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Premier vol du continent sud-africain (RSAF) : Albert Kimmerling et sa "Flying Matchbox" (1909) [vidéo]

 

Idole du hockey sur glace français, le Genevois Albert Kimmerling se passionne pour l’aviation dès l’automne 1909. Il embarque avec son mécanicien vers l’Afrique du Sud pour pratiquer là-bas, après Noël, le 1er vol d’un aéroplane. Hélas il n’a pas d’hélice de rechange et attendra des semaines avant de pouvoir réaliser le 1er emport d’un passager puis d’une passagère. Cette tournée sud-africaine de 6 mois n’est pas exempte d’incidents techniques et d’étonnantes réparations avec les moyens du bord.


Le premier appareil piloté qui vole en Afrique du Sud, aux mains d’Albert Kimmerling, à East London, le 28 décembre 1909.
  • Article associé : Biographie de Albert Kimmerling |*|
  • Du hockey à l’aviation, de Lyon à l’Afrique du Sud, une nouvelle carrière en quelques mois

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    Vue arrière du Voisin de Kimmerling à East London.

    Le Lyonnais Albert Kimmerling (1882-1912) est un Genevois binational qui se fait tout d’abord connaître en étant l’une des meilleurs joueurs de hockey de l’équipe de Lyon (F). Kimmerling s’intéresse brièvement à l’automobile avant de découvrir l’aviation à la suite de l’exploit de Blériot sur la Manche en juillet 1909. En octobre, il entre à Mourmelon (F) chez les frères Voisin, deux autres Lyonnais et constructeurs d’avion, où il apprend très rapidement à piloter étant un élève doué. Désireux de se faire un nom en aéronautique, il répond à une annonce émise par le comité des fêtes d’une ville d’Afrique du Sud qui souhaite faire venir pour la 1ère fois un appareil avec son pilote pour Noël : "La municipalité d’East-London est prête à traiter avec des inventeurs et autres propriétaires d’aéroplanes ou des machines volantes similaires, visant à ce que des démonstrations aériennes soient données avec ces appareils à East-London, durant la prochaine saison des fêtes."

    En novembre 1909, n’ayant pas encore de brevet de pilote, Albert Kimmerling et son mécanicien J. Moller, s’embarquent vers l’Afrique du Sud avec une avion Voisin en caisse, un modèle datant de l’été. Ils sont le patron et le seul employé de la "Société de l’Espace" créée pour l’occasion. A bord du Kenilworth-Castle, les deux hommes arrivent 18 décembre à East-London, en pleine colonie britannique. L’aéroplane Voisin est déchargé ce qui provoque une certaine excitation en ville car aucun aéroplane n’a encore effectué de vol dans cette nation. Les importateurs, la firme industrielle Howard, Farrar, Robinson & Co en tire une forte publicité en annonçant que "l’un des plus modernes aéroplanes motorisés, construit par un constructeur français, accompagné d’un "aviateur expert", donnera une démonstration d’aviation à Nouvel-an 1910." Intérêt et curiosité grimpent encore d’un cran lorsque l’aéroplane est remonté. Cet appareil monoplace, sorte de grand cerf-volant biplan motorisé, est surtout fait de toile, de bambou et de câbles. Son moteur rotatif Gnome à 7 cylindres de 50cv, situé à l’arrière des ailes, est de type pousseur. Vu la fragilité apparente du léger Voisin, l’avion reçoit rapidement dans la presse le surnom de "Flying Matchbox" ou "Boîte d’allumettes volante".

    Le premier vol d’un aéroplane en Afrique du Sud

    Il faut quelques jours pour que l’appareil soit en état de vol et le déclarer apte à son vol inaugural sans pour cela pouvoir l’essayer avant, et tout en ayant pas volé avec lui depuis des semaines. C’est le plein été ici et la date du vol est fixée au mardi suivant le week-end de Noël, le 28 décembre. Sans aérodrome existant, c’est le champ de course (chevaux) de Nahoon-race qui sera utilisé.

    Le 28, tout se passe très bien. Les tribunes et l’enceinte sont noires de monde. A l’heure prévue, avec Kimmerling aux commandes, la "Boîte d’allumette" décolle "à la vitesse d’une course de chevaux". L’appareil survole l’hippodrome à quelque 6 mètres d’altitude, abrité du vent par les tribunes. Le "Star" rapporte que "L’aéroplane répond à tous les vœux, piquant, tournant et se tordant de merveilleuse façon à environ 30 miles/heure." Le vol ne dure que quelques minutes au sein de l’enceinte sportive, mais c’est un succès, un moment historique, la 1ère fois qu’un aéroplane s’élève du sol sud-africain et l’une des premières fois sur la totalité du sol du continent africain.

    A son retour, Albert Kimmerling est très emballé. En fin d’après-midi on envisage des démonstrations dans d’autres villes et même de transporter un 1er passager. Plus tard, une plaque en bronze serra apposée en ville. La "Kimmerling Plaque" se trouve toujours au coin de Gleneagles et de Galway roads, commémorant ce 1er vol à moteur d’Afrique du Sud. Un timbre britannique sera même émis illustrant la "Flying Matchbox".

    Un très long suspens avant le 1er vol d’un passager sud-africain

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    Un vol sur Orange Grove à Johannesburg en février-mars 1910.

    A 6h du matin le lendemain, le mercredi 29 décembre, Kimmerling sort l’avion du hangar pour un vol préliminaire. Avant de décoller, il entre en collision avec une clôture et l’avion subit un léger dommage, mais il est réparé le jour même. Entre temps, un affichage public dans East-London recrute le premier passager de l’histoire sud-africaine : "Les sponsors des démonstrations et des vols acceptent que l’expert [le pilote] puisse être accompagné lors de son 1er vol par une passagère, cet honneur s’applique à toute jeune femme venant de n’importe quelle région du sous-continent. Voilà l’occasion pour le beau sexe d’Afrique du Sud de maîtriser ses nerfs et de bénéficier de la chance d’avoir son nom donné à la postérité comme étant la 1ère femme à quitter le sol de l’Afrique du Sud dans un aéroplane, parmi les applaudissements de milliers de spectateurs." Mlle Ismay Nangler est choisie parmi plus de 200 volontaires pour embarquer dans le Voisin le 1er janvier.

    Pour l’événement, Kimmerling fera un vol d’essai seul et, si les conditions sont favorables, il décollera ensuite avec la passagère. Le lendemain du Réveillon, à 06h du matin c’est un beau jour calme. Le pilote décolle seul et survole la piste de chevaux, à l’altitude de 4,5m et pendant, 300m, puis il s’efforce de faire un large cercle. Mais s’approchant trop des lignes téléphoniques aériennes et dans l’impossibilité de les éviter, Kimmerling doit se poser d’urgence. Il atterrit et tourne, redescend la piste vers les tribunes. Alors que l’avion passe les tribunes, les roues heurtent une rigole masquée dans le sol. L’impact provoque la casse d’une entretoise, l’hélice touche le sol et les 2 pales sont faussées !

    Les autorités accourent vers le pilote qu’elles trouvent en larmes près de son appareil et l’entendent dire : "Je n’ai pas apporté d’hélice de rechange !" Drame ! Le vol de passager n’aura pas lieu. On télégraphie au constructeur français pour demander l’envoi d’une nouvelle hélice par bateau. Celle-ci ne peut arriver avant la fin du mois. Plus que la déception de Mlle Nangler et de la foule, tous les essais suivants pour remettre l’avion en état de vol doivent être abandonnés. Et l’hélice française n’arriva d’ailleurs jamais ?

    Le 15 janvier, Kimmerling emporte son avion à 800km de là, à Johannesburg. Sur place, M. Silvio Foino Marucchi, un immigrant italien constructeur d’outils lui fabrique une hélice métallique : "La Cie mandatée pour les réparations, Condac & Robert, me demande de réaliser les pales et de réparer les dommages à l’appareil. Les pales d’hélice sont faites en aluminium et cuivre rivé par-dessus un treillis d’acier. Elles sont vissées sur un socle attaché à l’arbre du moteur. Plusieurs essais sont faits pour fondre ces pales et des semaines passent dans une fonderie avant que quoi que ce soit proche de l’article demandé ne soit obtenu. Ces pales doivent être ramenées à la forme requise et à l’épaisseur de 6mm à l’extrémité, augmentant à 15,8mm au centre. Elles ont chacune 1,91m de long, et la meilleure fonderie ne peut en produire que de 25,4mm au mieux. Tout le travail doit être fait à la main et, pendant 6 semaines, je travaille 16H par jour et plus si possible, mais le point le plus décourageant tient à ce que ces pales peuvent être trop fragiles et dangereuses à utiliser.

    La réparation de l’avion est un motif de conversations à travers tout le monde du moteur à Johannesburg. Chaque jour, des centaines de gens viennent voir comment nous progressons. Un jour, parmi les visiteurs, un voyageur de commerce à qui j’explique mes problèmes me dit qu’il y a des tôles d’aluminium appropriées au magasin de la mine Germiston. Je transmets immédiatement ces informations à M. Condac et nous trouvons la véritable pièce que nous cherchons. Il me faut environ une semaine pour finir le travail." Marucchi raconta encore qu’on lui devait toujours les 86£ de ce magnifique travail, une importante somme d’alors.

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    La "Flying Matchbox au-dessus de Durban (mai 1910).

    Enfin, un vol sur Johannesburg est annoncé pour le 19 février puis reporté au mardi 22 : "Le public est informé que les vols sont possibles lorsque des drapeaux rouges sont placés au-dessus de Corner-House et de Cuthberts-Building. Ces signaux apparaîtrons avant le repas, ainsi les spectateurs auront tout le temps de préparer le nécessaire pour un voyage vers Sydenham." Mais pendant quelques jours, de fortes pluies empêchent de voler et ce n’est que le dimanche 26 février que Kimmerling réussit à pratiquer 3 vols d’essai successifs depuis le sommet de Sydenham-Hill, près d’Orange-Grove (Johannesburg). Le 2 mars il réalise quelques vols et au 7ème c’est un autre incident lorsqu’un fragment de câble abîme l’hélice et déchire la soie du plan inférieur, après qu’un fort orage avec tonnerre ait reconduit la plupart des spectateurs chez eux. Une dernière démonstration est prévue le samedi 19 mars 1910. Ce jour là, Kimmerling fait le plus long vol accomplit en Afrique-du-Sud, en volant sur environ 4 km à une altitude modérée. Puis il va enfin transporter un passager, il s’agit de M. Thomas Thornton, de l’Aéro-Club d’Afrique-du-Sud, qui paye sa place 100£ et devient le 1er passager à avoir volé en Afrique-du-Sud. La population demande alors à Kimmerling de faire un dernier vol avant son départ pour l’Europe. On décide que les tickets d’entrée de cette démonstration seront numérotés et que le possesseur du ticket gagnant, choisi sur le terrain, aura le droit de faire son baptême de l’air. Ainsi, le vendredi 25 mars se tient un autre grand rassemblement à Sydenham. Lors du vol d’essai, Kimmerling réalise un virage trop serré et doit toucher terre dans un coin humide, abîmant sérieusement un des plans élévateurs dans l’accident. Etrangement, le propriétaire du ticket gagnant, dans la foule, ne se manifesta pas pour réclamer son droit. Mais, lors d’un autre vol, Mme Julia Hyde Stansfield, éditrice du "Rand Daily Mail" et du "Sunday Times", vole en tant que 1ère passagère..

    Fin de la tournée du côté de Durban

    Kimmerling emporte alors son avion à Durban, sur la côte à 500km. Son 1er vol se déroule le mercredi 20 avril. Le Voisin atteint là sa plus haute altitude : 42m. Il fait aussi son plus long vol sur la côte, soit 16km en 20’, à la moyenne de 48 km/h. Le 15 mai, le pilote réchappe encore, non blessé, à un sérieux crash et décide alors de retourner en Europe sans réparer les dégâts.

    En quelque 6 mois Albert Kimmerling aura vécu 5 casses importantes et 25 petites infortunes. Qu’il est difficile d’être premier, loin de tout. Malgré tout, il devient le 1e pilote d’aéroplane à voler au Transvaal (Johannesburg, Durban, East-London) et probablement le 1er sur le sud du continent africain. Il est aussi le 1er à emporter un passager, un homme, puis une femme en Afrique. Il n’y aura pas d’autres vols du genre dans le pays avant le 30 avril 1911, par Cecil Bredell.

     

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    Clairwood, Durban, mai 1910 : Kimmerling fait des travaux sur son Voisin, aidé de quelques personnes.
    Par : Jean-Claude Cailliez
    Le :  vendredi 11 mai 2007
  • Pour plus d’information, voir : Pioneers of early aviation in South-Africa, de H.Oberholzer. Ed. Mem.Nat.Mus.7, pp:19-25, 3/1974, 7 ills, à la "Librairie ".
  • [04.2017] Kimmerling et sa "Flying Matchbox" pionnier volant d’Afrique du Sud (1909-1910) (diaporama musical, 35ph, 03’16’’, 8Mo). Format Flash.

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