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Un Blériot au centre ville et la tournée de démonstration de l’importateur Speckner (1909-10) [vidéo]

 

Fin 1909, le garagiste genevois Henri Speckner se transforme en importateur d’avions Blériot. Mais il n’y a pas encore d’aérodrome à Genève. Il débute une tournée de démonstrations dans les grandes villes romande, sachant à peine piloter, exposant un avion en intérieur avec un prix d’entrée. Il est un des pionniers du terrain de Viry (74, F) à la même époque mais ne sera jamais un bon pilote. Il cesse de voler fin 1910 mais va soutenir la cause aéronautique genevoise sous divers aspects notamment avec l’aide d’automobiles.


Henri Speckner pose aux commandes de son Blériot XI au début novembre 1909, sous une tente installée en l’île à Genève. Entrée payante.

Premier importateur genevois d’avions, pilote, vendeur mais surtout garagiste

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Henri Speckner en 1909.

Henri Speckner (1876-1947) a été impressionné par la traversée de la Manche de Louis Blériot en juillet 1909. Garagiste de la marque Delaunay-Belleville à Genève, il veut devenir l’importateur du Blériot XI pour la Suisse et prend contact avec le maintenant célèbre constructeur français. A la fin septembre Speckner va réaliser de courts sauts à bord d’un Blériot-XI sur le terrain d’Issy-les-Moulineaux (F). Au début novembre il importe un 1er appareil à Genève. Pour faire connaître sa nouvelle activité de distributeur d’avions, il débute aussitôt par une exposition sous tente de son Blériot-XI, à moteur Anzani 25cv de 3 cylindres en éventail, type "Traversée de la Manche". Située Place de l’île, sur le Rhône genevois, l’entrée de l’exposition est chère, 1f (10F actuels), mais l’acheteur potentiel doit être riche ! L’appareil est là statique, fragile et puissant, mais surtout identique à celui que la France va rapidement mettre dans un musée (Conservatoire des Arts et Métiers) tant l’exploit de la Manche a marqué les esprits dans le monde entier. Jusqu’au 24 nov. le spectateur genevois va y trouver son intérêt.

Speckner pose parfois assis aux commandes de l’avion mais les Genevois ne verront rien d’autre à ce stade, car Genève n’a pas de terrain d’aviation ! Speckner pense pouvoir utiliser un terrain à Puplinge auquel s’intéresse le Club Suisse d’aviation (CSA) genevois mais ce projet reste théorique. Il doit nécessairement faire des démonstrations de vol pour convaincre ses clients potentiels. Le 14 il a toutefois vendu un premier appareil à un concurrent automobile, le garagiste de FIAT Alphonse Carfagni (1867-1924). A fin novembre, un terrain en France voisine à Viry (Voir : Lieu) va pouvoir accueillir les aviateurs où l’on débute la construction de hangars. Le jeudi 25, accompagné de son mécanicien Léonard, Speckner assemble son appareil à Viry et tente vers 17h un 1er vol devant un nombreux public. Mais après 3 essais, sans décoller, l’avion se couche sur le flanc. Le 26 il réussit un bond à 1 m de haut et le 27 abîme légèrement l’appareil mais ne vole pas. Le dimanche 28 il ne décolle pas non plus et cesse ses essais car l’appareil va partir faire une tournée d’exposition en Suisse-romande.

C’est le lundi 29 novembre que les Lausannois découvrent pour la 1ère fois un aéroplane, en réglant ce prix d’entrée de 1F. Il est exposé dans le garage des Galeries du Commerce. Speckner pratique également sur les Plaines-du-Loup, qu’on nommera plus tard La Blécherette, quelques essais et bonds de 1 à 2 mètres de hauteur maximum, sur 100 à 150 m de long. Ph. Cornaz : "Si modestes qu’aient été ces 1ers vols lausannois, ils sont passés dans l’histoire locale du fait même qu’ils furent les 1ers.". Le 17 décembre Speckner débarque à Neuchâtel et installe sa tente et l’appareil sur la Place du Port. C’est à nouveau une découverte pour les habitants qui, eux, ne paient que 50ct et les enfants 20ct ! Comme il n’y pas d’aérodrome proche de la ville, Speckner fait de temps en temps tourner le moteur, au grand dam des chapeaux des spectateurs mais avec un réel succès. L’enthousiasme local est évident et Speckner promet de revenir rapidement avec des aviateurs pour réaliser un meeting, dès qu’un terrain sera trouvé. L’audacieux garagiste demande sérieusement au chef de la police, Jules Zeller, quelle distance sépare les tours de la Collégiale, pour savoir s’il était possible d’y passer en avion, alors que ses connaissances du pilotage restent encore très rudimentaires et qu’aucun aéroplane n’a jamais survolé le canton ou la ville !

Une démonstration du Blériot jusqu’à en perdre les ailes !

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Le Blériot-XI, son créateur et l’importateur suisse Speckner.

Quelques jours après Speckner est à La-Chaux-de-Fonds, sollicité par le journal local l’Impartial et un ami d’enfance, A.Jeanmaire, président de la Ligue pour l’aviation. Les autorités locales encouragent l’organisation de l’exposition qui comprend, en plus du Blériot XI, un biplan Farman de 40 CV (du genevois Charles Nigg) et un planeur construit par les ateliers Avia. Des accessoires et des instruments sont également présentés. La ville met à la disposition la halle de gymnastique du Collège industriel, tandis que la Ligue pour l’aviation prend à sa charge l’organisation complète de la manifestation et tous les frais en découlant. L’exposition s’étend du vendredi 31 décembre à la 1ère semaine de 1910. Au cours de la séance inaugurale avec les organisateurs, Speckner mentionne, sans prendre de risques, qu’il avait envisagé la possibilité de décoller avec sa machine tout en ne cachant pas "Qu’a son avis peu d’endroits, aux abords de la ville, se prêtent à des manœuvres d’envol et d’atterrissage" : Ville sans terrain d’aviation, alors sous la neige, cette idée était irréaliste et il était plus sage de s’en tenir à la mise en marche du moteur dans l’exposition. La presse annonce que "le pilote Speckner fera tourner plusieurs fois, au cours de la semaine, le moteur Anzani en présence du public". Le jour de la plus grande affluence, l’avion est solidement amarré au sol. Le pilote grimpe dans sa "cage à poules", met en marche l’Anzani et met progressivement les gaz à fond. Dans la grande halle le bruit est assourdissant et l’assistance fort impressionnée. Quelques secondes plus tard, elle l’est plus encore quand elle constate, abasourdie, que les ailes ont chuté de l’avion ! La raison : démonté pour le transport après l’exposition de Neuchâtel, l’avion a été remonté sommairement à La Chaux-de-Fonds, sans boulonnage des ailes. Les vibrations du monteur ont fait sortir les longerons de leur point d’ancrage et les spectateurs en ont eu pour leur argent.

Entre temps, un meeting a réussi à être mis sur pied à Planeyse (NE), les 8 et 9 janvier (voir : Récit). Speckner y figure, accompagné de Léonard et de son client Carfagni (Blériot-XI) suivi de son associé Nigg (biplan Farman), ainsi que les 2 frères Dufaux et le biplan qu’ils ont construit (Dufaux-4). Le samedi, à 15h30, Speckner réussit à grimper à 15m de haut, mais l’appareil tire à gauche car une aile est mal montée. Au 2ème essai il fait une chute, le moteur s’est enfoncé dans la terre, l’hélice est cassée, mais le pilote s’en sort indemne. Pour les 10-15.000 spectateurs présents ce week-end là, c’est le 1e vol qu’ils découvriront car le vent ruinera la suite du meeting. Même Carfagni cassera une aile le dimanche après un bond à 15m de haut.

Qu’il est dur d’innover : chacun à sa place !

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Speckner tracte les planeurs de pente du Club Genevois d’Aviation (1910).

Retour à Genève pour une année forte en événements aériens pour Speckner. Le journal genevois l’ABC offre 2 Prix à disputer sur l’aérodrome de Viry, le 1er de 1.000F (10.000F actuels) pour l’aviateur résident en Suisse qui effectuera 100m en plein vol et d’un seul bond, le 2ème de 5.000F au 1er aviateur qui accomplira le tour de piste (3 km) sans atterrissage. Pour les appareils entièrement suisses (le Dufaux-4), les distances sont réduites de moitié. Nos Genevois s’y emploient. Quant à la Société anonyme de l’Aérodrome de Viry, elle se fonde parallèlement grâce au journaliste F. Degerine, aux frères Dufaux, Nigg, Speckner, Carfagni et le comte de Viry, mais les mois d’hiver empêchent toute activité aérienne sur le terrain jusqu’en avril. Le mardi 19 avril, Speckner tente de s’attribuer un Prix Michelin de 1.000F : départ à 16h ... et chute d’une hauteur de 10m. Le pilote subit une légère commotion cérébrale, une légère blessure à la tête et se reposera quelques jours. Le Blériot est détruit. En mai, Speckner se crashe à nouveau et est encore sérieusement blessé. Non découragé, le 15 juin, il réussit finalement 3 véritables tours du terrain et à la Grande semaine d’aviation d’août (du 14 au 21) il y fait quelques vols mais ne se classe pas parmi les 8 premiers. Le 26 novembre, il tord sa machine après un vol de 30m à 1m de haut. Il décide alors de se faire construire un biplan équipé du moteur genevois Sigma de 50CV pour concourir le Prix de l’Automobile Club de Suisse de 5.000F réservé aux avions entièrement construits en Suisse. Il ne va pas y arriver.

Ce sera la dernière tentative aérienne d’Henri Speckner. La sagesse l’emporte et il cesse le pilotage. Certains sont doués pour les affaires, d’autre pour le pilotage, parfois les deux. Speckner restera un supporter de l’aéronautique genevoise mais se concentrera sur l’automobile. En quelque 2 années il ne vendra d’ailleurs que 6 avions Blériot-XI, dont un à Alphonse Carfagni, Ernest Failloubaz, Paul Wyss (Voir : Récit), Henri Cobioni, A.Maffei et George Cailler. On le verra parfois tracter les planeurs de pente du canton derrière son automobile, comme des cerfs-volants. Son dernier Blériot-XI il l’a conservé. Il est resté très longtemps accroché au plafond de son garage automobile genevois jusque dans les années 50.

 

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Au volant, Henri Speckner et plusieurs membres du Club Genevois d’Aviation à Tivoli en avril 1910 (Genève).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 1er juin 2006
  • Pour plus d’information, voir : Du ballon au jet (1900-2000), de R.Janneret & G.A.Zehr. Ed. Attinger (NE), 330p, nombreuses ills, à la "Librairie ".
  • [10.2010] Honneur au Blériot XI : Géo Chavez, l’aviateur vainqueur des Alpes (1910) (diaporama musical, 03’50’’, 104Mo) utilise le plugin QuickTime 7.1.3. minimum.

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