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Création du 1er show aérien par Domenjoz et les instructeurs de vol de l’école Blériot (1912-1913)

 

Premier suisse à être instructeur de vol, le Genevois John Domenjoz va former des dizaines de pilotes pour la maison Blériot, à Pau et à Buc (1912-13). Certain d’entre eux seront très connus : Pégoud, Oscar Bider, etc. L’apprentissage du vol, loin des pratiques actuelles nécessite un caractère bien trempé. On y rit et on y pleure parfois. Il y a des élèves doués et d’autres moins.

Là, les moniteurs vont créer la 1e patrouille de voltige aérienne et le 1er show aérien du monde. Suivons cette formation d’aviateur...


A Buc près de Paris, l’Aéroparc Louis Blériot abrite une école de pilotage et accueille la foule pour voir manœuvrer la 1ère "patrouille" de voltige aérienne.
  • Articles associés : Appareil Blériot-XI |*| Biographie de John Domenjoz |*|
  • John Domenjoz suit l’école de pilote Blériot de Pau avant de devenir moniteur

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    Avec ses ailes rognées, le "Pingouin" de Blériot est utilisé pour l’apprentissage au sol.

    Le Genevois des Pâquis John Domenjoz (voir : Biogr.) abandonne son atelier espagnol de mécanique et ses voitures lorsque Louis Blériot crée à Pau (Basses Pyrénées, F) sa 3ème école d’aviation (nov. 1909). Domenjoz veut piloter un aéroplane et débute en mars 1910 comme mécanicien de l’école. Quelques mois après, avec un associé, il achète un monoplan Blériot-XI à moteur Anzani 25cv et commence son initiation au pilotage. Son 1er vol en solo a lieu le 19 mai mais l’école ne fonctionnant que l’hiver, il n’a plus le temps d’y passer son brevet. Bien que Blériot souhaite le voir devenir moniteur, Domenjoz trouve un emploi de pilote en Belgique (sur Farman, à Kiewit) où il restera plus d’un an et y passera finalement son brevet no.33 (Belgique), en janvier 1911 (=brevet suisse no.10). C’est à la fin 1911 que Domenjoz retourne chez Blériot comme instructeur. Pendant 2 ans, il formera à Buc, près de Paris, une quantité de pilotes dont certains deviendront célèbres comme Pégoud, Bider, etc...

    Après sa traversée de la Manche (juil. 1909), du jour au lendemain Louis Blériot est devenu célèbre dans le monde entier et ses carnets de commandes se sont remplis. Il ouvre aussitôt 2 écoles de pilotage près de Paris, à Issy-les-Moulineaux, à Etampes (Beauce), fonctionnant en été, puis l’école de Pau utilisée en hiver. On déménage ainsi tout le matériel et le personnel 2 fois par an ! Ensuite, à Buc, Blériot acquiert du terrain pour ses essais d’aéroplanes, les moteurs sont construits à Suresnes, et également pour la formation des pilotes. C’est son collaborateur Ferdinand Colin (né en 1883) qui est chargé de la mise en place des écoles jusqu’en 1914. Il engagera de nombreux pilotes comme instructeur. Quant à Blériot, il se consacre maintenant exclusivement à la construction d’avions, abandonnant les phares automobiles. Les élèves pilotes, eux, après quelques semaines, obtiendront un brevet d’aviateur qui, puisque passé sur Blériot, équivaut à un brevet de pilote pour tous appareils !

    A Pau, l’école Pau-Caubios est à 10km de la ville où l’on prétend un ciel clair 300 jours par an. Une école c’est 30 mécaniciens, 40 pilotes et une vingtaine d’avions. Le terrain d’envol à 2 km de long et 1 km de large. L’essence coûte 1,25F le bidon de 5 litres à la fin 1910 (25Fr actuels le litre). Quant à l’écolage, il revient à 2.000 francs-or tout compris (20.000F actuels). En 1913 il s’agit de 800F d’écolage et 1.500 F de dépôt de garantie en cas de casse du matériel. Un Blériot-XI (voir : Appareil) à moteur rotatif Gnome 7 cylindres coûte 24.000F (monoplace) ou 28.000F (biplace) au catalogue de 1911 (280.000F actuels). Ce prix s’entend payable moitié à la commande, moitié à la livraison, emballage et port à la charge de l’acheteur. La garantie est limitée à un mois à dater de la livraison !

    L’apprentissage du vol sans double commande à bord de "pingouins"

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    Le nouveau pilote breveté paie le champagne !

    En 1910-11, l’apprentissage de l’élève aviateur se fait à bord d’appareils ordinaires. Mais les "casses" son nombreuses et onéreuses. Au lieu de s’en tenir d’abord au roulage au sol, l’élève tire parfois sur le manche, l’appareil décolle, l’élève perd la tête et boum ! Plus tard, vers 1912, les "taxis-pingouins" sont apparus. Ce sont des monoplans de Type XI, à moteur Anzani 3 cylindres, mais aux ailes réduites. Leur fuselage est robuste, leur châssis d’atterrissage est renforcé avec de grosses roues pneumatiques et de patins destinés à éviter le capotage. Ils sont incapables de décoller et servent à l’apprentissage des différentes manœuvres au sol et à la familiarisation avec l’appareil au point fixe ou au roulage en ligne droite. Les élèves roulent seuls à bord de ces avions aux ailes en moignons.

    La durée de l’écolage est de 4-5 semaines en moyenne. Certains élèves obtiennent leur brevet en moins de 5 jours ! On vole une heure le matin avant le lever du soleil et une autre heure après le coucher. Cela permet d’éviter les courants chauds. On ne vole pas si le vent fait plus de 4 ou 5m seconde. On mesure la "tempête" à la fumée de la cigarette de l’instructeur de vol. Il suffit qu’elle marque une tendance certaine à s’orienter dans le vent. Dans ce cas là, toute la sainte journée, les élèves "passent" le temps : "Nous rattrapions par exemple le sommeil perdu pendant certaines nuits qui ne passaient pas sans histoire. Nous étions des photographes assidus et tenions à montrer à nos proches restés au pays ce qu’étaient des "aviateurs" sans peur et sans reproche. Quel effet quand nous posions appuyés à l’hélice ou fumant une cigarette à côté d’une carcasse ! On jouait aussi aux cartes. Certains cherchaient à en savoir plus sur la technique du vol. Ce qui n’était pas facile, car ces écoles n’offraient aucune théorie et la plupart des élèves ignoraient comment ils tenaient en l’air." Selon le Suisse Robert Gsell.

    Les écoles Blériot ont bien du succès ! A la mi-mars 1912, 200 aviateurs civils, 61 pilotes militaires français, 16 aviateurs militaires étrangers sont passé chez Blériot, dont : Italie 17 ; USA 16 ; Russie 12 ; Belgique 6 ; Suisse 6 ; Chili 3 ; Suède 3 ; Pérou 2 ; Turquie 3 ; Roumanie 2 ; Autriche 2 ; Espagne 2 ; Mexique, Grèce et Hollande 1. Tout moniteur est confronté aux langues !

    A Pau, au cours de l’hiver, John Domenjoz a comme élève le Bâlois d’Argentine Oscar Bider (1891-1919). Voilà ce dont ce dernier se souvient : "Quand le 8 novembre 1912 je débute mon école de pilotage, je n’ai jamais vu d’aéroplane. Je n’ai aucune idée du comment on apprend à voler. En fait il y a 2 façons. Si l’appareil est muni de doubles commandes, l’élève effectue avec son maître des vols passagers au cours desquels il doit faire avec son manche à balai les mêmes mouvements que le pilote. L’autre système consiste à laisser dès le début l’élève livré à lui-même. C’est le système que Blériot a introduit et je le préfère au premier. Trois aides retiennent mon Pingouin et le mécanicien met l’hélice en marche. Tonnerre comme ça souffle ! Je suis prêt à couper l’allumage lorsque les aides lâchent l’appareil. Le Pingouin m’emporte avant que j’aie le temps de rassembler mes esprits. Je vais droit devant moi pendant 50 à 100m !"

    "Il faut beaucoup d’exercice pour piloter droit sur le sol. J’observe des élèves qui après 5-6 jours ne sont pas encore capables de maîtriser leur Pingouin. J’y arrive en une journée. ... Après le Pingouin on utilise un avion muni d’un moteur 30cv. Avant le départ on me recommande de ne pas voler. Je dois d’abord rouler sur le champ comme auparavant pour m’habituer au nouvel appareil. Mais après quelque 200m je ne peux plus résister à la tentation de m’élever dans les airs ... Je vole ! Le 3ème jour j’ai déjà acquis assez de sûreté dans les vols en ligne droite pour m’attaquer au vol en circuit. Jusqu’alors, j’ai toujours dû atterrir au bout du champ, retourner mon appareil et revenir. .. C’est au soir de mon 3ème jour que j’accomplis mon 1er virage, c’est à dire que je vole autour du terrain d’aviation. Ce que les autres accomplissent en 15 jours, je l’accomplis au soir du 3ème. .. Mon 1er vol a duré 6 minutes !"

    Anecdote de l’écolage préfigurant d’un an la voltige aérienne

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    Domenjoz et l’élève Cervantes en 1913 à Buc.

    Pour un autre élève, l’aventure tourne autrement : "Il part, roule 7-800 m avec son Blériot-XI, puis, suivant l’habitude descend de l’appareil pour tourner à la main l’avion dans l’autre sens ; mais lorsqu’il veut remonter dans l’appareil, il est impuissant à maîtriser la traction de l’hélice qui surpasse sa résistance physique. Le malheureux n’a pas assez réduit le régime du moteur, il est obligé de céder à l’inexorable entraînement, se laisse traîner, et enfin, à bout de force, épuisé, lâche prise. Comble de déveine, alors qu’il s’est raccroché au passage à l’aileron arrière, il ne fait que le placer en position de montée. Et voici l’avion libéré, laissé à sa seule fantaisie, livré aux manœuvres les plus inattendues. Les autres élèves ayant entendu crier sont alertés et tout le monde regarde, mécanos compris, ce spectacle absolument unique."

    "Après diverses feintes, l’avion sans pilote s’élève et dans un vol tout à fait spécial, monte brusquement en chandelle. Chacun pense que la casse ne va pas traîner. On se trompe car l’envol se poursuit par une belle glissade sur l’aile qui s’arrange, juste au moment précis où tout semble perdu. Le vol continue, tantôt sage, puis, réflexion faite, l’avion semble vouloir atterrir mais se ravise, regrimpant de plus belle à s’en époumoner dans une soif de ciel inextinguible. Et le miracle de la glissade sur l’aile se reproduit, l’avion évite la catastrophe toujours de justesse et repart de plus belle. On dirait que lorsqu’on s’attend à un crash total, l’instinct de conservation de l’avion lui dicte une manœuvre indispensable. Il est absolument certain que s’il y avait eu un élève à bord, tout aurait été brisé du 1er coup par des contre-manœuvres !"

    "Tout ce manège dure, les virages sur l’aile, les astuces, les excentricités, les grâces se succèdent ; 5 ou 6 fois, l’avion se tient vertical à 30m, mais cela s’arrange toujours dans le tout dernier cinquième de seconde, accentuant chaque fois les battements de cœur de l’élève, auteur de cette très divertissante attraction. Car c’est lui en fin de compte qui payera les frais de ce ballet de haute école aérienne. A chaque frôlement d’atterrissage il se reprend à espérer, à chaque nouvel envol il s’arrache les cheveux et se désole, employant des expressions que l’on ne peut reproduire ici. Mais tout à une fin, surtout avec les moteurs Anzani qui tendent à surchauffer. Le moteur cède enfin et les mécanos guettent déjà l’instant propice pour attraper une aile, fixer l’oiseau mécanique divagant en finalement l’arrêter. S’échappant encore après un savant détour, l’avion emballé, déjouant toutes les prévisions, se décide tout à coup à effectuer une ligne droite au sol, la queue haute à en faire pâlir un breveté, et fonce résolument au plein milieu d’une petite cabine de bois réservée aux commodités des plus naturels besoins."

    "L’arrêt est net, le choc brutal dans le bruit infernal et sinistre du fracas des ailes et de l’hélice. Il se passe alors quelque chose du plus haut comique : la cabine est occupée et il en jaillit un homme atterré, désemparé. Comme un fou il sort de la cabine, hurlant de terreur ! Ne prenant pas le temps de relever son pantalon abattu, il court empêtré, "la bannière au vent". A chaque instant, il manque de tomber, changeant de pied et galopant pour retarder sa chute finale qui a lieu après une course folle, à une centaine de mètres. Lorsqu’il reprend ses esprits et se retourne, il comprend que le danger est passé, contemplant alors, horrifié et honteux les faces hilares de ses camarades et leurs yeux luisants de fou-rires."

    Cette histoire authentique, racontée par Ferdinand Collin, va toutefois faire comprendre à certains qu’un avion peut voler dans n’importe quelle position et se rattraper, pourvu qu’il ait un peut d’altitude au-dessous de lui, prélude à la voltige aérienne qui naîtra en septembre 1913 (voir : Récit).

    L’Ecole de l’Aéroparc de Buc (F) et l’invention de la 1e patrouille de voltige aérienne

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    En civil : Pégoud, F.Colin, Domenjoz, Perreyon, à l’origine de la 1ère patrouille acrobatique aérienne (Ph. : C.Lopez-Beltran)

    En 1913, à l’école de Buc, Blériot inaugure une formule nouvelle : il fait ajouter une imposante construction en ciment armé, à usage d’hôtel-restaurant pour pilotes, complété par un garage pour avions. Le bâtiment central abrite dans ses 3 étages et sous les terrasses d’observation qui le dominent, un hall pour 30 appareils, une salle des fêtes, un vaste restaurant, des salons de repos et de correspondance, avec bibliothèque et cartes pour l’étude des voyages, des salles de sport et d’hydrothérapie, des bureaux et même des chambres à la disposition des aviateurs désireux de partir aux premières heures du jour. Des cours de tennis et des jeux de plein air offrent des distractions dans le jardin. Propriété de Blériot, ce parc de 200 hectares à 3 km de Versailles, devient le rendez-vous de l’aviation parisienne. L’Aéroparc de Buc veut être aux touristes aériens ce que le bois de Boulogne est aux promeneurs du dimanche. On peut aussi y observer la formation des pilotes aux ordres de Domenjoz, Perreyon ou Pégoud

    Toujours soucieux de rentabilité, celui qu’on appelle avec respect, "le maître", fait pourtant donner des spectacles. Il fait voler ses élèves, certes, mais aussi simuler des courses d’appareils qui lâchent un mannequin en parachute d’une hauteur de 1.000m. La corolle ne s’ouvrant pas la plupart du temps, le grand frisson passe sur l’échine des gens non avertis. Ils ont payé très cher pour assister à cela. Le "cirque Blériot", médisent les confrères.... Ce cirque fait connaître l’aviation et vendre des modèles.’ Dans cet esprit, en octobre Pégoud, Domenjoz et Perreyon créent à Buc la 1e formation d’une patrouille de vol acrobatique, s’exhibant devant un public de 20.000 personnes. Leurs shows sont semblables aux "mouvements d’une troupe américaine de danseurs de claquettes", les appareils volent ensemble, grimpant et planant, réalisant des virages serrés, suivant un programme préalablement convenu, le tout dans une beauté rythmique qui était attractive. Ils ont inventé le Show aérien. Puis ces 3 pilotes vont dorénavant vivre chacun leur vie (voir : Récit).

     

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    Pour ses tournées de voltige en Europe, le Blériot-XI pourtera le nom du pilote dès 1914.
    Par : Jean-Claude Cailliez
    Le :  jeudi 12 octobre 2006
  • Pour plus d’information, voir : Parmi les précurseurs du ciel, par Ferdinand Collin. Ed. J.Peyronnet & Cie, 1948, 272p., ills. |*| Le Matin, du 13 octobre 1913, relatant le spectacle de voltige de la veille à Buc, à la "Librairie ".
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