Ce que devait être la robe du L-4 en 1944 (44-80176, c/n 12472, HB-OVF).
Conçu pour l’entraînement, la guerre lui donne ses 1ères lettres de noblesse
La 2ème Guerre mondiale vient de se terminer depuis peu et des milliers d’avions US sont stockés en Belgique, Hollande, Allemagne ou Italie. Chaque Field Liquidation Commissioner US local offre notamment aux civils de petits avions biplaces d’observation désormais inutiles, baptisés L-4 Grasshoper, pour 1.000$ pièce. Ces appareils ont moins de 3 ans, certains sont encore en caisse, d’autres presque prêts à voler, avec peu d’heures de vol au compteur. Ce sont de futures célébrités, les "Piper Cub", et les acheteurs suisses vont rapidement s’intéresser au stock de Naples (I).
Conçu pour l’écolage et l’entraînement au temps de Taylor Aircraft, cet appareil au châssis tubulaire recouvert de toile surmonté d’une aile haute, équipé d’un solide train fixe, fit son 1er vol à fin 1930. Connu comme "Chummy", puis "E-2" (20 CV), "E-2 Cub" (40 CV), il débute une magnifique carrière civile puis militaire produit par Piper Aircraft (=PA) où il est amélioré par l’ingénieur W.Jamouneau pour devenir le Piper J-3 "Cub" (1937) avec déjà 5.000 ex vendus dans le civil. La guerre le transforme en appareil d’observation aérienne sous le nom de L-4 (65 CV) surnommé dès 1941 "la Sauterelle" (Grasshoper) et dont plus 5.000 exemplaires seront produit à cet effet. Deux places en tandem, un habitacle bien vitré sur 3 côtés, un moteur 4 cylindres à plat et une robustesse validée par le champ de bataille en font une véritable "Jeep du ciel".
Quand au mot "Cub", chacun sait qu’il désigne le petit d’un mammifère, chiot, lionceau, ou l’ourson que l’on associe à son nom. La Suisse connait malgré tout déjà cet appareil puisqu’un J-3c motorisé d’un Lycoming 50 CV vole à Granges dès février 1939 et jusqu’en 1946 (HB-DUR). Aussi, lorsque l’on apprend la vente des appareils US, des financiers suisses, des commissions d’achat et des particuliers fondent sur le stock napolitain réparti sur plusieurs aérodromes locaux, source la plus accessible durant l’hiver 1945-46 : c’est à qui arrivera le 1er ! Dans de nombreux autres pays d’Europe ruinés par la guerre, les avions de sport ne sont pas encore des objets de 1ère nécessité. En Suisse on revendra ces appareils aux aéro-clubs et aux privés.
En 2 ans les "Cub" vont doubler le nombre d’avions immatriculés en Suisse
L’un des premiers "Cub" de l’Aéro-Club de Genève acquis en 1946 (HB-OIM).
Le plus gros lot helvète est décroché par Roger Lapraz qui représente le Groupement Suisse de Représentation Aéronautique (GSRA). Il acquiert 40 premiers avions en automne 1945, suivi d’autres lots en 1946, soit quelque 400 appareils en tout, qui alimenteront tant le marché suisse que belge ou français. Les appareils sont livrés à Dübendorf, Birsfelden ou Planeyse. L’activité de restauration, révision, peinture et livraison des Cub amène à la création de Transair SA (janvier 1946) à Neuchâtel/Planeyse où la tâche est menée par Jean Augsburger (1909-1986), un petit génie genevois de la mécanique aidé de 2 mécaniciens (voir : Récit). Dans le Jura, la firme Périat & Petignat négocie un lot de 74 appareils durant 1946 qui seront mis sur le marché en 1947.
Du côté du Lac Léman on s’active aussi, mais dans une moindre mesure. Henri Golaz et des amis pilotes vont chercher sur place leurs avions pour les ramener en vol. Mais à Naples, il faut évaluer le matériel, faire des réparations d’urgence provoquées par l’hiver ou le soleil (toiles), monter un avion encore en caisse et ajouter parfois un réservoir d’essence supplémentaire en cabine. Une poire en caoutchouc permettra de transvaser le carburant dans le réservoir principal de l’avion situé derrière le tableau de bord. Au sol, dans un Italie encore exsangue et malgré le problème de la langue, il faut dénicher les bonnes volontés, les outils et des gens capables. En vol, seul à bord, sans radio, GPS ou téléphone portable, il y a les Alpes à franchir. Si la météo est bouchée l’itinéraire passe par la Côte d’Azur et la vallée du Rhône. Il faut être un excellent pilote débrouillard et polyvalent dans toutes ces occasions. Si une panne survient en vol, on pose l’avion dans un champ et on le laisse là car il sera plus cher de le dépanner que d’aller en acheter un autre dans un dépôt. Cette expérience est arrivée à un groupe de Genevois qui avait payé l’avion Fr 1.000 pièce (Fr 5.000 actuels). Périat & Petignat en ont perdu 4 ainsi.
A Genève, entre 1945 et 1947, le garage Golaz de Bellevue [voir : Biogr.) se charge de faire peau-neuve aux Piper et les repeindre au goût de l’acheteur : C’est la couleur jaune qui domine, car depuis longtemps les prototypes sont de cette couleur, de même que les avions-écoles militaires, plus facilement visibles ainsi par quiconque. Rentoilés par Pierre Sategna (1912-2007), un ancien du Pou-du-Ciel, qui adore ça (voir : Récit), les Cub sont livrés par la route, ailes repliées, tractés par une voiture. L’Aéro-Club de Genève utilisera 9 de ces avions et le club de Prangins 5, sur une vingtaine d’années.
Le "Cub" règne sur les Alpes où il constitue 50% de la flotte suisse
Cet ex F-BFMP acheté à Prangins en 1966 (HB-OUV) est un ancien L-4 (c/n 11576 43-30465).
On voit les premiers Cub en meeting dès le début mai 47 et le 1er meeting qui leur ait dédié se tient à Granges le 12 octobre, incluant un rallye aérien en 20 étapes, sur plus de 600km et à 90 km/h de moyenne. Les 2/3 des avions de sport suisses sont maintenant des Piper Cub. Si 114 avions sont immatriculés en Suisse à fin 1945, ils sont 184 à fin 1946 et quelque 134 Cub seront ainsi civilisés en Helvétie jusqu’à la fin de 1947. Près de 70 sont toujours enregistrée en 2009 après plus de 53 ans de bons et loyaux services. Par ailleurs, c’est depuis lors que l’on entend parfois l’expression "Un p’tit Piper" lorsqu’un non spécialiste veut parler d’un avion de sport…
Cet afflux provoque bien sûr une saturation du marché suisse mais permet surtout le renouveau de l’aviation de sport qui n’existait plus d’août 1939 à fin 1945, tant par interdiction que par le rationnement de l’essence. Des centaines d’élèves vont apprendre le pilotage sur un Cub jusque à la fin des années 60s grâce à cet outil majeur de toute école ou de section d’aéro-club. Plus de la moitié des pilotes suisses de plus de 60 ans, mais aussi de plus jeunes, ont appris à voler sur cette machine . En 1955, à Cointrin, l’heure de vol solo coûte Fr 60 d’alors et Fr 80 en doubles commandes. Sorte de bonne à tout faire, le Cub sert également au remorquage de planeurs avec un moteur de 90 CV. Deux appareils munis de flotteurs deviennent des hydravions suisses et plusieurs sont équipés de skis durant l’hiver.
A Cointrin, à la belle saison, l’entraînement des pilotes a lieu entre six et huit heures du matin, à l’abri du trafic commercial et des turbulences météos. Le décollage rencontre de nombreux lièvres et lapins attirés par la rosée matinale qui s’échappent devant l’hélice. L’entrainement en vue d’atterrissages forcés se pratique dans des champs à la Chaumaz, à Meinier (GE) ou bien partout où le moniteur le demande et selon l’avancement des foins. Ces vols reprennent en fin de journée lorsque l’activité commerciale s’est assagie.
Le moniteur Blaise Morand évoque avec nostalgie et admiration l’un des derniers appareils du Club dont on lance le moteur à la main au niveau de l’hélice : "Le Piper "Cub" en tant qu’avion mythique de l’histoire de l’aviation, ne nécessite ni commentaires superfétatoires, encore moins de comptes-rendus lambda … il vole parfaitement bien, c’est tout ! Comme tous les avions à roue de queue et sans volets d’atterrissage, il requiert des pilotes et non des conducteurs d’avions… Sinon c’est un avion robuste, fiable, aux performances de décollage et d’atterrissage quasi souveraines mais avec des performances de montée et une vitesse de croisière bien faibles. Le pilote étant à l’arrière – sièges en tandem – la visibilité vers l’avant lors des phases de roulage est très médiocre, mais elle participe du plaisir de voler un avion rétro, attachant, rustique et sain. Il n’existe aujourd’hui au monde aucun équivalent !"
Les Piper Cub de l’Aéro-Club de Genève, 23 ans de loyaux services
Egalement connu comme PA-11, le J-3 Cub d’origine civile est équipé d’un moteur de 90 CV dès 1946 et voit sa verrière légèrement raccourcie le long du fuselage. Après quelque 14.125 exemplaires produits, le Cub cesse d’être fabriqué en 1947. Quelque 5.000 d’entre eux voleraient encore de nos jours dans le monde ! Dès 1947 Piper va rajeunir sa gamme à travers le PA-18 Super-Cub très apprécié des pilotes de montagne et une foule d’autres modèles biplaces ou encore plus grands. On mettra quelque temps à trouver un remplaçant au Cub dans les Aéro-Clubs en testant pas mal d’appareils (Beagles Pup, Jodel, etc.) jusqu’à l’arrivée du AS202 "Bravo" construit en Suisse. A Genève, le 1er "Bravo" est évalué en 1974.
Piper Cub | -Type militaire------------ | ----USAF— | ----C/n— | -Acquis- | -Achat- | —Sortie— | Notes |
HB-OIM | L4J Grasshoper, 65 CV. | 4x-xxx ? | ? | 1946 | 6.840F | 1955 ? | Pas d’infos hélas ! |
HB-OIP | L4J Grasshoper, 65 CV. | 4x-xxx ? | ? | 1946 | 7.480F | 1955 ? | Pas d’infos hélas ! |
HB-OEL | L4J Grasshoper, 65 CV. | 43-80246 | 12542 | 1947 | 6.000F | 1952 ? | Devenu =>HB-ODW. |
HB-OEU | L4J Grasshoper, 65 CV. | 4x-xxx ? | ? | 1948 | 6.500F | >1952 ? | Pas d’infos hélas ! |
HB-OGT | L4J Grasshoper, 65 CV. | 43-30499 | 11790 | 1948 | 6.500F | >1967 | Crash J.Baer, réparé ? |
HB-OAK | L4J Grasshoper, 65 CV. | 43-646 | 9507 | 1948 | 6.500F | 1969 | Vendu => D-EIOB. |
HB-OAE | L4J Grasshoper, 65 CV. | 44-80707 | 13003 | 1950 | Don de G.Filippinetti | >1966 | Passé à 90 CV. Crash St-Genis(F) |
HB-ONG | L4J Grasshoper, 65 CV. | 44-80736 | 13032 | 1952 | Achat à Prangins. | 1972 | Vendu. Vole toujours. |
HB-OUV | L4J Grasshoper, 65 CV. | 43-30465 | 11576 | 1966 | Achat à Prangins. | 1969 | Vendu, 90 CV. Vole toujours. |
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Cointrin 1963 : le HB-OAK (44-3646, c/n 9057) utilisé de 1948 à 1969 (ph. : George Trussell).