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Visite inattendue, mouvementée, de F-86A Sabre canadiens à Cointrin, dont l’un finit sur le ventre (1954)

  En panne brutale de moteur un chasseur F-86 Sabre du Royal Canadian Air Force est contraint de faire un atterrissage forcé à Genève-Cointrin en février 1954. La forte bise régionale le plaque hélas au sol peu avant le seuil de piste. Il n’y a pas de blessés.

L’appareil endommagé sera démonté et rentrera en Allemagne par la route. Hasards de l’histoire, cet avion aura une carrière bien plus longue que le second Sabre qui se posa intact à Cointrin ce jour là.


Un chasseur F-86A / CL-13 Sabre Mk2 du 427e squadron canadien (RCAF) basé en Europe en 1954. Un lion jaune orne le chevron rouge placé sous le cockpit. Le drapeau canadien est au bas de la dérive et la feuille d’érable dans la cocarde... (dessin finalisé par Philippe Abbet).

Panne de moteur et de radio au dessus du Jura gessien

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Du personnel aide à pousser le BB-432 hors de l’axe de piste (ph. : J. Reymond).

Le mercredi 17 février 1954 le personnel de l’aéroport de Genève Cointrin connait un incident qui aurait pu avoir de graves conséquences. Parti de l’aéroport militaire de Rhein-Main, près de Francfort, un avion F-86 Sabre de la Royal Canadian Air Force (RCAF) vole en patrouille avec une dizaine d’autres de ces appareils de chasse à réaction. A quelque 35.000 pieds d’altitude il fait un temps superbe, la visibilité est parfaite et les jets se dirigent vers Nice (F). A une soixantaine de kilomètres de Cointrin, arrivant sur le versant français du Jura gessien, le monoplace BB-432 se trouve brutalement confronté à une panne complète de réacteur.

Le pilote prend aussitôt la décision de se poser à Cointrin dont la piste est visible quelques kilomètres en dessous. Cela se fera en vol plané, sans avoir pu prendre contact avec la tour de contrôle, car il subit une panne générale d’électricité ; tout est coupé, c’est le silence radio complet ! L’aviateur sort manuellement son train d’atterrissage et plane vers la piste de l’aéroport. Il effectue un dernier virage du côté de Meyrin se préparant à se poser sur la piste en béton "en 05". Le pilote ignore encore pourquoi il fait si beau : une bise violente, qui vient toujours du nord, souffle à 60km/h alors que le Sabre silencieux arrive face à elle.

A 11h10, le Sabre survole la route de Meyrin, se positionnant en final pour son atterrissage. L’avion pesant entre 6 et 8 tonnes est encore lancé à 180km/h, mais il est bientôt freiné dans son élan par la force du vent. Une rafale plus forte le plaque vers le sol. Il n’atteindra pas la piste en dur et touche le terrain herbeux détrempé par des pluies récentes, 70 m avant le début de piste. Au sol, l’avion heurte la balise indiquant l’entrée de la piste, les roues s’enfoncent profondément dans le sol meuble, le train avant se replie, un bidon d’aile s’arrache, puis l’appareil brutalement freiné s’immobilise. A cet instant, un Constellation d’Air India International s’apprête à atterrir et reçoit l’ordre de reprendre immédiatement de la hauteur, ce que le pilote civil fait aussitôt. Par chance, au sol, le pilote militaire sort indemne de son cockpit sans l’aide du Service de Secours de l’aéroport alerté par la tour de contrôle

Plus de peur que de mal, un second "Sabre" vient aux nouvelles

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Le BB-234 qui s’est également posé à Cointrin et retournera à Zweibrücken (D) au 3e Fighter Wing (ph. : J. Reymond).

Par ailleurs, dès que le BB-432 quitta la formation, un coéquipier (BB-234) se rendit compte qu’il se passait quelque chose d’anormal. C’est lui qui signala l’incident à la tour de contrôle de Cointrin. Ce second pilote suivit son collègue en difficultés et se posa à son tour sans encombre sur la piste en dur genevoise. Quelques minutes plus tard le Constellation d’Air India pouvait aussi atterrir avec ses passagers. Quant aux huit autres Sabre de l’escadrille, ils poursuivaient normalement leur vol vers la Côte d’Azur où ils se poseront sans encombre.

Au sol on a eu beaucoup de chance car à moins de 200m de son point d’arrêt, l’avion désemparé, armé de 6 mitrailleuses, survola à faible altitude la route de Meyrin et le hameau des Italies. Il faut relever que le pilote en difficulté agit au mieux des intérêts communs car s’il s’était éjecté en parachute, son appareil abandonné à la dérive se serait écrasé on ne sait où, peut-être sur une maison de Meyrin. L’aviateur fit donc le maximum pour que tout se termine heureusement fort bien.

Une 1ère enquête est aussitôt ouverte par les autorités de l’aéroport (Ch. Bratschi, E.J. Sudan, A. Engelhard). Peu après arrivent les responsables civils : Jean Treina, chef du Dpt du commerce et de l’industrie accompagné de son secrétaire général Archinard. Par ailleurs, M. Allard, délégué permanent du Canada auprès des Nations Unies, alerté par l’Ambassade du Canada à Berne est également présent et s’entretient avec les deux pilotes de chasse. Les deux Sabre sont placés dans un hangar où ils sont sous bonne garde. Le drapeau canadien des deux dérives a été masqué.

En fin d’après-midi arrive un Douglas DC-3 de la RCAF dans lequel se trouvent un commandant de l’unité des pilotes ainsi que des experts qui examineront si l’appareil peut être réparé sur place. L’officier canadien est chargé de l’enquête et ses résultats sont rapidement entérinés dès le 18 février. L’autorisation de repartir est donnée aux pilotes. Le Sabre intact décolle à destination de Zweibrücken (D) à 16h32. Prenant son envol en direction du lac, il réalise un tour d’honneur sur la ville puis prend la direction de l’Alsace. Le DC-3, l’officier et ses adjoints repartent également en Allemagne.

Le Sabre endommagé ne peut hélas pas être réparé sur place. Aussi, le 1er mars, privé de ses ailes, en grande partie démonté, il est transporté sur une remorque tirée par un tracteur. Le BB-432 s’en va par la route, via Meyrin et la France, pour Zweibrücken (3e Fighter Wing) qui est le centre de l’aviation canadienne en Europe (Sarre). Happy end !

Une carrière canadienne assez courte pour ces deux "Sabre"

Hasards du sort et curiosité de l’histoire, le BB-234 ne servira que trois ans et tuera son dernier pilote. Le BB-432 endommagé à Genève vivra encore de nombreuses années, dans deux armées distinctes :

- BB-234 : serial 19234, c/n 134. Pris en charge par le RCAF le 26.11.1951. Au squadron de chasse 413, puis au 3e Fighter Wing en Europe où il est noté endommagé (class A) le 14.12.1954. Il est aux mains du squadron 137 (Transport Flight), depuis Ringway Airport, Manchester, lorsqu’il se crashe sur un relief près de Huddersfield, GB, à 25 miles au nord-est de Ringway. L’officier pilote P.V. Robinson est tué, l’appareil est détruit (29.12.1954).

- BB-432 : serial 19432, c/n 332. Pris en charge par le RCAF le 22.10.1952. Premier vol le 16.11.1952. Il entre en service à la base de St.-Hubert, PQ dans le 3e Fighter Wing. Il est transféré à Baden-Solleingen (D) où il participe à l’Opération "Leapfrog 4", en mars-avril 1953 ; puis accidenté à Genève-Cointrin le 17.02.1954 ; il reste utilisé jusqu’au 04.08.1955. Il est finalement offert à la force aérienne grecque.

 
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Un Sabre en vol au-dessus de Bex en août 1998. L’avion pouvait atteindre la vitesse de 1.000km/h (ph. : JCC).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  vendredi 12 octobre 2012
  • Pour plus d’information, voir : Mémoires 1952-1964, par Jacques Reymond, 20 pages, ills, 2008, à la "Librairie".
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