Dans le ciel clair d’un matin d’octobre
Le captain Rod Brooking à bord (Ph. : JC Cailliez).
4 octobre 2006, 11 heures du matin. Le ciel est limpide, lessivé toute la nuit par une grosse averse d’orage. Le lac ressemble à un miroir. Pas un souffle dans l’air, pas une ride sur l’eau. Sur le quai de la Nautique, face aux bâtiments de l’ONU, la foule d’initiés grossi de plus en plus. La barque La Neptune, bondée de journalistes, file parallèlement au quai de Vésenaz. De petites embarcations ferment un long rectangle d’eau le long du quai. La vedette de la Police, telle une mouche, va et vient à toute vitesse afin de s’assurer qu’aucun bateau ne se trouve dans la zone réservée. La foule attend ...
Le ciel est tellement clair qu’on le voit décoller de Cointrin. Quelques minutes passent et le ronronnement régulier de ses 2 Pratt & Whitney remplit le ciel. Paresseusement, majestueusement, ce visiteur de marque approche de la rade, passe lentement au-dessus de nos têtes, disparaît derrière la butte de Cologny pour réapparaître peu après, face aux spectateurs. Ses phares d’atterrissage allumés, il survole le lac à quelques mètres de hauteur avant d’effectuer une nouvelle boucle. Une deuxième approche et le voilà qui "alaque" enfin. C’est un "touch-n-go" magnifique sur toute la longueur de l’espace réservé. Pleins moteurs, le Catalina s’envole pour un 3ème circuit. Enfin, il se pose et on peut le voir s’enfoncer dans l’eau, flottant sur sa longue coque et ses flotteurs de bouts d’ailes.
Et c’est parti pour une vingtaine de minutes de ronds dans l’eau. L’hydravion, moteurs réduits, passe et repasse devant La Neptune, devant les spectateurs de La Nautique, tourne autour du nouveau bateau rapide de la CGN, le "Morges" qui est venu le saluer. L’équipage fait de grands signes depuis les vitres du cockpit et offre l’occaion à tous les photographes amateurs de tirer le portrait de cette vénérable dame qui accuse quand même plus de 60 ans de bons et loyaux services ! Un dernier passage devant La Neptune et le Catalina remonte lentement sa "piste" en direction de Vésenaz, se met face au vent et, dans le hurlement de ses moteurs, prend de la vitesse, s’arrache de l’eau pour venir "chatouiller" le jet d’eau avant d’entamer un dernier circuit au-dessus des spectateurs, bouches bée, qui le regardent partir avec tristesse.
Trois jours sur l’aéroport à portée des visiteurs
L’équipage fait le bonheur des photographes en tournant dans l’eau à quelques mètres du rivage (Ph. : Christian Béchir).
L’hydravion se pose enfin à Cointrin où il rejoint la dizaine d’autres avions historiques qui s’exposeront durant le week-end dans le cadre du Salon de la locomotion ancienne "Geneva Classics" qui se tient à Genève pour la première fois. On y admirera le Lockheed Super-Constellation (voir : Récit), le B25 Mitchell HB-RDE, un Vought F4U Corsair F-AZVJ, un Spitfire Mk.XIX F-AZJS, un Morane-406 HB-BCE, un Grumman TBM Avenger HB-RDG, ainsi que le DH-100 Vampire RB6 HB-RVN (voir : Appareil) et un Hunter Trainer T Mk.68 J-4201. Le Captain Paul Warren Wilson et son équipage déclarent qu’on leur a rarement donné cette chance et autant de temps pour évoluer dans un cadre aussi magnifique que la Rade de Genève. Leur séjour sur le tarmac, par une météo magnifique, agrémenté des visites de l’appareil, semble avoir mis le sourire à chacun d’eux.
Cet évènement extraordinaire représente le premier alaquage d’un grand hydravion depuis la visite en 1948 et au même endroit du Latécoère 631 (voir : Récit). Il s’agit aussi de la première démonstration publique mettant en jeu un hydravion dans son élément (liquide) depuis la dernière grande rencontre qui s’était déroulée au même endroit en ... 1913 (voir : Récit) !
Un bel avion canadien sauvegardé en Angleterre et volant avec les couleurs US
Un décollage très long et voilà le Catalina qui vient titiller notre Jet d’eau ! (Ph. : Christian Béchir).
Ce Catalina appartient à Catalina Aircraft Limited et est maintenu en état de vol par Plane Sailing Air Displays Limited, basée à Duxford, La Mecque des avions anciens en Grande-Bretagne.
Son acte de naissance date de 1943. Il est assemblé par Canadian Vickers à Cartierville, Québec et porte le numéro de série constructeur CV283. Il fait partie d’un lot commandé par la Royal Canadian Air Force (RCAF) sous l’appellation de Canso A dans le but de faire de la reconnaissance et de la surveillance maritime au large des côtes de la Colombie britannique au sein du 9ème squadron de bombardiers de reconnaissance (immatriculation RCAF 11005). Dès mi-1944, les risques d’invasion japonaise étant définitivement écartés, la station de surveillance de Bella Bella est supprimée et le 11005 prend du service pour des patrouilles anti-sous-marines auprès de la base d’Alliford Bay dans les îles de la Reine Charlotte, toujours en Colombie britannique et ce, jusqu’au 25 juillet 1945, date de sa mise en stockage.
De 1948 à 1950, le 11005 fait du fret aérien au sein de diverses escadrilles de la RCAF. Ensuite, de 1950 à 1961, il retourne à sa première mission, soit de la surveillance et du secours (air & rescue) au large de Vancouver. A cette époque, il a perdu ses attributs militaires, soit la tourelle de mitrailleuse de nez et les gondoles vitrées de chaque côté de la carlingue.
Le 25 mai 1961, le Catalina 11005 quitte définitivement la carrière militaire. Il sert successivement d’avion de transport, de bombardier d’eau toujours au Canada et principalement sur la côte pacifique, même s’il opère durant quelques mois depuis Marseille au milieu des années 60.
Une photo exceptionnelle du Sophisticat peu avant qu’il ne coule. A noter sa dérive totalement détruite par le mauvais temps.
A la fin des années 1990, il doit être transformé pour le transport de passagers avant de partir divertir les touristes au Zimbabwe, mais cette aventure tourne court. Néanmoins, le système de bombardier d’eau est débarqué et des sièges passagers sont déjà partiellement installés. De plus, de grandes vitres en plexiglas en forme de gouttes d’eau sont installées pour le confort des futurs touristes ainsi qu’une échelle hydraulique permettant à ceux-ci d’accéder depuis l’arrière de l’appareil.
Enfin, c’est au début des années 2000 que Plane Sailing achète ce Catalina (immatriculé à ce moment C-FNJF) et après une longue période de remise en état, il traverse le Canada et l’Atlantique pour toucher le sol européen le 30 mars 2004. Il participe à divers shows aériens durant la saison 2004 (dont Biscarrosse qui est le plus grand meeting spécialisé d’hydravions en Europe) et durant l’hiver, il reçoit son immatriculation actuelle : G-PBYA. En mai 2005, il est entièrement repeint à l’identique d’un avion américain ayant opéré au sein de la 8ème US Air Force (5ème escadrille de secours) à Halesworth, Suffolk (Grande-Bretagne). Ce PBY, surnommé Sophisticat, a a été perdu lors d’une mission de secours en mer du Nord le 30 mars 1945.
Cet avion est déjà venu en Suisse pour le meeting aérien d’Yverdon en 2005. Il fait partie de la dizaine de Catalina encore en état de vol de par le monde. Nombreux sont ceux qui ont servi comme bombardiers d’eau jusque dans les années 1980. En Europe, le seul autre Catalina en état de vol évolue aux Pays-Bas.
Bref historique du Catalina
Un passage lent à basse altitude permet de comprendre que les anglophones appelent ce type d’avion un "flying boat" (Ph. : Christian Béchir).
Le premier vol du XPY-1 a lieu le 21 mars 1935. Un premier lot de 60 machines PBY-1 est livré à la marine américaine dès octobre 1936.
Cet hydravion bimoteur à ailes hautes, simple et robuste, a volé sous les cocardes de quasiment toutes les nations alliées et sur tous les théâtres d’opérations durant la 2ème Guerre Mondiale. Il a battu le record du nombre d’hydravion le plus construit puisque plus de 4’000 exemplaires ont été assemblés jusqu’en 1945. Des améliorations de motorisation ont donné naissance à diverses versions. Le PBY-5A a été équipé d’un train d’atterrissage tricycle qui lui permettait de plus grandes capacités d’utilisation.
Divers faits d’armes, hormis les centaines d’hommes sauvés d’une inexorable noyade sont à attribuer à cet appareil. C’est un PBY qui repère le cuirassé allemand Bismarck lors de sa première et unique sortie en haute mer et qui se terminera par la destruction du célèbre navire. C’est aussi un PBY qui repère dans l’océan Pacifique la flotte japonaise qui s’apprête à envahir l’île de Midway et qui permet ainsi aux USA de reprendre l’initiative sur ce théâtre d’opération.
Des Catalina, peints en noirs et surnommés Black Cats, ont aussi été employés dans le Pacifique pour attaquer les convois de ravitaillement japonais la nuit (ils ont coulé 112’700 tonnes de bateaux marchands et endommagés 10 navires de guerres). Joli score pour un avion aussi lent et surnommé « Service des abonnés qui partent en avion et reviennent en radeau ».
Descriptif technique :
Une avionique "sans direction assistée" (Ph. : JC Cailliez).
Envergure | 31,70 m |
Longueur | 19,46 m |
Hauteur | 6,15 m |
Moteur | 2xPratt & Whitney R-1830 de 1’200 cv chacuns |
Masse à vide | 9’485 kg |
Masse maximale | 16’066 kg |
Vitesse maximale | 314 km/h |
Plafond | 4’000 m |
Distance franchissable | 4’030 km |
Armement offensif | 1’800 kg de bombes ou de charges de profondeur |
Armement défensif | suivant les versions : 2 mitrailleuses 12,7 dans le nez, 2 mitrailleuses 12,7 à l’arrière au niveau des gondoles, 1 mitrailleuse ventrale de 7,65 |