D’ex-bombardiers pour larguer des oranges sur le marché suisse
Le 1er Halifax C.VIII (HB-AIF) sur lequel une "baignoire" ventrale doit être installée (Ph. : U.Haller).
A l’aéroport de Genève Cointrin (voir : Récit) la piste en béton mesure alors 2.000m dès l’été 1946. L’emprise totale du terrain est passée de 54 à 210ha. En été 1947, les travaux de construction concernent les ailes de la future aérogare dont les fondations du bâtiment principal sont terminées (2 étages et sous-sol), ainsi d’ailleurs que le parking pour les avions. On débute la construction d’un grand hangar métallique côté Vernier. Le 4 avril, la Suisse a rejoint l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile (OACI/ICAO). Mais deux ans après la fin de la guerre, il y a encore beaucoup de points à améliorer touchant à la population helvétique.
La Suisse manque encore de certains produits frais. Les troupes américaines consommaient beaucoup de citrons et d’oranges, riches en vitamines. Un assureur genevois et deux associés veulent ramener depuis l’Espagne ces rares agrumes sur le marché suisse. Le 13 septembre 1947, ils fondent une compagnie aérienne "Air Globe SA de Transport aériens" (Air-Globe, A.G. für Lufttransport / Air Globe, Air Transport Company Ltd). Le siège est sis au 1 pl. de la Fusterie avec comme mission le transport aérien et le commerce de tous appareils d’aviation. Cette Cie ne doit pas être confondue avec la compagnie bâloise Globe-Air (20.06.1957-17.10.1967).
Le président d’Air Globe, Jean Hugentobler (1895-1971), nait à Bienne, est formé à Porrentruy et termine son droit à Genève. Agent-général d’assurance à Bienne, il fonde une société de protection et d’assistance juridique en 1929 qu’il dirige à Genève jusqu’à sa retraite (39 rue du Rhône). Le secrétaire d’Air-Globe se nomme Charles Terraz (1907-1976). Originaire de St-Imier, maturité à Bâle, sciences économiques à Fribourg et Genève, expert-comptable, il dirige dès 1943 à Genève la Société Fiduciaire et de Gérance SA (1 rue de la Cité) qui possède des succursales à Bienne et Fribourg. Le 3ème homme porte le nom de Josef Ziegler, alors que le capital de la société se monte à 400.000F.
Quant aux avions visés, ce seront d’ex-bombardiers britanniques civilisés dont le 1er sera livré le 4 septembre 1947. Le 11 novembre, Air-Globe obtient de l’Office Fédéral de l’Air l’autorisation d’exploiter sa ligne régulière. Entre temps, 3 quadrimoteurs Handley-Page H.P.70 Halifax sont modifiés en conséquence pour le vol charter et le transport de fret. Vers la mi-novembre un 1er vol de Air-Globe s’envole pour Barcelone mené par un équipage français, alors qu’il devrait être de nationalité suisse ou espagnol. L’avion est de retour, via Marseille, le 20 avec son lot de mandarines pour les fêtes de fin d’année. Mais il y a encore pas mal de points administratifs à régler…
Du Bombardier "Halifax" au liner "Halton" en passant par les cargos d’Air-Globe
Le curieux marquage blanc et rouge des dérives des Halifax en attente de leur vente (ph. : A.Violand).
Quelque 40% des bombardiers lourds construits en Gde-Bretagne durant la 2ème Guerre mondiale sont des Halifax. Mais ce quadrimoteur à large soute fut plutôt utilisé dans les rôles annexes comme le vol cargo, le transport de troupe, la traction de planeurs ou encore le rôle d’éclaireur maritime. L’ultime version, le modèle C.VIII, peut emporter 3.630kg dans un container ventral, mais effectue son 1er vol peu après la fin de la guerre, en juin 1945. L’ancienne soute à bombe, reconvertie, permet alors le transport de 11 passagers bien que l’on conserve le nez vitré. On utilisera l’appareil dans 3 escadrilles de la RAF. en Angleterre et au Moyen-Orient, qui seront réformés en 1947.
Peu utilisés et bradés, ces avions pénètrent le monde civil et une douzaine intègre des Cies aériennes pour le transport de passagers dans un intérieur luxueux éclairé par de grandes hublots carrées. Baptisé Halton-1, ce type est employé durant un an par BOAC sur les vols Londres-Accra en attente de plus modernes liners. Certains C.VIII voient leur soute modifiée et deviennent des avions cargos utilisés jusqu’à la fin 1948. Le blocus de Berlin leurs donne alors leurs heures de gloire. Quelque 41 Halifax et Halton sont engagés dans le célèbre "pont aérien" contre la menace soviétique (24.06.1948-15.08.1949). Mais la fin de ce pont verra la majorité des Halifax mis au rebut et détruits.
Si les 1ères versions sont équipées de moteur en "V" Rolls-Royce Merlin XX, d’une puissance au décollage de 1.175cv, les Halifax cargos d’Air Globe sont équipés du moteur en étoile du Halifax B.VI, soit des 14 cylindres double étoile Bristol Hercules 100 de 1675cv chacun. Quatre appareils C.VIII sont commandés à Genève dont 3 livrés (HB-AIF, HB-AIK, HB-AIL). Le HB-AIM ne verra pas le jour. A Cointrin, Emile Wick (voir : Biogr), employé de Pilatus Air Service, est chargé d’installer les "baignoires" ventrales, soit les containers accrochés sous les appareils. Les Halifax feront alors quelques vols d’essais.
Caractéristiques techniques : Envergure 31,6m, longueur 22,43m, hauteur 6,91m, surface portante 118,45m2, poids à vide 17.173kg, poids maxi 30.845kg, vitesse maxi 515km/h, vitesse croisière 313km/h, vitesse ascensionnelle 3,75m/s ; plafond 6.400m ; équipage 5, passagers 11.
| —c/n.— | ----- Royal Air Force ----- | Payloads Ltd. | — Air-Globe — | Egyptian Air Force |
HB-AIF | 1365 | PP292 ->14.04.1947 | G-AJNV | 03.11.1947 | 28.12.1948 SU-AG… |
HB-AIK | 1346 | PP273 ->01.08.1947 | G-AKCT | 04.09.1947 | 28.12.1948 SU-AG… |
HB-AIL | 1362 | PP289 ->16.07.1947 | G-AKBP | 04.09.1947 | 28.12.1948 SU-AG… |
HB-AIM | 1391 | PP329 ->23.09.1947 | G-AKBR | ---- | ---- |
Le monopole de Swissair commence à ruiner la créativité de certaines compagnies
Début 1948, deux Halifax d’Air-Globe et deux DC-3 d’Alpar attendent leur transfert (Ph : J.Ch.Héritier).
Hélas, le monopole du transport sur une ligne régulière est accordé à Swissair et ruine les ambitions d’Air Globe et d’autres. L’ordonnance sur l’aviation OSAV, RS 748.01 s’appuyant sur l’article 103 La du 21 décembre 1948 entérinent cette situation. La compagnie Air-Globe n’aura que très peu transporté et se trouve en faillite. Les quatre Halifax sont en vente et rapidement acquis par les forces aériennes égyptiennes le 28 décembre. L’Egypte possède déjà un certain nombre d’avion de ce type. Depuis lors, peu d’informations sont apparues concernant le devenir de ces 3 appareils qui furent immatriculés SU-AGH, AHI, AGL sans que l’on sache lequel porte ces marquages (c/n.1150 à 1154). Outils d’un rêve avorté, les Halifax de Jean Hugentobler firent donc le bonheur de l’Egypte ! Si Air-Globe n’a pas laissé son nom dans la zone aéroportuaire ou dans l’histoire locale, la Cie Alpar, elle, l’a fait, également stoppée sur ses lignes commerciales par le nouveau règne de Swissair.
La bernoise Alpar AG, fondée en mars 1929, dirigée par le Dr Aeschbacher et fraîchement installée à Genève, y donne ses 1ers baptêmes de l’air à bord de son biplan "Dragon-Rapide" (CH287-> HB-ARA-> HB-APA) peu après l’armistice, le 13 mai 1945, emportant 168 personnes. Plus tard, la Cie entreprend ses 1ers vols réguliers vers l’étranger, le 24 juin 1946, sur la ligne Berne-Genève-Marseille et Berne-Lausanne-Paris-Londres et retour. Les passagers embarquent sur le Dragon-Rapide (HB-AME, HB-AMU) et un Koolhoven FK-50 (HB-AMO). Quatre Dakota sont ensuite rachetés à la Tchécoslovaquie (OK-WAL, WBC, WDI, WDL). Mais, ressentant la forte attraction de Swissair, la totalité du personnel volant d’Alpar, 3 pilotes, 2 radios, 6 pilotes-et élèves-radio rejoignent Swissair au 1er février 1947. Le 23 décembre les Dragon-Rapide et 2 des 4 DC-3 Dakota d’Alpar suivront le même chemin (HB-ASA, HB-ATI). La Cie bernoise, remaniée, se centrera dorénavant sur le vol non régulier au départ de Berne et la gestion de cet aérodrome.
Une très ancienne villa toujours présente dans l’enceinte de l’aéroport de Genève-Cointrin est bien connue sous le surnom de "Château Alpar". Recensée dès le 17ème siècle, la vaste propriété engloba … pré, verger, champ, hutins, jardin, vigne et bois (pépinière), maison, grange, écuries, bâtiment à l’usage de la campagne et connut moult propriétaires avant d’être acquise par l’état de Genève en 1946. Le 1er locataire de l’Etat en sera Alpar AG, puis Balair, Swissair, etc. Le "château" a perdu la splendeur de son parc, un écrin de verdure qui le mettait en valeur, il n’est plus qu’une vieille et coquette bâtisse écrasée par le volume du grand hangar voisin. Il abrite aujourd’hui des services de l’Aéroport International de Genève-Cointrin et conserve ainsi pour la postérité la mémoire d’une des compagnies locales disparues ... au profit de Swissair.
Mais la nature a horreur du vide, même en l’air !
La Société Générale de surveillance (SGS) à Genève se monopolise dès mai 1945 sur un projet de transport aérien de fret. L’idée : tracter un planeur Horsa derrière un quadrimoteur, un ex-bombardier, au nom de la Croix-Rouge, pour livrer du fret dans les pays brisés par la guerre. Pourquoi ce curieux concept ? Les avions-cargos civils n’existent pas encore, et si un bombardier peut décoller avec sa charge de bombes, sa structure nécessite qu’il atterrisse à vide. Le planeur lourd Horsa, qui à notamment servi au débarquement de Normandie l’été précédent, tracté puis piloté, pourra ainsi poser sa charge à peu près n’importe où. Des essais ont lieu en automne sur la base RAF de Brize Norton (GB). Fin 1945, le projet vise maintenant à l’achat de 2 avions Halifax, de 2 DC-3 et d’un planeur Horsa II. Swissair refusant ce type de mission, c’est Alpar qui reprend le projet de la SGS, augmentant son capital et complétant sa flotte par l’achat de plusieurs DC-3. Mais, au début de 1946, l’idée du planeur est vite abandonnée puis, comme on le sait, le temps passe, le vent tourne pour Alpar, et le projet n’aura pas de suite.
A mi-1945, un projet de la Société Genevoise de Surveillance visait à tracter un planeur Horsa II par un Halifax pour approvisionner des régions ruinées par la guerre.
Une autre compagnie genevoise née en juin 1946 se spécialisera automatiquement dans le seul créneau disponible et non directement assimilable par Swissair : le taxi aérien. Tarsa, taxis aériens SA, dirigée par le Valaisan Jean-René Pierroz (1905-1978), qui utilise notamment un avion Nord 1002 (HB-OAR) et un Percival P.10 Vega Gull (HB-OMO). Ce dernier appareil, perdu dans le brouillard, se crashe au large de Sète, en Méditerranée, tuant son pilote, Charles Hautier (1896-1946) et 2 passagers, le 25 septembre.
La Cie est remplacée dès août 1947 par Air Bleu, Genève, taxi aériens SA, dont les bureaux se situent aussi au passage J.Malbuisson 19. Elle fait l’acquisition d’avions commerciaux pour le transport et l’exploitation de taxis aériens et son capital se monte à 500.000F. En 1948, ses administrateurs sont : Georges Filipinetti (1907-1973) (président), Pierre Poncet (secrétaire), Martin Burrus, Max Hottinger, Jean-Jacques Geneux, Jacques Dulac. La Cie n’emploiera que des appareils à 2-6 places et excellera dans les baptêmes de l’air. Lors des Jeux olympiques d’hiver de St-Moritz, elle géra une ligne Genève-Samedan (1948). Les vols à la demande reliaient entre autres Genève aux foires de Bâle, Lyon ou même Barcelone. Malheureusement, le 31 mars 1951 la compagnie est en faillite. Ne pas la confondre avec la Cie aéropostale française également baptisée "Air Bleu".
On doit notamment à Air Bleu l’organisation de 2 des 3 journées de baptêmes de l’air tenues au départ de Meinier-Compois (GE), avec les avions HB-OAP et le HB-OSN (triplace) les 31 août et 14 septembre 1947. Rien que dans le 2ème appareil piloté par Georges Gorgerat (1915-1992), 52 passagers, au total, prirent l’air.
Entre temps naissait encore à Genève Air Trafic S.A., le 17 février 1948, effectuant des vols charter et vol spéciaux vers la France et l’Espagne, avec un Douglas DC-3. Sous la responsabilité locale de Mr Dübendorfer, l’entreprise migrera bientôt du côté de Zurich…
Air-Bleu, immatriculations (1947-1951) :
Piper-Pa.12 HB-OAP | Nord-1002/1000 HB-OAR, HB-OAZ | Nord-1102 HB-OAX | Piper-Cub HB-OEY | Avro-Anson HB-TAR, HB-TAA | Noorduyn HB-UIK, HB-UIL | Beech-17S HB-KID | Piper Super-Cruiser HB-OOC, HB-OOT |
— | |
Jean Hugentobler devant le 1er Halifax équipé avec son volume ventral, prêt au décollage (ph. : A.Violand).