Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
 | Agenda | Plan du site  | Pionnair-GE in Deutsch | Pionner-GE in English | Espace privé 
 
 
Dix huit heures de crise sur le "porte-avions" genevois, un dimanche actif pour le SSA (1982) [vidéo]

 

A l’atterrissage côté lac, un Boeing B-707 touche le sol avant la piste et perd ses 3 trains d’atterrissages. Après une glissade de 900m sur le ventre et une aile arrachée, tous les passagers sortent en vie de l’appareil avec 2 blessés légers. Mésentente dans le cockpit et un commandant trop stressé sont les seules causes de cet accident où la technique et la météo ne peuvent être mis en cause. Il s’agit là de la 1ère grande occasion pour le Service Sécurité de l’Aéroport de démontrer son efficacité.


Le Boeing B-707-366C, c/n 20342/837 "Mankara" après sont atterrissage raté sur la piste de Cointrin le 17 octobre 1982. Tous les passagers sont indemnes (ph. : R.Anthoine).

"Terrain ! Terrain ! Terrain !"

JPG - 9.6 ko
Après 900m de glissade, tous les trains ont été arrachés (Ph. : G.Leverington).

Un Boeing 707 quadriréacteur de 12 ans d’âge est en phase d’approche depuis le lac Léman vers la piste "23" de Cointrin. L’appareil vole depuis 3h45’. Ce vol MS-771 est plein, rempli en majorité de touriste de retour de vacances. Il y a même une femme et 2 enfants en surnombre qui ont pris place dans le cockpit ! Le commandant de bord est stressé et il eut l’occasion de rabrouer son copilote qui depuis reste presque muet, ne voulant peut-être pas perdre la face devant les passagers présents dans le cockpit. Un plafond de nuage est présent mais la visibilité est de 6km, soit deux fois la longueur de la piste. Une légère neige termine de fondre sur le gazon alors ramolli bordant la piste qui elle est humide. Il est 12h15 ce 17 octobre 1982. En théorie, rien là de trop exceptionnel. Mais la descente en finale qu’effectue vers Genève le commandant est en train de rater : il est trop court/trop bas, trop rapide (270km/h) et s’entête à vouloir atterrir du 1er coup !

A 12h19’ : Boum ! L’avion touche trop tôt le sol sur la terre meuble avec son train avant et son train droit quelque 35m avant la piste en béton. Il fauche l’antenne de droite de l’ILS. Les réacteurs proches de la cabine laissent alors eux aussi leurs traces dans le sol mou. L’avion fauche encore 3 projecteurs éclairant le seuil de piste. Contre ce rebord de piste en ciment, le train avant et le train droit sont arrachés. L’appareil glisse alors sur la piste en béton vers la droite et perd sont réacteur extérieur droit. L’aile droite est arrachée, repliée contre la carlingue avec le réacteur restant qui traîne au sol faisant des étincelles. L’appareil glisse toujours, traverse la piste vers la gauche, passant sur l’herbe, perd le réacteur extérieur gauche, son train droit, puis revient vers la piste. Après 900m de glissade, la carlingue s’immobilise, cockpit orienté vers le Salève et dérive vers le Jura. Le réacteur droit a pris feu et des flammes lèchent la cabine. Toute l’action aura duré moins d’une minute, secouant les passagers sanglés dans leurs fauteuils. La tour de contrôle lance l’alarme dans les services de Cointrin !

Plus de peur que mal, mais le "porte-avions" va tourner au ralenti

JPG - 10.2 ko
Soulèvement pour glisser des remorques sous la carlingue (ph. : E.Aldag).

Les hôtesses font fonctionner les toboggans de la porte avant gauche et de l’arrière droit. Les passagers évacuent l’appareil arrivant sur le tarmac. Une dame a sauté de la carlingue avant le déploiement d’un toboggan et se brise une cheville. Une autre porte une plaie, 2 ou 3 sont en état de choc, mais globalement tout le monde est sorti indemne du crash, soit 172 passagers et 10 membres d’équipage !

"Nous avons eu de la chance", affirme Roland Troyon, patron du SSA, "nous étions sur place. Mes hommes étaient au réfectoire, ils sont descendus par les perches et ont sauté dans les camions, pour être sur place un peu plus d’une minute après. Quant à moi, j’allais monter dans ma voiture quand l’accident s’est produit". En 90 secondes les secours de l’aéroport de Cointrin sont sur place et maîtrisent presque instantanément le début d’incendie des réservoirs avec de la mousse carbonique, tandis que du kérosène s’écoule sur le sol. En fait, il reste 6.500kg de kérosène dans le réservoir ventral central du B-707-366C. On évite la pollution du sol et du ruisseau Vangeron en plaçant un barrage autour du carburant et en l’aspirant. Quelques 10 véhicules, ambulances, camions de pompiers, véhicules de police, sont arrivés vers le lieu du drame. Il y a environ 20 hommes du Service de Sécurité de l’Aéroport (SSA), 20 pompiers du Service d’intervention Sécurité, 15 policiers, 15 gardes de l’aéroport et une quinzaine de sauveteurs.

Les passagers sont regroupés. Quatre partent rapidement en ambulance vers l’Hôpital cantonal. Les autres sont pris en charge par le personnel de l’aéroport et réconfortés. Leurs bagages vont être récupérés, indemnes, ainsi que les effets en cabine. Quelque 126 suisses-alémaniques seront ensuite menés à la gare Cornavin pour rejoindre Zurich en train. Quarante six passagers débarquent à Genève. La piste a aussitôt été fermée au trafic aérien. Une réouverture partielle se fait à 15h30 pour les seuls atterrissages, si les commandants de bord le veulent bien, sur les 2,7km de piste restante, car ils ne pourront pas décoller ensuite avant plusieurs heures. Une quarantaine de mouvements d’avions sont ainsi supprimés, une dizaine de décollages sont autorisés dont 7 avions d’affaire. Naturellement cela implique des embouteillages aux guichets d’enregistrement de l’aérogare à cause des vols annulés ainsi que par les personnes venues attendre des passagers. Un nombreux personnel est sollicité de partout

A 16h, un DC-9 cargo se pose en "05" et apporte 10 palettes du matériel pour lever et déplacer le Boeing. Ce matériel est unique en Suisse et disponible pour tout aéroport qui en a le besoin. Les enquêteurs du Bureau fédéral des accidents arrivent de Berne et débutent leur enquête dès 16h30. Ils la mèneront jusqu’a 22h15. La maison Friderici de Morges est contactée pour apporter rapidement 2 grues afin de déplacer la carlingue du B-707 SU-APE "Mankara". Dans la nuit, 2 groupes de sangles sont passés sous cette carlingue, les grues la soulèvent avec son aile gauche et la posent sur une remorque spéciale servant au transport des wagons de chemin de fer sur les routes. Vers 2h du matin le tout est déplacé vers les bâtiments de piste situés au bas de Grand-Saconnex. Là, les enquêteurs pourront continuer leur travail.

Vient alors le nettoyage de la piste et de ses abords. C’est la chasse au débris, leur collecte et le nettoyage du béton. Il faut éviter qu’un autre avion pâtisse d’un éclat (cf. Concorde en juillet 2000). En final, en pleine nuit sous les projecteurs, tous les hommes, à pied et côte à côte, remonte la zone concernées inspectant chaque cm2, ramassant tout fragment. Ailleurs les techniciens réparent les projecteurs cassés, changent l’antenne ILS et vérifient le fonctionnement des appareils. Cet accident a considérablement perturbé le trafic aérien, la vie de l’aéroport et mobilisé pendant plusieurs heures des équipes multiples pour s’occuper des passagers, de l’avion, etc. Mais le lundi matin, à 6h tout est prêt pour la reprise du trafic normal et de l’activité aéroportuaire !

Première grande intervention du SSA, une assurance-vie pour le futur

JPG - 6.6 ko
Traces du train droit et d’un réacteur (ph. : Police GE).

En février 1986 tombent les conclusions de l’enquête officielle. Plusieurs erreurs sont imputables aux pilotes : manque de décision du commandant de bord qui n’a pas remis les gaz après une approche complètement manquée ; une coordination insuffisante du travail dans le poste de pilotage, le briefing d’approche n’ayant pas eu lieu et les tâches n’ayant pas été clairement réparties avant l’atterrissage ; de plus, un entêtement à atterrir une fois le sol en vue. D’autres facteurs, à mettre à l’’actif du commandant, ont contribué à l’accident. Il s’agit notamment du manque de planification correcte de l’approche et de l’atterrissage, ainsi que d’une augmentation tardive de la puissance dans la dernière phase de l’approche. Mais aussi semble-t-il de la sortie par inadvertance des aérofreins peu avant l’impact. Le rapport précise encore que le commandant a donné des signes de surmenages et d’insécurité.

Que faut-il tirer de cette expérience pour Genève ? L’équipe du SSA est prête et formée. Fondée en 1948 et menée dès 1958 par Roland Troyon (1924-2003), elle n’a pas cessé de se former au pire. Heureusement, aucun crash n’a eu lieu à Cointrin depuis 1948, mis à part quelques accidents de trains d’atterrissages, toujours réparables. En 1976 on a même fait un grand exercice simulant le crash dans le lac d’un DC-9 en flammes. En 36’ minutes les 70 passagers en gilet de sauvetage ont été récupérés loin de la piste. Mais ce n’était qu’une simulation même si les moyens techniques étaient déjà disponibles. En octobre 1982, les hommes de Troyon ont été très performants et leur chef en a été fier à juste titre. Ainsi dorénavant 4 sections de 18 hommes se relient à Cointrin tous les 12h, toujours sur le "qui-vive". Lors de sa dernière année d’activité, le major Troyon en voit encore les résultats :

Le 5 mars, un Fokker F-100 (PH-KLC) arrive à Genève avec 95 passagers et 5 membres d’équipage à bord. Au moment de se poser sur la piste "05", l’avion est victime d’une rupture de béquille du train d’atterrissage gauche. L’aile gauche laboure le bas côté de la piste avant que l’avion ne s’immobilise après 600m de course sur le ventre. Rapidement les membres du SSA interviennent et procèdent à l’évacuation des occupants dont aucun n’est blessé. L’aéroport n’est fermé que durant 2h, le temps de déplacer l’appareil qui avait été livré à sa compagnie un mois plus tôt !

Bien sûr, à Cointrin il y a de fortes chances que la surprise arrive principalement du ciel. Le 17 février 1985 débarque la "neige du siècle" et 60cm tombent en quelques heures paralysant l’aéroport durant 56h ! Ce n’est plus jamais arrivé depuis 20 ans, et le SSA n’y est pour rien, mais ça lui simplifie bien la vie.

 

JPG - 33.5 ko
...
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 12 octobre 2006
  • Pour plus d’information, lire : Schlussbericht der Eidgenössischen Flugunfall-Untersuchungskommission über den Unfall des Flugzeuges Boeing 707-266C SU-APE der Egyptair vom 17. Oktober 1982 auf dem Flughafen Genf-Cointrin, Nr.1982/35-1135.
  • Site de Ronan Hubert sur les accidents aériens site internet
  • Crash du B-707 d’Egyptair (Diaporama, couleur, sonore, 02’, 40Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3. minimum.

    Vous êtes ici : Accueil > Récits > Dix huit heures de crise sur le "porte-avions" genevois, un dimanche actif pour le SSA (1982) [vidéo]