Les Genevois décrochent l’organisation de la course. Un gag, non au GAG !

La coupe Gordon Bennett est une course de ballons à gaz, sans brûleur. Chaque ballon embarque de l’hélium ou de l’hydrogène puisé à la même source du pays organisateur. Une fois le ballon en l’air, il est impossible de remettre du gaz. Ces ballons ont un volume de 1.000m3 (+ou- 5%). Dans les débuts, le matériel n’est pas trop important, on vole parfois dans des ballons loués. C’est le cas en 1985 où les Autrichiens et un équipage américain louent un ballon suisse évitant les frais de transport de leur propre matériel. Les nations qui concourent sont surtout européennes auxquelles s’ajoutent les USA et parfois le Japon. Il y a 3 équipages au maximum par pays, chacun de 2 pilotes, qui doivent accomplir la plus longue distance entre le lieu de départ et d’atterrissage. Ces hommes peuvent rester dans les 1m2 de leur nacelle durant 1 à 4 jours !

La Suisse a remporté 5 fois la victoire : en 1908 (le Genevois Théodore Schaeck et Emil Messner, voir : Récit), en 1912 (le Romand Victor de Beauclair et Walo Gerber), en 1921 (le Genevois Louis Ansermier et Paul Armbruster, voir : Récit), en 1936 (E. Tilgenkamp et Maurice ten Bosch). Il n’y a pas de compétitions de 1939 à 1979. En 1984 la Suisse est à nouveau vainqueur (Karl Spengler et Martin Messner) et doit alors organiser la course de 1985.

En 1984 la Suisse s’y prépare et un comité suisse-alémanique détermine 3 villes d’outre-Sarine pour cela, au choix. Mais Ernst Iseling, président de la commission aérostatique de l’Aéro-Club de Suisse, fut fort impressionné par le bicentenaire de l’aéronautique fêté à Genève en 1983 par le GAG, le Groupe Aérostatique Genevois (voir : Récit) et propose au fondateur et responsable du GAG Laurent Exchaquet de réaliser un dossier de candidature pour vanter Genève. Rapidement un appui est offert par la Ville de Genève et le Conseil d’Etat qui offrent une garantie de déficit pour la manifestation. Le jeune et encore modeste GAG, fort de 15 membres et de 12 pilotes, obtient finalement l’organisation de cette 29ème Coupe Gordon Bennett, avalisée également par la FAI. L’événement se déroulera au parc des sports de Vessy (voir : Lieu). Quelque 63 ans après l’expérience de 1922 à Vernier (voir : Récit) c’est déjà une belle victoire sur le papier pour les Genevois !

L’organisation se met en place œuvrant durant près de 10 mois, sous la présidence de L.Exchaquet. Ernst Iselin sera le directeur de la compétition, le patron de l’Aéro-Club de Genève Jean-Pierre Reber est dans le Jury des 3 experts, Brigitte Exchaquet aux finances, René Hug à la presse, etc.. Il faudra finalement 65 autorisations administratives diverses pour débuter la manifestation. NB : prix d’entrée 10F, 6F dès 17h, gratuit aux enfants jusqu’à 14 ans.

Gonflage des enveloppes dans une ambiance de fête internationale

Les ballons sortent peu à peu de terre comme des champignons multicolores.

Le samedi 28 septembre la météo est superbe, tout a été organisé à la perfection. Il y a une atmosphère particulière sur le site d’envol du parc de sports dans la verdure de cette boucle de l’Arve. De nombreux volontaires gonflent les 14 ballons dès 10H. Il leur faudra 12h pour cela en se servant de longues bouteilles d’hydrogène, les 20.000m3 transportées par 8 camions de 30t depuis Zurich (une autorisation est nécessaire par canton traversé !) et entourés d’un bataillon de pompiers. Etalés dans l’herbe, les ballons semblent sortir petit à petit de terre comme de monstrueux champignons multicolores. Quelque 80 enfants du Cycle de Budé passent la journée à remplir des sacs de sable, à raison de 30 par ballon, 800kg en tout. D’après un concurrent étranger : "Les Suisses ne pouvaient pas choisir un meilleur emplacement. Genève donna à la course le style et l’importance des vieux jours." Le départ est prévu dans la nuit pour ne pas interférer avec l’activité de l’aéroport de Cointrin !

Les informations météos donnent de hautes pressions, un faible vent du nord-ouest. Les concurrents ne souhaitent pas se trouver au-dessus des Alpes en pleine nuit. Ce n’est pas aisé de voler à plus de 5.000m. La seule bonne idée est d’atteindre rapidement de hautes altitudes et de trouver un vent dans une autre direction, probablement nord-nord-est tirant vers le sud-ouest.

On note ici un seul compétiteur féminin, Helma Sjuts (D), également la personne la plus âgée, accompagnée encore du pilote le plus jeune. Sont encore présents : l’Autriche, la France, la Pologne, la Suède et les USA. Parmi les 3 ballons suisses on compte les glorieux vainqueurs suisses précédents (1984) : Karl Spenger, pilote depuis 1976, premier aux Championnats suisses de 1982, il a déjà réalisé 244 ascensions et cumule 1.500h de vol. Son ami et copilote Martin Messner, participa aux Championnats du monde de ballon air chaud en 1981, 83, 85 et au Championnat d’Europe de 1982. Il est le petit-fils d’Emile Messner co-vainqueur de la course Gordon Bennett de 1908 avec le Genevois Théodore Schaeck (voir : Récit).

En attendant l’envol des ballons, la journée connait diverses attractions : vols de modèles réduits, saut en parachute, patrouille aérienne Martini, ailes Delta, baptême en ballon et démonstrations diverses. Egalement, une exposition de dessin de caricatures "Humour et ballons" se tient à Vessy depuis le 26. L’ensemble est complété par un concours de dessins aérostatiques réalisé par des élèves.

Chaque coupe Gordon Bennett donnant lieu à une émission de souvenirs philatéliques, une oblitération spéciale est fournie par un bureau temporaire, le bus des PTT. Chaque ballon emportera un courrier symbolique qui sera posté au lieu d’arrivée. J.P. Kuenzi, à bord du ballon Ajoie (HB-BOH), déposera le sien dans la Drôme où le maire et 2 aides apposeront le tampon de Châtilons-en-Diois le lendemain.

Dès 20h30, un feu d’artifice est tiré depuis un ballon captif placé à la verticale de l’entrée du Parc des Eaux-Vives, pendant 6 minutes. Il annonce le départ officiel de la 29ème course.

Cap au sud où presque tous s’arrêtent au bord de la Méditerranée

L’armée à mis à disposition des projecteurs de DCA datant de la 2ème Guerre Mondiale, on peut ainsi suivre très haut l’ascension des ballons. A 21h, pour tous les présents, il est impressionnant de voir comment ces ballons sont transportés l’un après l’autre vers la plateforme commune de départ, espacés d’un intervalle de 5 minutes. Ils disparaissaient ensuite dans la nuit suivis par le son de leur hymne national et les applaudissements des spectateurs. L’hymne est joué par un véritable orchestre de la Musique municipale de Genève. Spectacle formidable que cet envol dans les projecteurs, dans une nuit presque estivale !

Douze des 13 ballons atteignent rapidement de hautes altitudes. Là, ils trouvent un vent de nord-est qui les emporte vers le Rhône, vers le sud. C’est une nuit de pleine lune, elle est donc claire et le relief visible. Au petit matin ils se retrouvent dans le Mistral et accélèrent leur vol, atteignant la Méditerranée dans l’après-midi. Entre temps, les aérostiers ont suivi le magnifique paysage montagneux des Alpes. Faut-il traverser la Méditerranée sachant qu’un amerrissage est disqualifiant ? Ceux qui s’élèvent dans les derniers ne trouvent pas ce vent rapide une fois le matin venu et sont donc moins chanceux. Dans le Midi de la France le vent se calme et plus tard tourne de l’ouest venant du sud. Alors certains ballons doivent se poser rapidement s’ils ne veulent pas diminuer la distance déjà parcourue. Ailleurs un concurrent allemand reste coincé, englué, au-dessus du lac Léman toute la nuit et tiendra l’air pendant 44h20’ en parcourant finalement 68km jusqu’à Chambéry (F). Une distance qu’un piéton aurait réalisée en 13h. Cette anecdote produit le nouveau record de durée à battre dorénavant.

Le dimanche à Vessy, pendant que les ballons à gaz poursuivent leur périple, les spectateurs continuent à participer à une sorte de meeting aérien ininterrompu jusqu’à 17h. A 9h30 la course UBS fait décoller simultanément 30 montgolfières et après 30’ les libère pour qu’elles rejoignent leur point de départ en faisant un atterrissage de précision, en 2 envols. Vers 10h la réplique de la montgolfière de 1783 du Musée de l’air de Paris décolle, des acrobaties aériennes par un avion Stampe suivent ainsi qu’un défilé des appareils de l’Aéro-Club enchainant les mêmes démonstrations déjà citées le samedi. Le public gâté est venu en nombre pendant les 2 jours.

Quelques minutes avant le départ de la course, au son d’un orchestre de chambre...

De leur côté, les aérostiers autrichiens Starkbaum et Scholz volent à la limite du sud du continent européen et arrivent à Sanary-sur-mer près de Toulon, après une distance de 342km effectuée en 21h09’ de vol. Les rapides Suisses Spenger et Messner tentent tout pour répéter leur victoire de l’année précédente, mais leur atterrissage se trouve plus à l’ouest, avec 19 km de moins que le vainqueur et ils terminent 3ème. Les Polonais arrivent en second avec 2km de plus que les Suisses. Il n’y a finalement que 35km de différence entre le 2ème et le 10ème. Ce n’est pas une année pour les records de longues distances. Le record de durée actuel reste donc toujours de 92h11’ !

Naissance de deux grands champions aérostiers autrichiens

Les vainqueurs : Josef Starkbaum et Gert Scholz (Aut.) encadrant J.-P.Reber président de l’Aéroclub genevois.

1985 voit la naissance de 2 grands champions autrichiens. Si Ernest Demuyter (Be) avait déjà gagné 6 fois la Coupe, mais pas consécutivement, avec différents co-pilotes (1920-1937), les Autrichiens Josef "Joschi" Starkbaum et Gert Scholz, seconds en 1984 à leur 1ère compétition, resteront invaincus pendant les 6 prochaines années de la Coupe Gordon Bennett (1985-90). Starkbaum est né le 22 mars 1934 à Brünn (Brno, république tchèque). Aérostier et pilote de ligne, il a gagné plusieurs compétitions internationales dès 1976 et est déclaré plusieurs fois champion d’Europe de ballon à air chaud (1980, 19. ?). Il sera encore 2 fois champion du monde en course de ballons (1988, 1990). Plusieurs records d’altitude en ballon à air chaud sont à son actif dès 1983, culminant à 15.360m en 1998.

Gert Scholz, co-pilote de Starkbaum était présent à la Gordon Bennett de 1984, aux Championnats du monde 1982 de ballon à gaz. Il a participé aux Championnats du monde de ballon à air chaud en 1977, 1979, 1981, 1983 et 1985. Il sera encore le Secrétaire général pour les Championnats d’Europe et du Monde de 1986 et 1987 en Autriche. Mais que l’on se rassure, les Suisses gagneront à nouveau la Coupe Gordon Bennett, en 1994, avec Karl Spengler et Christian Stoll !

Résultats de la 29ème course de ballons à gaz de la coupe Gordon-Bennett de Genève