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Premiers brevets de vol à voile genevois sur le terrain de Gland, grâce à Henri Magnenat (1934-35) [2 vidéos]

 

Chassé de Cointrin par l’extension des vols commerciaux, le "Club des planeurs" migre vers la vaste propriété "la Tourangelle" à Gland (VD). En 1934-5, elle abrite ce groupe de Genevois passionnés du vol à voile et dirigé par Henri Magnenat. Chaque week-end des beaux jours les membres du club apportent là leur unique appareil démonté, le remontent, passent une ou deux nuits dans une grange proche, planent un maximum et ramènent le dimanche soir l’appareil à Genève pour réparer la "casse". Un très beau vol dure alors de 1 à 2 minutes !


Henri Magnenat, moniteur, et l’élève F.Raemy sur le terrain de Gland, en été 1934, avec le planeur Zögling "Raz’mott" no.35 (Ph. : Dugerdil).

Départ pour Gland sur un magnifique champ d’aviation privé.

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Henri Magnenat (1911-1979) (Ph. : Dugerdil).

En été 1933, les essais du planeur rudimentaire Zögling ("Fanchon" no.35) construit par les membres du "Club des planeurs" de Genève s’est malheureusement traduit par un accident grave (voir : Récit). Les vols de ces pilotes atteignent alors difficilement la minute ! Pilotes et appareil passent plus de temps au sol à préparer leurs modestes envols qu’en l’air ! Avec leur treuil de lancement constitué d’une vieille voiture, ils encombrent le terrain plus que les cieux pendant que les vols commerciaux se développent. Swissair est née entre temps et les planeurs sont priés d’aller se trouver un terrain ailleurs.

Un noyau de mordus s’accroche à ce sport encore balbutiant mais alors à la portée de tous. Le "35" est reconstruit durant l’hiver : les haubans sont doublés, les ailes arrondies aux extrémités avant. A fin avril 1934, l’appareil terminé et présenté au Salon de l’aviation (voir : Récit) sous le nouveau nom de "Raz’Mott". Le 25 mai, il subit l’examen d’immatriculation. Ailleurs, un membre aisé de l’Aéroclub de Genève et pilote, l’Américain Batsholts, qui a fait réaliser un champ d’aviation dans sa propriété de Gland, La Tourangelle (voir : Récit), offre au groupe de s’entraîner là bas. Après Plan-les-Ouates (GE) et Cointrin, ce sera le 3ème d’une bonne douzaine de terrains qui verront passer les planeurs genevois.

"Il reste à trouver un moniteur dévoué capable de reprendre le groupe en main : Henri Magnenat, dit "Magnon", pilote militaire chevronné de Dewoitine. Déjà à l’époque, il possède un record suisse du saut en parachute, après avoir quitté son avion entre 8-9.000m suite à une vrille à plat. C’est dire qu’il n’a pas froid aux yeux, car la chute s’est faite sans oxygène. De plus, mordu de vol à voile dès 1929, il commenca la construction d’un Zögling de sa conception, avec l’aide de Courvoisier et Ernest "Nesti" Sudan, le futur directeur de l’aéroport de Cointrin" ; Marc Dugerdil dixit. En mai à Berne, Magnenat passe ses brevets (no.366) de vol à voile "A" (vol de >10’’ exigé) et "B" (vol de >60’’ exigé) et devient chef de groupe du club.

Les pilotes vont s’organiser en conséquence car il n’y a pas de hangars à Gland. Dorénavant, chaque week-end où la météo le permet, on conduira l’appareil démonté jusque là, à 30 km, puis on le ramènera au local de construction de la rue du Stand le dimanche soir pour les réparations et le stocker. Pour diminuer les longs et coûteux transports, on campera à Gland dans une grange, cela libèrera des heures pour l’entraînement. La voiture treuil restera sur place (Dodge). Il faut vraiment avoir l’amour du vol à voile et désirer fortement planer pour fournir tous ces efforts, compensés que par quelques secondes de vol, quand tout va bien.

Le 1er juin, la caravane s’achemine à Gland et l’entraînement reprend. Jean Augsburger effectue le 1er vol. La météo n’arrêtent pas les enthousiastes en ce week-end et le "35", même alourdi par l’eau, totalise 72 départs. Le week-end suivant, il fait un temps superbe et peu de bise. "Dimanche vers 18h, surpris par un coup de bise, Thürler fait une magnifique chandelle. Après un renversement sur l’aile, il retombe sur le nez, puis sur le dos. Le jeune pilote n’a aucun mal mais un longeron d’aile est brisé. L’entraînement s’arrête au 46ème départ du jour." Il faut 15 jours de réparation et l’appareil est prêt le 16 par un temps radieux. "Plusieurs élèves font de bons vols rectilignes et l’un d’eux se trouvant même trop haut au-dessus du treuil se voit obligé d’amorcer un virage pour revenir sur le terrain, exécuté impeccablement. Le dimanche vers 20h nouvelle malchance au 75éme départ, Fehlman prend le départ et pique du nez, se met en vrille et percute le sol de 25m : quelques semaines au lit." Les débris sont ramenés à Genève : l’avant, le siège, les commandes sont en morceaux, les ailes abîmées. Le groupe se remet au travail et réussit à réparer le "35" pour le dimanche 24 juin L’entraînement reprend le 1e juillet et Augsburger décroche le 1e brevet A. Il est suivi, le 21, de Félix Raemy, Louis Marguerat dit "Loulet", puis de Maurice Gilloz le 12 août.

L’activité de ce groupe d’une quinzaine d’acteurs se développe rapidement. L’ambiance est excellente. Le Zögling tient le coup pour le reste de la saison. Le 7 octobre voit décerner 3 brevets A : Georges Cosandier, Jean-Ernest Planque, Georges Bouvier. Les vols reprennent pour l’entraînement au brevet B. "Le 13, Charles Détraz touche un noyer et y accroche l’aile. Peu de dégâts, on vole le lendemain", etc. Le 21 voit 32 départs dont un vol de 57’’ par Cosandier. Détraz passe son brevet A le 28 et la saison se termine. "En 5 mois d’entraînement, un seul incident grave, 3 casses sérieuses, mais 758 départs pour un total de 5h32’23’’ de vol sur 36 journées. Huit élèves brevetés sous la houlette de Magnenat. La voiture tractrice, la Dodge-treuil, et la Sigma pour le transport ont bien servi !"

Un second appareil à nouveau construit par le "Club des planeurs" genevois.

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Présentation du Zögling no.125 : N.Sudan, M.Weber, Ch.Bratschi, Mlle A.Muller, M.Devaud, M.Duval, H.Magnenat. Gland 25.11.34.

En automne au local de la rue du Stand, un 2ème appareil est prêt. C’est un Zögling amélioré : des haubans de bois remplacent les câbles ; il emploie du tube acier qui relie l’empennage arrière et les gouvernes au bâti. Le poste de commande est caréné en contre-plaqué (et sera de très nombreuses fois réparé). Tout cela n’améliore pas la finesse de l’appareil, mais en vol les pilotes auront l’impression d’un planeur de course, avec leur seule tête dépassant. Mais cela n’est pas du goût de l’inspecteur fédéral et le "Moustique" n’est pas autorisé à voler, à cause de trop d’innovations. Mais après deux vols d’essai, tout s’arrange : l’appareil portera le no.125.

On inaugure en grandes pompes ce planeur sur le terrain de Gland. Il y fait son 1er vol de 25 novembre, malgré un temps froid, une bise assez forte mais devant un nombreux public. Pilotée par M. Schurter, le "125" de couleur aluminium donne tout de suite une excellente impression et démontre de bonnes qualités de vol. Magnenat l’essaye à son tour, puis ce sont les brevetés de l’année qui apprécient les avantages de la "carlingue" ou la douceur des amortisseurs. Ce jour là, le "35" fait aussi quelques vols de démonstration d’écolage. La météo étant non propice, le "125" n’effectue que 19 vols et l’on reprend le chemin de Genève. Le véritable baptême du "Moustique" se tient à Cointrin le dimanche 2 décembre. Vers 15h, Maurice Duval (Voir : Récit), président de la section fait un discours alors que Marcel Devaud (voir : Biogr.) parraine l’appareil et que Mlle Alice Muller, la marraine, l’arrose de champagne. La saison 1934 se termine ainsi.

Un apprentissage solide, de nombreux brevetés et l’espoir d’un retour à Cointrin

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Au départ : Augsburger (drapeau) et la Dodge-treuil (Ph. : Dugerdil).

En 1935 le groupe prend de l’importance avec les 2 planeurs. Le "35" sert au dégrossissage, au brevet A alors que le "125" est idéal pour le B, avec un vol en huit et retour au point de départ. La saison débute en avril. Au 1e vol, après un atterrissage dur, Bouvier, casse le patin. Le changement de patin est fréquent, il est fabriqué en série. "Plus tard, un garagiste spécialiste des réparations et bien sûr des patins, Emile Ehrensperger, est tout simplement surnommé "Patin" et on allait toujours chez "Patin" !" Le "Moustique" fait une belle carrière, se révèle extrêmement stable et facile à piloter. Les candidats pilotes sont à nouveau en augmentation.

Bien sûr, tout ne va pas toujours au mieux, l’entraînement réserve ses surprises. Les petites et grandes casses sont fréquentes, à peu près 3 dimanches sur 5 : souvent une aile cassée, quelquefois le bâti et quand tout va bien, seul le patin est éjecté suite à un atterrissage de travers. Il arrive que le vol se termine dans un pommier, d’où l’expression "apommer"." La fidèle équipe de réparation de la rue du Stand ne chôme pas. Le matériel évolue ainsi assez rapidement, se perfectionne et s’affine. "Sudan, sur le "125", se paie le luxe d’une vrille avec rattrapage au raz du sol, tout finit bien, il a eu chaud !" Heureusement, la saison ne connaît pas d’accident majeur, sauf Hoffer qui se laisse prendre une jambe dans le câble du treuil. La blessure est sérieuse mais sans complications graves. Il y a aussi Fehlmann, sérieusement blessé après une vrille amorcée à une 30m du sol. Il va renoncer au vol à voile."

"Augsburger toujours à la recherche de l’inédit trouve bon de partir au treuil, depuis le plateau des Molards de Burtigny vers le terrain de Gland. Impossible d’atteindre le terrain, le "35" n’est encore qu’un bon fer à repasser, qui permet toutefois de battre le record de durée avec 5’08’’, avec un 1er atterrissage en campagne. Quant à l’altitude, par bonne bise, le record de Gland est de 300m, avec un vol de 02’30’’." Dugerdil dixit. Puis viennent les brevets B de Raemy, futur moniteur, de Sudan, Roger Cavadini, L.Marguerat, M.Gilloz, J.Augsburger, Ch.Détraz et Léopold Strassberger.

"Quant au moral, il est toujours extraordinaire et plus élevé que le niveau financier du groupe et des pilotes. Souvent, le samedi, avant de voler, chacun met ses quelques francs sur la table pour faire face aux dépenses du jour et aux réparations. Le casse-croûte apporté par chacun, arrive tout de même à boucher bien des trous. Le matin, le luxe consiste à prendre le café au bistrot du bord du lac !" A la fin de l’année, tout le monde a repris confiance, le nombre de membres s’est étoffé. Soudée par les difficultés en tout genre, l’équipe fête tous les événements : les brevets A, les B plus rares, les casses, le nouvel essai en vol après réparations ; le tout sous la haute surveillance souriante du moniteur Henri Magnenat (1911 ?-1979) qui quittera le groupe en fin d’année pour l’aviation civile à moteur. Mais en 1936, il faut croire que le groupe s’est sérieusement réhabilité, il est autorisé à reprendre l’entraînement à Cointrin. Un véritable planeur, un Grünau "Baby", est arrivé en octobre 1935 et le Zögling no.35 "rapiécé" durera jusqu’en 1939 et le no.125 jusqu’en 1945.

 Brevetés à fin 1935 :

J. Augsburger,Jacques Beau,G. Bouvier, R. Covadini,G. Cosandier,Ch. Détraz,M. Gilloz,L. Marguerat,Robert Monod,J.E. Planque,F. Raemy.

 

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Le "Moustique" no.125 mis en service en 1934 par le groupe à Gland-Tourangelle. De face : Jean Augsburger.

 

Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 6 avril 2006
  • Pour plus d’information, voir : Le vol silencieux, de Marc Dugerdil. Ed. Groupe de vol à voile de l’Aéro-club de Genève, 132p., ills, à la "Librairie ".
  • [2008] Le Zögling en Suisse, 1931-etc. (vidéo, N&B, sonore, 2’25’’, 56Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.
    [02.2017] Henri Paul Mercier et les débuts en "Zögling" des vélivoles genevois (1931-1946) (vidéo-diaporama musical, 24ph, 02’51’’, 76Mo). Format QuickTIme 7.5 minimum.

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