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L’exploit ! Durafour se pose à 4.331m et redécolle du massif du Mont Blanc en Caudron G3 (1921) [7 vidéos]

 

Le Genevois François Durafour réalise l’exploit impensable, soit de se poser à 4.331m sur le massif du Mont-Blanc, du 1er coup, sans assistance, et à décoller de là aidé par quelques alpinistes en juillet 1921. Devenu ainsi immortel, comme les neiges du sommet de l’Europe, Durafour ne parlera du sujet qu’avec modestie. Il faudra attendre 30 ans pour qu’un semblable essai soit à nouveau pratiqué. Et quand le monde cite un exploit suisse daté des pionniers, c’est à celui-ci qu’il pense en 1er.


François Durafour s’apprête à un départ très risqué depuis le Dôme du Goûter à 4.331m sur le massif du Mont-Blanc. Henssler va lancer le moteur alors que Rouyer et Orset retiennent le Caudron G3 avant que son moteur ne soit au maximum : un seul essai possible, mais réussi !

Le sommet de l’Europe, nargue piétons, marins et aviateurs

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Le "cul de poule" du G3 où Durafour pilote en place arrière.

Il y a quelque temps que François Durafour songe à se poser en avion dans le massif du Mont-Blanc qu’on observe souvent en vol depuis Paris. Par exceptionnel beau temps, le Cdt Cousteau citait aussi que dans sa jeunesse il le voyait parfois depuis le sommet de la Tour Eiffel ! L’élément décisif pour Durafour intervient lors du 1er vol avec passager sur Genève—Paris, le 1er juillet 1920, avec ce sommet blanc éclairé de soleil qui est leur point de mire depuis un moment. A l’arrivée, le passager et journaliste du "Journal de Genève" Paul du Bochet dit à Durafour, "Si nous montions là-haut !" Sans s’en douter, il a touché une corde sensible. "Pourquoi pas, c’est une éventualité à étudier" dit le pilote. Les 2 hommes se mettent alors à préparer minutieusement une audacieuse expédition. Les principaux obstacles sont la densité de l’air, peu porteuse à cette altitude, et le rendement du moteur. A l’époque on ignore complètement le comportement d’un appareil qui décolle à 4.000m d’altitude. Avec le conseil d’amis, Durafour entreprend l’étude du problème. Il cherche d’abord un nouvel avion capable d’une telle performance mais ne trouvera pas mieux que son léger Caudron G3 biplan (voir : Appareil) qui n’est pas équipé de skis mais de simples roues. Aujourd’hui personne ne s’aventurerait là-bas avec un tel appareil, même amélioré !

Durafour : "Le relief du Mont-Blanc que vous trouvez à l’Université de Genève me fut de la plus haute utilité et le fils Vallot me fournit des renseignements indispensables car je dois vous dire que je ne suis pas alpiniste et que je ne suis jamais monté au Mont-Blanc. Je crois d’ailleurs que si j’en avais fait l’ascension, l’idée d’une telle entreprise ne me serait même pas venue ! Mais ma décision fut prise : j’atterrirai en planant au-dessus des Grands Mulets, sous la cabane Vallot." Il va ensuite régler toutes les formalités officielles. Le lieu d’atterrissage étant choisi, les dispositifs de signalisation définis, une équipe sera aussi sur place sur le Mont-Blanc. P. du Bochet, aidé d’amis dont Emile Gos, photographe et poète de la montagne, le journaliste Philippe Latour, sont partis sur les névés du Dôme du Goûter à 4.327m pour préparer le repérage et le balisage d’une petite zone d’atterrissage. Elle est équipée d’un poste de signaux optiques qui communiquera avec Chamonix puis, par relais téléphonique, avec Genève.

La 1ère tentative aérienne est faite le mardi 20 septembre 1920. Décollant de Saint-Georges (voir : Lieu), Durafour emporte du Bochet en passager. Comme le décollage depuis le Dôme s’annonce plus difficile que l’atterrissage, le passager emmène tout un équipement d’alpiniste pour le cas où il devrait redescendre à pied, allégeant ainsi l’appareil en vue de son départ face au vide. Sur le Dôme, attendent plusieurs hommes dont le Français Henri Brégeault du Club Alpin (CAF) et le Dr Thomas. Mais avec ses 80cv, le Caudron G3 plafonnent à 4.000m et ne peut atteindre le col du Dôme. Ils font 3 tentatives sans succès et sont contraints à l’abandon et à rentrer. Toute la journée des cameramen attendront cet avion sur le Dôme. Déçus, ils en seront pour leurs frais et leurs fatigues. L’éditorial du célèbre journal "l’Auto" du 14 octobre dira : "Cette tentative ne servira qu’à déranger une équipe de guides à la recherche du malheureux aviateur." Mais Durafour, n’a pas dit son dernier mot, avec sa ténacité et son cran habituel, il prépare un 2ème essai.

Une préparation complexe avec l’aide et la présence de nombreux amis

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Le massif du Mont-Blanc et le lieu d’atterrissage de Durafour.

Durafour : "Je décide donc de recommencer, tout seul cette fois afin de diminuer le poids, mais comme la saison est déjà fort avancée, il me faut remettre mon projet à l’été suivant. L’organisation du second raid, pour être plus minutieuse, n’en est pas moins très silencieuse car je préfère, en cas d’échec, que l’affaire passe inaperçue !" En 1921 Durafour gonfle son moteur Gnome et Rhône. L’ancien pilote de guerre se rend auprès de René Caudron pour qui il avait réceptionné tant d’avions et le lui demande : c’est d’accord ! On remplace le moteur de 80cv par un moteur rotatif 9 cylindres de 120cv. "J’avais maintenant un avion, mais aucune notion de montagne !" René Vidart, l’aviateur de Divonne (voir : Biogr.), dont Durafour fut le mécano en 1910, lui offre une nouvelle hélice, un modèle Chauvière "intégrale", plus allongée, adaptée aux vols à haute altitude (1.300 t/min). Durafour la montera lui-même.

Durafour : "Le 20 juillet le temps parait calme. J’organise mon raid. Et 10 jours plus tard, je décide de tenter l’impossible." Le vendredi 29 juillet, à Chamonix toutes les dispositions sont prises. Hermann Dutoit, député genevois, doit indiquer l’emplacement d’atterrissage au retour du Dôme, est secondé par Eugène Trollux envoyé spécial de la Tribune de Genève. Une colonne de montagnards monte aussi, en parallèle et à pied, vers le refuge Vallot, dans le massif du Mont-Blanc. Partie du pavillon de Bellevue, elle grimpe à la Tête-rousse, la cabane du Goûter étant inhabitable. Ses buts : préparer une piste d’atterrissage, prévenir Chamonix par signaux optiques des conditions atmosphériques de façon à prévenir Lausanne d’où décolle Durafour et, bien sûr, pour accueillir l’aviateur à son arrivée, l’aider à repartir et immortaliser l’exploit. Hélas, parmi eux, un unique cinéaste est venu en vêtements d’été, qui retarde tout le monde et doit abandonner le groupe. Les autres alpinistes sont l’avocat Marcel Brunet du Conseil administratif de la ville et président de la Fédération montagnarde, Louis Casaï futur président du Conseil d’Etat, Eugène Henssler architecte, Camille Comte et Georges Werro qui agitera un grand drapeau à croix blanche pour guider le pilote.

Ils quitteront le refuge le samedi 30 à 3h du matin afin d’être à temps pour l’arrivée de Durafour. Mais ils resteront bloqués à la Tête Rousse par une tempête qui s’est déclenchée la veille. Ils seront encore dans les séracs quand le Caudron se fait entendre et devront forcer le pas ! Depuis leur position, ils verront l’avion foncer directement sur le Mont-Blanc, disparaître derrière les derniers séracs du Dôme, puis plus rien ! Que s’est il passé, que vont-ils trouver ?

De La Blécherette (VD), un vol matinal et un atterrissage exceptionnel de Durafour

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L’environnement imposant face au minuscule biplan de 350kg.

Durafour, 3.000h de vol, est présent à 5h du matin avec son mécano et Péthoud, directeur de l’aérodrome de La Blécherette (Lausanne). Contrôles d’usage (magnéto Lavalette, bougies Oleo, huile Castral), 35L d’essence, des gestes précis et sûrs, une poignée de main à chacun, puis il embarque à bord du G3, décollant à 6h10 vers Thonon-les-Bains : "Le 30 juillet 1921, la matinée s’annonçant belle et calme, je monte dans mon avion sans attendre les indications téléphoniques qu’on doit me transmettre de Chamonix et, je m’efforce de prendre de l’altitude, ce qui n’est pas chose facile jusqu’à 1.000m. Je suis parti de Lausanne avec le ferme espoir de me "poser" et je veux réussir." Le téléphone de Chamonix viendra peu après l’envol et Pethoud annoncera le départ de l’aviateur genevois. A Thonon, Durafour oblique légèrement pour prendre de la hauteur et met le cap sur le massif convoité. "Au-dessus du lac d’Anterne, j’aperçois un avion posé. Qui est-ce ? C’était simplement le zinc de mon ami Nappez qui survolait le Mont-Blanc en hydravion. Victime d’une panne, il a dû amerrir sur le lac..."

"Ca gaze, la carburation est bonne. En 15’ grâce à mon hélice, je suis à 3.000m. Quelques minutes plus tard je regarde mon altimètre. Il marque 5.300m. Il est 6h38’. En 28’ j’ai atteint l’altitude nécessaire. Me trouvant face au Mont-Banc, je commence à couper les gaz et à regarder l’endroit de mon atterrissage. Mieux vaut prendre du large afin d’éviter d’être plaqué contre une paroi par un remous inattendu. A 7h10 je double 2 fois le sommet tant convoité. Puis après quelques secondes je me rabats, mais un violent remous secoue mon Caudron et me jette vers une crevasse prête à m’engloutir. Le plus mauvais moment de toute ma carrière d’aviateur !" dira-t-il plus tard. Il redresse son appareil "L’appareil reprend son équilibre à temps et je viens me poser sur le dôme du Mont-Blanc, au milieu d’un champ de neige, sans plus de secousse que sur un aérodrome, et ceci sans patins ni crampons !"

Il a cherché à découvrir le terrain balisé et sa banderole rouge, sans le trouver. Boucle serrée au-dessus de la vallée d’Arve, un passage encore sur le col du Dôme, une crevasse bien connue des alpinistes qui borde la forte pente du col et l’aviateur redresse. Mais où se poser ? Que va-t-il trouver : de la neige fraîche ou de la neige dure ? L’orage s’est-il abattu à cet endroit durant la nuit ? Mais ayant reconnu le lieu prévu, il décide malgré tout d’y d’atterrir, ignorant bien sûr, le sort de ses amis alpinistes. Il vire au-dessus du grand Plateau sous la cabane Vallot et prend son terrain dans le sens nord-est-sud-ouest, évite habilement une énorme crevasse, moteur au ralenti, entre doucement en contact avec la neige glacée et roule sans heurt sur ce terrain moelleux. Les pneus s’enfoncent dans la neige dure, un léger froufrou ! L’avion est freiné par le sol montant en pente douce jusqu’à la paroi dominant le glacier de Miage italien. Il se pose à 7h15’ et "anneige" d’une manière impeccable à son 1er essai. L’avion s’immobilise, Victoire ! C’est la technique qu’utiliseront tous les pilotes de montagne dans 33 ans. "C’est ainsi que je prends contact avec cette neige, heureux d’être arrivé sur le sommet du fameux Dôme du Mont-Blanc. Je ne sais si la difficulté que je prévoyais a rendu mon atterrissage particulièrement réussi. Un vrai atterrissage de concours !" Mais sur une telle pente, un danger menace : la glissade. Le Caudron est instable et il est perché sur de hautes roues. Le moteur est tenu en marche, reste chaud et tient l’avion dans la pente.

Le G3 est à 4.331m d’altitude, sur la grande arête occidentale du Mont-Blanc, à 470m du sommet, dans une dépression nommée Col du Dôme, entre le Dôme du Goûter (4.303m) et le rocher, à 200m, sur lequel sont construits l’observatoire Vallot et le refuge des Boucs (4.362m). Le pilote est seul dans ce désert de glace, seul à prendre tous les risques. Au-dessus : des séracs, au-dessous : des crevasses où des dizaines d’avions pourraient s’engouffrer. S’il n’avait pas aperçu des hommes au loin, qu’il a pris pour ses amis genevois, il ne se serait pas posé, le raid aurait été reporté.

Un comité d’accueil imprévu mais composé d’amis français

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On notera les roues et l’absence de skis sur ce frêle biplan.

Durafour : "Pas de publicité, aucun journaliste, seuls quelques amis sont au courant. Je suis ému comme jamais je ne l’ai été, même pas pendant la guerre..." Tout à coup il entend des appels et se tourne du côté des voix. Sont-ce ses amis ? "A peine descendu de mon "baquet", heureux d’être arrivé sur le sommet du fameux dôme du Mont-Blanc, je vois arriver vers moi un alpiniste ; c’est Henri Bregeault, secrétaire général du CAF, de Paris qui me photographie aussitôt à côté de mon avion. Durafour lui demande une attestation de son exploit. "Il me donne sa carte sur laquelle il écrit ces mots : "Henri Brégeault, secrétaire général du Club alpin français a photographié François Durafour, atterrissant au col du Dôme le 30 juillet 1921 à 7 heures 15 minutes, atterrissage réussi en tout point, exploit remarquable." Curieuse retrouvaille imprévue de cet ami qui avait déjà tenté d’aider Durafour l’année précédente et a tout de suite reconnu son avion en vol. Il a couru pour ne pas rater l’atterrissage. Ses photos feront le tour du monde.

Accompagnant Brégeault, Paul Rouyer, membre de la section des Alpes Maritimes, ainsi que leur porteur Léon Orset, de Saint Gervais (20 ans). Ils sont montés la veille avec 8 guides et porteurs de Saint-Gervais, au refuge de l’aiguille du Goûter pour y faire effectuer des réparations. Ils ont décidé ce matin de pousser jusqu’au sommet du Mont-Blanc pour exécuter un relevé topographique et ont vu l’avion se poser depuis le Dôme. Durafour s’étonne : "Où donc est le cinéma ? - Mais vous voyez bien qu’il n’y a personne ! - C’est impossible, j’ai rendez vous avec 2 opérateurs, ils doivent être à l’observatoire Vallot ; allons-y, c’est à 5 minutes d’ici, n’est-ce pas ? - Mettons en vingt. - Voulez vous m’y conduire ? - Très volontiers, mais vous n’êtes pas équipé ; nous allons vous encorder." Mais, de crainte qu’un coup de vent ne fasse capoter l’avion ou l’emporte, les alpinistes creusent des sillons devant les 4 roues du train d’atterrissage, et, poussent l’appareil, engageant les roues dans les trous, jusqu’au moyeu, afin de le tenir plus solidement au sol. Ils enfoncent encore jusqu’au fer leurs 3 piolets et y arriment l’appareil avec une corde. L’avion est ainsi amarré solidement. Ils ne trouvent personne au refuge Vallot qui est fermé et retournent rapidement au col, souhaitant décoller avant que le soleil ne ramollisse trop la neige. Le temps va changer. "Dépêchons-nous, si vous ne repartez pas au plus tôt, vos roues enfonceront et l’envol deviendra impossible aujourd’hui ! On prend encore des photos puis avec l’aide des alpinistes on met l’appareil en position de départ, ce qui n’est pas facile étant donné l’état de la neige et l’altitude non propice à de tels travaux.

La direction du vent, assez faible d’ailleurs, ayant été déterminée, les 4 hommes se livrent à des manœuvres assez délicates pour la solidité du bâti, en sortant les roues de leurs ornières. Ils entreprennent la tâche plutôt pénible de traîner l’appareil de 350kg jusqu’au versant du col dominant le Grand Plateau et la vallée de Chamonix. Ceci afin que l’aviateur puisse disposer du plus long terrain d’envol possible et pouvoir décoller en toute sécurité avant d’avoir atteint le rebord du côté Miage, sinon, au bout du fossé, c’est la grande culbute ! Durafour commande la manœuvre ; lui et Brégeault poussent les plans inférieurs, alors que Rouyer et Orset soulèvent l’arrière et portent les patins sur l’épaule. Ils font 20m, puis s’arrêtent essoufflés. Ils repartent. La neige mollit de plus en plus, les roues s’enfoncent dans la croûte glacée qui crisse et gémit. Ils parcourent à grand-peine une centaine de mètres et Durafour, prudent, ne trouve pas encore le champ suffisant. Heureusement voilà du renfort : l’équipe des 4 Suisses arrive, joyeuse, au pas accéléré, 30’ après l’atterrissage, agitant le drapeau suisse. Les hommes sont heureux de voir Durafour vivant et saluent son exploit à une telle altitude. "Oui, l’affaire avait été bien préparée, mais le temps et les imprévus ont voulu que l’on se passe de ces préparatifs bien fragiles ! En aviation, c’est toujours la même chose, il n’y a que le sol à retrouver !" Le soleil monte, il faut reprendre la manœuvre. A sept, les alpinistes repoussent le G3 à l’extrémité du terrain, non sans peine, car la neige continue à mollir et tout travail de force est très pénible à cette altitude. Le vent se lève. "Levez davantage les patins ! Obliquez vers la gauche, halte ! C’est bon !

Décollage : un seul essai possible, sur glace, entre les crevasses, face au vide

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Le G3 et Durafour s’apprêtent à décoller.

Puis Durafour serre la main de ses aides bénévoles et monte dans sa carlingue, prêt à tout. Inspection rapide du moteur et des commandes. Rouyer et Orset maintiennent les ailes, pendant qu’Henssler, le plus costaud, essaye de mettre le moteur en marche. "Coupé- contact- coupé- contact..." Il ne se fait pas trop prier, grâce à une injection d’éther dans les cylindres rendant le mélange plus inflammable. Une intense émotion gagne la petite troupe qui assiste à 4.300m à l’un des plus grands exploits de l’aviation. Le moteur convenablement réchauffé, il est 7h55, Durafour crie "lâchez tout". Moteur plein gaz, c’est tout à coup une brusque pétarade, le fuselage frémit, et bientôt le G3 roule à toute vitesse sur la pente glacée. Il dérive légèrement. "Avant 8h, je risque la manœuvre la plus critique de toute l’expédition : le décollage. Celui-ci fut angoissant et effrayant ...

J’ai bien cru à 25m de l’abîme, que j’allais faire capoter volontairement l’appareil tant mes chances de décoller paraissent minimes. C’est à cet instant précis que l’avion s’élève." Un formidable remous le secoue brutalement ; dessous c’est le précipice italien d’une profondeur de 2.000m. "puis mon avion est poussé ou plutôt lancé dans un ravin bordé de parois de glace, je vais être broyé, mais mon Caudron se cabre, puis c’est le vide et l’envolée ; je suis sauvé !". Il s’élève enfin au-dessus du Col, sur lequel le suit son ombre, et file droit vers le glacier de Miage, plonge légèrement vers l’Italie pour prendre de la vitesse, vire près de l’aiguille de Bionnassay. "Le moteur tourne splendidement, l’appareil monte lentement, mais régulièrement, enfin je passe à 30 mètres au-dessus de l’arête.". Durafour revient au-dessus du Dôme pour faire des signes et montrer que tout va bien, sous les hourras, puis débute sa majestueusement descente en spirale vers Chamonix. "On me donnerait un million pour recommencer un départ semblable que je n’accepterais pas !"

Dans la manœuvre, Durafour a perdu de vue la vallée de l’Arve et se trouve un instant égaré dans un gigantesque cirque glaciaire. Pendant qu’il s’occupait du moteur, il a passé sans se douter le col du Midi et se trouve au-dessus des séracs du Géant. Quand on tient un fleuve, se dit-il, il n’y a qu’à descendre le cours pour aboutir sûrement à la mer, et c’est ainsi qu’il atteint la Mer de Glace, pour passer au-dessus du Montenvers, survoler la vallée de l’Arve, la descendre jusqu’aux Houches et remonter ensuite pour se pose près de Chamonix. Quant aux 2 cordées d’alpinistes, elles iront fêter l’exploit au sommet du Mont-Blanc à 9h30. Cette 5e ascension de Brégeault restera pour lui un souvenir inoubliable.

Arrivée triomphale à Chamonix et immortalité assurée.

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Le G3 amarré dans la neige. A droite, le Mont Maudit.

A Chamonix l’attente dure jusqu’à 9H10’, heure locale, lorsque l’on entend enfin l’avion. Tous les nez sont en l’air. Dans le ciel d’un bleu immaculé apparaît le G3 donnant l’impression de reprendre de la hauteur. Il n’en est rien. "A Chamonix, j’atterris au jugé, mes deux compagnons signalisateurs, qui ont eu un peu de peine à se lever, ignorent encore que j’ai réussi ! Tout a été prévu et rien de ce qui est prévu n’a marché ! Mais la chance est là qui fait le reste, c’est à dire l’essentiel !" Avec une aisance et une sûreté remarquable le Caudron se pose non loin d’une forêt de sapins, derrière l’Hôtel des Allobroges. Il est 9h30.

C’est alors la ruée éperdue de centaines de personnes sur les lieux d’atterrissage où les gendarmes sont dans l’impossibilité d’établir un service d’ordre. Dutoit et Trollux jouent des coudes et sont très anxieux. Personne présent ne sait que Durafour vient de dévaler du "toit de l’Europe". "Ca y est j’ai réussi" dit l’aviateur avec un large sourire. "Comment ça y est !" questionne Dutoit. "Mais oui, mon vieux, j’ai atterri à 7H10 et me voilà !" Un Champagne d’honneur et un déjeuner s’en suivent au Chamonix-Palace, où le héros du jour est royalement fêté et l’objet de nombreuses ovations. M. Duboin, député de Savoie, lui promet la Légion d’Honneur qu’il a mérité non seulement en raison de cet exploit, mais aussi pour son rôle de pilote d’essais durant la guerre (voir : Récit). Il sera nommé chevalier en 1928 puis officier de la Légion d’honneur en 1952. Les actualités sont déjà sur place ; l’événement est d’importance. Durafour rentre modestement en Suisse avec son avion le lendemain, passe la journée à St-Georges puis en soirée chez René Vidart à Divonne avant de rentrer à Lausanne. Un télégramme de félicitation du prince Bonaparte (FAI) du 31 juillet sera retourné à son expéditeur avec la mention "Envolé sans laisser d’adresse".

Les exemplaires de la Tribune de Genève qui annoncent l’événement le lendemain sont pillés dès 7h du matin et l’on n’en trouva plus aucun ! C’est un sensationnel événement à la veille de la Fête nationale helvétique. La nouvelle de l’exploit ne tarde pas à faire le tour du monde. Ambassades, gouvernements, mairies, particuliers, clubs sportifs envoient à Durafour leurs messages de félicitations et l’invitent à de grandioses réceptions. On frappe une plaquette à la Monnaie de Paris et l’honneur de l’atterrissage du pilote genevois, et, entre autres marques d’admiration, la "Médaille d’argent pour le Mérite" (Bene merito civi), très rarement distribuée, lui est attribuée par la Ville de Lausanne

La valeur d’un tel exploit et la valeur de l’homme

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En 1941, portraits des amis qui participèrent à ce raid héroïque sur le Mont-Blanc.

Cet exploit constitue un record mondial. Durafour est le 1er pilote au monde à atterrir et décoller à plus de 4.000m. Exploit purement sportif, il ne comportait aucun prix ni trophée et tous les risques et les frais étaient à la charge de Durafour qui aimait relater cet événement avec beaucoup de modestie. Avec les moyens de l’époque cet exploit reste légendaire et ne pourra jamais être effacé de l’histoire aéronautique, car il vient de prendre rang tant dans le palmarès de l’aéronautique que dans celui du géant des Alpes. A l’étranger, quand on se remémore un exploit aérien d’un pionnier suisse, c’est celui-ci qui est toujours cité en premier !

Peu de pilotes se sont attaqués, au cours des années qui suivent, au record de François Durafour ! L’exploit est tenté pour la 1ère fois trente ans plus tard (5 oct. 1951), au même endroit, avec un Piper de 65cv, équipé de skis (HB-OIS) piloté par Georges André Zehr (1926-2015). Il sera nécessaire de réparer l’hélice et la gouverne de direction pour un décollage 10 jours plus tard aidé d’un sandow. Puis les vols en montagne deviendront une science exacte, enseignée depuis à nombre de pilote dès 1954 (voir : Récit). Toutefois, le Français Henri Giraud (1920-1999) pose son Piper Supercub "Choucas" de 70cv (F-BAYP) le 23 juin 1960 sur le sommet du Mont-Blanc à 4.807m, sur une zone utilisable de 30x6m !

Mr. Durafour, avez-vous été tenté de recommencer ? "Certainement pas. Et si j’avais su ce qui m’attendait, je me serai bien gardé de me lancer dans une telle entreprise !" Un événement qui porte à son apogée votre renommée ? "J’en conviens, l’affaire a fait du bruit. Le maréchal Joffre, en vacances à Saint-Gervais, m’a convoqué pour me féliciter !" Il faut constater que le Mont-Blanc porte bonheur aux Genevois : J.B. de Saussure en fait la 1ère ascension scientifique, Agénor Parmelin le franchit pour la 1ère fois en avion (voir : Récit) et Durafour y ajoute sa part.

Le biplan de Durafour, ex-appareil militaire français de la 1ère Guerre mondiale est immatriculé F-ABDQ, choix arbitraire d’une administration française. Mais les mécanos de Durafour ont vite fait, dès 1920, de traduire ces lettres par : Faut Avoir Beaucoup De Q. Durafour a d’ailleurs mis plusieurs fois cette devise en pratique tout au long de sa vie.

 

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Durafour après son retour du Mont-Blanc.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 12 octobre 2006
  • Pour plus d’information, il n’y a que Pionnair-GE.com
  • - En 1948, pour la 1ère fois simple passager d’un avion, l’Avro "Anson" d’Air-Bleu, F. Durafour survole le Mont-Blanc, lieu de son exploit de 1921. Extrait d’une émission de Radio-Genève :

    [10.2012] Durafour survole le dôme du goûter 27 ans après. Live ! (1948) (audio-diaporama, 02’35’’, 4Mo). Image fixe. Format MP4.

    - Un grand exploit toujours cité 80 ans après, des images d’un grand moment en grand format :

    [06.2012] François Durafour, sa vie, son manuscrit (05.2012). Vidéo de David Charrier et J.C. Brusino, émission "Autrefois Genève", Léman-Bleu TV, 08’54’’, 217Mo. Format QuickTime 7.5 minimum.
    [04.2012] L’exploit : François Durafour se pose et décolle du Dôme du Goûter en 1921 (diaporama, 02’36’’ 8Mo). Format MP4. N’oubliez pas l’option "plein écran" de votre browser.
    [07.2008] Durafour redescend du Dôme du Goûter, images "haute définition" ! (Vidéo-diaporama musical, n&b, 03’12’, 91Mo). Necessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.
    [02.2007] Durafour se pose au Mont-Blanc, 1921 (vidéo-diaporama, N&B, sonore, 2’12’’, 45Mo), format QuickTime.

    - 30 ans après l’exploit de Durafour au Mt-Blanc, un aviateur commémore pour la 1ère fois l’événement au Dôme du Goûter :

    [01.2013] G.A. Zehr et le Supercub HB-OIS au Mont-Blanc (10.1951) (diaporama musical, 02’00’’, 6Mo). Format MP4.

    - Le 6 septembre 2016, à Saint-Gervais-les Bains (74, F), inauguration d’une fresque géante illustrant François Durafour posé sur le Dôme du Goûter :

    [03.2017] La fresque géante de Saint-Gervais (74, F) dédiée à François Durafour (09.2016) (diaporama, 23ph, 02’01’’, 5Mo). Format MP4.

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