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Premières ailes volantes suisses ou la passion d’Alexandre Soldenhoff (dès 1927) [vidéo]

 

Lorsqu’un artiste sans formation technique ni brevet de pilote décide que les avions doivent grandement s’améliorer, il vise l’impossible. Et pourtant, ses différents brevets vont matérialiser l’aile en flèche, le train tricycle, l’avion sans queue, les ailerons "spliteurs" d’aile et l’aile-volante autostable. Nul n’est prophète en son pays et c’est en Allemagne que Soldenhoff, né à Genève, réalise la majorité de ses essais. Il aura bien défriché pour les constructeurs US qui suivront tels Burnelli, Northrop, etc..


Dernière production d’Alexandre Soldenhoff, l’aile-volante S-5 (1936) et son moteur pousseur Salmson de 40cv, sont exposés au Musée des transports de Lucerne.

Le rêve d’un grand artiste : un avion facile à utiliser par tous !

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Alexandre Soldenhoff dans la cinquantaine.

Alexandre Léo von Soldenhoff naît à Carouge (GE) en septembre 1882 fils de l’artiste peintre Alexandre Jules Jacob Joseph von Soldenhoff (1849-1902) et d’une française du midi Césarine Audé. Il reçoit très tôt une formation artistique puis s’installe à Linthal (Glaris) où il est professeur de dessin (1905). Ses talents artistiques sont reconnus, il vit alors de sa peinture et l’on trouve aujourd’hui une partie de ses œuvres au musée de Glaris. Il émigre en Allemagne en 1908 où sa peinture est encore plus appréciée. De 1914 à 1922 il est peintre-décorateur et directeur des ateliers du théâtre municipal de Francfort tout en gardant un pied-à-terre à Linthal. Il sera encore écrivain, auteur dramatique et parallèlement : constructeur d’avions !

L’aviation le passionne depuis longtemps et déjà avant 1907 Soldenhoff teste en Suisse des modèles réduits de sa main. Ce sont essentiellement des planeurs. Il se spécialise petit à petit dans le développement d’appareils sans fuselage et sans queue. En visionnaire, plutôt que d’utiliser des surfaces de contrôle souvent placées à l’arrière d’un avion, Soldenhoff préfère stabiliser ses appareils en utilisant des ailes spécialement construites. En septembre 1912 il dépose son 1er brevet en Allemagne à ce sujet. Il continue à expérimenter intensivement pendant des années des modèles réduits de plus en plus grands, dans l’atelier du théâtre, leurs faisant traverser le fleuve Main équipés de petites fusées et utilisant même des essais en soufflerie.

L’idée initiale de Soldenhoff, dont il ne démordra pas, est de produire un appareil qui fournira automatiquement un rendement optimal pour une puissance réduite et demeurerait stable quelle que soit sa position de vol. Il rêve de "l’avion que n’importe qui peut piloter sans même avoir jamais tenu un manche à balai". Ainsi, il projette d’éliminer tous les éléments et parties de l’appareil qui freinent la portance ou la propulsion. Ce que Soldenhoff veut finalement réaliser c’est un monoplan avec une aile en flèche, une aile-volante !

Plusieurs inventions et brevets, utiles initialement pour simplifier l’emploi d’un avion

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Soldenhoff aux commandes du LF-5 (A2) en 1929-30.

En août 1918 son 2ème brevet (D-345.022) est déposé pour un avion monoplan sans queue avec une aile en flèche : Schwanzloses Flugzeug mit Flügeln, die nach rückwärts und aufwärts abgebogen sind. Mais lorsqu’il s’agit de construire le prototype, Soldenhoff constate que ses prévisions non orthodoxes sont impossibles à chiffrer et à mettre en équation : "Nous avons fait appel à un ingénieur spécialisé mais celui-ci a dû renoncer à effectuer ses calculs selon les normes habituelles. Aussi me suis-je contenté de solutions empiriques." Parallèlement à la réalisation du 1e appareil, Soldenhoff poursuit sa peinture, ses recherches, et fait aussi déposer des brevets en Allemagne, Suisse, Angleterre ou aux USA : D-479.449, (12.1925) Flugzeugflügel, auf dessen Unterseite sich eine oder Mehrere Stufen befinden ; CH-133.088 (08.1927) Flugzeugflügel ; GB-299.124 (10.1928) Improvements in Aerofoils such for example as Wings or Planes for aircraft. Au camp de vol à voile d’août 1926 du Gottschalkenberg à Oberägeri (ZG), il teste encore un modèle réduit de planeur monoplan à ailes en flèche.

Le 1er appareil est prêt en 1927. C’est un monoplace (A1) avec une aile en flèche (envergure 8m) motorisé par un Bristol Cherub de 32cv à l’arrière, actionnant une hélice "pusher". Cet avion possède encore un empennage arrière classique. Le pilote, le capitaine de Swissair Ernst Gerber (1900-1936), effectue les vols d’essais depuis Dübendorf, aéroport à la fois civil et militaire. Au 3ème vol d’essai, le 25 juin, l’avion est à 8m de haut lorsque dans un virage à gauche quelque chose casse dans l’aile. Le pilote doit se poser en urgence, il sera légèrement blessé et l’avion détruit. Rapidement, l’Office Fédéral de l’Air ne croit plus au concept d’aile en flèche et refuse dorénavant d’autoriser le vol de l’appareil de Soldenhoff.

Des démonstrations délicates qui préfigurent de grands appareils stratégiques

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Anton Riediger et Soldenhoff devant une aile-volante A4.

Non-prophète en son pays et momentanément abattu, Soldenhoff refusera de s’avouer vaincu et partira à Düsseldorf (D) en 1928 où, législation différente, il pense mener à bien son concept. Les recherches s’y poursuivent donnant un nouveau brevet : D-529.278 (03.1928) Flugzeugflügel mit auf der Unterseite verschieden gewölbtem Profil. Le nouvel appareil construit est une véritable aile-volante, sans queue, immatriculé LF-5 [type A2], réutilisant le moteur du A1. L’avion biplace au train tricycle possède une envergure de 10m, une longueur de 4,80m et une surface alaire de 17,5m2 pour un poids de 400kg. Immatriculé D-1708, il arbore un volet vertical amovible sur chaque aile. En 1929 le très connu pilote de planeur allemand Gottlob Espenlaub teste l’appareil et lors d’une démonstration à Berlin atteint la très rapide vitesse de 150km/h. Malgré sa forme insolite le A2 vole bien, est même capable de réduire sa vitesse jusqu’à 40 km/h et d’être plus lent que n’importe quel appareil de sa taille. La Cie Soldenhoff, Langgut & Friedmann Flugzeugbau vante alors ce projet comme "L’avion pour tout le monde !"

L’invention par Soldenhoff de volets "spliteurs" placés dans l’épaisseur de l’aile, au-dessous, permet de diriger l’avion. A l’atterrissage ils servent aussi de freins et se retrouvent dans le brevet D-573.166 en vigueur dès janvier 1929 Steuerung für schwanzlose PfeilFlugzeuge ; puis GB-307.463, 03.1929 Improvements in or relating to Wings for Aircrafts. Il dépose encore le brevet CH-142.334 (02.1929) copie du brevet D-529.278. Avec le brevet D-580.402 Flugzeug, jaillit la nouvelle idée d’une grande aile volante épaisse capable de transporter du fret et des passagers, dans l’esprit de ce que réalisera l’américain Vincent J.Burnelli (1895-1964). En 1930, Soldenhoff créé à Böblingen (banlieue de Stuttgart) la Cie Soldenhoff Aero Gesellschaft et améliore le A2 en créant le A3. Semblable au précédent, ce A3 possède un train tricycle inverse (2 roues à l’avant), un moteur Salmson 9cyl. de 40cv qui équipera tous les appareils dorénavant. Les 2 volets "split flaps" de contrôle sont montés maintenant à mi-longueur de chaque aile.

Le pilote d’essai est Anton Riediger (D), pilote expérimenté d’une Cie commerciale qui réalisera tous les futurs vols jusqu’en 1932. Le 1er vol du A3 s’effectue le 30 juillet à Düsseldorf-Lohausen. Riediger aime ses qualités de vol, mais après une semaine d’essais intensifs, voulant atterrir en panne moteur par un vent latéral, il crashe l’appareil le 8 août. Il est sérieusement blessé et l’appareil est détruit !

Quelques beaux vols avec l’aile volante, dont en Suisse, mais sans débouchés

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L’aile volante A5 de Soldenhoff en vol sur le Zurichhorn en août 1931.

Non découragé, le peintre Soldenhoff se remet au travail : brevet suisse CH-155.975 (05.1931) Schwanzloses Flugzeug ; brevet US-1.848.752 (05.1931) ; brevet GB-383.637 (05.1931), copies du brevet D-580.402. Il s’installe aussi à Zurich, Mühlebachstrasse 19. Il conçoit alors l’aile-volante SO-A [A4] qui reprend les grandes lignes du A3 et se construit à l’usine Contessa de Böblingen, immatriculé D-1923. Mais la malchance continue quand le A4 à nouveau piloté par l’intrépide Riediger se crashe à Böblingen au début 1931. Lors d’un fort coup de vent, il se retourne et chute dans la neige. Riediger est à nouveau blessé mais moins qu’en 1930. Malgré tout, en août, Soldenhoff reçoit un certificat de navigabilité de l’Institut expérimental allemand (Versuchsanstalt für Luftfahrt) pour un appareil A4. Les tests se poursuivront avec la 2ème machine qui est construite avec un vrai train tricycle, une roue à l’avant, et des surfaces verticales aux extrémités d’ailes calées en vue d’essais aérodynamiques. Quelques mois plus tard ce 2ème SO-A (A5) immatriculé D-2156 est terminé. Anton Riediger en fait le vol d’essai. L’appareil reste stable, même lorsqu’il est presque complètement stationnaire par fort vent à basse vitesse.

Soldenhoff et Riediger pensent mener maintenant une tournée de démonstration. Un décollage aux instruments dans un brouillard dense est suivi par des vols temporairement en aveugle dans les nuages au-dessus des Alpes suisses en utilisant les instruments rudimentaires d’alors et l’esprit d’aventure des 2 hommes ! Ils débutent la 1ère étape du circuit fin août. Cette tournée sera avortée pour de multiples raisons, mais son démarrage vers la Suisse et déjà un tribut à l’enthousiasme et la détermination du pilote et du concepteur. Ainsi, la Suisse va enfin connaître la réussite du concept de Soldenhoff ! Aux mains de Riediger le SO-A (A5) effectue plusieurs vols réussis dont un au-dessus de Zurich, du lac, de Dübendorf, démonstration prouvant que l’appareil vole bien entre 30 et 200km/h. Le 27 septembre il décolle de Dübendorf pour Lucerne et son lac. Et comme il rentre directement de là jusqu’à Böblingen, cela constitue probablement un record du monde pour un avion léger sans queue, avec un vol de 255km.

Malgré ces beaux vols, les milieux spécialisés restent sceptiques et demandent des calculs précis que Soldenhoff, amateur de talent, est incapable de fournir. L’inventeur suisse reste pour tous un marginal. La continuation d’une production est alors hors de question. Soldenhoff rentre définitivement en Suisse, à Linthal, en 1932. A l’époque, il travaille sur les plans de sa grande aile-volante de transport de passagers. Il persiste dans ses idées et nous donne la vision d’un futur voyage aérien dans un dessin étonnant où les appareils restent encore aujourd’hui futuristes avec leur forme en pointe de flèche, sans fuselage et d’une envergure des 45m !

Dernières tentatives pour convaincre, mais pas adressées à la bonne nation

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Une vision du futur par Soldenhoff (1937).

Dès 1932 Soldenhoff veut réaliser une dernière aile-volante, le type S5, débuté en Allemagne et terminé à Langenthal (CH). Le but est de convaincre les experts aéronautiques du bien fondé de son aile en flèche. Plus petit, monoplace, l’appareil possède une surface portante de 9m2 pour une envergure de 7,5m et une longueur de 4,30m. En 1936 l’avion est terminé, mais le manque de capitaux l’oblige à se limiter à un seul test au sol. Le S5 ne dépassera pas les essais de roulage et ne volera pas. Il est aujourd’hui exposé au Musée des Transports de Lucerne comme "spirit of" Soldenhoff. Quant aux "split flaps" ils sont utilisés aux USA dès 1934.

Ën 1937, à 55 ans Soldenhoff tombe dans l’indifférence générale. Il décède à Zurich en novembre 1951, à 69 ans. Peintre et graveur toujours connu aujourd’hui, il n’est pas devenu aussi célèbre en aéronautique. Malgré tout, il reste un personnage hors série, aux prévisions et au raisonnement étonnant. En considérant son manque de formation technique, il est époustouflant de voir les progrès qu’il réalise avec ses concepts. L’artiste manqua, bien sûr, de finances et de l’intérêt du gouvernement, mais il réussit à résoudre tous les problèmes de l’avion sans queue et ses concepts vont fournir les bases à la configuration de plusieurs appareils à venir, incluant le roulage au sol des appareils des années 1930. Qu’on se souvienne des ailes-volantes multimoteurs de John K.Northrop aux USA dans les années 1939-1945 et de l’actuel bombardier stratégique "invisible" Nothrop B-2A "Spirit"....

 
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Le second Soldenhof So.A [A4] est construit en 1931 à Böblingen, propulsé par un moteur Salmson de 40cv.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 14 août 2006
  • Pour plus d’information, voir : Les avions du Musée des transports, de C.Bock et S.Moser. Ed. Office du livre, 1985, 124p., ills, à la "Librairie ".
  • Les ailes volantes de Soldenhoff (vidéo n&b, sonore, 02’10’’, 38Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

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