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Cointrin fermé 13 jours par un dense brouillard planant sur l’Europe : les pionniers du plan "B" (1951) [2 vidéos]

 

En décembre 1951, un épais brouillard stagne et fige les aéroports européens durant 13 jours. En Suisse, seul Sion est baignée du soleil du Valais. Tous les vols déposent passagers et fret dans cette petite commune équipée d’une piste en dur (1500m). Civils et militaires vont se débrouiller, nuit et jour, épaulés par un nombreux personnel venu de Genève, pour faire fonctionner l’aviation civile. Jamais Cointrin n’a été interrompu aussi longtemps. Tous seront de retour chez eux pour Noël.


700m sous l’épaisse couche de brouillard repose Genève et son aéroport, bloqué comme bien d’autres durant une quinzaine de jours de la fin décembre 1951.

Jamais le brouillard n’aura tenu si longtemps depuis 1920

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Sion : des avions militaires et de rares avions civils légers jusque là.

L’histoire est extraite de l’ouvrage d’André Biollaz dont les références figurent en bas de l’article, construite des témoignages de plusieurs acteurs d’alors et reprise ci-dessous :
- Sous l’influence d’un "marais barométrique", terme du jargon météo pour désigner une pression barométrique uniforme sur l’ensemble du continent avec brouillard épais au sol, l’ouest de l’Europe est plongée dans la "purée de pois" et les aérodromes internationaux en grande partie fermés. Treize jours durant les aérodromes de Genève, Kloten et Bâle seront paralysés. A Sion, par contre, règne un ciel serein avec un soleil radieux et une température qui rappelle quelque peu le printemps. Comment cela débute-t-il : le samedi 15 décembre 1951, retour du vol Swissair SR143, du commandant René Pellaud (1920-2008), à la verticale de l’aéroport de Genève qui lui est maintenant fermé. Bâle et Zurich sont aussi fermés à tout trafic !

Dès 12h30 est mise en place la procédure QGO. Tous les "inbouni" de Swissair, à commencer par le Cdt René Pellaud, décident de prendre Sion* comme aérodrome de dégagement. A Cointrin on forme le "détachement Sion", composé de Haerry, chef d’escale de Swissair, Max Hearri, Théo Vonlanthen, Rudi Gerber, Jacques Weber, Joseph Cretton, Raymond Rappaz, Edith Haudschin, Arthur Zaug, les mécaniciens Grosjean, Alfred Heinmann, ainsi que les hommes de piste Freddo Monnard, Semoroz, Marro, tout ce petit monde est complété par le service technique, dont Arnold. La plupart se rendent à Sion par le train de 13h40, tandis que le solde profite du bon service de la Citroën-11 légère de Haerry. A l’arrivée à Sion, l’aérodrome de Châteauneuf est déjà envahi par la flotte de Swissair comprenant des Douglas DC-3 et des Convair-240. La mise en place du trafic s’effectue, au début, d’une manière très folklorique dans une petite pièce de l’Aéro-club de Sion, bureau où un douzaine d’hommes se retrouve sur un espace de 20m2.

Le plan "B" s’organise, avec de l’inédit et dans la bonne humeur

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Sion : DC-3 de Swissair et d’Ali-Flotte-Réunite (Italie) (Ph. : Biollaz).

- Avec Jacques Volken, chef de la place de Sion, Hermann Geiger, son adjoint, le capitaine Philippe Henchoz, directeur de l’aérodrome militaire, et du 1er lieutenant Georges Burlet, chef de service de vol, nous mettons au point le dispositif pour recevoir les grands oiseaux métalliques et prenons toutes les mesures garantissant la sécurité et le bon accueil des passagers. La douane opère ses contrôles en plein air placée sous la direction de Nanzer, ancien chef de douane à l’aéroport de Genève, plus tard chef de douane à Brigue, fonctionnaire aimable, courtois et discret. Les PTT chargent et déchargent le courrier avec diligence ; MM Moret, administrateur de la poste de Sion, et Aellig, administrateur postal à Cointrin, mettent tout en œuvre pour faciliter l’acheminement des sacs postaux. Weber, Cretton et Vonlanthen sont fort occupés au débarquement et à l’embarquement des passagers, ainsi qu’aux devis de poids, le calcul des charges et centrage de l’avion. Les vidanges et changements de filtres se font en plein air. Les avions seront gardés la nuit par les gardes civils du Dpt militaire, notamment MM Schaffner, Laurent Otz, Fridolin Roten et Paul Studer.

La plupart des passagers sont logés dans les différents hôtels de Sion ou acheminés par train vers leurs destinations respectives. Afin d’éliminer le plus possible d’erreurs, dans chaque composition de trains, des wagons sont réservés pour les directions de Lausanne, Genève et Zurich. Malgré toutes ces précautions, il se trouve des voyageurs qui montent dans le train en partance pour Domodossola alors qu’ils doivent se rendre à Genève. Dès le 1er soir, visite de caves en compagnie des passagers. Le nectar du Valais réjouit plus d’un fin palais et met tout ce monde de fort bonne humeur. Le 1er soir, à l’hôtel de la Paix, M.Nanzer retrouve son pyjama dans le lustre et la chaise de sa chambre sous le lit ! Quant aux chaussures de M.Haerry elles seront cachées dans l’ascenseur, ce qui le mettra en retard au petit déjeuner !

Le dimanche 16 décembre, au petit déjeuner, on apprend que le DC-4 HB-ILO s’est "crashé" à Schiphol. Piloté par le commandant Otto Schüpbach, l’avion assurait la liaison Zurich-Amsterdam. Un épais brouillard recouvrait l’aérodrome, le pilote tenta un atterrissage aux instruments. Malheureusement, quand il toucha le sol 400m avant le seuil de piste, l’appareil prit feu. Les six membres de l’équipage ainsi que les 14 passagers, parmi lesquels 3 Américains, 2 Suisses, un Italien et 8 Hollandais furent sauvés grâce au courage et au sang-froid de la stewardess Gret Hefti. Cette dernière est victime de brûlures en ayant aidé les passagers à s’extraire de la carlingue de l’avion.

A Sion, tout est en place avec les moyens du bord et de la bonne volonté

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Embarquement sur le Convair-240, et décollage du DC-6 pour Londres (ph. : Biollaz).

Après quelques jours d’intense activité, Henry Debonneville (1916-2008), contrôleur du trafic aérien à l’aéroport de Genève, vient prêter main forte aux contrôleurs de la tour de Sion :
- "Arrivé à Sion, vers les 11h, je me rends aussitôt à la tour de contrôle où mes collègues militaires m’accueillent avec soulagement. Dès ce moment, je m’occupe du trafic civil et il y a cet après midi-là une dizaine de mouvements environ, surtout des DC-3 et Convair-240 de Swissair.

- Le lendemain lundi 17, une quinzaine d’avions, dont un DC-3 italien de l’Ali-Flotte-Riunite piloté par le capitaine Maestri, animent l’aérodrome sédunois. A relever que le capitaine Maestri sera le seul pilote étranger à se poser dans cette vallée relativement étroite pour des avions de ligne. Le soir une nouvelle surprise nous attend : alors que le crépuscule est tombé depuis une 1/2h environ, un DC-3 se présente au-dessus de Martigny. Venant de Bruxelles et ayant vu les places de Zurich, puis de Bâle se fermer successivement devant lui et en plus de cela son niveau d’essence baisse d’une façon inquiétante, il n’a plus d’autre solution que d’atterrir à Sion. La piste asphaltée n’est pas pourvue de chaînes lumineuses, il faut réquisitionner toutes les voitures disponibles, une dizaine environ, tous phares allumés, elles sont disposées de part et d’autre en début de piste. Quelques minutes plus tard, le commandant Alfred Stutz, également pilote militaire et connaissant bien l’aérodrome, pose en douceur son avion sur la piste, acclamé par une foule surprise et ébahie de cette 1ère locale.

- Le mardi 18, dans le courant de l’après-midi, un quadrimoteur Douglas DC-4, venant en ligne directe du Caire, foule le sol valaisan. Parmi les passagers se trouvent la sœur du roi Farouk d’Egypte, l’ex-reine Soraya de Perse. C’est vraiment un atterrissage historique. Geiger n’en croit pas ses yeux et organise le soir même une java mémorable !

L’Angleterre bloquée à son tour, les conditions s’aggravent localement

Mercredi 19. La météo ne change pas, le trafic continue avec l’Angleterre qui, curieusement, n’a pas trop de brouillard. Nous avons à nouveau une quinzaine de mouvements, dont un DC-6. Mais le soir, la situation change brusquement, tous les aéroports de la région de Londres se ferment. Les Convairs-240 et DC-6, remplis de passagers et prêts au départ, doivent renoncer à décoller. Les 80 passagers des 2 Convairs sont logés non sans peine dans les hôtels de Sion. Pour ceux du DC-6 c’est une autre aventure. Pendant que les responsables du logement prennent contact avec les hôteliers de Sierre et Martigny, les passagers, 60 jeunes Anglaises, attendent une heure durant en cabine et sans lumière puisqu’il n’y a pas de génératrice d’appoint. La vie à bord s’organise fort bien, self-service du buffet de bord et boissons à gogo, tout cela pour passer le temps. Ainsi, lorsque les cars viennent les chercher à la nuit tombante, la descente des échelles est plutôt épique, et ceci d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’échelles pour avions de ligne, mais des rampes extrêmement raides et étroites empruntées aux mécaniciens de l’aérodrome militaire !

Le samedi 22 presque toute la flotte de Swissair se trouve au sol pour la nuit. Dans un établissement de Sion, le dîner est des plus animés et l’ambiance avec les équipages fort sympathique. Pour activer la digestion, un commando se dirige sur Sierre où la soirée, en compagnie des passagers du DC-6, se terminera fort tard. Le lundi 24 au matin, nouveau changement de la météo. Un front est annoncé, la pression baisse. Vers midi Londres est ouvert et toute l’Europe se dégage du brouillard. Le trafic va pouvoir reprendre normalement. Le Convair-240 ainsi que le DC-6 décollent sans tarder pour aller déposer les passagers à Londres et retourner le soir même en Suisse, permettant ainsi aux équipages de fêter Noël en famille.

Par bonheur, l’infrastructure de Sion s’avèrera suffisante pour recevoir les avions de ligne pendant ces 13 jours où 130 grands avions atterrirent par un soleil radieux. Quelque 3.000 passagers furent déposés sur la piste de la capitale valaisanne ou s’en envolèrent. Il faut ajouter à cela le fret et le courrier. Durant ces journées on déchargea discrètement 2 tonnes d’or d’un DC-3 sous la garde non armée de Théo Vonlanthen ! Curieusement, le 20 novembre, l’aéroport de Cointrin avait reçu sa concession fédérale d’exploitation pour les 20 ans à venir !

 

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A la sortie du bassin genevois, au Fort l’Ecluse, la couche de nuage se déverse vers Bellegarde (Ain, F) avec l’aide du vent du nord.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mercredi 23 janvier 2008

* Sion avait déjà accueilli jusqu’à 3 appareils les 22.11.1947 et les 7-9.12.1948 lors de périodes de dense brouillard sur Genève.

  • Pour plus d’information, lire : Histoire de l’aviation en Valais, d’André Biollaz, édité par l’auteur, 1980, 272p., ills n&b, à la librairie
  • [2007] Sion International Airport, 1951 (vidéo, N&B, sonore, 02’30’’, 63Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3. minimum.

    - En 1947 à Cointrin, dans les locaux datant d’avant "l’aérogare à Tintin" :

    [04.2018] Pilotes de lignes en 1947 à Cointrin : météo en papier et radio en Morse (paru le 07.11.1947) (vidéo sonore en allemand, 02’03’’, 98Mo). Source Cinémathèque suisse, CJS no.34. Nécessite le plugin QuickTime 7.5 minimum.

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