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Construire des autogires pour les employer en Afrique, le projet de la famille Wasem (1956-72) [vidéo]

 

Artistes passionnés d’aéronautique les Wasem cherchent à innover et à rendre service aux Missions chrétiennes. Ils vont construire et tester dans la région de Bernex trois autogires, rares engins du genre en Suisse. Pour le dernier appareil, Robert Stierlin leur fournira son appui jusqu’à son décès. Malheureusement, le concept de translation vol vertical-vol horizontal n’a jamais eu beaucoup de succès en 70 ans et le projet n’aboutira donc pas.


Le 3ème autogire construit par les Wasem père et fils est vu en 1970 sur le terrain de Bernex. Il est conçu sur la base des données fournies par Robert Stierlin.
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  • Récit associé : L’autogire et sa première manifestation en Suisse, à Cointrin (1931) [vidéo] |*|
  • Les Wasem, une famille d’artistes, d’artisans et de passionnés d’aviation

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    Jacques Wasem et son fils Blaise œuvrant sur le 3e autogire.

    Les Wasem sont une famille habitant Veyrier et Bernex, comptant plusieurs créateurs, artisans, à la fois artistes, capable de produire des choses de qualité, très précises et plutôt uniques. Jacques Wasem (né en 1906), maître-verrier comme son père Charles, réalise notamment des vitraux et pratique la peinture. Entre 1924 (à 18 ans) et 1927, il construit minutieusement un planeur monoplace à aile haute, à Veyrier, juste à côté de la maison "l’Hermitage" où ils ont leur habitation et l’atelier de verrier mosaïste. L’appareil, tout en bois, de grande envergure est destiné au Club Suisse d’Aviation local, alors très pauvre. Il finit stocké dans le hangar en bois de Cointrin et servira de bois de chauffage pour le poêle de l’atelier. Abonné au journal "Les Ailes" "Jacques continue de rêver d’aviation en construisant quelques montgolfières chauffées à la bougie et quelques planeurs en modèle réduit."

    Parmi ses fils, on compte Blaise Wasem (né en 1935) qui sera professeur à l’Ecole supérieure de commerce, mais qui aime également les arts, la poésie et l’aéronautique et passera un jour son brevet de pilote. Vers 1955-57, il participe à la fondation de l’Aérosport, la section genevoise des membres du RSA. Il tentera la construction d’une "aviette", sorte de biplan léger en bois, à moteur propulsif Sunbeam 25cv issu d’une motocyclette. Son originalité tient à ce que le pilote est couché à plat ventre sur toute la longueur du fuselage. Sur les 4 ailes (10m2) seules celles inférieures sont munies d’ailerons. Le poids en charge est estimé à environ 300kg pour une vitesse de croisière de 100km/h et 60km/h au minimum. Les ailes, les ailerons arrière et une partie du fuselage sont construits, mais l’aviette n’est jamais terminée ni testée. Récupérant le moteur et en association avec son père les Wasem se lancent dans l’aventure de l’autogire. Entre 1956 et 1972 ils vont mettre en chantier 3 appareils, travaillant uniquement le samedi ou les soirs d’été, tout en élevant leurs familles et en pratiquant leurs professions et autres hobbys.

    Un autogire-hélicoptère-convertible

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    Le châssis motorisé du 1er autogire, non terminé, à Bernex (1960’s).

    L’autogire est un appareil dont la voilure tourne sur le dessus de l’habitacle, comme un hélicoptère, mais contrairement à ce dernier, son rotor n’est pas entraîné par un moteur mais tourne sous l’action du courant d’air produit par le déplacement horizontal de l’appareil. C’est donc aussi un avion qui se déplace grâce à la propulsion d’un moteur et de son hélice placés à l’avant ou à l’arrière de l’habitacle. Inventé vers 1923 par l’Espagnol J.de la Cierva (1895-1936), le concept est né avant que de véritables hélicoptères ne soient capables d’êtres utilisés. Les qualités de vol et d’emploi de l’autogire incluent un décollage ou atterrissage depuis un terrain naturel, sur une très courte distance, une certaine facilité de pilotage et un coût d’achat bien moins élevé que celui d’un rare hélicoptère (1950’s), pour un concept technique assez simple.

    En principe l’autogire ne se déplace qu’horizontalement mais les Wasem veulent corser le principe : il décollera tel un hélicoptère et sera capable de la translation horizontale en vol ! Mieux qu’un hélicoptère, mieux qu’un autogire, mais ce concept n’a encore jamais été testé concrètement. Cela sous-entend donc qu’un unique moteur entraînera le rotor puis qu’il le laissera tourner librement pour faire fonctionner alors une hélice propulsive.

    La construction de l’autogire débute vers 1956 dans un garage en bois bâti par les Wasem près de chez eux à Bernex. Le but final sera d’offrir l’appareil à un missionnaire en Afrique. Si Jacques Wasem est athée, son fils est actif dans un Eglise évangélique genevoise. Hangar et autogire rejoignent un piste en herbe de 100m de long proche de Bernex où l’appareil ne sera pas terminé malgré la fabrication d’une tête de rotor bipale assez complexe où les pales en contreplaqué de marine ont un calage constant. Une hélice propulsive Hoffmann est montée en direct sur le moteur Sunbeam de 25cv logé à l’arrière d’un châssis tubulaire. Les travaux se poursuivent jusqu’en 1968 où l’on verra des essais de roulage de l’appareil gêné par un terrain trop court.

    Un second autogire va servir de banc d’essai volant

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    Le second autogire, dit "Tourbillon" en vol stationnaire piloté par B.Wasem. (1968).

    A Veyrier, en 1964-65, un 2ème appareil est déjà en construction dans un atelier métallique préfabriqué qui sera amené ensuite à Bernex. Le moteur est maintenant un Continental de 90cv, issu d’un Piper (HB-OIO), encore équipé d’une hélice Hoffmann. Les pièces métalliques sont produites par l’usine Jonneret à Carouges. Une nouvelle tête de rotor, relie 3 pales articulées en bois (profil 23012) qui peuvent se replier les unes contre les autres pour une mise au hangar. Le châssis est un treillis métallique assez dense peint en rouge. Terminé, les premiers essais de l’appareil ont lieu à la rue François Dussaud (Carouge) ou l’autogire s’élève verticalement en un 1er saut de puce. L’appareil et le hangar rejoignent Bernex où la piste est étirée à 260m.

    Vers 1966/67, sollicité, le Meyrinois Robert Stierlin (voir :Biogr.) leur conseille l’emploi de pales en aluminium extrudé, vendues par le Suisse Hans Berger (1912 ?-1994), pour améliorer leur concept. Une pale de 22kg peut supporter 350kg ! En 1968, ces pales, dont on peut régler l’incidence en vol, sont montées sur l’autogire. Stierlin a également fait modifier la transmission moteur-rotor. Des essais de roulage sont pratiqués ainsi que des décollages verticaux mais sans essais de translation horizontale. Cet autogire a parfois été baptisé "Tourbillon". Les tests se continuent jusqu’en 1969 et l’on avance à la petite semaine bien que dès l’été 1968 Blaise Wasem soit en congé sabbatique d’un an et se soit mis à plein temps sur ce projet et le suivant. Mais il n’y a pas l’ambition de terminer cet autogire qui est trop lourd et semble handicapé par un effet de récessions aux réactions des commandes, et ne sera qu’un banc d’essai. D’autre part, Stierlin, qui s’entend très bien avec Jacques Wasem, considère l’appareil comme utopique et pense qu’il faille bien autre chose pour arriver au résultat espéré.

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    Vue arrière du No.3 le réservoir entoure le 1er plateau réducteur.

    Depuis 10 ans, l’ambition de Blaise Wasem est de fournir un outil pratique à des missionnaires en Afrique une fois construit en série, voire localement. Les déplacements locaux prennent là-bas un temps fou et l’avion est cher à entretenir, nécessite de longues pistes, onéreuses à l’entretien, et fichues à la période des pluies. L’autogire apparait comme un compromis pratique. Pour financer ces projets, de l’argent est collecté auprès de donateurs sensibles à ce sujet. Ils sont contactés par une lettre régulière baptisée "Bulletin d’information et de prières Mission Autogire". Les fournisseurs seront parfois payés avec retard mais l’argent rentre tout de même. Entre temps Blaise Wasem s’est marié à une puéricultrice qui élèvera ses trois enfants.

    Un dernier appareil sous la direction de Robert Stierlin

    Dès 1967, Stierlin construit son 5ème hélico et définit avec les Wasem ce que doit être leur appareil. Il pilote de loin le projet sans jamais mettre une fois les pieds à Veyrier ou à Bernex. "On allait voir Stierlin tous les mardis au ch. des Corbillettes, car le lundi soir il écoutait la pièce policière !" Le concept reprend le moteur du Piper et le rotor aux 3 pales d’aluminium repliables, tournant à 300-360t/min. Un châssis élégant est simple est basé sur 2 gros tubes d’aluminium. Des pièces sont usinées en ville dont à la rue des Deux Ponts. Le gouvernail en bois vient de chez Pansier. L’appareil se monte à Onex dès l’été 1968 puis migre vers Bernex. Stierlin gagne 150kg sur le poids de l’appareil no.2 en simplifiant l’ensemble du châssis et le système d’embrayage du pré-lancement du rotor ! Jacques et Blaise Wasem travaillent au coude à coude !

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    1er album BD du petit-fils : L’Afrique du Nord en guerre (1942) et l’aviation française.

    Des essais sont réalisés sur la route de Bernex et sur la piste en herbe de 260m. L’appareil décolle verticalement, le projet est prometteur jusqu’au décès accidentel de Stierlin en mai 1969 : "jusqu’à 3 jours avant sa mort, l’ingénieur nous a donné généreusement son temps, de ses conseils, de son expérience." Passé ce choc, les Wasem doivent continuer seuls. Finalement, un membre de l’OFA accompagné de L. Cosandey (président du RSA) vient voir l’appareil baptisé "Passe-partout MA-2" et transmet ses félicitations devant le travail accompli, concluant d’un : "C’est comme si c’était du Stierlin !". L’appareil reçoit l’immatriculation HB-YAI (07.1970) doit voler 15h et faire 50 atterrissages pour obtenir un Certificat de navigabilité restreint. L’inertie de l’OFA oblige les Wasem à continuer leurs tests progressifs en France, sur l’aérodrome d’Annemasse, dès octobre 1971.

    La translation au vol horizontal y est testée le 19 février 1972 alors que l’appareil n’aurait pas été véritablement terminé. Blaise Wasem est aux commandes. L’appareil s’élève verticalement, se déplace sur 100m, bascule à cause de cet effet de récession et chute de 6-7m de haut ! Quelque 16 traces profondes de pales ont pénétré le tarmac. Le pilote est presque indemne mais à bien cru y rester. Quelqu’un s’empressera de dénoncer le cas à l’OFA suisse ! Le projet est définitivement arrêté ce jour là après 12 ans de sacrifices et d’expériences inédites à Genève. Erreur de conception ? Impossible translation ? Autre ? Comble : le moteur sera volé dans le hangar où l’appareil blessé est stocké. Ainsi se termine brutalement l’histoire étonnante des premiers autogires suisses.

    Mais le chromosome aéronautique familial survit ! Le petit-fils de Jacques et fils de Blaise Wasem, en 1999, publie son 1er album de bande dessinée. Il concerne l’aviation et est intitulé "Bretagne". L’histoire se passe en 1942 en Afrique du Nord où une escadrille française doit neutraliser un fortin italien. Le dessinateur se nomme Pierre Wasem dit "Wazem".

     

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    Le "Tourbillon" en vol stationnaire à Bernex en 1968 (Photo J.A.Lachat)
    Par : Jean-Claude Cailliez
    Le :  mercredi 17 janvier 2007
  • Pour d’autres informations, lire : A la poursuite du ciel, de Blaise Wasem, Ed. de l’Aire, 1987, 270p, récit d’une enfance passionnée d’aviation jusqu’au brevet de pilote (1935-65) à la "Librairie".
  • Autogires en Suisse, 1931-1970 (sonore, 03’, 67Mo). Nécessite le plug-in Quick-Time 7.1.3 minimum.

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