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Emile WICK (1926-2000), pilote au cigare, ange de l’Himalaya, mène le Pilatus PC-6 au sommet de sa gloire [3 vidéos]
  Wick voue sa carrière à Pilatus, lui offrant des heures de gloire sur les plus hauts sites du monde. Aventu- rier célibataire ancré à Genève, il bourlingue aux frontières des reliefs sur maints continents à la limite de possibilité du monomoteur à pistons. Ex-moniteur de vol à voile il sait faire planer le PC-6 plus d’une heure. Connu des himalayistes, des alpinistes célèbres, il "règne" sur le vol au Népal établissant avec Saxer un record de posé et décollage à 5.750m qui tient encore. Homme à l’humour inaltérable à la gentillesse proverbiale, "Captain Wick" a même été filmé par Ushuaïa-TV.
Le prototype du PC-6, le HB-FAN "Yeti", sur l’aérodrome de Pokhara au Népal, joue les Sherpas pour l’expédition suisse au Dhaulagiri. Au fond le Matschaputschare (mai 1960).

Dès 16 ans dans la mécanique et l’aéronautique

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Le moniteur Wick à bord d’un planeur à Prangins (1956).

Josef Emil Wick, originaire de Zuzwil, naît le 12 février 1926 à Saint-Gall dans une famille vivant près de Rorschach. De 1942 à 1946, il est apprenti mécanicien à l’usine Dornier d’Altenrhein où il attrape définitivement le "virus de l’aviation". Il va débuter en parallèle le vol en planeur puis le pilotage à moteur. C’est en 1946 qu’on le retrouve à Genève en tant que mécanicien chez Pilatus Air Service à l’aéroport de Cointrin. Ancêtre de l’actuelle Jet Aviation (1971), Pilatus entretien les avions à pistons sur l’aérodrome, ceux de l’Aéro-Club et monte les avions de la firme Piper qui arrivent des USA en caisses. Wick participe entre autres à l’amélioration des 3 quadrimoteurs Halifax de Air Globe qui ne voleront jamais car Swissair obtiendra le monopole national du transport aérien (12.1948). Wick y sera chef de place en 1959.

Domicilié entre l’Auberge de Cointrin et Vernier, Emil Wick a déjà connu des membres du club de vol à voile genevois en été 1945 au camp de St-Jean-de-Royan dans le Vercors (F). Il continue à pratiquer ce sport à Cointrin, devient moniteur (1953) et pilote le Dewoitine D-26 qui tracte les planeurs (voir : Appareil). Il entretien bien sûr l’avion pour les 4 pilotes attitrés. Le vol à voile est déplacé à Puplinge en 1953 (voir :Lieu) puis à Prangins en 1956 (voir :Lieu) où Wick continue d’être très apprécié tant pour ses qualités de vol que par sa grande serviabilité, son tempérament et son sacré humour. Il participe au camp de vol à voile de Sion en tant que chef-moniteur (1954) et surfe avec le planeur Goevier biplace (HB-539) ou les monoplace S-18 (HB-458) et S-22 (HB-337). En 1959 s’ajoutent les planeurs Jaskolka (CH-581 et 583) et des vols de démonstration en août pour les 50 ans de l’Aéro-club de Genève complétés d’une démonstration du Pilatus P-3.

Sa reine de Cœur se nomme Jeanine Mathey. Elle est la barmaid du café "33", , ex Auberge de Cointrin, situé au 82 de l’avenue Louis Casaï, là où les aviateurs connus se retrouvent (Durafour, Weber, etc.) ainsi que les élèves de l’école IFR "Les Ailes", où l’élève-pilote Jacques Brel puisera les paroles d’une de ses chansons (voir : Récit). Et malgré la carrière de bourlingueur mondial d’Emil Wick, Jeanine, fidèle au bar, lui sera aussi fidèle toute sa vie.

Le Pilatus PC-6 Porter, la "jeep de l’air", et ses rapides exploits internationaux

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Wick (pull noir) et Saxer avant le départ pour le Népal à bord du "Yeti".

En parallèle, la firme Pilatus vient de créer le modèle PC-6 doté d’un moteur à piston et le prototype HB-FAN fait son 1er vol le 4 mai 1959. Wick deviendra à son tour pilote d’essais, pilote réceptionnaire et pilote convoyeur de ce type d’appareil dont le succès est vite assuré. Créé pour fournir une puissance moteur satisfaisante aux hautes altitudes, l’appareil va servir de "Jeep de l’air", de support logistique aux parachutistes, d’avion de liaison, d’avion de brousse avec d’excellentes capacités STOL (short take-off & landing) et devenir l’outil idéal pour le transport en haute montagne. La version à turbine, le Turbo Porter, naîtra très rapidement.

En Suisse, l’alpiniste Max Eiselin monte une expédition pour gravir l’inviolé Dhaulagiri (8.222m) au Népal et veut innover. Il remplacera pour la 1ère fois les longues colonnes de Sherpas qui précédent les assauts au sommet par des livraisons de matériel en avion et raccourcira ainsi la durée des expéditions. Il veut utiliser un PC-6 et la firme Pilatus lui loue le HB-FAN à fin 1959. Un équipage expérimenté le pilotera : le copilote Emile Wick et le pilote militaire saint-gallois Ernst Saxer (1937-1968), rien à voir avec son homonyme connu chez Aéroleasing [1934-2009]). Eiselin baptise l’avion "Yeti" et des essais débutent aussitôt dans les Alpes en le posant sur presque tous les glaciers du Valais et des Alpes bernoises. Le 12 mars 1960, l’avion "Yéti" quitte Zurich-Kloten emportant Eiselin et Pieter Diener. En 8 jours, le PC-6 fait escale à Florence, Rome, Brindisi, Athènes, Rhodes, Nicosie, Damas, Bagdad, Abadan, Buschir, Dschask, Jiwani, Karachi, Ahmedabad, à nouveau Delhi et Katmandou près de Pokhara, le camp initial au Népal de l’expédition. Après un vol d’essai, la 1ère livraison de matériel est effectuée le 28 à 5.200m, où le décollage est déjà un record d’altitude. Les livraisons s’enchaînent mais Wick doit réparer le gouvernail dès le 30 mars, pendant 2 jours, utilisant ses capacités de chaudronnier. Puis un cylindre défectueux, le 13 avril, immobilise l’appareil à Pokhara pour 3 semaines. Un nouveau Lycoming 340cv est installé par Wick et 16 livraisons sont effectuées en altitude.

Le 5 mai, lors du 17ème vol, la livraison se fait au col Nord-est (5.700m). Juste après ce 42ème décollage le pommeau en noyer du manche à balai reste dans la main de Saxer ! Le froid à transformé la colle qui le tenait en granulés. L’appareil incontrôlé retombe plus ou moins bien sur ses skis sur le glacier du Dampus Pass. Mais l’hélice est tordue ainsi que les extrémités des ailes. Impossible de réparer, de décoller, et personne ne peut venir aider ici ces non-alpinistes ! Une mauvaise météo les maintient couchés 2 jours dans la carlingue avec quelques vivres. Puis ils se décident à descendre dans la neige, suçant parfois de la glace, et rejoignent heureusement la bourgade de Tukche, d’où ils repartent le lendemain aidé de porteurs en direction de Pokhara. Ce trecking imprévu dure 8 jours et Wick résume l’événement dans un "Nous sommes les seuls à avoir descendu le Dhaulagiri sans l’avoir jamais escaladé !" Ils reviennent de loin et ont frôlé la mort à plusieurs reprises. Heureusement, l’essentiel du matériel est déjà en main des alpinistes qui atteignent le sommet du Dhaulagiri par 2 fois en ce mois de mai 1960. Le 6ème sommet du monde, est vaincu !

Un étonnant pilote bourlingueur au sommet de son art

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En 1960 au Népal.

De retour en Suisse, fondé de pouvoir chez Pilatus, Wick débute une longue série de convoyages de PC-6 neufs à travers le monde. Par étapes d’environ 20h de vol, il livre ainsi en Afrique, jusqu’à l’Afrique du Sud, en Asie dont le Cambodge ou l’Indonésie et même jusqu’en en Australie et la Nelle Zélande. Et si d’autres avions sont livrés en caisse, il reste sur place supervisant leur montage et les essais. Ces raids ne sont pas exempts d’aventures : Survolant l’Inde, la panne d’essence est imminente et le relief n’est pas propice à l’atterrissage. Wick remarque enfin des rapaces tourbillonnant dans une ascendance, s’y rend et fait grimper le Pilatus pendant 2h. Grâce à ce gain d’altitude, en planant, il rejoint un terrain militaire indien pour s’y poser en vol plané, sans bruit et sans prévenir ! Au milieu des années 60, avec quelques pilotes, il livre les PC-6 au Laos, à la Cie de la CIA Air-America, où arrive au maximum un avion chaque mois. Très connu des pilotes locaux, Wick participe même à une livraison en brousse ; mais accueillis par des tirs ils doivent décoller avec la dérive très abîmée. Wick ramène l’avion blessé à la base en ne jouant que sur la puissance du moteur !

Domicilié à la rue Carteret (GE), Wick profite des congés d’été pour participer parfois aux camps de vélivoles avec les Genevois. En 1971, Air Alpes forme durant 5 mois des pilotes népalais sur les altiports savoyards. Puis les pilotes d’Air Alpes et de la Népalaise Royal Nepal Airlines convoient en juillet 2 PC-6-Turbo-Porter neufs au Népal (9N-AAZ, 9N-ABC) ainsi que 2 DH-6 Twin-Otter en 8 étapes. Mais une formation à la très haute montagne est encore nécessaire au Népal et Wick est mandaté en 1972 pour cela. Il va finalement œuvrer là-bas pendant 14 ans ! Pour pouvoir se poser sur tous les terrains du Népal, et près de la frontière tibéto-chinoise, il reçoit le grade de capitaine de la Nepalese Air Force. L’avion 9N-ABC devient son appareil attitré, qu’il sera désormais le seul à entretenir tout en étant toujours salarié de Pilatus en Suisse.

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Pales d’hélice et bouts d’ailes tordus, moteur de travers, le "Yéti" va rester là quelque 50 ans.

En souvenir du HB-FAN de 1960, Wick reçoit encore l’amical surnom de "Yéti". Outre le transport de fret, de passagers locaux, de touristes ou d’alpinistes, il mène des vols de reconnaissance, de photographie aérienne, d’études géologiques pour le gouvernement et épaule diverses expéditions d’alpinistes dans la chaîne de l’Himalaya. Parfois ce sont les réfugiés tibétains ou chinois qu’il faut approvisionner. Wick a pris l’habitude de fumer le cigare en vol (Stumpen) du coin des lèvres, à l’avant de sa demi-douzaine de passagers. Sa justification est la suivante "Si le cigare s’éteint, c’est qu’on est au-dessus de 6.000m et il faut mettre les masques à oxygène." Il participe à la création de l’aéroport de Syangboche, un terrain de brousse de 400m établi au sommet d’une étroite crête, finissant contre la montagne et terminé d’une modeste bourgade abritant l’unique hôtel pour riches touristes : l’Everest View Hotel.

Wick fait merveille au début avril 1973 lorsqu’en 4 jours il largue tout le matériel et le ravitaillement pour 60 jours de l’expédition américaine au Dhaulagiri. Il passe à basse vitesse à 5.700m d’altitude, à 8-15 pieds du sol, pendant que John Skow largue sacs et poulets vivants par la porte de la carlingue. La totalité de ces vols équivaut à la charge de quelque 200 Sherpas. En outre, Wick découvre que dans de bonnes conditions il est possible de planer avec le Porter au dessus du Lhotse et d’atteindre une altitude considérablement supérieure à ce qui est prévu pour cet avion, souvenirs du vol à voile… En 1978, l’expédition autrichienne à l’Everest veut atteindre le sommet sans oxygène avec Reinhold Messner et Peter Habeler. Depuis Syangboche, Wick fait voler Messner au-dessus du sommet dans son avion quasiment équipé comme une ambulance. Messner, bien que "sonné" par le manque d’oxygène, ne porta pas le masque salvateur ce jour là. Ils atteindront par la suite le sommet de l’Everest sans aide respiratoire. En 1985, Emil Wick assiste aussi l’équipe qui fait du planeur depuis les pentes de l’Everest, dont l’Espagnol Alvaro de Orleans-Bourbon.

La retraite du "Geiger de l’Himalaya" dans l’anonymat local

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Le Turbo Porter personnel du Captain Wick au sein de la Royal Nepal Airlines Corp.

La flotte des PC-6 Turbo-Porter locale a grandit incluant d’autres pilotes européens dont Hardy Furrer ( ?-2005) qui commença par œuvrer là pour l’UNICEF, ainsi que de nombreux pilotes népalais. La roue tourne : en 1986 à 62 ans, Emil Wick connait des problèmes cardiaques accentués par les vols en haute altitude et complétés de problèmes aux poumons liés au tabac. Il a fait plus de 2.500 atterrissages à Syangboche (12.500pieds) et survolé 16 fois le toit du monde, un record ! Il a 12.000h de vol sur Pilatus et mené 22.000 atterrissages. Il quitte Air Nepal et continue à œuvrer pour Pilatus jusqu’à 65 ans. Il ne regrette rien de cette vie de bourlingueur, de cette liberté, et de n’avoir pas eu de descendance.

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Emile Wick en 1978 (Photo Remy Poinot).

Wick bénéficie d’une modeste retraite et vivote au 1er étage du 72 de l’avenue Louis Casaï entouré de Jeanine et de quelques amis épatés par les récits de ses vols. Malgré un pontage coronarien en 1982 et un "peace-maker", il brûle de revoir le Népal où l’équipe d’Ushuaïa va le filmer en 1990, copilote pour l’occasion d’un PC-6 atterrissant à Syangboche et survolant le "toit du monde".

En 1989 il publie un ouvrage sur l’aérologie de l’Everest en collaboration avec le professeur newyorkais Edward E.Hindman. En 1995, lorsque Wick repasse au Népal, beaucoup de choses ont changé : le 9N-ABC est au rebut et ne sert que pour les pièces de rechange ; plus personne ne le connait ici à la Royal Nepal Airlines Corp ou même chez Pilatus.

Jeanine disparait (1999). Une mauvaise réaction à un médicament et Emil Wick décède à Meyrin le 27 septembre 2000, à 74 ans, entouré de quelques amis fidèles. Quant au 9N-ABC, il partira à la casse en 2001…

La reconnaissance mondiale pour de nombreux records involontaires

Wick disparait dans l’anonymat genevois alors que des centaines de gens de par le monde l’ont connu au sommet de son art et l’on filmé dans des lieux où les hommes sont rares, le qualifiant déjà d’homme légendaire de son vivant.

En Suisse, curieusement, nait en 1998 une association qui souhaite récupérer l’épave du HB-FAN "Yéti" avec l’intention de restaurer l’avion et de le faire voler. Il semble que ce prototype du PC-6 Porter, réussite helvétique, soit l’unique appareil restant équipé d’un moteur à pistons ; tous les autres ont reçu une turbine Pratt & Whitney ! En 1999 des membres de la Porter-Vintage-Association récupèrent quelques pièces qui sont exposées au Musée des Transports de Lucerne en 2001. La carrière d’Emil Wick ressugit, le "Yéti" est toujours vivant et un record reste à battre à ce jour, le plus haut atterrissage et décollage du monde à 5.750m/mer !

 

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Le PC-6 HB-FAN lors de son atterrissage-décolage record, à 5.700 au col nord-ouest du Dhaulagiri.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  vendredi 21 mars 2008
  • Pour plus d’information, lire : Erfolg am Dhaulagiri (succès au Dhaulagiri) par Max Eiselin, Ed. Orell Füssli, 1960. / The ascent of Dhaulagiri, (éd. anglaise).
    - "Travelers’tales Nepal, the story of life on the road", de et édité par Rajendra S Khadka, pp:87-98 (voir Internet, Google, livres).
    - "Air motions in the vicinity of Mount Everest as deduced from Pilatus Porter flights", par le prof. Edward E. Hindman du City College, NY, USA, et J.Emil Wick, 1989.
  • Le PC-6 HB-FAN "Yeti" en 1960 au Népal, (vidéo, couleur, sonore, 03’, 70Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum. Peut être téléchargée sur www.download-films.de
    Emil Wick et son Pilatus filmé à Shyangboche dans les années 80, (vidéo, couleur, sonore, 03’). Sur le Site de Yahoo. Peut être téléchargée sur www.download-films.de ou https://cpmediaload.com/download/Himalaya-Piloten-Pioniere.html .
    Emil Wick de passage au Népal en 1990, (vidéo, couleur, sonore, 06’, 282Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

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