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Le PC d’assistance météo de Cointrin pour le tour du monde en ballon de Piccard et Jones (1999) [vidéo]

 

Bien qu’il faille concevoir un projet, construire un ballon sur mesure pour ce tour du monde, que l’équipage soit déclaré vainqueur de ce 1er record après 3 essais, ce sont les météorologues de l’équipe qui décident quand partir et comment voler. Tout en réussissant à survoler la Chine dans l’étroite limite autorisée, ils permettent de réaliser un véritable tour de planète avec l’aide des éléments. Luc Trullemans et Pierre Eckert, depuis Cointrin, "fournissent" l’énergie du vol et sa route. Ils sont les vrais capitaines du navire aérien.


Le 1e mars 1999, Bertrand Piccard et Brian Jones débutent leur tour du monde de 20 jours à bord du Breitling-Orbiter-III, à la fois ballon à gaz (hélium) et montgolfière à propane (Ph. : Breitling).
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  • Une préparation technique et humaine où la météo du globe est le paramètre No 1

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    Luc Trullemans, le météorologue belge du vol (Ph. : Trullemans).

    On ne minimalisera pas l’exploit de Bertrand Piccard et son ami Brian Jones. Dans une aventure telle que celle-ci, le Vaudois en retire logiquement le plus de lauriers. Ce texte "genevois" n’aura donc pour but que de mettre en valeur les acteurs restés au sol, logés à Cointrin, bien que tout cela figure au sein du livre "Le tour du monde en 20 jours" (TM20J).

    Ce projet de tour du monde peut être comparé avec un grand projet maritime où l’on distinguera : commanditaire, armateur, financier, constructeur, capitaine, équipage et passagers. Si Piccard occupe une majorité de ces responsabilités avec la firme Breitling, le rôle de capitaine échoit à l’équipe au sol et surtout à celle des 2 météorologues. Utilisant leurs propres interprétations des données météo, ils décideront finalement quand le ballon quittera Château-d’Oex, à quelle altitude voler, quand en changer et laquelle rejoindre. A bord de la nacelle pressurisée, les "commanditaire - équipage - passagers" n’auront qu’à se soumettre et à rendre compte. Depuis le sol, le PC fait également les démarches administratives avec les nations vers lesquels le ballon se dirige qui sont menées à bien en continu, pour que le vol se poursuive toujours plus loin. C’est d’ailleurs ainsi que quelques grandes compétitions de voiliers dans l’Atlantique ou autour du globe sont guidées par des terriens expertisant des données informatisées et non soumis au mal de mer et aux embruns.

    Le PC genevois est installé dans un salon du rez-de-chaussée de l’aéroport de Genève-Cointrin. Il bénéficie ainsi des outils informatiques de météo, de communication ainsi que du service de MétéoSuisse régional dirigé par Pierre Eckert. Dans TM20J, Brian Jones décrit l’équipe ainsi : "Sous la direction d’Alan Noble, elle est formée de 3 paires se relayant toutes les 8h. Sue Tratford, l’assistante d’Alan, est une organisatrice née. En plus de son travail, elle a pour tâche de contenir les journalistes dans la salle de presse et de les empêcher d’envahir la chambre de contrôle. La 2e équipe est constituée de John Albury et Debbie Clarck, des amis et aérostiers chevronnés. La 3e, de Brian Smith, qui est pilote de ligne et, comme moi, examinateur pour pilotes de ballon, et de sa femme Cecilia. Ce sont également des amis très proches. Allan et Sue sont des cadres de Cameron Ballons, alors que les autres se sont portés volontaires et travaillent bénévolement. Ma femme Jo apporte l’expérience qu’elle a acquise pendant le vol d’Orbiter-II. Omniprésente, elle met la main à la pâte, prête à remplacer au pied levé quelqu’un qui a besoin de repos. A chaque moment difficile que nous traversons, les membres de l’équipe sont amenés à faire de longues heures supplémentaires. Retenus sur place, ils peuvent se nourrir au restaurant de l’aéroport et dormir quelques heures au Holiday Inn, à 2’ en voiture."

    Trois contrôleurs aériens professionnels de l’aéroport de Cointrin ont offert leurs services. Greg Moegli et Patrick Schelling ont au départ installé un centre de contrôle à Château-d’Oex puis rejoignent Genève. Leur tâche permet d’éloigner tout objet volant de la trajectoire initiale d’Orbiter-III. Moegli confiera plus tard : "Le travail le plus fou que j’ai jamais réalisé". Avec le 3e contrôleur, Nicklaus Gerber, depuis Genève, ils négocient et organisent l’entrée du ballon dans les voies aériennes.

    Les capitaines du navire : les météorologues Luc Trullemans et Pierre Eckert

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    Pierre Eckert calcule les trajectoires par ordinateur (ph. : Patrick Schelling).

    Le tour du monde doit s’effectuer au minimum sur 28.000km. La meilleure saison pour les vents d’altitude se situe en hiver jusqu’à fin mars. Le ballon doit pouvoir rapidement et fréquemment changer d’altitude pour bénéficier des variations de direction des vents et doit pouvoir grimper à 10-12.000m. Cela nécessite une cabine pressurisée pouvant abriter l’équipage durant 20 jours. Les contraintes météo guident ainsi la réalisation d’un ballon de type Rozière, dont la sustentation se fait grâce à un volume d’hélium, utile la journée (se dilatant au soleil) et complété par une partie montgolfière avec brûleur à propane, utilisée la nuit, le tout construit par Cameron Ballons (GB).

    Piccard cite en 1995 : "J’avais maintenant besoin d’un solide appui météorologique. Météo Suisse me propose les services de Pierre Eckert et je demande à Luc Trullemans, dont l’aide s’était révélée si précieuse dans le Chrysler Challenge, de faire équipe avec lui. Tout semblait opposer les 2 hommes. Luc est grand, extraverti, souriant, enthousiaste, toujours disposé à parler de son travail ; Pierre est plus petit de taille, de caractère plus réservé et appliqué. Mais lorsque j’organise une rencontre à Château-d’Oex, la complicité entre eux est immédiate, preuve que la fraternité internationale des météorologues n’est pas une légende. Aucune autre équipe n’emploie 2 experts météo. Soit par conviction qu’un seul suffit, soit par crainte de rivalités dangereuses. Je prends donc un pari en formant ce tandem, mais le risque devait s’avérer payant. Nos "frères météo", comme on se met très vite à les appeler, loin de mettre des bâtons dans les roues, vont se compléter de façon synergique et formidablement efficace."

    Luc Trullemans, né en novembre 1952, intègre le service météo de l’armée belge et se charge de la formation météo des pilotes. Puis il entre à l’Institut Royal de Météorologie, à Bruxelles (1972) où il dresse et présente le bulletin météo de la chaîne RTL belge (1984). Il n’a encore jamais volé en montgolfière, quand un ballon atterrit dans son jardin. Le pilote lui propose alors de lui établir des prévisions pour un prochain meeting aérien. C’était là que Trullemans fait la connaissance de Wim Verstraeten, qui lui demande de l’assister dans un survol en ballon du Kilimandjaro, en Tanzanie (12.1990). Puis Verstraeten et Trullemans font équipe avec Piccard dans le Chrysler Challenge qui remporte la traversée de l’Atlantique en ballon (1992).

    Pierre Eckert, également né en 1952, est physicien de formation et météorologue de profession. Marié, 2 enfants, il est le directeur du centre de MétéoSuisse pour la Suisse romande depuis 1983. L’une de ses responsabilités consiste à fournir de l’expertise aux contrôleurs aériens de SkyGuide en fournissant des modèles météorologiques. Il s’est établi une solide réputation en guidant des courses de voiliers depuis la terre, dont la Whitbread. Cycliste amateur, conseiller municipal "Vert" à Grand-Saconnex (GE), il tente d’autre part de concrétiser localement des aspects de l’Agenda 21 né à Rio au Sommet de la terre de 1992.

    Comment l’accident de Tchernobyl sert à tous et notamment à ce tour du monde

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    Itinéraire du tour du monde de mars 1999 (ph. : Breitling).

    En février 1999 la Chine donne son feu vert pour un vol du ballon au sud du 26e parallèle. Piccard dixit : "Pour nos météorologues, cela représente une cible minuscule d’autant plus difficile à atteindre qu’elle se trouve à 10.000 km de notre lieu de décollage. A partir de prédictions réelles et de simulations informatiques Trullemans et Eckert se mettent à la recherche d’une fenêtre météo qui mettra Orbiter-III sur la bonne route. Il s’agit de trouver la trajectoire idéale qui tiendra compte des connexions et interactions entre les courants aériens. Une tâche d’une complexité défiant l’imagination."

    "Le 24 février, je reçois un coup de fil matinal de Trullemans : Bertrand écoute-moi ! Je viens de parler avec Pierre, il y a une fenêtre météo formidable qui s’annonce pour le 1er mars ! Tu plaisantes ? Pas du tout ! Tu sais ce que je vois sur mon écran en ce moment ? Quoi ? Une énorme dépression en train de se creuser au-dessus de la Méditerranée occidentale. Je suis certain de pouvoir vous la faire contourner dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Du coup, après avoir traversé la France et l’Espagne, vous serez portés vers l’Afrique, exactement sur la trajectoire désirée !" Mais une partie de l’équipe technique doute, faut-il s’envoler ? Trullemans : "Vous ne réussirez pas en gardant le nez sur ces cartes. Vous n’y arriverez qu’avec l’aide d’un ordinateur qui calcule heure par heure votre trajectoire, car pendant que le ballon avance, la situation météorologique se modifie. Les hautes et basses pressions évoluent en permanence. Dans ce domaine, aucune configuration n’est statique."

    Piccard : "Les prédictions de Luc et Pierre s’avèrent d’une précision horlogère. L’ouverture annoncée apparaît pile au-dessus de nous. Et le prochain front, en provenance du nord-ouest, arrive tout droit vers Château-d’Oex." Le 1e mars 1999, à 9h09’ (8h08’ de Greenwich), exactement pour ses 41 ans, Piccard et le Breitling Orbiter-3 décollent, emportant Alan Jones. Au sol, Alan Noble, Trullemans et Eckert, ont tenus à être présents.

    Piccard : "Pour le projet Breitling, Luc et Pierre ont chacun leur propre source d’information. Pour Pierre, c’est le Centre européen de prévisions météo moyenne distances, basé à Reading, GB (ECMWF). Luc, lui, se branche par l’intermédiaire d’Internet sur le NORAD, l’administration nationale océanographique et atmosphérique américaine. Ces deux stations traitent des informations planétaires fournies par des satellites, des ballons-sondes, des avions et des navires, et établissent des schémas informatiques qui permettent de faire des prévisions générales jusqu’à 10j à l’avance. Une grande partie des informations utilisées provient des satellites géostationnaires qui, en orbite à 35.000km de la Terre, enregistrent le mouvement des nuages et évaluent sur cette base la vitesse et la direction des vents. Ces satellites, en mesurant les radiations infrarouges, peuvent aussi donner des estimations de températures. Mais ce sont les satellites en orbite polaire, grâce à leur altitude moins élevée, qui fournissent les évaluations les plus précises dans ce domaine."

    "Pour ce qui nous concerne, la direction des vents est évidemment primordiale. A partir des prévisions, nos experts établissent des trajectoires projetées dans l’avenir. Le schéma sur lequel Luc travaille est particulièrement intéressant, car il est fondé sur les conséquences de l’accident nucléaire de Tchernobyl. Un expert belge avait observé la carte des retombées radioactives et y avait intégré les conditions météorologiques du jour de la catastrophe pour élaborer un modèle informatique de prévision des trajectoires. Ce modèle développé dans l’éventualité d’une autre explosion nucléaire avait été mis à profit durant le Chrysler Challenge avec des résultats surprenants. Il consistait simplement à considérer le ballon comme une particule radioactive, portée par les vents à différentes altitudes."

    "Tous nos concurrents de la course autour du monde eurent accès à ce schéma. Mais nos 2 "cerveaux", travaillant en synergie parfaite, nous offrirent un avantage certain."

    Surfer de vent d’altitude en vent d’altitude, aidé par une "main de Dieu" informatique ?

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    La carte météo du dernier jour du vol (in : TM20J).

    Après avoir quitté Château-d’Oex, le ballon Breitling-Orbiter-III descend vers le Maroc et va contourner la terre vers l’est (Afrique, Asie, etc.), survoler la Chine, juste où il faut, traverser l’Océan Pacifique, le Mexique, l’Océan Atlantique et à nouveau l’Afrique du Nord jusqu’en Egypte... quidé par l’équipe au sol et aux ordres des météorologues. Les corrections d’altitude vont permettre de surfer sur les vents d’altitude, d’éviter de quitter la trajectoire idéale et se brancher sur de nouveaux courants aériens plus adaptés pour joindre la lointaine cible. En Afrique du Nord le ballon vole d’abord à 9.000m mais avant l’Inde il descend entre 5.500 et 7.000m sinon la route dévie vers l’Himalaya. Sauf correction, à 7.000m au-dessus du Japon il partira vers l’Alaska. A 9.000m il partirait vers Hawaï. L’option sud est choisie vers Hawaï et le Mexique. Sur les Caraïbes l’erreur d’estimation de route n’est que de 10 degrés. On estime alors devoir monter à 11.000m pour corriger le trajet et l’on demande au ballon de grimper le plus haut possible. Mais après 300m d’ascension, la bonne direction vers l’Afrique est prise. Un courant était là, masqué sur les cartes par un autre flux parallèle plus élevé.

    Le dernier jour, les aéronautes reprennent les commandes. Comme il n’est pas possible de se poser dans l’après-midi en Mauritanie à cause des turbulences d’air chaud, ils poursuivent le vol d’une nuit vers l’Egypte et leur terminus. Le 21 mars à 6h GMT, en 19 jours 21h55’, Piccard et Jones ont réalisé plus que le tour du monde pour la 1e fois après des années de compétition et contre des concurrents plus fortunés mais probablement moins bien équipés au sol. L’arrivée à Genève en avion et le discours d’Adolf Ogi, moments d’anthologies, seraient encore à raconter, mais non météorologiques. Tout cela pour dire que l’on peut très bien avoir conçu et fabriqué la plus belle voiture du monde, s’il n’y a pas de route ni de carburant pour l’utiliser ce n’est qu’un objet de décoration. Les météorologues, aidés des contrôleurs aériens, ont fourni ici la route et l’énergie du véhicule-ballon, ainsi que son calendrier d’utilisation idéal !

     

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    L’accueil de Bertrand Piccard et de Brian Jones à Cointrin, le 22 mars 1999. Pour l’anecdote, le jeune avec la chemise à carreaux noirs et blancs sur la droite est Robin Moret.
    Par : Jean-Claude Cailliez
    Le :  lundi 14 août 2006
  • Pour plus d’information, voir : Le tour du monde en 20 jours, de B.Piccard & B.Jones. Ed. France-Loisirs, 1999, 358p., ills, pp:25, 31-32, 52-54, 88, 94. à la "Librairie ".
  • B.Piccard & A.Jones à Genève, 22.03.1999 (sonore, 2,5’, 117Mo). Nécessite le plug-in Quick-Time 7.1.3 minimum. Ne pas hésiter à laisser downloader un peu avant usage.

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