Une jeunesse presque sans parents et des premiers projets de courte durée
Marc Birkigt vers 1900.
Marc Birkigt naît à Genève le 8 mars 1878, fils d’un tailleur de la rue Rousseau. Sa jeunesse ne sera vraiment pas aisée : sa mère meurt lorsqu’il a 2 ans et son père décède alors qu’il n’en a que 12. Une grand-mère se charge alors de son éducation. Il entre à l’Ecole de mécanique à 17 ans et en ressort à 20 ans avec son diplôme d’ingénieur en poche. Il vient encore de perdre cette grand-mère et se trouve maintenant seul au monde. L’activité professionnelle sera une bonne échappatoire à tout cela. Il travaille tout d’abord pour une entreprise spécialisée dans la fabrication de machines et outillages pour l’horlogerie puis effectue son service militaire en qualité d’armurier. Ses obligations terminées Marc Birkigt recherche un nouvel emploi.
En 1899, il est appelé par Carlos Vellino, un ancien élève de sa promotion de l’Ecole de Mécanique qui n’arrive pas à réaliser un prototype d’omnibus électrique. Marc Birkigt n’hésite pas, quitte la Suisse et rejoint Barcelone pour travailler avec ce propriétaire d’un atelier de batteries et finalement rester en Catalogne. Ils sont commandités par la firme "La Cuadra" mais n’aboutissent pas non plus, à deux, à un résultat efficace. Birkigt ne croit pas au "tout électrique" et propose à La Cuadra de s’orienter dans le développement d’un moteur à explosion, domaine plus porteur. Les financiers acceptent et quelques voiturettes sont produites en 1900 dont Birkigt a entièrement dessiné le châssis, le moteur et la transmission. Hélas cette entreprise fait faillite. Birkigt retourne à Genève et, à 23 ans, épouse Eugénie Brachet (23 nov.1901). De ce mariage naîtront un fils (Louis, 1903) et une fille (Yvonne, 1905).
Mais la solide réputation de Marc Birkigt à Barcelone l’aide à convaincre le principal créancier de La Cuadra, le banquier Juan Castro, d’accepter de s’associer dans son projet de création d’une industrie automobile espagnole (11.1902). Ainsi naît la "J.Castro Fabrica Hispano-Suiza de automoviles" dont le nom affiche déjà le mot "Suiza". Hélas, Castro fait banqueroute au printemps 1904 ! Marc Birkigt aura toutefois eu le temps d’inventer la première transmission par cardan qui va remplacer la chaîne traditionnelle. Deux autres banquiers, Damian Mateu et Francisco Seix, vont sauter sur l’occasion, racheter la société et créer la "Hispano-Suiza, Fabrica des automoviles S.A." avec siège à Barcelone. Fondée le 14 juin 1904, elle est dirigée par Marc Birkigt, chef ingénieur mais également actionnaire. Mais bien que Birkigt conçoive des moteurs innovateurs, les ventes stagnent, les voitures sont chères et la clientèle limitée. L’usine est fermée et sa production transférée dans celle de Sagrera, plus vaste. La firme installe alors des bureaux de vente à Genève et Paris, ciblant les riches européens.
Marc Birkigt.
L’Hispano-Suiza, la Rolls-Royce du continent
Au salon de Paris de 1906 c’est le succès ! On commence à parler en termes élogieux de ces voitures. Birkigt produit notamment un moteur à double allumage, avec 2 bougies par cylindre. Le radiateur frontal est orné des couleurs espagnoles et suisses (jusqu’en 1918) encadré d’ailes symboles de vitesse. Birkigt décide alors de rationaliser, fait appel à des sous-traitants dès 1907 pour baisser les coûts de production, et les affaires prospèrent durant les années qui suivent. Les clients viennent du monde entier. Le roi d’Espagne, fidèle client d’Hispano-Suiza décerne à Birkigt le titre de Chevalier d’Isabelle la Catholique (1908). Birkigt créera 2 ans plus tard, un modèle qui deviendra célèbre : la "Alphonse XIII".
Les voitures participent avec succès aux grandes courses d’automobiles européennes. Les commandes affluent à Barcelone. Pour éviter de forts droits de douane à ses clients français, Hispano-Suiza s’implante en France. Dès janvier 1911, Birkigt et Jules Lacoste pilotent la succursale de Paris située dans un ancien dépôt de tramways à Levallois, bientôt trop étroit et équipé de moyens de fortune. Ici naît la 1ère voiture "Alphonse XIII" française, une 15 CV sport. Trois ans plus tard, il adopte l’attaque directe des soupapes par l’arbre à cames au lieu des tiges et culbuteurs...Dès 1913, apparaissent les voitures Hispano type 21 à 23. La société rachète des terrains à Bois-Colombes et y construit une usine. La marque produit déjà 30 types de châssis-moteur pour automobiles, des groupes moto-propulseurs pour la marine, des camions et des autobus. Mais en août 1914, lorsqu’éclate la 1ère Guerre mondiale, les sites de Levallois et Bois-Colombes sont réquisitionnés par le ministère de la Guerre. Mis sous le contrôle de la Gnome-et-Rhône, on va y produire des moteurs rotatifs d’aviation. La priorité est donnée aux armes capables d’apporter la victoire dont la toute nouvelle : l’aviation.
Des moteurs d’aviation légers, puissants et porteurs du succès en combat aérien.
Marc Birkigt retourne à Barcelone et se met à l’étude d’un moteur pour l’aviation qui soit plus performant que les moteurs rotatifs en vigueur et qui monopolise ses usines françaises ne pouvant plus construire d’automobiles pour des années. (Voir : Récit.). Son V8 en aluminium va s’imposer dès la fin 1916, sur de nombreux appareils et dans plusieurs nations, prélude à des développements de moteurs jusque dans les années 1940.
Après la guerre, Birkigt poursuit ses recherches et ses essais construisant des mécaniques destinées aux hydravions, avions "terrestres" et hélicoptères. On trouve alors des moteurs Hispano dans les airs, sur l’eau, sur terre, et même sur rails, lorsque Birkigt s’associe à Michelin pour créer un autorail : la fameuse Micheline. L’unité de Bois-Colombes perdure, mais à la Libération (1945), les usines françaises sont en ruines ou pillées (Bois-Colombes, Tarbes) et les machines dispersées en Allemagne. Tout est à reconstruire. Marc Birkigt a déjà fêté ses 67 ans ! Puis la firme fabriquera des réacteurs d’avions (Rolls-Royce "Néné"), d’innombrables accessoires, tels les inverseurs de poussée ou les sièges éjectables (Martin-Baker), destinés à l’aviation moderne, des turbines à gaz, des trains d’atterrissage et des moteurs diesels, absorbant au passage Bugatti, la marque automobile de prestige, avant de tomber dans le portefeuille de la SNECMA (Soc. Nationale de Construction de Moteurs d’Avions).
Marc Birkigt vers 1950.
Hispano-Suiza France produira de prestigieuses automobiles pendant l’entre deux guerres jusqu’en 1937. D’innombrables personnalités figurent parmi ses clients : Emile Dubonnet (l’apéritif) et son fils André (compétitions), le Shah de Perse, Anthony de Rotschild, plusieurs maharajas, le général Franco, Boussac (roi du textile), le baron Empain et Pablo Picasso adoptent la 12 cylindres. L’Aga Khan, MM. Hennessy, Bollinger, Dreyfus et le parfumeur Coty choisiront, plus tard, la K6.
Ex-armurier militaire, Birkigt ajoute l’armement aux activités de la société et conçoit un canon de 20 mm qui sera un standard des alliés pendant 20 ans (utilisé sur le Spitfire). Pour échapper à la nationalisation française il déplace une partie de la production à Grantham (GB), puis à Genève (1938), sous la nouvelle raison sociale Hispano-Suiza (Suisse) SA, sise à la rue de Lyon, à Cointrin et Vernier. En Suisse, la firme produit et livre armes et munitions à l’Espagne, à la Suède, à l’Allemagne (1941-1943), à la Suisse (1944-1945), notamment des canons de DCA. En 1941-42, à la demande des anglais dont Sir John Garrett Lomax (1896-1987) de l’ambassade britannique à Berne, Birkigt et Hispano-Suiza suisse, via la filiale Hispano de Barcelone, permettent le transfert de matériel stratégique vers la Grande-Bretagne : des machines-outils de pointe et divers appareils mécaniques ou optiques d’usage militaire. Après la 2ème Guerre mondiale, la firme suisse fabriquera également des machines pour l’industrie textile.
Marc Birkigt possède à Versoix, dès 1930, une magnifique demeure nommée "Rive-bleue", au bord du lac et faisant face au Mont-Blanc. En 1920 Nieuport lui a construit un canot à moteur de style mu par un Hispano-Suiza et baptisé "Capitaine Guynemer." En 1928 le 2ème "Capitaine Guynemer", bordé d’acajou, mesure 10,6m de long et arbore toujours une cicogne chromée de chaque côté sur sa proue, preuve de l’attachement entre le constructeur et le 1er pilote du SPAD disparu. Birkigt y décède le 15 mars 1953 à l’âge de 75 ans. Après avoir signé plus de 150 brevets qui trouvèrent, pour la plupart d’entre eux, une application, il a joué un rôle important dans le développement de l’automobile, de l’aéronautique, des armes et de l’industrie. En 1970, la production d’armes sera reprise par Oerlikon, celle des machines textiles par Sulzer frères SA. La Hispano-Oerlikon (Genève) est fermée par Oerlikon-Bührle Holding en 1985.
Dès 1953 et de nos jours un "Prix Marc Birkigt" est décerné dans tout collège genevois à l’élève qui, inscrit en option spécifique "physique et application des mathématiques", obtient le total le plus élevé pour les mathématiques (niveau avancé), physique (OS) et application des mathématiques (OS), avec au minimum 5,2 (sur 6) dans chaque discipline (NB : 7 bénéficiaires en 2003-4).
Distinctions :
Commandeur de l’Ordre d’Alphonse XIII (1920).
Officier (1926), Commandeur (1930), puis Grand officier (1939) de la Légion d’Honneur.
Lauréat de l’Aéroclub de France en 1923 et 1949.
Dr honoris causa de l’Ecole polytechnique de Zurich (1945).
Le 11 août 1908 à Ribas (Espagne), Marc Birkigt est aux commandes d’une Hispano 20/24CV, devant son épouse Eugénie. Gabriel et Eugénie Angenault les accompagnent.