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Premier transport de passagers aériens de l’étranger vers la Suisse, par F.Durafour (1920) [vidéo]

 

Les progrès techniques liés à la guerre ont permis de créer des appareils plus fiables, plus grands, avec une réelle autonomie. Ils sont utilisés comme premiers avions du transport commercial naissant en attendant ceux dédiés à cette fonction. Avec un ami, François Durafour créé "Aéro Transport Minier Durafour". A bord d’un ex biplan militaire, il inaugure la ligne Paris-Genève emportant le 1er passager aérien à pénétrer en territoire suisse. A cette époque, le passager vole la tête à l’air, ce qui n’empêche pas certains de dormir.


François Durafour et Paul du Bochet fêtés à leur arrivée lors du premier vol de ligne Paris -Genève par Philippe Latour à droite (01.07.1920).

Naissance de la compagnie "Aéro Transport Minier Durafour"

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Durafour à l’avant du Farman avec son passager.

En 1920 François Durafour s’associe avec un ami français qu’il a connu durant la guerre : Gustave Minier. Ce lieutenant pilote, né en 1888, fut notamment chargé de reconduire le commandant allemand Geyer, porteur des conditions de l’armistice de novembre 1918. A deux, ils fondent la compagnie "Aéro-Transport Minier Durafour" et veulent ouvrir la ligne internationale inexistante de Paris-Genève. Le Ministère de l’air accueille l’idée avec enthousiasme et leur octroie une subvention de 700Fr (6.300.- actuels) par voyage. Durafour et Minier mettent sur pied ce qui sera le 1er service officiel entre les 2 villes et la 1ère ligne aérienne étrangère touchant la Suisse.

"Avec Minier, nous sommes les organisateurs, en même temps que les financiers". Ils choisissent leur matériel à Saint-Cyr et achètent de leur poche 5 avions à 3.500Fr pièce (1 Farman, 4 Sopwith). "Je comptais sur le Sopwith 130 CV, ramassé, avec plans décalés, les tendeurs sont doublés et consolidés. La carlingue est munie d’un pare-brise. Avec cet avion, nous pouvons offrir le voyage simple course pour 900Fr et double course pour 1.350fr." Un aller-retour en solo coûte très cher 1.550F (14.000.- actuels) et 2.025F avec 2 passagers. Les pilotes adaptent ces appareils, à la carlingue de toile vernissée, pour un usage triplace (dont F-ATAA, F-ATAB, F-ATAC).

Le 6 juin se déroule le 1er voyage d’essai. Parti de Buc (F) à 05h, sur un biplan Farman de 80 CV, Durafour arrive à Saint-Georges (GE) à 10h55’, accomplissant le 1er raid Paris—Genève avec passager. Ce dernier est M. Vulliamy, coureur motocycliste. Durant le vol, Durafour descend parfois très bas au-dessus des cités pour lire le nom du lieu sur des pancartes, sur des gares ferroviaires. Un peu égaré dans les nuages au-dessus du Jura, il se retourne vers son client pour lui demander s’il connaît la route : le passager dort comme un bienheureux. Il a bu toute une bouteille de rhum. Mais l’opération est couronnée de succès et le vol bat de vitesse le télégramme de Paris qui annonçait à Genève le départ de l’avion.

Le vol inaugural de la 1ère ligne aérienne Paris-Genève, le 1er juillet 1920

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L’arrivée du Sopwith à Saint-Georges (GE).

L’inauguration officielle de la ligne se tient le jeudi 1er juillet au Bourget (F), juste après 26ème Salon aéronautique. C’est Durafour qui pilote le vol vers Genève. "Nuages et vent de travers, je pense relier Genève en 3h et quelques minutes, sans escale. Le départ est fixé à 09h. Les officiels arrivent. Le départ est donné à 9h30 par le lieutenant Darcourt, que M.Pierre Etienne Flandin, ministre de l’air, a chargé de nous souhaiter bon voyage.". L’avion est un biplan anglais Sopwith à moteur rotatif Clerget de 130 CV, immatriculé F-ATAA et sa vitesse oscille entre 120 et 150 km/h. L’unique passager est le journaliste du "Petit Parisien" Paul du Bochet qui viendra 4 ans plus tard à la "Tribune de Genève" où il a déjà fait un stage avant la guerre.

F.Durafour : "Nous partons, le voyage commence. Les vallées et les prairies étalent leur surface ensoleillée, les rivières semblent immobiles dans leur lit, on passe des villes, des villages blottis autour de leur église, on crève les nuages qui courent à la rencontre de l’avion.. Les vols d’alors ne bénéficient pas de renseignements météos sérieux. Sans radio, ils sont pratiqués à l’aide d’une boussole, d’un altimètre et d’une carte géographique, en espérant que le moteur tienne bon. P.du Bochet : "On a le haut du corps à l’air libre et on éprouve une sensation de légèreté et d’espace. En raison du vent et du bruit du moteur, il est presque impossible de s’entendre mais, aucune cloison latérale ne limitant le champ visuel, on peut faire d’un seul coup tout le tout de l’horizon et comme on ne monte que rarement au-dessus de 1.500m, le plaisir de redécouvrir à chaque instant le visage changeant de la terre ajoute à la griserie du vol. De temps en temps, je vois Durafour jeter un regard vers le bas, à gauche ou à droite, pour contrôler sa route. Ayant sa carte bien en tête, il suit tout d’abord le cours de la Seine puis l’Yonne. Des rafales assez violentes et des bancs de nuages le contraignent à faire quelques détours mais, avec son sens extraordinaire de l’orientation, il se retrouve à l’heure qu’il s’est fixée à la perpendiculaire de Dijon d’où il longe un moment la voie ferrée pour prendre ensuite de la hauteur et piquer tout droit vers la Faucille."

"La Saône une fois franchie, et le Doubs aux capricieux méandres, le sol brusquement se bosselle, se creuse à partir de Lons-le-Saulnier, accoté à ses collines profondes. Le Jura est proche. Du fond d’un immense soupirail, Saint-Claude nous adresse un joli sourire, puis nous abandonnons la dernière muraille. Comme de grands géants blancs, les nuages marchent à notre rencontre, certains titubent et s’accroupissent, d’autres brandissent au-dessus de nos têtes leurs bras décharnés ou de gros poings. Mais l’avion les pique au flanc, les touche l’un après l’autre. Les fantoches s’effondrent avec de grands gestes piteux. Enfin nous retrouvons le ciel bleu. Devant nous, s’ouvre le col de la Faucille. Pendant tout ce temps j’ai eu en face de moi la masse du Mont-Blanc qui étincelle dans le soleil."

A 10h du matin, le Sopwith, apparaît au-dessus de la Faucille et c’est une descente royale, en vol plané, face à la rade et aux tours de Saint-Pierre. En attendant l’avion, les nombreux officiels genevois prennent une boisson à la buvette de Saint-Georges. On note la présence de MM. Perrenoud et Gavard, Conseillers d’Etat, de Stoessel et Oltramare, conseillers administratifs, du consul général de France Verchère de Reffye, le député Jules Peney. Il y a également Henri Dufaux, notre célèbre pionnier de l’air, l’aviateur Marcel Weber, Adolphe Grauer qui est l’agent général de la ligne, le journaliste Philippe Latour intendant de l’aéroport de Saint-Georges et grand chambellan de la réception. Citons enfin : Duboule, adjoint du maire de Petit-Saconnex ; Robert Tronchin ; Sessler, commissaire de police ; Jules Decrauzat reporter de "La Suisse Sportive" et Pittard, le délégué de l’Office Fédéral de l’Air, etc..

Soudain on entend l’appel de l’enfant qui fait office de guetteur : "Voilà l’avion !". On abandonne la buvette de M. Longchamp pour courir vers le terrain dans un sprint endiablé. Un virage, et l’appareil glisse lentement vers le sol et se pose à 10h12, derrière la butte de la ciblerie de la société de tir. L’atterrissage est impeccable et tous ceux qui assistent à l’arrivée du Sopwith, qui ne connaissent que le train, sont interloqués : "Il vient bien de Paris !" Le vol a duré 2h55’ et Durafour pose le pied à terre au milieu des ovations d’une foule accourue pour l’acclamer. Il a ouvert, ce jour-là, une voie nouvelle à l’aviation commerciale internationale. En cette occasion historique, il transporte le 1er courrier étranger venu par une ligne aérienne officielle. C’est une date dans les annales de l’aviation commerciale suisse. Les 2 "héros du jour" sont félicités et couverts de fleurs par deux fillettes. P.du Bochet reçoit une gerbe cravatée aux couleurs françaises et Durafour est fleuri aux couleurs genevoises.

P.du Bochet :"J’ai fait un beau voyage". Pas un seul instant je n’ai eu souci d’un danger quelconque, tant l’habileté et la maîtrise du pilote étaient grandes." De son côté Durafour déclare être enchanté : "On a eu un peu de "mélasse" sur le Jura, mais pas la peine d’en parler." Puis il embrasse tendrement ses parents venus de Versoix. Ces derniers sont très fiers de leur fils. La cérémonie se poursuit par le sablage du champagne et de nombreux discours. P.du Bochet : "Des innombrables voyages que j’ai fait en avion, ce 1er Paris-Genève est l’un de ceux qui m’ont laissé le plus joli souvenir. Après le cruel isolement auquel la Suisse a été condamnée tout le temps de la guerre, elle allait être reliée au monde extérieur par une ligne aérienne régulière et prendre enfin une part active à l’exploitation à des fins strictement pacifiques d’une invention qui devait bouleverser la vie des hommes. Ce vol inaugural marquait en outre une étape spectaculaire dans la reprise de notre collaboration traditionnelle avec la France voisine et amie." "La part d’aventure était sûrement plus grande qu’aujourd’hui."

Une ligne commerciale encore loin de la réussite financière et même de la survie

Le lendemain, l’Agence internationale Véron & Grauer vend le 1er billet Genève-Paris (valable 15 jours) à un colonel suisse. Le 7 juillet, Gustave Minier atterrit à Genève, mais sans passager. Le 25, entassement inhabituel de 2 passagers dans le Sopwith qui débarque à Genève. Le 28 ( !) ils reçoivent l’autorisation suisse de transporter des personnes et des marchandises. Hélas, on n’atteint pas les 6 vols prévus pour le mois de juillet, car la demande est insuffisante. On apprend même que 2 avions avaient initialement prévus pour le vol inaugural alors qu’il n’y en eut qu’un. Après 2 mois, la survie de l’entreprise est menacée. Seuls 12 Paris—Genève sont effectués, transportant 7 passagers et 40kg de marchandise. La société cesse son exploitation !

Le 14 octobre Mr Buisson, directeur du journal "La Vie Aérienne", arrive à Genève piloté par Minier, avec l’intention de reprendre la ligne. Le 25 octobre un consortium présidé par Buisson rachète "Aéro Transport". "Nous revendions, la mort dans l’âme, notre matériel". Le service doit reprendre dès le 1er novembre mais du brouillard continuel pendant des semaines empêche le vol. D’autre part, en avril 1920, après divers choix, le lieu de Cointrin avait été choisi pour le futur aérodrome officiel de Genève. Mais ses champs de blés attendaient les moissons d’août. L’aménagement se fait donc en automne, le hangar d’avion de Saint-Georges y est alors transféré et le 22 septembre Cointrin est officiellement inauguré. Le 25 novembre, un vol d’Aéro-Transport vers Cointrin, fort gêné par la nuit tombante et un ennui de moteur, se pose en catastrophe dans un champ labouré des Avanchets (GE). L’avion pique du nez, l’hélice se brise, mais son pilote est sain et sauf. La saison commerciale se termine aussi fin novembre. Devant ces échecs, c’est l’abandon définitif de la 1ère ligne aérienne entre Paris et Genève à la fin de 1920. Durafour va alors se distinguer d’une autre manière, en se posant le 1er sur le Mont-Blanc ! (voir : Récit)

 

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François Durafour et Paul du Bochet à leur arrivée lors du premier vol de ligne Paris -Genève (01.07.1920).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 13 février 2006
  • Pour plus d’information, voir : les journaux d’époque
  • Images aéronautiques de St-Georges en 1919-1920 (n&b, sonore, 3’14’’, 78Mo)

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