Une ascension attractive quoique mouvementée

24 juillet, la foule se presse autour de l’aéronaute (C.Noir).

Ce 3 juillet 1910, jour des promotions scolaires, l’aéronaute de Bellinzone et de 23 ans Michele Marchi se prépare à l’ascension annoncée par la presse. D’abord prévue pour le 26 juin, la manifestation organisée par les frères Cormier occupe un enclos au centre de la Plaine de Plainpalais abritant des places à 1 et 2F et des promenoirs à 50ct [2F = 20F actuels].

Des 17h la foule commence à pénétrer dans l’enceinte réservée et les toits des maisons environnantes se couvrent de curieux. Le produit net de la recette est dédié aux œuvres philanthropiques de Plainpalais : colonies de vacances, crèches, cuisines scolaires, et sera complété d’une quête pratiquée autour de ce "parc d’aérostation". La fanfare municipale de Plainpalais est là qui se fait entendre. Tout est prêt.

A 17h15, Marchi commence à allumer un feu de bois pour gonfler l’aérostat qui n’est pour le moment qu’un énorme tas de toile informe. Peu à peu sous l’action de la fumée et de la chaleur le ballon prend du volume. Mais il fait du vent, le soleil est absent et la pluie va tomber. Marchi pressé par la météo décide de débuter son ascension bien que sa montgolfière ne soit pas entièrement gonflée.

A 19h, les 40 amis italophones qui retiennent l’aérostat, obéissant au signal convenu, lâchent tout et la montgolfière haute de 18m s’élève, emportant Marchi dans les airs, arborant une immense publicité pour l’American Skating Rink (l’A.S.R. est une des nouveautés sportives locales, le temple du patin à roulettes, ouvert le 15 mai, et situé à l’angle du Bd Carl Vogt et du Bd du Pont d’Arve à Genève). Marchi se tient suspendu par les bras à une simple barre, sans nacelle. Au sol, il ne reste que la "cheminée", tuyère improvisée pour alimenter le ballon en air chaud.

Une formidable exclamation retentit : Marchi, suspendu à son trapèze, fait de la gymnastique et salue la foule. L’air chaud de la montgolfière devrait lentement se refroidir pour lui permettre de rejoindre le sol un peu plus tard...

Mais voici que le temps se gâte subitement. L’aérostat en partie gonflé est ballotté par le vent en tous sens. Il s’élève jusqu’à 600m et le voilà qu’il passe par-dessus le théâtre, puis, traversant la ville, atteint l’île Rousseau et commence lentement à redescendre après quelque sept minutes de vol.

Poursuivant sa course, la montgolfière finit par chuter subitement et l’aéronaute tombe dans l’eau à une distance de 1.500m de la Belotte et de 2.000m de l’Ariana.

Début de l’ascension de M.Marchi du 3 juillet 1910.

Il a été suivi durant tout son périple par des automobiles, jusque sur les deux rives du lac. Sur le Léman, le bateau "Major Davel" se trouve en route de Cologny à la Belotte au moment de la chute. Il se dirige donc vers le lieu de l’incident et à 19h30, complètement transi, Marchi est hissé à son bord pendant que l’aérostat est remorqué à quai par un canot-automobile. Quand au ballon il est retiré de l’eau et hissé à bord d’une barque des "Mouettes genevoises".

Happy end !

Bien qu’en juillet, Marchi a trouvé terriblement froide l’eau du lac durant son bain d’une vingtaine de minutes. On le réchauffe à coup de grogs et on l’habille de vêtements marins à boutons dorés. A quai. à Bellerive, il est à nouveau choyé et abreuvé de grogs. On lui remet le produit d’une quête faite à son intention. Vers 20h20, Michele Marchi, complètement ragaillardi, fait une entrée triomphale au Skating Club où il est fêté par ses compatriotes et rejoint l’élue de son cœur.

Plus tard dans le mois, la montgolfière de Marchi vole à nouveau supportant le trapéziste et s’orne de différentes publicités. Parmi elles, celle de "l’Institut Hygie" dont les "Grains de force" sont sensés donner l’énergie à qui veut les acheter et en tout cas au saltimbanque tessinois (24 juillet). On le verra encore au Parc-Casino des Eaux-Vive le 10 et le 14 juillet ainsi qu’au meeting aérien de Viry (74,F) à la fin du mois d’août.

Ces exhibitions de Marchi terminent une série d’ascensions foraines qui débutèrent à Genève en 1876. L’aéronaute Français Henry Beudet pratiqua les mêmes exercices de trapèze entre le quai Gustave Ador et le quartier de Champel (18 & 25 juin) à bord de sa montgolfière "Ville de Mâcon". Il fut suivi par Charles Grut, en 1880, qui décolla en ballon à gaz de Plainpalais pour se poser près de Douvaine (F). Ces sportifs se produisirent également à Lausanne et ailleurs en Suisse. Beudet s’envola d’ailleurs de toute l’Europe et même du Caire (Egypte).

Michele Marchi est présent au meeting aérien de Viry (74, F) à fin août 1910, ici survolé par le Blériot d’Ernest Failloubaz.