac pour l’hiver, il est alors pris en charge par l’aéronaute suisse Louis Kaeser (voir : Récit). Les frimas empêchant aussi de lancer les travaux de la villa en altitude, ceux-ci débuteront au printemps 1899. C’est à cette époque que Liwentaal reçoit le télégramme de Zeppelin et va devoir abandonner le projet du "Lac-Vert".

Alexandre arrive au plus vite en Allemagne, est reçu cordialement et se voit bombardé par le comte du titre d’ingénieur consultant. Zeppelin place toutes ses ressources à la disposition de Liwentaal, hélas sans un laboratoire, ce qui handicape terriblement les recherches. Liwentaal est finalement aidé par un ami du comte, le conseiller von Duttenhofer, fabricant des explosifs de l’armée et à qui il dit : "Mon principal souci est de trouver un tissu étanche à l’hydrogène pour le dirigeable du comte. Si vous acceptez que je travaille dans votre laboratoire, je pourrais faire de bonnes choses pour l’Allemagne." "Non, non !" répond Duttenhofer, "Personne ne vient dans mon laboratoire s’il n’est pas envoyé par le Kaiser ou von Tirpitz." Et Liwentaal d’oser lui demander : "Vous n’êtes donc pas le maître de votre laboratoire ?" Estomaqué, Duttenhofer le regarde furieux pendant un moment et tourne les talons. Mais Liwentaal a habilement touché sa fierté.

Quelques jours plus tard, il reçoit un télégramme de Berlin le convoquant à ce laboratoire de Rottweil où il se rend et rencontre Duttenhofer sur le pas de la porte. Après les salutations d’usage ce dernier lui dit "Ceci est votre chemin pour rentrer et sortir de cette pièce. Regardez à droite ou regardez hors de votre chemin et vous ne verrez plus jamais l’Allemagne." Dans le bureau fourni, au fil des semaines, Liwentaal découvre ce qu’il cherche, invente et produit le tissu qui rend possible l’existence du premier Zeppelin. Ceci va lui rapporter la longue gratitude et la fidèle amitié du comte jusqu’à la guerre.

Le produit miracle de Liwentaal est la "Ballonine", réalisée à base de nitrate de cellulose, lequel donne aux cellules d’hydrogène une étanchéité presque totale tout en augmentant la résistance de la toile. Il invente également le matériel adéquat pour la production de masse de ces toiles caoutchoutées imbibées. Un test de 14 jours sur une cellule gonflée à l’hydrogène ne décèle presque aucune perte de poids (ou de portance). Avec cette "Ballonine", la perte vient de fondre de 112L par m2 à 8L par m2 de toile en 24H (en 1904 elle chutera encore à 4,2 L/m2 en 24h). Ce procédé s’imposera à tous ceux alors connus. C’est une découverte importante pour l’aéronautique qui sera appliquée pendant des années à de très nombreux ballons jusqu’à l’arrivée des tissus synthétiques. Il sera encore utilisé sur le Zeppelin "Hindenburg", en 1937. Il va sans dire que le nitrate de cellulose, comparable au procédé de fabrication des explosifs, est aussi inflammable que l’hydrogène qu’il doit contenir !

Le dirigeable LZ-1, premier des 137 appareils produits par la firme en 37 ans

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Le comte F. von Zeppelin (1838-1917).

Sur le dirigeable, la gestion des cellules d’hydrogène va permettre de gérer la stabilité horizontale de l’appareil en vol, de l’incliner éventuellement ou de le ramener au sol. Le volume des cellules est géré au travers des valves de surpression, situées au sommet de chaque cellule et reliées à un câble qui rejoint la nacelle du capitaine, à l’avant. En outre, un espace aéré de 18cm sépare les cellules de l’enveloppe extérieure du dirigeable, les isolant de la chaleur du soleil et limitant ainsi la dilatation du gaz. Quant à la toile extérieure du dirigeable, elle est composée de toile en coton imprégnée de Ballonine, imperméable à l’eau. Hormis le châssis métallique et les moteurs, on voit que la toile a une importance considérable dans un dirigeable : le contenu d’hydrogène, l’aérodynamique du ballon externe et la protection contre chocs et intempéries.

Achevé au printemps 1900, l’impressionnante machine de 128 m de long mesure 11,7 m de diamètre pour un volume de 11.300 m3. Le lest est constitué de 350L d’eau. Sous l’enveloppe se trouvent 2 nacelles séparées, chacune avec un moteur Daimler de 14,2 CV, entraînant 4 hélices à 4 pales en aluminium situées latéralement. Un contrepoids est suspendu entre les nacelles, 25 m plus bas, visant à incliner le dirigeable sur l’avant ou sur l’arrière à la demande. Bien que la force de levage de cette énorme quantité d’hydrogène excède 13t, le poids de l’enveloppe des moteurs et du lest réunis ne laissent que 300 kg de charge utile. Le gonflage définitif débute le samedi 30 juin avec les bouteilles d’hydrogène comprimé venues de Berlin.

Courte carrière du prototype après tant d’inventions et de sacrifices

Le 1er vol d’essai se déroule le lundi 2 juillet à 19h30. Un remorqueur fait pivoter face au vent le hangar flottant sur les eaux calmes du lac. A bord du LZ1, dans la nacelle avant, sont installés le comte von Zeppelin, le baron K.F. von Bassus et Ludwig Dürr. Dans la nacelle arrière, le mécanicien Gross chaperonne le journaliste Enge Wolf. Rapidement intervient un incident moteur. Puis le poids de plomb mobile censé assurer la stabilité longitudinale se coince, faisant incliner la carcasse du dirigeable. Enfin, une avarie de gouvernail rend l’appareil incontrôlable et oblige à pratiquer un amerrissage forcé près de Immenstaad (D). Il est 20h21’, le vol se termine après 18 minutes et une distance de 3,7 km. Et même si le LZ1 avait pu lever 300 tonnes pendant une heure, ce vol d’essai aurait été tout aussi décevant pour les observateurs, tant les appareils prédécesseurs avaient été plus rapides et plus maniables !

Il faut des mois pour rendre le dirigeable à nouveau apte au vol. Le travail progresse très doucement car les locaux et l’équipement sont inadéquats nous dira Liwentaal. Le monde sait que le comte dépense sans compter des millions de marks alors que l’atelier de Friedrichshafen est sous-équipé. Lors des essais de l’automne, les pannes s’accumulent. Avec ses petits moteurs, le LZ1 atteint une vitesse de 9 m/sec, à peine supérieure de 3 m/sec au dirigeable "La France" de 1884. A la fin octobre le verdict des inspecteurs militaires tombe : inapte au service ! Les actionnaires refusent un nouveau financement et le gouvernement refuse son soutien. La société doit être dissoute, la majorité du personnel licencié, le LZ1 et son hangar démontés. Le 15 novembre tout a disparu. Liwentaal part vers d’autres aventures.

Courte carrière du LZ1 pour un si grand investissement ! Il est difficile d’innover, surtout à cette échelle. Les prototypes essuient de nombreux déboires. Il faudra attendre 1904 pour que Zeppelin construise un 2ème appareil et se fasse à nouveau aider par Alexandre Liwentaal, entre autres (voir : Récit).

 

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Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 13 février 2006
  • Pour plus d’information, lire : LZ1, Der erste Zeppelin, Geschichte einer Idee 1874-1908, de Hans G. Knäusel. Ed. Kirschbaum Verlag, Bonn, 1985, 310p, ills, à la "Librairie ".
  • [03.2008] Les Zeppelin LZ-1 à LZ-4, dès 1898 (diaporama, n&b, sonore, 02’44, 60Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

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