Un 1er planeur enfin prêt et construit par ces novices du vol à voile
Henri Paul Mercier dans le cockpit d’un Gipsy Moth de l’Aéro-Club de Genève.
Le membre du récent Club des planeurs genevois (voir : Récit) ont passé les années 1931 et 1932 à construire leur premier planeur école sur la base de plans et à suivre pour certains une école de vol à voile. Le Zögling est terminé trop tard en 1932 pour débuter les essais de l’appareil enfin prêt, ils auront lieu dès le printemps 1933. Ce planeur est un simple châssis de bois ajouré sous une aile droite entoilée. Le pilote, assis sur une selle de tracteur à l’avant espère au mieux voler 30 secondes (voir : Appareil) !
Un des membres du groupe, de Carouge (GE), le célibataire Henri Paul Mercier (né le 16.02.1906), a suivi en parallèle la formation de pilote d’avion dès le début 1931 avec le moniteur Marcel Weber (voir : Biogr.). Il a réussi son brevet "A" no.260 en février 1932 et le "B" en mars 1933. Il est un technicien de valeur employé aux Ateliers des Charmilles (GE) et emploie son temps libre à l’étude et à la construction d’appareils ou de moteurs d’avions. Il a également l’âme d’un défricheur qui ne manque pas de courage. En janvier 1933 avec deux autres pilotes, MM Thomas et Nino Marinoni, ils ont été tellement secoués dans un petit avion entoilé qu’ils en ont crevé la toile de la carlingue au-dessus du Vuache et fait un atterrissage de fortune à Seyssel (F). Le 21 mai il reçoit encore une formation de 2-3 jours à Berne-Belpmoos, donnée par l’Aéro-Club de Suisse et réussit l’examen de moniteur (8 vols sur Kassel-12, no.54). Puis il conduit Marcel Devaud (Biogr.) et Maurice Duval (Biogr.), 2 présidents de l’Aéro-Club genevois, à l’inauguration de l’aérodrome de Buc près de Paris. En juin il prend avec enthousiasme la direction du groupe de vol à voile en tant que moniteur et se prépare aux premiers essais de cet unique planeur construit à Genève.
Le moniteur genevois Henri Mercier doit tester en vol le Zögling
Henri Mercier s’apprête à tester le Zögling no.35 en vol.
Marc Dugerdil dixit : "En mai 1933, premier assemblage du Zögling devant l’atelier et, le 1er juin départ pour le transfert et le montage sur le terrain de l’ancien camp militaire de Plan-les-Ouates (voir : Lieu). L’Office fédéral est avertit par le chef de groupe, comme il se doit, et vient faire le contrôle de la qualité de la construction. Il faut bien dire que le contrôleur fait ce qu’il peut, pas encore bien rôdé pour ce genre de travail. D’ailleurs on verra plus loin qu’il n’en savait pas beaucoup plus que nos constructeurs. Le numéro d’immatriculation attribué est le 35, premier numéro d’une série qui s’est sérieusement allongée au cours des années. Le groupe le baptise "Fanchon", du nom de la fiancée d’Henri Mercier. Plus tard il devient simplement le "35". Ce jour est mémorable, chacun est curieux de savoir si le Fanchon va vraiment voler, tenir le coup et surtout le cap. Les discussions vont bon train et n’ont jamais cessé depuis lors. Le 1er départ n’est naturellement qu’une glissade, pour essayer l’équilibrage et l’efficacité des ailerons."
"Puis le Fanchon est tiré par un treuil, une vieille voiture américaine qui n’a pas coûté cher. Elle a l’avantage de posséder un moteur de 25cv, dont on a surélevé les roues arrières, qui entraînent un tambour fixé sur la roue arrière gauche. Sur le tambour vient s’enrouler le câble tracteur de 500-700m, que l’on accroche au planeur. La manœuvre est assez délicate, l’homme du treuil, lors du départ en seconde, doit serrer doucement le frein qui bloque progressivement la roue droite. Cette manœuvre permet à l’autre roue, entraînant le câble, d’accélérer et faire glisser ou décoller le planeur à la bonne vitesse, pas trop vite pour qu’il ne décolle pas, ou assez rapidement en montée, afin d’éviter une perte de vitesse. Tout l’effort porte sur le différentiel et il fallait bien une grosse voiture pour résister."
"Le second départ à 50m en ligne droite est le 1er vol véritable du Fanchon. Quant au pilote d’essai, il ne peut être que le seul de l’équipe capable de tenir un manche à balai et 1er moniteur du groupe : Henri Mercier. Le 8 juin, toujours à Plan-les-Ouates [PLO], présentation du Zögling aux représentants du comité de la section, le major Marc Bornet (1899-1967) (voir :
Biogr.) et le président Maurice Duval (voir :
Biogr.).
Jean Augsburger fait sa 1ère glissade le dimanche 2 juillet (voir :
Biogr.). Le 8 juillet est la grande journée d’inauguration officielle sur le terrain de Cointrin et de début d’activité du groupe. Ce début est prometteur et chacun plein d’espoir de bientôt pouvoir passer son brevet A, c’est à dire réussir
10 secondes de planée, et accrocher sa 1ère mouette au revers de son veston."
Nb : Mercier a noté ses propres vols aux dates suivantes : 3, 8, 11, 18 et 29 juin ; 1-3, 5, 8-9, 22, 26-27 et 30 juillet ; 4-5, 19 et 26 août. Vols à PLO du 3 juin au 5 juillet ; à Cointrin ensuite. Parmi la vingtaine d’élèves pilotes, dès juillet, il faut aussi mentionner MM Bregliano, Comazzi, G.Cosandier, Ch.Détraz, Fehlmann, Fuchs, Hofer, Leclerc, M.Gilloz, Ed.Maeder, L.Marguerat, Regali, Emile P.Roesgen, Tronchin, avec Marcel Weber et Marc Bornet en personnes les : 1-2, 8-9, 22, 26, 29-30 juillet 1933.
Un élément bête provoquera l’accident du dévoué moniteur
Dugerdil dixit : "Malheureusement, le 27 août, le groupe enregistre son 1er accident mortel. Son moniteur Henri Mercier tombe avec le Fanchon d’une cinquantaine de mètres et décède 4 jours plus tard à l’hôpital. Coup terrible pour le jeune groupe, indépendamment du choc sentimental éprouvé par chacun. Il perd son seul et dévoué moniteur. Pour aggraver encore la situation, quelques membres ne reviendront plus, y compris le président du groupe Maeder. De plus, intervient l’interdiction de vol à Cointrin. C’était l’effondrement ! Heureusement que, momentanément, le flambeau est repris par une équipe de 6 à 8 membres bien décidés à ne pas laisser tomber."
"Mais revenons à l’accident, car Henri Mercier a été victime d’un grave défaut du no.35, le mauvais choix du matériel utilisé pour la sustentation des ailes, ainsi qu’une conception erronée du système, d’ailleurs imposée par les contrôles de l’OFA (renseignement de J.Augsburger). Premièrement les câbles inférieurs et supérieurs reliant l’aile au bâti n’étaient en fait que de solides cordes à piano, dont la qualité et la fatigue sont incontrôlables, notamment lors d’atterrissages durs. Deuxièmement, comble des combles, les cordes à piano supérieures n’étaient pas fixées directement au sommet du bâti ; mais par l’intermédiaire de sandows (caoutchouc), qui était sensé amortir les chocs. En réalité, lesdits sandows ne faisaient qu’augmenter les amplitudes des battements d’ailes au moment de l’atterrissage ou en vol, d’où augmentation de la fatigue des cordes à piano. Au moment de la montée du planeur, tiré par le câble, un effort sur les ailes ou une secousse du treuil (changement éventuel de vitesse) provoquèrent une rupture d’une ou deux cordes à piano. Le "35" tomba ailes repliées, entraînant le malheureux moniteur dans une chute verticale qui se termina par une casse totale et surtout de graves blessures pour Henri Mercier : fractures des jambes au-dessus du genou et probablement des lésions internes."
Jaccard dixit : "Avec un magnifique courage et malgré les blessures qui le font horriblement souffrir, il réconforte ses jeunes camarades accourus immédiatement, surpris par cet épouvantable accident. Il leur donne par là une preuve tangible et un exemple magnifique de cran que nous lui connaissons tous. Tout laisse alors supposer qu’il se remettra, car peu de temps après son opération, il échafaude déjà de beaux projets et sillonne en pensées le ciel qu’il aime tant. Sournoisement, une hémorragie se déclare et malgré les soins éclairés de la faculté, il décède le mercredi 31. Plein d’allant pour tout ce qui touchait à l’aviation, c’était un plaisir pour ses amis de l’entendre donner son avis sur des problèmes qui ne manquaient pas dans ce domaine et dont la solution demande beaucoup d’étude de clairvoyance et de logique. Très sympathique, très accueillant et de le plus excellent camarade, il se dépensait sans compter pour ses amis ; il fait un vide immense dans la grande famille des pilotes de son entourage. Nous nous consolerons difficilement de ne plus l’avoir à nos côtés, nais son souvenir nous accompagnera longtemps encore dans nos randonnées aériennes."
Membres, moniteur, Marc Bornet (cravate), M.Duval (chapeau), le "Fanchon", le 8 juillet 1933 (ph. : Dugerdil).
Du cran et de la volonté pour pouvoir repartir : un esprit de pionniers
Dugerdil dixit : "La réaction de l’OFA est immédiate, interdiction d’utiliser des sandows et des cordes à piano, qui doivent être remplacées par des câbles. Notre moniteur payait douloureusement un nouveau tribut à l’amélioration de la sécurité dans le vol à voile suisse, rendons-lui un dernier hommage de reconnaissance. Pendant l’hiver 1933-34, le "noyau dur" du groupe repart à l’attaque et reconstruit presque complètement le malheureux "Fanchon" qui est prêt au printemps 1934. L’atelier déménage et s’installe à la rue du Grand Bureau (Acacias)." L’appareil sera exposé avec confiance au 2ème Salon de l’aviation de Genève en 1934 (voir : Récit) et le groupe trouvera un nouveau terrain d’essai où le succès sera au rendez-vous avec les premiers brevetés genevois de vol à voile (voir : Récit). A suivre ...