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Le "Pou du ciel", appareil de vol démocratique, recruteur de nombreux nouveaux aviateurs (1936-56) [2 vidéos]

 

A la fin 1934, le concept du Français Henri Mignet emballe la jeunesse. Il va être possible de se construire son avion et de voler sans une fortune personnelle. Parmi les milliers de constructeurs amateurs de "Pou du ciel", Genève en comptera une douzaine. Ceux-ci vont s’y mettre avec passion dès 1936, pendant 20 ans, et malgré les interdits et la guerre. Albert Perrin sera le plus célèbre d’entre eux, ainsi que Felix Koerber, Roger Mercier, Robert Stierlin, Pierre Sategna, Edouard Jornot, parmi quelques autres. Le Pou du ciel, c’est une révolution sociale !


L’atelier d’Albert Perrin à la rue des Maraîchers, à Genève, creuset de nombreux "Pou du ciel" améliorés entre 1935 et 1956 (ph. Koerber).

La volonté d’Henri Mignet : le vol pour tous à moindre coût !

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Robert Bernard et Pierre Sategna devant leur Pou à moteur Poinsard (ph. Koerber).

Les aéro-clubs sont réservés au "gratin" de la population, aux gens aisés, aux anciens pilotes militaires. Les avions sont chers et l’on trouve toutes les raisons de ne pas accepter un jeune qui veut passer son brevet (ses économies en poche) après avoir encaissé avec plaisir le montant de son baptême de l’air. La réponse aéronautique du Français Henri Mignet (1893-1965) à cette situation apparaît dans la presse en septembre 1934 : le Pou du ciel peut être construit par quiconque, dans son appartement, avec des matériaux simples, des outils classique et à peu de frais. Et l’apprentissage au vol doit aussi pouvoir se faire indépendamment des structures existantes. Des milliers de fans, bons bricoleurs ou non, vont se mettre à la tâche en Europe après avoir acheté les plans pour une somme modeste ainsi que l’ouvrage de Mignet comme mode d’emploi et comme "Bible". Ce "Pou du ciel", un biplan minuscule, est analysé dans Pionnair en annexe (voir : Appar.).

"Un amateur, c’est un fou, c’est un sage, c’est un passionné, c’est un sans-cœur, c’est un homme en dehors de la vie, un homme qui vit avec intensité et pour qui respirer, boire, manger, aimer, passent au second plan..." Il doit encore savoir braver la peur du vol, seul, oser et oser encore, puis braver l’interdit de l’establishment ! En l’espace de quelques mois au début 1935 un Club des Pou-du-ciel se fonde à Genève, principalement constitué de jeunes gens qui entament la construction du HM-14 Pou-du-ciel : Albert Perrin (Plainpalais), Robert Bernard (Vernier), Felix Koerber (Meyrin-gare), Pierre Sategna (Meyrin), Bob Burkhalter, etc.. Ces membres se donnent rendez-vous le 1er et 3ème jeudi du mois à la Brasserie moderne. Leurs appareils terminés et pour faire de premiers essais, ces passionnés se regroupent sur le terrain car confrontés aux mêmes étapes et mêmes difficultés. On dit alors que 15 appareils sont en construction en Suisse et que l’Office Fédéral de l’Air (OFA) prépare un permis de navigation spécialement pour eux.

L’autorité suisse : c’est comme nous décidons ou rien du tout !

Mais rapidement les appareils sont interdits de vol en Suisse. L’OFA, via les aéroports nationaux avise la population, de peur de voir leurs pistes encombrées ... alors que le Pou se pratique en campagne, et pour que l’on empiète pas sur "leur" domaine. En début d’année dans le Journal de Genève, la direction de l’aéroport de Cointrin fait passer un texte dont voici des extraits :
- "La Direction de l’aérodrome de Genève se fait un devoir d’informer les personnes construisant ou ayant l’intention de construire de petits avions dit "Pou du Ciel" qu’il existe une réglementation très précise concernant l’admission d’un aéronef dans la navigation aérienne.
- A côté des ennuis que l’on s’attirerait en n’observant pas ces règlements, il y a un danger évident auquel nous tenons à rendre chacun attentif, à piloter sans la moindre notion sur le vol, une machine n’ayant pas été contrôlée par les services techniques compétents. Ce danger menace non seulement le pilote, mais aussi les personnes et les objets se trouvant à terre.
- Qu’on se garde donc absolument de se créer des difficultés en essayant de voler clandestinement ; on y risquerait inutilement sa vie en même temps qu’on commettrait un délit.
" Quelques amateurs genevois abandonnent alors leur projet au stade de la construction, tel Roger Hauert (La Jonction).

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Félix Koerber, 3e depuis la gauche et son HM-14 en construction.

Les constructeurs de Pou de la région de Meyrin-Vernier choisissent pourtant de pratiquer leurs essais en cachette derrière la colline de Meyrin, côté Jura. Il n’y avait pas encore là ni piscine ou patinoire, ni même l’avenue Louis Rendu : tout le vallon est en pâturages. Les vols de Pou se faisant à faible altitude, ils ne peuvent être repérés depuis l’aéroport. Mais depuis ce dernier, à la jumelle on surveille le départ de toute camionnette qui tracte ou porte un Pou et partant de la gare ou de Vernier. Si c’est le cas, l’aéroport fait décoller un avion qui surveillera la zone pour savoir qui vole. A l’atterrissage du Pou des gendarmes sont envoyés sur place. Pour les "pouducielistes" on joue "au gendarme et au voleur" mais très peu se font attraper .. 1 fois...

L’autre choix est de faire agréer son Pou par l’OFA, de l’immatriculer et d’entrer dans "l’autre aviation". Deux horlogers Genevois, Albert Perrin (1900-1956) et son frère Maurice, tentent l’aventure et le 1er Pou construit en Suisse est amené à Cointrin le 20 mai 1935 où des experts les empêcheront finalement de poursuivre. L’avion est illustré dans la "Patrie suisse" ou "Aéro-Revue" comme une bête curieuse (juin, juillet). Le célèbre pilote de Swissair Walter Borner (voir : Biogr.) photographie son fils Alain assis dans ce Pou, dont la dérive s’orne pourtant d’une belle croix suisse. Albert Perrin a fait du planeur à la Chaux-de-fonds (1923) et pratique le vol à voile au sein du club genevois. Son appareil est ici équipé d’un moteur Aubier-Dunne de 15cv, bicylindre, 2 temps, de 540cm3 (motocyclette). Son Pou fera malgré tout son 1er vol et un magnifique tour de terrain, Perrin aux commandes … mais dans la plaine de Segny (Pays de Gex, F), le 13 janvier 1936 ! Quant à Henri Mignet, le 13 août 1935, il traversa la Manche avec un HM-14, début d’un important engouement en Grande Bretagne et publicité rassurant encore plus les constructeurs clandestins genevois..

Et dans toute la Suisse c’est le même phénomène. Cela n’empêche pas qu’à Lausanne, à la Riponne, du 16 novembre au 1er décembre, on expose sous tente au public les 3 premiers Pou du ciel suisses pour convaincre d’autres adeptes sous l’égide du "Club d’aviation légère". Ils feront du roulage sur le terrain de La Blécherette. Le "Club du Pou du Ciel" genevois, membre du Réseau des Amateurs de l’Air Suisse, siège au Café Moderne, 4 rue du Vieux Collège, chaque jeudi de 20h30 à 22h, dirigé par Mr Buschi. Un Pou sera exposé au Salon de l’automobile de Genève en 1936. Le 14 octobre 1938 un Pou traverse le lac Léman depuis Sainte-Croix (VD) jusqu’à Thonon-les-Bains, en France, piloté par Donat Guignard (voir : Récit) et un autre traversera même les Alpes !

Les pionniers genevois du vol démocratique interdit

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Albert Perrin à la fin des années 30 (ph. Koerber).

Félix Koerber (1914-1991) est le fils du coiffeur de Meyrin-gare et travaille chez Kustner. Il s’est construit un Pou face à la gare, équipé d’un moteur bicylindre de Motosacoche, et aidé par son ami "Bob" Burkhalter. Il a par exemple mis une semaine pour construire son hélice en suivant le livre de Mignet. En 1936, un ami le lui a cassé au roulage, mais il l’a reconstruit. Il finit par décoller mais ne vole qu’en ligne droite. Un jour il doit faire face, avec dignité et regret, à sa fin de pilote d’essais et entendant la phrase suivante : "C’est moi ou le Pou !". Et il s’est marié ! Consolation pour la postérité, le spectacle "L’amour des ailes", au Grand Théâtre, a intégré le Pou à l’arrière du décor (mars 1940).

Robert Bernard (1913-9.4.2009) habite la limite Vernier/Meyrin (Technomag). Mécanicien auto et d’aviation légère, il a construit un Pou à moteur Poinsart sur lequel il a fait de nombreuses adaptations. Il a beaucoup volé avant guerre, avec virages, avant de passer au Piper Cub et à l’Emeraude qu’il a construit de ses mains. Pierre Sategna (1912-2007) travaillait beaucoup avec lui dans sa période Pou. Dans 20 ans Bernard construira des avions "Emeraude" et mettra au point un pot d’échappement très silencieux.

Albert Perrin (1900 ?-11.11.1956) a une réelle passion pour le Pou du ciel dont il construit plusieurs appareils équipés de diverses motorisations : Aubier-Dunne, Poinsart, Ava (4cyl., 2tps), etc. Avec son origine neuchâteloise, il s’exprime avec un savoureux accent très prononcé. De petite taille, on l’appelle "le petit Perrin" ou "Bébert" ou "Petit Père". Venant de l’horlogerie, après la crise des années 30, il s’était reconverti dans l’épicerie au Bd Carl Vogt (GE) avant d’être contaminé par quelques "pouducielistes". Il est à Genève le premier représentant de la génération de constructeurs d’avions populaires bon marchés ayant volé déjà bien avant-guerre et jusqu’en 1956. Aux problèmes initiaux de sécurité du Pou, en piqué, il a répondu par l’allongement de la carlingue et l’apport d’un aileron fixe calé sur la dérive, la solution "PCCC". Persuadé qu’il s’agit de "l’avion idéal", il recherche sans cesse des astuces pour l’améliorer. Son grenier et sa cave sont remplis de prototypes différents enrichis des fruits de son imagination.

Son dernier Pou (le 15ème), un triplan à moteur Poinsard 35 cv et double allumage, est essayé à Puplinge (voir : Lieu) sur le terrain du vol à voile. Il est équipé pour être incapable de partir en perte de vitesse. Outre l’effet de fente des 2 ailes d’origine, il est complété d’un volet arrière à fentes que Perrin avait vu sur l’aile du Junkers-52 trimoteur. Il fait donc voler son Pou de plus en plus lentement, même en virage, pour en connaître la limite. Les vélivoles s’attendent à un accident, ce qui hélas arrive le 11 novembre 1956. Décolant vent dans le dos, Perrin pique du nez, est projeté contre son moteur et décède hélas ! Il s’agit du seul accident genevois de Pou du ciel. Mais entre temps Perrin aura fait plusieurs adeptes, passé son brevet de pilote et volé sur Piper Cub (HB-HNO).

Malgré la guerre et les interdits : les jeunes ne peuvent y résister

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Mercier, Perrin et Stierlin (1954).

Pendant la 2ème Guerre mondiale, bien qu’il soit interdit de voler et l’essence rationnée, les mordus du Pou continuent leurs évolutions discrètes. La formule attire toujours de nouveaux adeptes. Edouard Jornot (né en 1929 ?), petit-fils du chef de la police lorsque l’on arrêta le meurtrier de Sissi (1898), entre en contact avec Perrin, car son épouse est libraire près de l’épicerie. Il construit alors son Pou-du-ciel mais plus tard un Stampe puis un Jodel le porteront vers d’autres plaisirs.

Roger Mercier (né en 1924) construit un "Mini-pou" dans la cave de la "Cour des miracles" à Meyrin (voir : Lieu). C’est une structure métallique, biplan, à entoiler, équipée d’un moteur de 1.200cm3 et de 25cv, mais il n’atteint jamais le stade du vol. Puis il côtoie Perrin. De 1945 à 1949, à Meyrin, Mercier et Robert Stierlin (1926-1969) construisent 2 Pou-du-ciel. L’aventure commence à Grand-Saconnex et se poursuit à Meyrin. Le Pou de Mercier, de couleur rouge, réalisé dans sa cave est trop grand pour sortir par la porte. Il est libéré par la fenêtre. Mais les commandes de vol sont montées à l’envers et lorsque Stierlin l’essaye, faisant un petit bond en bas de Meyrin, il y a un peu de casse et le fond de la caisse s’effondre. Stierlin réparera ce Pou. D’abord équipé d’un moteur en ligne l’appareil reçoit un moteur bicylindre à plat Poinsard de 35cv. Mercier est signalé comme ayant volé à au moins 15m de haut ! L’appareil finit entre les mains de Louis Cosandey (1905-1984) du côté de Bulle (CH) qui rachètera encore l’un des Pou de Perrin en 1957 (100F), le HB-SUS, homologué et motorisé d’un Mengin bicylindre de 36cv.

Quant au Pou de Stierlin (1945), il est équipé d’un moteur bicylindre en V. Doué en dessin il a peint une "Minnie", l’épouse de Mickey, sur la dérive. Il veut l’homologuer, mais la présence d’un radiateur d’eau, pouvant geler en vol, est interdite. On sait décourager la jeunesse ! Un essai sur le terrain de football de Meyrin, en divers rebonds, se termine sur le nez, hélice cassée mais sans mal pour le moteur et le pilote. Quelques secondes avant, Stierlin avait déjà perdu son casque, non attaché ! Cet appareil ne volera pas ! En 1948 Stierlin va s’intéresser aux hélicoptères avec succès et en construire cinq (voir : Récit) gardant son Pou jusqu’aux environs de 1949. On doit encore signaler les essais effectués sur l’avenue de Vaudagne, alors en pleine campagne, entre le village de Meyrin et la douane de Mategnin où, malgré la descente goudronnée, le Pou rouge sous-motorisé, dévalant la route, se soulève difficilement en soubresauts. Les voitures étaient rares alors !

Parmi les derniers à tenter l’aventure, le futur célèbre musicien de jazz Henri Chaix (1925-1999) s’est construit son Pou qu’il ne peut homologuer. Peu après, avec Laurent de Morsier, à Dully, ils réalisent un Pou biplace équipé d’un moteur Continental de 90cv. Les vols d’essais en vue d’une homologation se réalisent à Prangins peu après 1950 où l’appareil donne satisfaction (HB-YBK). Hélas, un autre pilote va tester l’appareil et le casser. L’appareil serait toujours conservé en l’état dans une grange genevoise … à restaurer ?

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Roger Mercier et le Pou de Stierlin (1945).

Il est curieux que la majorité de ces constructeurs résidaient aux alentours de Cointrin et donc furent influencés par l’aviation locale (sauf Perrin), alors qu’ils firent tout pour se cacher des autorités de l’aéroport et pouvoir faire leurs sacrés vols. Cette passion leur généra beaucoup de travail et il y eut peu d’élus. Tout cela pour tirer quelques lignes droites souvent sans virages. Avec le Pou il n’était pas encore possible de voyager très loin même si Mignet y arrivait. On ne pouvait emporter quoi que ce soit (bagages)... Mais il existait pour ces jeunes la satisfaction de ressentir les prémices du vol, sans avoir eu recours aux "barons" de l’aéronautique en place. C’est la vengeance du pauvre, ou de l’indépendant, avant l’existence des ULMs. C’est très souvent un apprentissage original avant de rejoindre les grands avions ou d’autres appareils conventionnels. Mais à la fin de la 2ème Guerre mondiale, un Piper Cub des surplus militaires américains coûtait moins cher que de se construire un Pou du ciel !

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Plusieurs bicylindres de motos accouplés forment un "moteur en étoile", selon les travaux de Robert Bernard. Lieu : Meyrin (GE) ou plaine de Segny (Ain, F).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 1er juin 2006
  • Pour plus d’information, voir : Henri Mignet and His Flying Fleas, de Ken Ellis & Geoff Jones. Ed. Foulis Haynes, 1990, 224p, ills. Lire encore : Entre ciel et terre, de Donat Guignard. Ed. Cahiers du balcon du Jura, 1990, 98p. ills à la "Librairie ".
  • Les "Pou du ciel" genevois (Diaporama, 1935-48, N&B, sonore, 2 min, 43Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3. minimum.
    Extraits du film d’Anne Crété sur l’aviateur Donat Guignard (2009, vidéo sonore, 03’, 95Mo).

    - Chanson d’Albert Préjean : "Dans mon Pou-du-ciel" (1936), parole de Jean Coeffier, musique de F.Mailfait et E.Prud’homme : Ici

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