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La volonté de voler de Claude ne cessera pas malgré la perte d’un bras : c’est certain, il volera ! (1966) [vidéo]

 

Décidé dès son adolescence à piloter un avion, Claude Girard fait tout ce qui est en son possible pour y arriver le plus rapidement. La perte d’un bras dans un accident de chemin de fer ne le ralentit que temporairement. Il convainc aviateurs et autorités, enjambe des obstacles en tous genres et démontre à chacun que sa situation ne gêne en rien. Il illustre ainsi comment l’on peut s’adapter à l’aviation sans modifier celle-ci. Après l’obtention de son brevet, il volera pendant des dizaines d’année.


Voilà qui est fait : Claude Girard a décroché son brevet de pilote no.8813 le 7 novembre 1966 à Cointrin, sur le Piper Cub HB-OUV, en présence de 2 experts.
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    Pendant l’écolage en été 1966.

    Claude Girard naît à la veille de Noël 1925 à la Chaux-de-Fonds, unique cadeau masculin de la famille. Celle-ci, francophone, s’installe à Bienne où Claude suit l’école primaire et secondaire et prétend à une jeunesse "tumultueuse". Il ne songe pas encore à l’aéronautique mais c’est elle qui va venir à lui. La crise des années 30 implique notamment une crise horlogère en Suisse qui va ruiner son père. Celui-ci, qui a fondé la marque Altus, se résout à entrer finalement dans l’administration fédérale au Dpt. Fédéral de l’Economie, Section Industrie horlogère, pour nourrir une famille qui abrite maintenant 3 enfants.

    Installé à Berne, Cl.Girard découvre le spectacle permanent lié à l’activité de l’aérodrome de Belp. Il s’intéresse alors à l’aviation puis se passionne pour elle pendant des années : il sera pilote ! Sachant qu’il fera un jour son service militaire, il apprend l’allemand couramment et "drague" même un certain temps la fille d’un officier des Troupes d’aviation pour être sûr d’être incorporé dans l’arme. Ce qui sera brièvement le cas. Cette stratégie démontre déjà comment l’homme sait trouver les moyens de sa politique et combien son intérêt pour l’aéronautique est fort.

    Entre temps, Cl.Girad suit une filière de formation technique logique via l’Ecole de mécanique à Berne puis l’Ecole des Arts et Métiers à Genève, ici loin de sa famille. Il termine ses études au Technicum de Genève (actuelle EIG) lui donnant une formation de technicien-ingénieur. C’est l’heure du recrutement militaire qui l’incorpore bien dans la troupe aérienne, bravo ! Mais on s’aperçoit très vite qu’il est le cadet de 2 sœurs et qu’il peut être un "soutien de famille potentiel" et ne peut donc être formé comme pilote ! Ce règlement en vigueur depuis 30 ans ne disparaîtra que bien plus tard. C’est un choc, un petit drame source de beaucoup d’émotions. Cl.Girard est versé dans les troupes légères motorisées pour le restant de sa carrière militaire. Pour piloter, il lui faudra donc passer par la filière civile, qui n’est pas gratuite comme celle de l’armée !

    A 22 ans, en 1947, il effectue un job d’été comme chauffeur à l’ONU. Se rendant à un rendez-vous professionnel par le train, il est victime d’un terrible accident dans lequel il perd l’usage de son bras droit qui doit être amputé juste au-dessous de l’épaule !

    Prouver que l’on est un homme comme tous les autres

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    A bord du MS Rallye (HB-EDE), à Berne, emportant sa mère et une parente (1967).

    Passons sur la période difficile qui suit ce grave événement et sa convalescence ... Pour piloter un jour, la difficulté vient de se décupler. Pour occuper un emploi dorénavant, il faut que Cl.Girard s’oriente vers tout autre chose que sa formation technique. Il lui faut aussi apprendre à écrire de la main gauche, ce qui constitue sa 1ère grande difficulté. Il part alors en Angleterre pour apprendre la langue et suivre une formation à la London School of Economy. Il maîtrisera 3 langues. Là, une découverte locale lui donne un nouvel espoir envers la potentialité de piloter. Lors d’un séjour au Roampton Hospital près de Londres, baptisé "l’hôpital des gueules cassées", abritant de grands blessés de la 2ème Guerre mondiale, Cl.Girard fait la connaissance d’ex-pilotes de la RAF qui ont subi de graves accidents (brûlures, amputations, etc.). C’est pour lui une expérience extraordinaire et enrichissante et la découverte de récits de guerre qu’il ne va pas oublier : "Ca donne un courage invraisemblable !" Il comprend rapidement comment cette expérience britannique va l’aider pour le futur et y obtient une 1ère prothèse pour son bras.

    Cl.Girard a déjà essayé de conduire une automobile d’un seul bras, il est sûr de pouvoir régler ce point là. Il passe à Londres un examen de conduite spécial, obtient un permis officiel pour des automobiles ayant conduite à droite comme à gauche. Du coup, en été, il fait visiter le pays à des touristes en tant que chauffeur ! Après 2 ans, Cl.Girard rentre à Genève pour prendre un poste administratif à l’ONU, job qui est supprimé 15 jours après son arrivée ! Après une période de "vaches maigres", il entre alors au Bureau International du Travail (BIT) où il va vivre le reste de sa carrière professionnelle.

    Nous sommes en 1949, Cl.Girard a 24 ans et ne s’épargne pas la difficulté. Avec guides et amis, il entreprend à nouveau des courses en haute montagne. Si l’Angleterre semble mieux outillée et plus "tolérante" pour Cl.Girard, l’administration suisse reste à convaincre pour ce qui est de conduire ou de piloter. Pourtant, en mai 1952, après une démonstration concluante où il véhicule 2 experts du Bureau des Automobiles et son directeur Aymond Renaud, il retrouve le permis de conduire suisse sans restriction, sauf pour l’emploi de motos. Il se marie en 1955...

    L’art de convaincre, de piloter et de montrer involontairement l’exemple

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    En 1988, Cl.Girard participe à un cours de pilote de glaciers à Sion.

    Dans les années 60, Cl.Girard fait la connaissance du moniteur de vol et chef pilote de l’Aéro-Club de Genève Jean Baer (voir : Biogr.). Il forme au pilotage 2 de ses amis, Marc Bonnet et son épouse. Cl.Girard s’intéresse aux documents que ses amis étudient et se dit à nouveau : "Pourquoi pas moi ?". Une démarche administrative auprès du Dr R.Glatt médecin aéronautique à l’OFA et à la FAA, avec l’appui de J.Baer qui y croit, lui rapporte un avis favorable. Pour cela, une prothèse de bras se plaçant à l’épaule est nécessaire. L’avis d’orthopédistes est sollicité et divers essais sont pratiqués.

    Finalement, l’objet aura un coude articulé qui peut être bloqué et un poignet articulé. Une bride à l’emplacement de la main, se fixe assez facilement (d’une main) au volant ou sur le manche à balai de l’avion ; l’Ecole de Mécanique l’ajoutera au bras articulé (voir photo ci-dessous). Un essai de main électrique faisant pince est vite abandonné, trop lourde et pas assez rapide d’exécution. J.Baer suggère de piloter depuis le siège de droite, comme le fait le moniteur, laissant le bras gauche manipuler, la radio, le tableau de bord et les manettes (volets, gaz, préchauffage, +documents de vol, etc.), ce qu’agrée l’OFA. La prothèse, en position rigide, permettra de manœuvrer le manche à balai par les mouvements du buste dans les 4 axes. La place de droite est plutôt choisie en présence d’un volant, celle de gauche s’il s’agit d’un manche à balai.

    Problème "helvétique" sans précédent ? Par chance, l’Office Fédéral de l’Air prend à ce sujet une position très constructive. Cl.Girard sert peut être de cobaye pour la Suisse car l’on connait de nombreux cas de pilotes en France et ailleurs qui se sont adaptés. La carte d’élève pilote est attribuée à Cl.Girard (02.1966) qui débute sa formation de pilote à Cointrin, sur la piste en gazon dans le Piper Cub J3. L’OFA observe de près l’évolution du candidat : le 12 juillet, c’est le 1er vol en solo après "check" de Mr Vercelle. Le 17 novembre, c’est l’examen en présence de 2 experts et l’obtention de la licence de pilote privé no.8813. "Pour effectuer 3 tours de piste complets de Cointrin, dont l’un avec un survol de la piste en dur à quelques mètres de haut, sans toucher le manche avec le bras valide ; au début du vol, le courageux expert de l’OFAC est un peu crispé, mais montre un large sourire en fin de vol."

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    La bride-poignet enserrant ici un véritable manche de balai !

    Lui sont dorénavant autorisés les : Piper Cub J3, Morane Rallye club MS 8806, Piper Cherokee, PA 18/28 160/180cv, Beagle Pup, Piper Super-Cub, avec skis, de l’Aéro-Club de Genève.

    Quant aux tâches que Cl.Girard va mener au sein même de cet aéroclub, elles mériteraient un autre article à elles seules. Sa vie de pilote est maintenant semblable à celle de tous ses collègues. Citons seulement sa formation de pilote de montagne avec les instructeurs Henri Golaz (voir : Biogr.) et Otto Bachmann. Le 22 mars 1986, il effectue son 1er "lâcher seul" sur le glacier de la Rosa Blanche : "Expérience inoubliable !" S’en suivent des centaines d’heures de vol jusqu’à la fin de 1997, pilotant même jusqu’à Corfou.

    Le point de vue de l’homme-pilote

    - "Des situations analogues, des milliers de personnes les connaissent malheureusement chaque jour et doivent faire face à des questions angoissantes d’ordre psychique, affectif et matériel. Tout au long de cette difficile période de réadaptation, il faut essayer d’utiliser une formule remplaçant la question "Pourquoi cet accident ?" par "Pourquoi pas ?"
    - "L’essentiel dans l’existence ne réside pas toujours dans l’importance des problèmes que l’on rencontre, mais souvent dans la manière dont on parvient à les surmonter."
    - "La bataille pour être "comme tout le monde" n’est jamais perdue. Il ne s’agit à aucun moment de subir les événements mais de les dominer dans toute la mesure du possible ; si l’on parvient à ce résultat, on pourra se considérer comme intégré à part entière dans la société. Quelques risques, mais les résultats acquis, si modestes soient-ils, représentent un enrichissement extraordinaire et un encouragement à persévérer."

     

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    Juillet 2006, réunion des pilotes de montagne... Claude Girard fut aussi le secrétaire des "Vieilles Pousses", un groupe d’aviateurs créé en septembre 1958, aux réunions mensuelles interdites aux moniteurs et aux femmes, et qui perdure toujours .... un club dans le Club. !
    Par : Jean-Claude Cailliez
    Le :  mercredi 13 décembre 2006
  • Pour plus d’information sur le vol avec un handicap, lire : La couleur préférée de ma mère, de Dorine Bourneton. Ed. Robert Laffont, 2002, 198p., ills, à la "Librairie ".
  • - Claude Girard est décédé le 7 octobre 2011, dans sa 86ème année.

    Cl.Girard raconte, 2000’s (vidéo-diaporama, couleur, sonore, 4’, ≈65 Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.
  • Pour commander le DVD "Mémoires d’Aéroclub", contacter Pascal Challande à l’Aéro-Club de Genève : webmaster@aeroclub-geneve.com
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