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Le Salève—Meiringen en parapente : un vol record à but prédéterminé de Martin Muller (1999)

 

Parti du sommet du Salève en direction de Mieussy, le Genevois Martin Muller a prévu d’atteindre Meiringen (BE) d’une seule traite avec son parapente et des amis. En ce 1er mai 1999, seul à l’arrivée, il établit un nouveau record suisse de distance avec quelque 169km calculés en ligne droite. C’est un vol sensationnel qui représente réellement près de 370km, car il doit zigzaguer de crête en crête pour surfer jusqu’à sa destination finale.


Assis sous son parapente, contemplant en silence les Alpes valaisannes, Martin Muller s’apprête à traverser le "désert" de la vallée du Rhône pour retrouver des ascendances porteuses sur les massifs d’en face et poursuivre son périple (toutes photos : M.Muller).

Grâce au relief des Alpes, le vol "cross-country" permet de rejoindre un lieu déterminé.

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Martin Muller (1999).

Le Genevois Martin Muller, né en 1966, pratique le skate depuis son plus jeune âge, ainsi que la voile et le snowboard. La découverte du vol plané humain en 1990 est un formidable terrain de recherche pour cet homme devenu artisan joailler. Il décrochera rapidement 3 titres de Champion suisse de parapente en "cross-country", une discipline qui se dispute sur un parcours balisé (1996-98). La difficulté d’un tel vol réside dans le fait qu’il faut arriver à voler d’un massif montagneux à l’autre, chacun d’eux générant beaucoup de portance par des ascendants de chaleur, tout en traversant ces "désert" que constituent les plaines et vallées intermédiaires. Mais plus les années passent et plus les distances franchies croissent. Avec leur aéronef de toile, les parapentistes sont la version moderne, la nouvelle aventure, de celle déjà vécue par les pilotes de planeurs (en dur) depuis 1930. Le même avenir leur est ouvert.

Equipé d’un matériel d’un poids minimal le parapentiste reste soumis aux aléas des composantes de la météo, des caprices des éléments et doit rester très humble devant la nature. Dans l’esprit, il s’approche au plus près de ce que l’on a toujours baptisé "le vol d’Icare", soit de pouvoir voler le plus longtemps possible avec l’équipement le plus réduit imaginable.

Nous sommes le week-end du 1-2 mai 1999 qui bénéficie d’une météo idéale dans un régime du sud-ouest. Ce sont les premières vraies belles journées de la saison pour le parapente. Plus de 2.200 km seront parcourus par divers adeptes en Suisse concourant chacun pour leurs 4 meilleurs vols de l’année ! Pourtant il pleut encore un peu en Suisse orientale le matin du 1er mai. Dans la journée, le soleil apparait par intermittence et une chaleur printanière s’installe sur l’ensemble du pays. Sur l’ouest, le soleil règne en maître dès les premières heures et c’est dès le samedi matin que Martin Muller va vivre sa journée record qu’il raconte avec ses propres mots :

La météo décide des ambitions du parapentiste

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L’aile X-pert de Martin Muller porte le No. de concurrent 29.

"Les journées canons démarrent souvent suivant le même principe : les plus motivés réveille les plus endormis qui par évidence, ont fait la fête la veille, et se sont couché tard. Un, parmi les multiples avantages d’habiter près d’un site, est, que l’on peut faire le point de rendez-vous à la maison, et que l’on peut discuter autour d’une carte dépliée, un café dans une main et un croissant fraîchement apporté par le premier arrivé dans l’autre.

Les prévisions météo sont fumantes : masse d’air instable, bons plafonds, peu de vent, pas d’inversion. Après éliminations des différentes options, la décision est prise, ce sera une distance à but déterminé sur Meiringen (BE). J’avais repéré lors de l’Eagle-cup d’avril, le "Café du pont" avec sa grande terrasse, qui nous servira de balise d’arrivée juste à coté du terrain d’atterrissage officiel, 169km, record suisse en cas de réussite.

On s’entasse à 5 avec le matériel dans la vieille mais solide Volvo de Pierre pour le décollage naturel au sud du Salève. Le temps de remplir la déclaration de vol et de faire les photos officielles, des prometteurs premiers petits cumulus nous dessinent déjà la route, pour le très délicat passage de la plaine derrière le Salève.

Ce furieux de Paul Tomassi ne peut plus se retenir, il s’élance, suivit de près par Damien Tuvo qui remontera à pied une demi-heure plus tard, car simplement "tenir" à midi sur la face sud n’est pas chose ordinaire. Je prends mon temps, je sais pour l’avoir vécu, qu’il n’y a rien de plus frustrant que de poser, un jour excellent au milieu du "désert", comme on appelle affectueusement ce subtil premier passage avant le prochain massif." Martin Muller décolle enfin, direction nord-nord-est.

Sur les falaises de Mieussy avec un plafond idéal

"Après une heure de vol je respire mieux, la traversée est faite, j’ai mesquinement laissé à Pierre, posé loin de tout, les joies de l’auto stop, Je peux me détendre un peu et enchaîner le début du parcours par toutes ces faces sud-ouest que je connais si bien, en direction du but fixé.

Je file dans des thermiques pas encore établis mais rapides et culminant haut, arrivé à Mieussy (74, F) quelques parapentistes "zérotent" sous le décollage, prudemment je les évite, et trouve une belle pompe qui me permet de passer le Roc d’Enfer collé au nuage ; j’enchaîne, Pointe de Nantaux facile, mont de Grange une formalité, au Linleu, rapide plafond avant d’attaquer l’immense traversée de la vallée du Rhône (12 km, VS), j’en profite pour me réchauffer un peu et d’apprécier le sublime panorama qui s’offre à moi, le Léman s’étale à mes pieds, lisse comme un miroir, seul un bateau croisière de la CGN fend la surface d’une rectiligne en direction de Montreux.

Je remonte sans un virage la falaise de Malatraix où je croise une intense activité de vol libre, il y a des deltas et des parapentes sur chaque crête. Quelques tours avec un biplace et je m’éclipse continuant sur ma lancée."

Au plafond. En bas à gauche Gstaad !

"Un point bas au-dessus de Château-d’Oex (VD) me rappelle que tout n’est pas si simple, d’autant qu’un voile de cirrus provenant d’un orage va probablement éclater au-dessus du jura et commence à voiler légèrement le soleil. J’apprendrais plus tard que Paul a dû poser à cet endroit. Je dois faire vite, pour ne pas me faire piéger, les thermiques faiblisses, je remonte péniblement le Giferspitz de Gstaad (BE) et chemine entre les zones d’ombres jusqu’à un petit coin ensoleillé miraculeusement préservé de l’étalement des nuages où je refais un peu de hauteur.

Si le cirrus persiste, la fin du vol sera proche, il faut que je trouve une solution pour me maintenir en l’air durant le passage du voile. La grande falaise de Frutigen (BE) que j’aperçois au loin a peut-être emmagasiné assez de chaleur pour persister, je glisse vers elle, avec le meilleur taux de finesse que me permet ma performante "X-pert", et ça marche, elle me sauvegarde à mi-hauteur dans du zéro durant 25 minutes qui me parait une éternité. J’attends là en compagnie d’un chamois qui s’enfuie en premier lieu à mon approche puis s’arrête et me regarde tout étonné de m’entendre chanter, j’ai remarqué ce faisant, que cela calme les animaux sauvages, ils comprennent, après la première peur instinctive, que nous ne représentons pas une menace pour eux.

L’étalement se dissipe enfin et illumine d’abord le fond de la vallée puis montant vers nous irradie à nouveau la pierre qui ne demandait que ça pour m’offrir une pompe qui me permet de m’échapper. Je transite maintenant sur la Schynige Platte à ras les crêtes, c’est somptueux, le soleil couchant m’inonde de lumière, la face que je survole plonge dans le lac de Brienz (BE) tracé de légère risée. Tout ce parcours pour le moment magique, assuré de passer la balise d’arrivée grâce au vent de vallée qui me pousse, je m’attarde sur les sommets pour prolonger mon plaisir."

Dernier thermique avant l’atterrissage à Meiringen (BE)

"Le "Café du pont" est là sous mes pieds maintenant mais déjà plongé dans l’ombre, j’assure mes photos du goal, la terrasse est vide, personne pour témoigner de mon arrivée, je m’approche de la gare, et pose à 19h30 sur un accueillant champ, à côté d’une famille paisiblement installée dans son jardin.

Cette famille Gnägi-Rolli pousse l’hospitalité à m’inviter à manger et se propose de me conduire à Interlaken (BE) pour attraper le dernier train, j’ai même droit à un dessin du grand Lars, me représentant à l’atterrissage près de sa maison, vraiment sympa. Je dois des remerciements à mon épouse Isabelle qui est passée me prendre, à la gare de Genève à... 1h30 du matin."

 

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Martin Muller participera aux compétitions X-Alps de Red Bull, classé 3ème en 2007 et 4ème en 2011.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 12 octobre 2006
  • Pour plus d’information, voir le site internet Alpfreeride

  • - Le 14 décembre 2008, Nevil Hulett, en Afrique du Sud, hisse le record de distance en parapente à 502,2km pulvérisant le record de 2006 de 426,8 km réalisé en Slovénie.

    Adapté d’un article paru dans Paradelta magazine

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