Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
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L’aérodrome de Genève-Cointrin, pionnier de la sécurité et du contrôle aérien en Suisse dès 1922 [3 vidéos]

 

L’aviation va maintenant rapporter de l’argent, on souhaite pouvoir communiquer avec les équipages. Le Morse va régner de 1922 à 1956 pour autant que l’avion puisse le recevoir. Genève-Cointrin met en œuvre les premiers services civils du genre en Suisse. Une fragile poignée d’homme fait à la fois de la radio, de la météo, de l’information et aussi du renseignement militaire jusqu’à l’arrivée d’un radar américain en 1944. Ils sont les pionniers du contrôle aérien.


A gauche, les 2 pylônes portant l’antenne radio de l’aérodrome de Cointrin en 1924, pour les services radios gérés par Radio-Suisse SA qui initient la communication entre les appareils et le sol.

Une nouvelle nécessité économique : communiquer avec les avions en vol

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Le pilote d’un Junkers-F13 passe sa tête par le cockpit non vitré.

En 1919, on inaugure en Suisse le premier service postal aérien, temporaire, assuré par des avions militaires sur la ligne Dübendorf-Berne-Lausanne-Genève. En 1920 se constitue la 1ère compagnie de transport aérien reliant Genève, crée par François Durafour (voir :Récit). L’aéronautique civile prend son essor en Romandie. Aussi de premières tentatives sont faites pour établir des liaisons radiotélégraphiques en Morse entre le sol et les avions, qui sont d’abord réalisées avec du matériel militaire à Dübendorf. Une décision du Conseil Fédéral du 9 mars, créé l’Office Fédéral de l’air (OFA) qui débute son activité le 1er avril, en tant que section du Département des postes et chemins de fer. L’OFA attribuera à Radio-Suisse SA la gestion technique et humaine de la sécurité aérienne civile naissante. A Genève, où l’on crée de toute pièce un aérodrome civil à Meyrin-Cointrin, les autorités ont compris quel rôle la radio pourrait jouer. Dans une lettre du Grand Conseil au Conseil fédéral du 26 octobre, on lit ceci :

"Nous établissons actuellement un champ d’aviation qui, par sa situation, son aménagement et ses dimensions, est destiné à devenir une station de relais pour les services aériens internationaux. La rapidité même de ces services et surtout leur sécurité, rendent indispensable la création de communications par télégraphie sans fil qui permettront de transmettre dans les plus bref délais, aux autres aérodromes, ou même directement aux aéronefs, les renseignements utiles sur le départ, la destination, l’arrivée des appareils ainsi que sur les observations météorologiques. Ces dernières seront de la plus grande importance pour les aéronefs qui auront à franchir le Jura ou les Alpes… Nous avons donc l’honneur de vous demander l’autorisation d’installer sur le territoire de notre canton un poste d’émission et de réception de télégraphie sans fils, destiné exclusivement aux communications concernant les observations météorologiques et l’aviation. Toute communication d’autre nature serait naturellement interdite. Nous pensons que la portée de cette installation peut être évaluée à 1200 kilomètres en vue de l’avenir."

Dans un courrier du 3 décembre, Genève suggère l’acquisition de matériel auprès de la compagnie Marconi à l’occasion de la 1ère Assemblée de la Société des Nations [SdN]. Les tractations qui vont suivre aboutissent à une convention entre le canton de Genève et la Société "Radio-Station Marconi S.A." (Berne), signée le 10 juin 1922. C’est donc à Genève que prend naissance l’activité de la sécurité aérienne et sa mise en œuvre par Radio-Suisse SA.

Cointrin : 1ère station radio en Suisse pour l’aéronautique commerciale naissante

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L’antenne radio de 2,5m du Léopard-Moth (mai 1936).

La construction et le montage de la station s’effectue au cours des années 1921-1922. La mise en service intervient en septembre 1922 quelques mois après l’inauguration du petit aérodrome de 54ha (mai). Elle est composée d’un émetteur de 1,5kw dont l’antenne en "L" est tendue par 2 pylônes de 30m de haut. L’appareil récepteur radiogoniométrique comporte 2 cadres triangulaires perpendiculaires au sommet d’un mât de 21m. Les premiers vols d’une ligne régulière n’en bénéficieront pas encore (voir :Récit). La station est d’abord utilisée essentiellement pour l’échange de messages d’exploitation (départs, arrivées, retards, etc.) et à la diffusion à heures fixes d’observations météorologiques faites sur place par l’opérateur radio lui-même. Capable de fournir des relèvements radiogoniométriques, la station n’est guère utilisée comme aide à la navigation pendant les premières années, car les avions munis de radio de bord sont rares. Les autres appareils reçoivent ces informations transmises en Morse, une technologie qui ne disparaitra d’ailleurs de la tour de contrôle qu’en 1956.

Des 1923 les mentalités administratives évoluent et le poste "transmetteur" de Cointrin sert aussi aux émissions organisées par des personnalités, des groupes amateurs puis dès 1924 par Radio Genève. Un studio est même installé sur place si bien que le ronflement occasionnel des moteurs souligne parfois les vocalises et les arpèges des artistes aux oreilles des auditeurs. Ce n’est qu’à partir de 1927 que quelques compagnies aériennes procèdent à des essais de vols aux instruments en demandant aux stations terrestres des relèvements de position ou de relèvements de direction permettant de suivre une trajectoire directe vers ou à partir de la station d’aérodrome. Dans les années 1930, le procédé "ZZ" est mis au point et quasi standardisé pour l’approche sans visibilité. Ce système fait encore appel à l’observation humaine couplé avec l’envoi de bips vers l’avion, lui signalant son passage sur un point précis. L’aéronautique civile se développe lentement mais sûrement et Swissair naît en 1931.

En 1932, l’émetteur est remplacé par l’ancien matériel de Radio-Berne qui est installé au Petit-Lancy par les PTT. D’importantes modifications sont ensuite apportées à l’équipement de la station de Cointrin en 1936. Au printemps, le poste d’émission et ses antennes sont déplacés à 1,5km au sud-ouest de l’aérodrome le long de la route de Meyrin—Saint-Genis. Les 2 pylônes et l’antenne ne gênent plus la navigation aérienne. Le poste récepteur est également déplacé et doté d’appareils plus modernes, ce qui va permettre l’utilisation parfaite du radiogoniomètre lors d’atterrissage par très mauvaise visibilité.

On a ainsi passé par une période héroïque, celle des avions de ligne au poste de pilotage ouvert, tel le Junkers F-13 (voir :Récit), ou sans essuie-glaces sur le pare-brise. Une époque où le radio de bord hurle au pilote, dans le fracas des moteurs et du vent, les précieuses informations transmises depuis le sol. La langue anglaise "internationale" est absente et ne sera obligatoire qu’en 1948. Dans les cockpits des appareils des années 20, les langues sont nombreuses et variées. La météorologie locale comporte aussi plus de jours de brouillard ou de neige qu’aujourd’hui avec une piste en herbe locale loin d’être "tout-temps". En volant bas, les émissions des appareils sont encore perturbées par le relief. Quant aux allumages des moteurs, ils sont eux sources de parasites. Néanmoins, ce moyen permet de réaliser des vols sans visibilité et des approches dans des conditions météorologiques très mauvaises.

A bord des avions on est encore loin du transpondeur ou du téléphone portable. Le 1er essai d’une radio de bord sur un avion privé révèle son bref champ d’action. Le Leopard-Moth rouge et argent de Marcel Devaud (voir :Biogr.) est le premier à tester cette installation préparée par un autre membre de l’Aéro-Club, Marcel Roesgen, en mai 1936. A la verticale au-dessus du HB-OXO, une antenne radio de 2,5m plie sous le vent relatif. Dans la cabine, la radio et sa batterie pèsent de 8 à 10kg occupant un volume de 8dm3. L’onde de 5m, permet une communication jusqu’à 20km, à peine de quoi garder le contact entre Genève et Lausanne !

Durant la guerre on épie bien plus que l’on ne guide, faute d’avions

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Un poste de contrôle d’une station Marconi en 1926. L’indicatif genevois : HB9CT.

Il faut noter que jusqu’au début de la guerre, le personnel de la station radio de Cointrin ne se compose que de 2 opérateurs télégraphistes, dont l’un, technicien, assure en même temps le service technique du matériel. De 1939 à 1944, à l’exception de 5 ou 6 rares vols civils, comme les autres stations suisses, elle est à la disposition du service de renseignement des Troupes d’aviation et de DCA. Du 1er septembre 1939 au 1er février 1940, 3 personnes assurent une écoute permanente. Pendant toute la durée de la mobilisation, de nombreux réseaux de transmission des services d’alerte des belligérants sont enregistrés et déchiffrés grâce à une surveillance systématique des fréquences.

Le 21 novembre 1944, un DC-3 du Air Transport Command US Army relance l’activité aérienne à Cointrin en ouvrant une liaison Paris-Genève pour la Croix-Rouge internationale. La ligne est destinée au transport de colis adressés aux prisonniers alliés en Allemagne. Ces vols se poursuivent jusqu’en été 1945, avec comme conséquence la mise à disposition d’une version militaire mobile d’un radiophare d’approche de l’USAF pour l’aéroport. Fonctionnant tout d’abord dans ses remorques d’origine, puis installé dans des baraques après avoir subi quelques modifications, ce système rendra de précieux services jusqu’en 1957. Il est d’ailleurs entre-temps adopté par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) comme aide standard pour l’approche aux instruments. C’était déjà un ILS (Instrument Landing System), embryon de ceux qui continuent à équiper les aéroports du monde entier de nos jours. Un radiophare fixe sera encore placé dans le quartier des Avanchets, à quelques kilomètres, cette année là. Etc…

A terre, un pionnier nyonnais de la sécurité aérienne parmi d’autres : Maurice Treyer

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Livraison du 1er ILS en 1944, du matériel militaire américain.

Une personnalité a marqué les débuts de la sécurité aérienne et de la radio à Cointrin. Maurice Treyer (1903-1988 ?) est né et fait ses études à Nyon. Il souhaite devenir géomètre mais une nouvelle loi exige pour cela une formation universitaire. Il poursuit donc ses études. Le décès de son père l’oblige à apprendre brutalement un métier, celui de télégraphiste. Il obtient son brevet à Lausanne en 1922. Jusqu’en 1926 il travaille à la direction de l’arrondissement de téléphones lausannois, au service télégraphique et au service des lignes, tout en étant détaché à partir de 1925, comme auxiliaire à la station de l’aérodrome de Dübendorf et à l’émetteur de Champ de l’air à Lausanne. Ces nouvelles activités auront une influence décisive sur sa carrière. Muté en 1926 à l’Office des Télégraphes de Bâle, il travaille pendant tous les étés à la station de l’aérodrome de Birsfelden, exploitée par Radio Suisse.

Au début de 1930, M.Treyer est définitivement attaché à Birsfelden puis muté en 1937 à Cointrin. Après la guerre, avec la reprise du transport aérien, il est nommé chef du service de contrôle en 1945, puis en 1949, après la conclusion d’accords entre Radio-Suisse, L’OFA et les aéroports, il devient le 1er chef du service de la sécurité aérienne à Genève-Cointrin, jusqu’en 1966. Ses nombreuses qualités lui permettront de rendre d’éminents services à l’aéronautique civile suisse tout en dirigeant un service important à une époque décisive. Sa succession sera reprise par Werner Maeder (né en 1918), déjà présent à Cointrin dès 1946.

Par ailleurs, Gérald Bois (1900-1994), le père de l’aviateur et ingénieur Daniel Bois, fut aussi fort connu à Cointrin, sous le code radio HB9CT, car il oeuvra comme radiotélégraphiste à l’aérodrome dès 1923, alors que l’on ne communiquait qu’en morse avec les pilotes et les radios-navigateurs de bord !

 

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Le récepteur de la 1ère station radiogoniométrique de Cointrin constuit par Mr Gérald Bois alias "HB9CT" (14 décembre 1932).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mercredi 23 janvier 2008

Post scriptum :

  • Pour plus d’information, lire : "50 ans de Radio-Suisse SA 1922-1971", 228p., ills à la Librairie.
  • [07.2007] Nouveau radar à Cointrin en 1953 (Vidéo, N&B, sonore, ≈ 1 min, 27 Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3. minimum.

    - A partir de 1993, à Cointrin, SwissControl gère l’avion de calibrage Gulfstream HB-LDT. Ce film, en anglais, fournit à ses clients l’explication des systèmes intégrés et du matériel électronique embarqué :

    [10.2017] IAN : A bord du Gulfstream HB-LDT, avec ses systèmes de contrôles électroniques (1994) (vidéo sonore, 09’10’’ 257Mo. Images Swisscontrol.

    - Perchés au sommet de la Dôle, les "Dôlards" veillaient jours et nuits sur de nombreux systèmes électroniques vitaux servant à gérer ce ciel lémanique souvent fort encombré en aéronefs :

    [10.2017] Les radars de la Dôle et les "Dôlards" (2000) (vidéo sonore, 05’56’’ 178Mo. Extrait d’un documentaire de Laurent Graenicher.

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