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Des jets d’affaires civils en missions spéciales au Moyen-Orient et en appuis d’Etats (1982-1986) [vidéo]

 Trente ans ont passé depuis que des Jets-taxis d’Aeroleasing se distinguèrent au Moyen-Orient, là où la limite du monde commercial civil touchait aux missions aériennes de guerre. Dans les années 80, des avions suisses partaient parfois pour des vols très spéciaux pour l’un ou l’autre des belligérants, neutralité oblige ( ?).

Si l’efficacité et la discrétion restent deux qualités de la morale helvétique y compris en aéronautique, certains témoignages commencent à apparaître… mais combien restent encore cachés ?


Un Falcon-50 d’Aeroleasing Genève SA (ALG) posé discrètement quelque part en Chine, ou ailleurs. La compagnie posséda neuf Falcon-50 dont certains menèrent des missions "spéciales" dans les années 80, au Moyen-Orient en guerre.

Aeroleasing SA, très vite la 1ère compagnie européenne d’avions-taxis

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Le HB-IEC en vol sur les Alpes apte à rejoindre toute partie du globe.

C’est en 1966 que le Tessinois de Genève Pio Fontana (1939-2005) fonde Aeroleasing (ALG) avec Peter Notz, John von Neumann (1921-2003) et David Mc Connell. Leurs buts : distribuer des appareils Piper et faire du taxi aérien avec deux bimoteurs à hélices, un Piper Apache et un Piper Aztec. En 1968, la firme gère et entretient les jets de quelques riches privés, comme le Falcon-20 HB-VBL à 12 places d’IOS (voir : B.Cornfeld), exploitant aussi ces avions quand ils ne sont pas utilisés par leurs propriétaires. Les 15 personnes du groupe sont rejointes en 1971 par Elie Bazbaz (né en 1945), un français d’origine libanaise qui possède 2 jets, un fin négociateur, ainsi que le nouveau directeur d’exploitation Ernst Saxer (1934-2009), de la trempe d’un Didier Daurat pour certains. En 1976 Aeroleasing rachète l’avion d’IOS et 4 autres Falcon de chez Dassault. En 1977 Bazbaz apporte son Falcon-10 et son Falcon-50. Dès Learjet (types 35, 36, 55) rejoignent la flotte peints en rouge et blanc (J.v.Neumann). En 1983 la firme recouvre le droit de faire la maintenance de tout appareil à Cointrin comme Transair ou Jet Aviation. Elle ouvre des lignes aériennes Zurich—Saint-Moritz et Genève-Olbia…

En 1983 cette firme de 90 personnes dispose de 30 pilotes et hôtesses, réalise 6.400h de vol (+18%) avec un remplissage moyen de 4 passagers par avion (8 appareils). Le chiffre d’affaire est déjà de 16,2 millions de dollars. Avant la maintenance (25%) et la distribution Piper (15%), la principale activité aérienne (60%) reste celle d’avion-taxi, officiellement "pour marchandises et personnes". Concrètement, ces dernières appartiennent surtout à la "Jet set", au "show biz", au monde des affaires et de la politique. Pour information, 1 heure de vol en Piper Cheyenne-II coûte 1.800.- ; en Learjet-36 c’est 2.800.- ; en Falcon-10, 3.100.- ; en Learjet-55, 3.900.- ; en Falcon-20, 4.200.- ; en Falcon-50 il s’agit de 6.000/6.500 francs suisses d’alors. Très vite devenue la 2ème compagnie européenne du genre (1982), Aéroleasing règne bientôt au sommet allant jusqu’à posséder 20 appareils basés à Genève. En 1988 elle reprendra même Transair et s’associera à Burnet pour l’aménagement/rénovation des cabines de "Bizjets". Bazbaz gardera le cap jusqu’en 1994 puis, évitant une faillite, TAG reprendra la société genevoise en 1997 - sauf la maintenance - et la possède encore.

En approche finale à Beyrouth, on tire sur le Learjet piloté par Paul Keller

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Derrière le HB-VGU, le Learjet-36 HB-VFD qui fut mitraillé à Beyrouth le 8.02.1982.

Bâlois d’origine, Paul Keller (né en 1935) pilota notamment les Learjet d’Aeroleasing, et plus tard les Falcon. C’est une sorte de philosophe discret, car il y a peu de nations où il ne soit pas allé et il dut aussi plusieurs fois réveiller de hauts responsables étatiques à son bord pour leur signaler, après plusieurs heures de vol, qu’on arrivait à destination : "Aussitôt parqué, le pilote et une hôtesse vont accueillir le passager à l’escalier. Il n’y a pas à se presser. On doit d’abord le secouer pour le sortir de son état de somnolence." Ce métier de pilote en terre étrangère lui demande beaucoup de souplesse et d’adaptation : "Il n’y a alors pas encore de téléphones portables, on peut nous atteindre par un Pager. Aussitôt recherché, on se met en route jusqu’à la prochaine cabine téléphonique. En ce temps là, il y a toujours une poignée de pièces de monnaies qui attend dans les poches de la veste d’un pilote professionnel." Pour faciliter le moyen de le joindre, il passe très souvent la nuit dans le même hôtel ou la même maison que ses clients. Parfois, il doit encore préparer son avion à repartir dans un laps de temps très court….

En 1982, pour Keller et son copilote Mlle Dominique Hoffer (30 ans, future Mme Regamey), ce n’est pas tout à fait "le business habituel" que d’accompagner un "homme d’affaires" à Beyrouth, car le Liban est secoué par une guerre civile. "On nous recommande de ne pas laisser l’avion à Beyrouth pour la nuit. Aussi, avons-nous décollé pour Chypre-Larnaca avant la tombée du jour. Lorsque nous venons récupérer notre passager à Beyrouth le midi suivant, cela manque de se finir tragiquement. A 11h, en approche par le circuit nord, on tire tout à coup plusieurs fois sur nous. J’ai vu les flammes au bout des armes et j’ai su qu’on tirait bien sur nous." La copilote pilote l’appareil, mais les commandes de vol devenant plus lourdes c’est Keller qui s’en charge alors. Elle prendra en charge la radio. A l’arrivée, au sol : "Une ambulance et des voitures de pompiers attendaient déjà sur la piste d’atterrissage, prêtes à récupérer notre "petite" fuite de kérosène." Notre Learjet est endommagé mais pas détruit, l’avion s’en souvient et l’on comptera 5 impacts de munitions dans la carlingue (aile, moteur, cabine, réservoirs)…

La presse du 9 février 1982 parle d’une méprise d’origine palestinienne ; le tir de barrage devait concerner un avion israélien ( ?) et le colonel Assad, porte-parole de Yasser Arafat adresse des excuses publiques. Pourtant, il serait assez intéressant d’avoir l’identité du passager du Learjet-36 peint de couleur rouge vif, avec sa large bande blanche (HB-VFD) ! Quant à l’appareil, brièvement réparé sur place, il retournera à Genève le 6 mars où il est inspecté à nouveau : l’une des balles-obus de DCA de 20mm n’a pas explosé et se trouve dans l’avion. Elle est "Swiss made", de chez Oerlikon-Bührlé ! Le jet sera finalement réparé à Wichita (USA) et remis en ligne dès le 8 août ! (voir : Récit)

Exfiltration de personnalités depuis une route de la banlieue de Beyrouth

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A Genève-Cointrin, base d’Aeroleasing, le Falcon-50 HB-IEP en 1984.

Fana de l’aviation : "En 1983, toujours en pleine guerre civile au Liban, Aeroleasing est pressentie pour une mission délicate au bénéfice du gouvernement libanais : exfiltrer des autorités de Beyrouth assiégées, à partir d’une piste de fortune. Un premier contact informel avec un pilote militaire libanais rassure l’équipage. La piste improvisée est une portion de route, longue de 1.700m, déjà régulièrement fréquentée par des chasseurs Hunter libanais et des Etendard français. Apparemment cela ne représente pas de problème pour un Falcon-50 suisse. "

- "Sur place, la réalité s’avère un peu plus complexe. La fameuse route ne se trouve pas dans la campagne, mais au milieu d’une banlieue assez habitée… Dans sa 1ère partie, elle est au fond d’une tranchée creusée dans une colline, puis passe sur un pont au-dessus d’un ravin. Elle mesure 23m de large, mais le pont 20,5m seulement ! Le pilote comprend alors pourquoi son interlocuteur lui demande quelle est l’envergure du Falcon : 18,80m ! La présence des murs sur les côtés et de lignes à haute tension au-dessus interdisent le moindre écart dû à la panne d’un moteur ou à l’éclatement d’un pneu. Aucune clôture n’empêche une quelconque intrusion, par exemple celle d’un enfant venant de l’école voisine !"

- "Après deux vols de préparation, 12 liaisons sont effectuées avec les plus hautes autorités libanaises à bord, vers Damas, Ryad, Casablanca, Rome, Paris ou Genève, sans le moindre incident."

Pionnair : En complément à ce récit se déroulant en novembre sur un tronçon d’autoroute au nord de Beyrouth, en bord de mer, vers Jounieh, il semblerait que les transports du président libanais Amine Gemayel aient été effectués par de courageux pilotes genevois se nommant René Stohler ainsi que le chef pilote de l’époque Paul Frund. Un vol Genève-Beyrouth-Genève "dans la campagne" était facturé 110.000 francs suisses de 1984. La compagnie encadrait encore des commandants de bord tels que MM Belloti, Gimmel, Humber, Schneider, entre autres.

Les Falcon-50 d’Aeroleasing / TAG (carlingue blanche).
HB-IEU c/n.27 02.03.1981 – xx.10.1990, parement horizontal bleu.
HB-IEV c/n.34 05.03.1981 – xx.10.1990, idem.
HB-IEP c/n.67 28.01.1983 – 25.01.1996, idem. Devenu T-783 (Conseil fédéral suisse).
HB-IEA c/n.133 02.08.1983 – 26.10.1983, 17.12.1985 – 30.12.1985, pas de décoration.
HB-IEB c/n.17 05.01.1984 – 24.01.1984, parement horizontal noir.
HB-IEC c/n.134 05.07.1984 – 10.04.1996, parement horizontal rouge.
HB-IED c/n.147 22.01.1986 – 28.04.1986, idem.
HB-IAG c/n.174 21.04.1988 – 17.09.1993, idem.
HB-IAT c/n.86 31.12.1991 – 14.11.1996, idem.

Reconnaissance aérienne irakienne militaire en jet d’affaire suisse

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Le Falcon-50 HB-IES d’Aviatrans (c/n.61), à Bâle en 1984 (ph. : Ed. Marmet).

Quoi de plus discret pour passer les frontières qu’un avion d’affaire d’Aeroleasing au départ de Genève pour le colonel américain Oliver North en 1985. Il va chez "l’ennemi", en guerre contre l’Irak, pour négocier la livraison d’armes dont le paiement devrait servir à financer les Contras du Nicaragua, deux pays sous embargo. C’est les débuts du scandale Iran-Contras, qui va faire chuter R.Reagan. Quant à l’Irak, au printemps 1986, elle veut pénaliser les exportations de pétrole d’Iran et souhaite faire une reconnaissance aérienne discrète en vue d’attaquer avec des Mirages le terminal pétrolier iranien de Sirri dans le détroit d’Ormuz.

Fana de l’aviation : "Deux officiers de renseignement irakiens se présentent à la porte du bureau du général Sha’ban. Ce qu’ils ont à dire est en fait une question : est-ce que des photos prises avec une caméra spéciale par un avion de ligne conviendraient ? Sha’ban répond qu’il faut en discuter. Aussitôt il est rejoint par le chef de ses Renseignements et le second de ses Opérations ; ils discutent pendant 4 heures, y compris pendant le déjeuner."

- "La proposition est relativement simple : utiliser un Falcon-50 immatriculé en Suisse. L’avion serait piloté par un équipage suisse au service exclusif des services de renseignements. Finalement il est décidé que l’avion embarquerait trois officiers aviateurs irakiens, un officier de renseignement, les deux pilotes qui accompliraient ensuite l’attaque en Mirage, et un photographe spécialiste. Le Falcon emprunterait la voie aérienne la plus proche de Sirri, puis ferait un détour de quelques kilomètres pour s’approcher de sorte que des photos plus précises fussent prises, et que les "passagers" examineraient de visu leur prochain objectif. Si quelqu’un remarquait une "erreur de navigation involontaire" le pilote de cet innocent avion civil invoquerait une défaillance de son système de navigation."

- "En quelques jours un Falcon-50 se pose en Jordanie où il est préparé. A Amman embarquent trois riches commerçants irakiens, en fait des officiers de l’Iraki Air Force (IrAF), et l’avion décolle vers l’Arabie Saoudite à destination de Mumbai, en Inde. Son plan de vol le fait passer à proximité de Sirri. Une fois sur "cible", les passagers sont avertis par l’équipage et le photographe commence son travail. La mission est un succès total, mais le subterfuge est éventé sans que l’on sache comment. Quelques jours plus tard un journal londonien annonce que les irakiens ont reconnu Sirri en utilisant un avion commercial, en préparation d’une attaque éventuelle. L’IrAF n’a plus un instant à perdre. A l’aube du 12 août 1986, six Mirages F-1EQ4 ravitailleurs et bombardiers…." Des pétroliers sont touchés, coulés et le terminal pétrolier de l’île de Sirri doit fermer !

Pionnair : Il s’agit probablement ici du Falcon-50 HB-IES, d’Aviatrans (Liechtenstein), sous cette immatriculation de fin 1981 au début 2006, qui servira à promener les hautes responsables irakiens de Bagdad, à Amman et en Europe sous des couleurs de neutralité. Aviatrans est dirigée par un avocat fribourgeois depuis que le frère de Saddam, ambassadeur irakien à l’ONU à Genève, l’a voulu ainsi. Autre manque de clairvoyance, la Poste du Liechtenstein émettra une enveloppe postale "1er jour" avec un plan 3 vues du HB-IES, le 7 mars 1988, sous le slogan "Great airplanes of Europe" ! Quant au marquage doré de l’avion, il est bien sûr le même que celui du célèbre Falcon-50 qui suit.

Le fin du fin, une véritable arme secrète de Saddam H.

Le chasseur Mirage avait déjà impressionné nombre de commandements dans diverses nations et le Falcon-50 semblait être un nouvel équipement prometteur de Dassault. Etait-il possible de marier les qualités du Mirage avec celles du Falcon ?
- En février 1987, c’est oui !

Les forces aériennes irakiennes acquièrent en France un Falcon-50 modifié, dont l’avionique à gauche du cockpit est standard alors que le siège de droite dispose d’un véritable habitacle de Mirage F1 ! La commande irakienne inclut l’ajout du radar du Mirage F1EQ-5, le Cyrano IVM et son "nez" pointu montés à l’avant de l’appareil. Essayé à Istres, testé par des pilotes irakiens, l’avion est livré le 9 février 1987. Ce Falcon-50 immatriculé YI-ALE (c/n.122), baptisé "Suzanne" [ndlr : on aurait pu le rebaptiser "Mi-con", non ? (MIrage-falCON)] est armé de deux missiles français AM.39 Exocet !

Intégré au squadron 84 de lutte anti-navire irakien, le Falcon est déjà opérationnel le 17 mars. Sa mission sera la destruction de pétroliers iraniens. C’est donc ce qu’un pilote cherche à faire le 17 mai réussissant à placer ses missiles en plein milieu d’un navire qui s’avèrera être le USS "Stark", une frégate américaine lance-missiles qui ne pouvait pas s’attendre à cela. Le drame tue 37 marins américains. Le "Stark", mis en service en octobre 1982, ne coulera pas et sera réparé. Ce sera la seule sortie de ce genre de ce Falcon-50 "spécial". L’appareil sera remis au standard d’origine. En 1991, durant la Guerre du Golfe, 3 des 5 Falcon-50 irakiens se réfugieront en Iran, qui se les est approprié depuis (c/n.101, 120, 122).

Finalement, il s’agit probablement du seul exemple à ce jour d’un navire de guerre bombardé par un avion d’affaire "Bizjet", et ce n’est hélas pas un "mirage" même si vous n’en croyez pas vos yeux !

 

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Exfiltration à Beyrouth en 1983 : En haut, en approche vers la piste improvisée sur une route de Beyrouth. La flèche rouge est pointée sur l’axe central de cette rocade. Au centre : Peu après le toucher des roues, l’avion roule dans une tranchée ouverte à travers une colline pour y construire la route. En bas : Le Falcon-50 d’Aeroleasing au seuil de sa "piste" beyrouthine, juste avant la tranchée. Peu visible, l’avion est indiqué par une flèche rouge (ph. : Fana de l’aviation).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mercredi 12 décembre 2012
  • Pour plus d’information, voir : Interavia, 02.1984 ; Le Fana de l’aviation no.469 (12.2008) et le no.470 (01.2009), à la "Librairie".
  • - Ci dessous, belles images de jets d’affaires de TAG Aviation sur fond d’Alpes : Falcon 2000 (HB-IAZ), LearJet-31A (HB-VLR) et Bombardier CL600 (HB-IDJ).

    [11.2016] Confort et volupté : trois jets d’affaires genevois "air to air" devant le Cervin et le Mont-Blanc (1999) (vidéo musicale, 05’33’’, 281Mo). Format QuickTime.

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