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Genevois vainqueur de la coupe Gordon-Bennett pour ballons à sa 1ère participation (1908) [vidéo]

 

En octobre 1908 la Suisse participe pour la 1ère fois à la Coupe de ballons à gaz Gordon- Bennett. Parti de Berlin, le ballon "Helvetia" emporte le Genevois Théodore Schaeck et Emile Messner. Alors qu’on les croit perdus, en 72h25’ de vol ils ont rejoint la Norvège à 1.190km, établissant un nouveau record de durée. Vol très aventureux, longtemps aux raz des vagues et dans le brouillard, ils s’étaient préparés au pire. Des batailles autour du règlement n’entérinent ce magnifique exploit qu’en 1909.


Au milieu des 23 ballons prêts à s’élancer pour la compétition, le ballon suisse "Helvetia" va pulvériser le record de durée et remporter l’épreuve haut la main (11 oct. 1908).

Un grand nombre de concurrents dont le néophyte et Genevois Théodore Schaeck

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E.Messner et Th. Schaeck prêts au décollage près de Berlin (oct.1908).

Les Coupes Gordon-Bennett précédentes ont connu des vols de longue distance, mais la course de 1908 y ajoute le vol le plus aventureux de l’histoire de la course. Son résultat et de nombreux articles vont grossir les pages des quotidiens. La Coupe Gordon-Bennett devient alors très connue et reçoit beaucoup d’attention, autant que les Jeux Olympiques aujourd’hui. Cela paraît difficile à croire alors que nos journaux actuels sont pleins des nouvelles très variées. A cette époque, un voyage par les airs ne peut pas s’acheter dans une agence de voyage au coin de la rue et l’esprit de Jules Vernes est bien présent dans les esprits. La 3ème compétition, en 1908, est celle qui voit le plus grand nombre de participants : 23 ballons de 8 nations. L’organisation allemande est impeccable. Un large champ permet le gonflage simultané des tous les sphériques. Chaque nation possède son propre rangement fermé pour stocker son équipement. Lors du gonflage et de la préparation des ballons, 47 caporaux et 585 soldats aérostiers ou de l’infanterie sont présents. L’usine à gaz de Schmargendorf près de Berlin fournit 22.000m3 à l’heure. En 2h20’ tout le monde a fini de gonfler les enveloppes.

Lorsqu’elle se prépara à participer à la Coupe avec son ballon "Helvetia", l’équipe suisse comprit que cette décision était lourde de conséquences. Son expérience dans les longs vols n’était pas bien grande. En Suisse on ne peut pas aller bien loin à cause des montagnes. Malgré tout, elle se prépara du mieux qu’elle put. Elle attacha de l’importance à la présence d’une nacelle d’osier de grande taille, 1,6x1,1m au sol, permettant de se reposer la nuit. La guide-rope utilisée est aussi extrêmement longue pour permettre un délestage aisé près du sol.

Le 11 octobre, à 15h précise débute les décollages. Les météorologues ont prévu un vol vers le sud-est avec des atterrissages possibles dans le sud de la Russie ou en Roumanie. Le Consul général du Tsar de Russie à Berlin fournit aux équipages des lettres de recommandation en russe. Elles ne seront pas nécessaires. Le vent de sud-est ne dure que quelques heures et dans la nuit il tourne de 180 degrés, idem le jour suivant risquant d’amener les ballons à la même latitude que leur point de départ. Aussi, pour une majorité d’entre eux, la course se termine sur la côte de la Mer du Nord.

Des vents changeants et un long parcours imprévisible

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La solitude et l’incertitude en pleine Mer du Nord, sans aucune communication.

Les Suisses décollent à 15h59 et grimpe rapidement à 500m au son de l’hymne national, des hourras et des bons vœux des amis présents. Tout d’abord c’est l’orientation qui les accapare. On constate que le ballon vole vers le sud-est et l’on se familiarise avec l’idée de se poser en Russie. Mais il en ira tout autrement ! Il vole vite, à près de 40km/h et il est difficile de le garder équilibré. Parfois il chute, parfois il grimpe puis chute à nouveau. Il traverse la Saxe et l’on constate que le vent a tourné. Par moments il souffle vers le sud, puis vers l’est. Aussi, est-il transporté dans une région où l’on ne distingue rien de précis. Beaucoup de forêts et de rares villages font penser à Schaeck que l’on serait du côté de Lübben où il a pris part il y a 17 ans à des exercices militaires, intuition qui se justifiera. Vers minuit la position est fournie par un chef de gare qui crie : "Kalau". Puis petit à petit, les lumières s’éteignent et la terre se repose.

Au 1er jour de vol l’équipage se partage le travail ainsi : jusqu’à 22h la vigie se fait à 2, puis l’un dort jusqu’à 2h du matin remplacé par son collègue ensuite. La visibilité en ce 1e matin du 12 octobre est gênée par du brouillard mais la vue au sol offre de jolis paysages. Ce brouillard est parfois si dense qu’ils ignorent où ils sont. Sans doute, voguent-ils vers le nord-ouest. On traverse une grosse rivière qui doit être l’Elbe. Vers 11h, le temps s’éclaircit, Au-dessous, on découvre une grosse rivière avec une plus petite qui la rejoint, un pont ferroviaire et une grande ville qui est Magdeburg. Le ballon lambine sur cette ville quelque temps avant de traverser la marécageuse Drömling à 2.200m. De là il descend si vite que l’on doit larguer du lest La guide-rope touche le sol et le ballon remonte à 1.800m. A 17h il passe la Lüneburger Heide, piloté par la guide-rope. La nuit devient noire, on vole à 60-70km/h, en paix, et les aéronautes prennent leur dîner ensemble. Celui qui fait la veille tient un sac de sable sur l’épaule, prêt à le larguer.

Plus tard les aérostiers passent Bremerhaven, la Jadebusen, filant vers la mer. Doivent-ils se risquer à survoler la mer ? Ils ont eu une longue discussion à ce sujet. Finalement ils l’acceptent dans le cas où les conditions météos sont bonnes. Lorsqu’ils approchent de la Mer du Nord, c’est Messner [1] qui décide de la traversée, à minuit. Schaeck, debout toute la journée, s’est endormi. Lorsqu’il se réveille Messner lui signale : "Depuis 2h sur la mer du Nord !" Il a eu raison et sait que Schaeck aurait fait de même. Bien équilibré, le ballon avance à 700m d’altitude vers une petite tour, une petite lumière. La direction se situe vers le nord-ouest puis vers le nord et l’on voit clairement l’écume des vagues au-dessous. On descend vers la surface aidé de la guide-rope et en regardant son sillage on déduit facilement la direction avec le compas. La vitesse est rapide au-dessus de cette mer mais sans sortir du brouillard avant la nuit.

Pendant 40h seuls et en danger au-dessus de la mer et sans communications

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L’extraordinaire itinéraire de cette victoire.

Au début du 2ème jour, le 13 octobre, ils découvrent un morceau de ciel et une meilleure visibilité. De gros nuages sont visibles à l’est et à l’ouest, indiquant une terre. Vers le nord la visibilité est bonne. Ils ne souffrent pas du froid sous un soleil qui a percé la brume. Parfois en surchauffe, l’excédent de gaz s’échappe de la soupape sommitale du ballon. Cette perte préfigure une descente encore plus importante pour la nuit fraîche. Ca se rafraîchit vers 13h et ils choisissent de descendre. En prévision d’une catastrophe ils prennent des précautions. L’anneau entre la nacelle et le ballon servira de refuge. Ils placent les cartes, instruments et de la nourriture pour 2 jours dans le haut. Ils s’attachent avec des cordes pour ne pas chuter dans l’eau loin de la nacelle. Ils en profitent aussi pour jeter des objets inutiles par-dessus bord, souhaitant économiser le sable restant (lest). Ce sable de beaucoup de valeur qui peut être jeté en petites quantités, sur mesure. Un sac de 30 kg pour emballer le ballon après l’atterrissage est éjecté, il surnage maintenant et le ballon grimpe jusqu’à 3.700m. Il se dirige plein nord. Comme il n’y a pas d’instrument de mesure précis, on doit calculer la hauteur du soleil à midi avec des moyens simples, donnant une latitude de 67 degrés. La méthode de calcul de Schaeck, testée à Berne plus tard, donnera une légère erreur de 1 à 1,5 degrés.

Lors de la 3ème nuit les aérostiers changent souvent de veille à cause du bruit des vagues. Parfois lorsque le ballon a grimpé ils veillent ensemble ou dorment ensemble car alors rien ne peut leur arriver. Ils doivent trouver du repos car ils ignorent quelle énergie ils vont dépenser le lendemain. Ils doivent être prêts à tout, prêt au pire, comme chuter en mer ou loin de tout et devoir marcher longtemps. Ils ont pris soin d’emporter assez de nourriture et aucun des 2 ne semble s’épuiser. Malgré tout, chacun songe à des tas de choses auxquelles on ne pense pas d’habitude, comme le prix de la vie ou la notion du futur, vu les dangers qui les entourent.

Le soir, le ballon approche à nouveau d’une couche de brume noire, épaisse d’environ 6 à 700m et l’on descend au-dessous jusqu’à ce que la guide-rope baigne de 30-40m. Il fait frais. Doucement, le ballon vole à 200m au-dessus des vagues, ralenti par la corde. Puis il est à quelques mètres de l’eau. La nacelle ne la touche pas, les hommes y veillent. Ils larguent le tarpon de 35kg et le ballon remonte. La brume relie alors des nuages en forme de vallées et de montagnes dont il survole le sommet. Puis l’on voit l’ombre du ballon, dans tous ses détails, encerclé par les couleurs du spectre. La chaleur de la mer remontant vers lui, réchauffe le gaz et le ballon grimpe à nouveau au-dessus de la brume, découvrant le ciel et les étoiles jusqu’à 3.700m. Ce qui produit un refroidissement du gaz et il chute et flotte à nouveau, bien équilibrés, dans la brume jusqu’au début du 4ème jour où le soleil réapparait. Grâce à lui le ballon grimpe et atteint 4.000m. Le paysage est inchangé. On voit le ciel, la brume et l’on entend les vagues.

Aucun signe d’être vivant. Schaeck et Messner sont assis depuis 60h dans ce ballon dont la moitié écoulée en mer. A un certain moment la température chute à -10 degrés. Enfin il est 10h lorsqu’ils aperçoivent quelque-chose au loin, vital pour eux : une terre ! Ils se sont déjà trompés plusieurs fois avant ça. Ils crurent entendre des cloches, un oiseau, puis imaginèrent une montagne côtière qui se transforma en nuages de brumes. Ce qu’ils voient maintenant est réellement une côte, encore lointaine, à plus de 50km, et ils volent parallèlement à elle. Ils se serrent la main en silence, rassurés et trinquent en entamant la dernière bouteille de vin du Rhin. Ils ne savent pas vraiment où c’est, la côte norvégienne ou celle de l’Ecosse ? Etant à 5.300m ils descendent et aperçoivent enfin un navire venant de la côte, parallèle à eux. Ils crient. Aucune réponse ! Ils descendent plus bas jusqu’à ce que la guide-rope touche l’eau. Ils constatent alors que la corde ne traîne pas en arrière mais file devant, traînée par le courant. Ils se rapprochent du navire qui s’oriente alors vers eux. Ils le hèlent en plusieurs langues. Il ne répond toujours pas mais des hommes attrapent la corde et la fixent au navire. Il est 15h passé.

Le nouveau record de durée, la victoire finale après quelques contestations jalouses

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Messner (à gauche) et Schaeck (à droite) en officiers aérostiers suisses (1900).

Retour vers le port, c’est la fin du périple. A leur question "où sommes-nous", toujours pas de réponse ! Les marins ont hissé le drapeau des urgences ce qui est faux car le ballon n’en a pas déclaré. Peut être que le drapeau suisse leur fait croire cela, ce qui serait curieux car la Suisse n’a jamais utilisé ses couleurs en Mer du Nord. La guide-rope se gorge d’une énorme quantité d’eau. Cinq semaines après ce vol elle pèsera toujours 95kg au lieu de ses 60. De l’eau asperge la nacelle et Schaeck saute sur le pont du navire "Cimra". Après 2h de remorquage les aérostiers sont débarqués à Bergset près de Molde, en Norvège. Des volontaires tractent le ballon sur une colline. Le panneau de déchirure est ouvert et le ballon s’affale, il est 17h. A 18h, ce 14 octobre, tout le matériel est emballé. Schaeck et Messner ont donc tenu l’air pendant plus de 73h, bien plus qu’aucun ballon avant eux, dont 43h en mer. C’est un record du monde de durée et ils doivent avoir gagné cette Coupe Gordon Bennett pour la Suisse ?

Après une nuit à Bergset il se déplace le lendemain vers Christiansund, Drontheim puis Copenhague où ils reçoivent un très chaleureux accueil de la part du consul d’Allemagne. Puis c’est le départ vers Berlin, lieu de leur envol. Th.Schaeck et Emil Messner écrivent alors chacun un rapport détaillant leur vol à l’intention des organisateurs de la course, le plus objectivement possible. Après ce final réjouissant d’une aventure assez dangereuse, on découvre quelques détails qui révèlent des moments très critiques. Messner a écrit un message sur la manche de sa chemise au cas ou son corps serait retrouvé, qui a été conservé : "Poussés vers la Mer du Nord, il ne nous pas été possible de trouver une terre ou de l’aide, de la nuit du 12 octobre à l’après-midi du 14 nous avons maintenu le ballon au-dessus des vagues. Nous devons attendre que la nuit du 14 au 15 se termine. Nous espérons être poussés vers la terre, surtout dans cette région qui semble complètement absente de navires, nous n’en avons vu aucun depuis 2 jours et 2 nuits. Nous sommes tous deux dans le brouillard. Messner, Schaeck."

Lorsque les deux aéronautes suisses terminent leur périple, ils sont un peu hâtifs sur le fait qu’ils ont gagné la Coupe Gordon Bennett. Car, lors d’une séance de la FAI du 27 mai 1908, il avait été décidé "qu’au cas où un ballon tombe en mer et est sauvé par un navire, le ballon est mis hors compétition, mais sans pénaliser le pilote". Aussi le jury de la Coupe de 1908 doit se pencher sur ce problème le 31 octobre, où il est finalement convenu que la décision du 27 mai ne pouvait s’appliquer à la course de 1908 car elle avait été émise après la clôture des inscriptions des concurrents. De ce fait, le ballon "Helvetia" a bien gagné la Coupe et établi un nouveau record de durée le 14 octobre 1908 en réalisant une distance de 1.190km au moment où il est amarré au navire. Ce trajet en ligne droite ne représente probablement que les 2/3 des km parcourus. L’événement a encore été attesté par des témoins visuels et par le journal norvégien local "Aftenposten" no.593 du lundi 19 octobre 1908, photo à l’appui.

L’Aéroclub anglais, 2ème aux résultats de 1908 (429km en 37h), émet une protestation, tranchée par la séance de la FAI des 11-12 janvier 1909, après des débats pointus qui sont résumés sur 15 pages. En conclusion : le navire norvégien étant une part du sol norvégien, le ballon "Helvétia" n’a pas atterri sur l’eau ?!?!? Puis vient le vote : 36 voix en faveur des suisses contre 13 et 6 abstentions, un résultat final sans appel ! Ce n’est donc qu’en 1909 que l’on a pu fêter cette belle victoire en Suisse et prévoir l’organisation à Zurich de la coupe Gordon Bennett de 1909.

* Emil Messner (1875-1942) de Winterthur, co-fondateur de l’AéCS (1901), brevet d’aérostier no.7 (10.1905), 1er observateur des Troupes d’aérostiers suisses en 1914, commandant des troupes d’aérostiers de 1919 à 1923, co-fondateur de Ad-Astra-Aero (1919), vice-président de la FAI (1923), vice-président de Swissair (1930), président de l’Aéro-Club de Suisse de 1921 à 1939.

Résultats de la course de 1908 : les 10 premiers :

Rang Nation Capitaine, Second Ballon Atterrissage Distance Durée
1 CH Theodor Schaeck, Emil Messner Helvetia Bergset (Norvège) 1.190km 73h01
2 GB John Dunville, C.F.Pollock Banshee Hviddig/Hadersleben (D) 428,75km 36h53
3 Be Georges Geerts, Maurice Peeters Belgica Wiegboldsburg/Aurich (D) 413km 34h34
4 Fr Jacques Faure, Emile Dubonnet Le Condor Laurup/Tondern (Dk) 379km 36h16
5 Fr Emile Carton, Marcel Baraloux Brise d’Automne... Garding/Garlstedt 361,7km 37h12
6 Fr Alfred Leblanc, J.Delebecque Ile de France Gare de Garding (GB) 361,2km 34h18
7 It Ettore Cianetti, Giovanni Pastini Aetos Osternburg/Oldenburg (D) 348km 30h59
8 CH Victor de Beauclair, H.Biehly Cognac Kappel-Neufelde/Lehe (D) 347,6km 29h24
9 D Oskar Erbslöh, J.Sticker Berlin Kappel-Neufelde/Lehe (D) 347,5km 33h34
10 D Hugo v.Abercron, Stach v.Goltzheim... Düsseldorf Mulsum (D) 341km 30h24

 

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Le ballon suisse "Helvetia" tracté par le navire "Cimra" vers la côte norvégienne le 14 octobre 1908.

 

Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 14 août 2006

[1] Emil Messner (1875.1942) de Winterthur, co-fondateur de l’AéCS (1901), brevet d’aérostier no.7 (10.1905), 1er observateur des Troupes d’aérostiers suisses en 1914, commandant des troupes d’aérostiers de 1919 à 1923, co-fondateur de Ad-Astra-Aero (1919), vice-président de la FAI (1923), vice-président de Swissair (1930), président de l’AéCS de 1921 à 1939.

  • Pour plus d’information : cette histoire a été publiée en de nombreuses langues dans divers ouvrages suisses ou étrangers, voir, la "Librairie ".
  • Voir aussi le site internet
  • [02.2015] Victoire suisse à la 3ème Coupe Gordon Bennett de ballons (1908) (diaporama, 2’50’’, 7Mo). Format MP4.

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