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La naissance de la voltige aérienne : les acrobaties de Pégoud et de John Domenjoz (1913)

 

Le Genevois John Domenjoz passe de la mécanique à l’aviation et exerce à la prestigieuse école Blériot proche de Paris. Avec Perreyon et Pégoud ils sont à l’origine des débuts de la voltige aérienne en septembre 1913. Le fait que ce dernier soit bien plus connu que les deux autres dépend d’une simple décision de Louis Blériot. Domenjoz fait malgré tout une belle carrière de voltige aérienne sur 3 continents (1914-1920). Il formera de très nombreux pilotes et son fameux Blériot-XI trône toujours au musée de l’air de Washington.


Le Genevois John Domenjoz, as de la voltige, réalise quelques loopings au-dessus de la Statue de la Liberté à New-York en novembre 1915.

Trois pilotes de talents de l’école de vol Blériot et les embryons de la voltige aérienne

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Carlos F. Lopez (élève mexicain) Pégoud et Domenjoz pilotes chez Blériot à Buc (09.1913).

Le Genevois des Pâquis John Domenjoz (1886-1952), fils d’un marchand de cycles, est un mécanicien qui bourlingue dès l’âge de 17 ans (Brésil, Espagne). Il pilote un moment la 2ème voiture Hispano-Suiza, véhicule de rechange, utilisée par le roi d’Espagne Alphonse XIII lorsque celui-ci se déplace. En mars 1910 Domenjoz exerce son métier à l’école d’aviation Blériot à Pau (F) où il apprend très vite à voler et achète un appareil monoplan Blériot-XI que son associé cassera (voir : Biogr.). L’appareil monoplace coûte alors 24.000F (240.000F actuels) ! Domenjoz trouve ensuite un travail à l’aérodrome de Kiewit (Be) pour faire la démonstration des avions Farman belges baptisés "Aviator". En mars 1910 il obtient le brevet de pilote belge no.33 qui est homologué comme le 10ème brevet suisse. Son moniteur Fernand Verschaeve (1876-1914) fut breveté 6 mois plus tôt et les promotions ici sont aussi rapides qu’évolue l’aviation ! Domenjoz s’illustre alors dans plusieurs meetings de Flandre et de Picardie pendant une année.

En mars 1911 Domenjoz entre comme moniteur de vol à la célèbre école Blériot de Buc (Yvelines), le futur "Aéroparc Louis Blériot" proche de Paris, où il va rester 2 ans et former des centaines de pilotes (voir : Récit). En hiver l’écolage se transfert dans le sud, à Pau (F). C’est là qu’il formera notamment le pilote suisse Oscar Bider (1891-1919) en décembre 1912. Domenjoz, avec Edmond Perreyon dit "Pépé", est un pilier et un fidèle moniteur de l’école Blériot. Sa mission inclue aussi le test des productions du "maître" Blériot, qui n’ont pas toutes la bonne réputation du modèle XI qui, lui, est amélioré régulièrement.

Quant au Français Adolphe Pégoud (1889-1915), fils d’un paysan, il s’engage rapidement dans l’armée en 1907 et sert aux colonies (Algérie, Maroc) où il devient brigadier (1909). Il y rencontre le capitaine Louis Carlin, passionné du vol et jeune breveté pilote. Détaché auprès de l’école de vol de Satory, Carlin y fait transférer Pégoud avec le rôle d’aide-mécanicien. C’est là que Pégoud fait son 1er vol en tant que passager car seuls les officiers sont formés au pilotage. Mais touché par l’enthousiasme de son élève, sûr de ses aptitudes, Carlin le fait admettre gratuitement à l’école de pilotage de Lyon-Bron. Son moniteur est le Franco-genevois Albert Kimmerling (1882-1912) (voir : Biographie). Pégoud décroche son brevet no.1243 en mars 1913, sur biplan Farman, quelques semaines après son arrivée. Cela coïncide avec la fin de son engagement militaire qu’il est contraint de quitter.

Pégoud entre alors comme 3ème pilote instructeur chez Blériot à Buc où il rejoint Domenjoz et Perreyon. Ces derniers vont compléter sa formation et lui apprendre toutes les astuces spécifiques au monoplan Blériot-XI. Un mois plus tard Blériot nomme le doué Pégoud également chef-pilote. Il est très vite qualifié de casse-cou et volontaire pour les missions délicates. Comme il est le dernier entré à l’école, Blériot n’hésite pas à lui confier les essais périlleux, gardant ses 2 anciens en réserve pour assurer l’entrée des finances de l’école. Pégoud se tire très bien de plusieurs expériences délicates comme : accrocher son avion en vol à un câble sur le flanc d’un navire ou tester un parachute en quittant son avion en vol et le laisser alors sans pilote (août). Lors de ce dernier test, Pégoud observe, avec bien d’autres au sol, que l’avion sacrifié effectue nombre de figures aériennes avant de se crasher, figures qu’aucun homme n’avait osé faire à bord d’un aéroplane jusque là.

Le "looping", définition, variantes et situation en septembre 1913

Ces cabrioles vont inciter les 3 pilotes à sortir du sacro-saint angle maximum de 20 degrés d’assiette toléré jusque là. On réalise très vite un virage sur l’aile avec piquage plus que vertical puis un vol inversé et une descente en tourbillon dès août. On sait alors qu’on peut tenter une boucle. Un Blériot-XI est renforcé au niveau des câbles, une ceinture de cuir retiendra le pilote et des sangles de cuir sur le palonnier bloqueront ses 2 pieds. Blériot décide que Perreyon, le plus ancien, auteur de records, fera ce 1er looping français, mais il se ravise et choisi finalement Pégoud "car ce serait moins grave s’il y restait, car moins connu que Perreyon (Source : Fernand Collin, patron des écoles Blériot). Du coup Perreyon fera sa boucle le lendemain, en douceur, alors que celle de Pégoud allait être en force. Domenjoz fera la sienne 3 jours plus tard, mais seule comptera pour l’histoire la boucle publique de Pégoud du 21 septembre 1913, 1er jour de l’histoire de la voltige aérienne. Pour qu’on s’en souvienne, le nom de Pégoud, en grandes lettres, se lit du sol sur le dessus des ailes du Blériot-XI renversé.

Le nom de "Lopping the loop" (boucler la boucle) est déjà attribué à une figure de music-hall ou de fête foraine, de type pirouette ou autre, pratiquée par des acrobates, à l’aide de bicyclette, de moto ("La moto infernale") ou autres accessoires. D’où son application à la boucle aérienne ainsi que le mot "d’acrobate", péjoratif à cette époque et mal accepté par Pégoud et ses semblables. Aujourd’hui on dit plus volontiers "voltigeurs" et "Haute voltige". En 1913 on donnera aussitôt le mot "looping" à toute figure aérienne dans laquelle le pilote se retrouve à un moment sur le dos et volant à l’envers. Les 1ers loopings ne sont donc pas forcément des cercles verticaux parfaits. La boucle de Nesterov (Russie) est débutée par un départ en piqué. Le "S" de Pégoud est un piqué, avec retournement sur le dos et redressement. Les biplans Caudron et Farman pratiqueront plutôt le "tonneau barriqué" et d’autres la boucle en montée avec basculement sur l’arrière et le dos de l’avion, suivi d’un redressement. Tout cela avant que tous ne pratiquent une véritable boucle verticale, qui n’est belle que circulaire quand elle est vue du sol, alors que le pilote doit la déformer volontairement pour donner l’impression de ce cercle parfait (vent, inertie, altitude, etc..) !

Pégoud dès lors parcourt toute l’Europe sans interruption pour montrer cette figure étonnante et passionner les foules. Ce type de vol devient un art où l’on n’est plus un "roi des acrobates" mais un "As" ! C’est une énorme publicité pour Blériot qui vend nombre d’appareils et licences. Les records se battent tous les mois, enchaînant les boucles les unes derrières les autres. Il n’y a que la 1ère Guerre mondiale qui stoppera ces shows aériens. Entre temps le nombre de "boucleurs de boucle" croît dans chaque nation. A fin 1913 ils sont 50, dont 28 français, 11 anglais, 2 américains, le Suisse Domenjoz, etc. Cette aptitude de vol va servir aux futures unités de chasse qui vont combattre dans le ciel d’Europe 10 mois après la 1ère boucle de Pégoud.

"Upside down Domenjoz", "Crazy bird", surnoms du Genevois des Pâquis

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Le Blériot-XI exposé au National Air & Space Museum de Washington.

A l’école Blériot, Perreyon se tue aux commandes d’un prototype Blériot dont personne ne souhaitait faire le 1er vol. C’en est trop pour Domenjoz, il quitte le maître et débute lui aussi, à 27 ans, une tournée de démonstration d’acrobatie aérienne après avoir acheté un Blériot-XI neuf de 50cv. Il connaît bien l’Espagne qui ne figure pas sur la tournée de Pégoud et y débute une série de superbes vols remarqués par la foule et par la presse. De là, on lui propose une tournée en Amérique du Sud, continent qui n’a pas encore vu l’événement. Argentine, Chili, grandes villes, Domenjoz s’amuse à enchaîner 10 boucles à la suite. Quand la guerre éclate, il rentre rapidement en Europe pensant être mobilisé en Suisse, ce qui n’est pas du tout le cas. Il s’achète alors un nouveau Blériot-XI de 60cv, biplace, et repart en Amérique du Sud : Argentine, Uruguay, etc. Il vole pendant 2 minutes sur le dos, enchaîne 40 loopings consécutifs avec une passagère à bord du Blériot, et forme les 10 premiers officiers pilotes de l’armée uruguayenne.

Sa notoriété est grande, on le surnomme "Upside-down Domenjoz" ou "Crazy Bird". Lors de concours, il bat régulièrement les as locaux. On le fait venir aux Etats-Unis où il débarque à New-York en septembre 1915. Premier coup d’éclat en novembre : 2 loopings au-dessus de la Statue de la Liberté et diverses démonstrations sur la ville et Long-Island. En janvier il parcourt les villes de la côte sud-est et vole au-dessus de Washington lors du Congrès scientifique panaméricain. On l’envoie à La Havane épater les Cubains. En une exhibition il peut gagner jusqu’à 1.000$ pour un vol de 15 minutes ! En automne il fait encore une tournée dans le Middle-west accompagné du pilote américain Baxter H. Adam (1885-1951). L’Amérique n’a pas encore une industrie aérienne à sa taille et les appareils français comme le Blériot-XI restent attractifs.

C’est alors que Louis Blériot contacte Domenjoz. Blériot a racheté Deperdussin en faillite (SPAD= Soc. de Production des Avions Deperdussin) créant la Société Pour l’Aviation et ses Dérivés (=SPAD) où l’ingénieur Louis Béchereau a créé un superbe chasseur autour du nouveau et performant moteur en "V" Hispano Suiza (voir : Récit). Dès la fin 1916, durant 6 mois, Domenjoz oeuvre comme pilote d’essai et instructeur aux aviateurs qui vont abandonner l’emploi d’appareils équipés du maintenant dépassé moteur rotatif et regagner la supériorité aérienne dans le ciel de guerre avec ce SPAD-XIII. Il rentrera aux USA en juin avec un nouveau Blériot XI et fait alors des démonstrations au Canada et sur la côte est.

Destins de guerre et postérité, des voies très différentes

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"Barnstormer", le saltimbanque de l’air dans la campagne américaine (1920’s).

Lorsque les USA votent l’entrée en guerre en avril 1917, on constitue rapidement des unités aériennes et l’on recrute les bons moniteurs non mobilisés en Europe. Domenjoz se voit nommé instructeur à la base de Park Field, près de Memphis (Tennessee) où il forme les cadets de la Navy aux premières étapes du vol, sur Curtiss "Jenny" (voir : Récit). Cette mission se termine avec la fin de la guerre. En 1919 et 1920, Domenjoz reprend les tournées aériennes dans les états américains, concurrencé par les très nombreux militaires rendus à la vie civile qui offrent des baptêmes de l’air pour 5$. C’est la naissance de la période dite des "Barnstormers" qui fichent la pagaille dans les fermes, en passant en rase-mottes pour signaler leur arrivée, prélude à de l’acrobatie, des vols "casse-cou" et ces baptêmes de l’air. En octobre Domenjoz stocke son Blériot dans une grange de Long Island et rentre en France (voir : Récit).

Quant à Pégoud il intègre en août 1914 une escadrille de chasse, montre son courage au combat et abat même 6 avions ennemis. Promu sous-lieutenant, décoré de la Légion d’honneur, "l’As de la voltige" est hélas abattu le 31 août 1915 à bord de son Nieuport. Désormais, et en son honneur, le titre "d’As" sera attribué à tout pilote militaire qui aura abattu 5 appareils en combat ! [Dès Août 1917 le titre s’obtient avec 10 avions abattus]. Les Américains voudront bien écrire, qu’après les frères Wright, Pégoud était l’homme qui avait révolutionné le pilotage rendant aux aviateurs du monde entier le service inestimable de pouvoir faire sortir un aéroplane de n’importe quelle position pour autant qu’il ait un peu d’altitude.... gloire qui était autant attribuable à Perreyon qu’à Domenjoz...

Domenjoz est parti en Europe et a oublié de payer le gardiennage du Blériot à Long Island qui est alors vendu au Roosevelt Field musem local. C’est là qu’il est acheté par le Smithsonian Institut en février 1950, avec 2 autres avions historiques pour 2.500$. Le Blériot est restauré en 1978, exposé au public dès 1979 au Air & Space Museum de Washington, plus vieil appareil authentique visible, portant toujours sur ses ailes le nom de Domenjoz. Ce dernier était devenu citoyen américain en 1938 et sa carrière est restée quasiment inconnue à Genève, sa ville natale, jusqu’à l’existence du site Pionnair.

 

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Le National Air & Space Museum de Washington (USA) conserve le dernier Blériot-XI de Domenjoz, un modèle de 1914 (R.Moret).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 14 août 2006
  • Pour plus d’information, voir : Blériot XI, the story of a classic aircraft, par Tom D. Crouch, Nat.Air & Space Museum, Washington, 1982, 144p, ills, à la "Librairie ".
  • Pour A.Pégoud, voir le site internet
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