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Arlette BORRADORI (°1941) : première cheffe-pilote de Suisse et 37 ans à la tête des aviateurs de l’Aéro-Club

 

Parmi les instructeurs de vol de l’Aéro-Club de Genève, le parcours unique, discret, mais exceptionnel d’Arlette Borradori n’aura pas trouvé d’égal en Suisse en un siècle. Cheffe-pilote incontestée durant des décennies, elle aura formé plus de pilotes que quiconque sous le ciel genevois.

L’univers aéronautique qui semblait réservé aux hommes issus du commandement s’est avéré finalement accessible à tous, ce qui réjouira chacun.


Le célèbre chapeau qu’arbore la cheffe-pilote Arlette Borradori en vol et avec ses élèves de l’Aéro-Club sera connu pendant plusieurs décennies à Cointrin. (Ph. D. Eckert).

De l’Ecole hôtelière au secrétariat d’un constructeur aéronautique

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Arlette Borradori à bord d’un Piper Comanche vers 1970.

Incontournable monitrice des quarante dernières années d’un Aéro-Club centenaire, Arlette Borradori aura en toute modestie battu ses prédécesseurs dans ce domaine sans même l’avoir recherché. Celle que des journalistes masculins interrogeaient en 1971 dans son futur rapport d’autorité hiérarchique avec le monde des aviateurs "à poil dur" qui constituaient l’aviation privée genevoise d’alors sont passés à côté du sujet : cet instructeur est d’abord un pilote doué comme d’autres, que sa riche carrière a hissé sans tumulte à un stade que nul(le) Helvète volant ne pourra lui ravir, mais pouvaient-ils le deviner ? Aussi, les premières questions que l’on aimerait poser aujourd’hui à A. Borradori ressemblent plutôt à : "Vous devez avoir d’excellentes anecdotes à raconter ?" Mais sa pudeur et sa discrétion ne permettent pas encore assez de réponses à cette question.

Que cela n’empêche pas de retracer la carrière d’une souriante élève d’une école hôtelière helvétique, un temps hôtesse au Chalet suisse de l’Exposition universelle de New York, qui occupe bientôt un poste de secrétaire chez Piper Aircraft International à Genève : "J’étais une secrétaire qui volait parfois. On m’utilisait comme sac de sable à l’arrière de l’appareil pour faire du poids." C’est ainsi qu’apparait la découverte du vol et lui nait une passion pour l’aviation. Une collègue ayant fait son écolage chez l’importateur à Berne, A. Borradori y suit une formation de trois semaines guidée par le moniteur Franz Fribi et obtient son brevet de pilote privé en 1964 à bord d’un "Cherokee". Il s’en suivra une qualification IFR en 1968. Arlette livre maintenant des Piper dans presque toute l’Europe et même au-delà de la Méditerranée. Reflet des mentalités d’alors la police locale suspicieuse entoure un jour l’avion de la Genevoise qui vient de se poser à Alger. Ils scrutent partout à l’intérieur et sous les sièges. L’aviatrice finit par leur demander ce qu’ils cherchent : ni drogue ni passager clandestin mais : "Le pilote !"

Arlette Borradori passe sa licence professionnelle en 1969 et débute un cours pour bimoteur à l’école de vol Les Ailes à Genève. Là, en 1970, le moniteur Jean Liardon instruit un groupe hétéroclite comprenant une seule femme, évidemment, mais aussi le célèbre chanteur Jacques Brel. La troisième partie du cours mets en pratique les vols IFR sur un avion Beechcraft B55. A. Borradori, se souvient : "Brel était décontracté, souriant, à l’aise … Les repas ensemble : sympa, il raconte des histoires, un peu meneur, encourageant chacun, décontractant les élèves avant les examens. En vol dans le même avion, on pilote à tour de rôle ... Les exercices théoriques IFR se passent à Zurich avec Francis Liardon, le père de Jean … Brel fumait beaucoup" (voir : Récit). Il n’est pas la dernière célébrité à s’assoir à droite ou à gauche d’Arlette dans un cockpit !

Entrée au sein de l’Aéro-Club de Genève

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Arlette Borradori dans les années 70.

Après huit années chez Piper, A. Borradori frappe à la porte de l’Aéro-Club qui recrute des moniteurs de vol. Le président du Groupe de Vol à Moteur (GVM), également rénovateur du Club, Charles Stern, tient ce poste jusqu’en 1971 (voir : Biogr.). Avec son comité, il prend le pari d’employer un premier moniteur féminin à Genève, choix peu courant alors et décision courageuse. Durant l’année 1970, Arlette assume la formation de 14 élèves. Le départ du chef moniteur Jean Baer vers la Sécurité-civile et le pilotage de l’hélicoptère cantonal laisse un poste à pourvoir. Le comité du GVM fait à nouveau confiance à A. Borradori qui prend cette responsabilité le 16 juin 1971. On ignore alors que cette fonction sera assumée par la même personne pendant trois à quatre décennies, puisqu’aucun homme n’a jusque là dépassé les 25 ans de monitorat. Par ailleurs, c’est aussi très vrai que l’aviatrice sut piloter bien avant de savoir conduire une automobile : "Elle venait au Club en Velosolex et ses élèves en grosse voiture, ça gênait certains." Arlette réalise alors 600h de vol pour s’offrir sa première automobile !

Puis la planification des cours de théorie, l’enseignement de la pratique font parties de l’activité récurrente du Club. Parmi cela, les cours IAP réunissent des jeunes élèves en été. Lors du premier cours d’Arlette les six élèves réussissent dont Xavier Wohlschlag (né 1957). L’homme mènera une carrière de pilote militaire sur "Hunter" et de commandant de bord chez Swissair/Swiss, avant de devenir le chef de la division Opérations à l’aéroport de Genève. En 1977-78, aidée du moniteur Laurent Delbrouck (1937-2015), le cours incorpore le jeune Yves Rossy (né en 1959) et l’on vole sur des AS.202 Bravo. Le futur célèbre homme volant prétend qu’ : "Il n’était pas doué pour ces cours suivis à Genève et Colombier (piste détrempée à GE). Après deux stages de deux semaines, un moniteur le lui dit carrément. Et l’élève Rossy détaille même qu’il n’était pas réveillé, manquait d’assurance, de maturité, qu’il peinait étant juste à niveau. Le moniteur l’inscrit tout de même au second cours : il le trouve sympathique." Yves avoue avoir passé ce second cours de justesse et s’en souvient très bien : "Le moniteur m’a dit que je pouvais faire un bon pilote privé, mais que je pouvais aussi oublier celui de pilote militaire ou de pilote de ligne. Là j’ai pleuré, ça m’avait complètement abattu. Il avait su toucher mon orgueil et j’ai voulu y arriver." Rossy sera pilote de Mirage-III, commandant de bord commercial, etc., et n’arrête plus de nous épater depuis ! (voir :Récit)

Par ailleurs, Arlette Borradori, débute sa formation de pilotage sur glaciers en 1973, et participe aux cours de 1976 et de 1983. Elle suit aussi deux cours pour hydravion au Canada. En 1975, elle prend la responsabilité des voyages réunissant des avions et membres du Club, voyages qui ont débuté peu avant. Parmi les destinations atteintes : l’Afrique du Nord, les Tunisie, Finlande, Portugal, Cap-Nord, Sénégal, Maroc, Prague, etc. En 1986, ils sont les premiers avions civils non commerciaux arrivés depuis la guerre à Leningrad, aujourd’hui St-Petersbourg, une première ! (voir : Récit).

La dame au chapeau de paille et au petit chien

Chef pilote durant 36 ans, Arlette Borradori est célèbre sur le tarmac par le port en vol d’un grand chapeau de paille qui lui évite les insolations sous le cockpit bien vitré des AS.202 Bravo. Elle a formé des centaines d’élèves, on ne sait plus combien, mais probablement plus de 400. Si elle a tenu son bureau dans l’actuelle cuisine de l’Aéro-Bistro, elle déménagea un jour dans celui du local du GVM attenant au hangar H1 où elle est toujours accompagnée d’un petit chien qu’elle emporte d’ailleurs à bord des avions en toute occasion : "Lorsque je lâchais mes élèves pour la première fois, je leur laissais mon chien à bord. Cela les rassurait". Certains de ses élèves ou passagers sont des célébrités civiles ou politiques, mais la rumeur du hangar n’en n’a laisser filtrer que trop peu. Un jour, elle a conduit avec plaisir Raymond Poulidor au Bourget. "Il avait son vélo à bord, en partie démonté. Il occupait le siège arrière, au deuxième rang comme au Tour de France … Au Bourget, on avait déroulé le tapis rouge…" Elle a mené au brevet de pilote le champion de Formule-1 Alain Prost à qui elle a fait passer l’examen le 24 décembre 1995. David Smets, le fils de Johnny Halliday est aussi passé au Club …

En 2003 Arlette Borradori est nommée experte auprès de l’OFAC. A la fin de 2007 elle clos sa riche carrière de cheffe-instructeur mais continue une activité d’instructeur auxiliaire au Club, après 13.000h de vol ! Après avoir voué sa vie à l’aviation, sa passion du vol reste intacte : "Pendant 40 ans, je peux dire que cette vie professionnelle m’a comblée et rendue particulièrement heureuse. Grâce à toutes les personnes, élèves, pilotes, instructeurs, membres du comité que j’ai rencontrées, mon plaisir a été grandiose et m’a apporté beaucoup de joies et d’imprévus. Les voyages, surtout, m’ont apporté des amitiés fortes et durables et fait rencontrer des personnages attachants et parfois pittoresques. Le temps a passé, hélas, trop vite !!"

Lorsqu’Arlette Borradori vole à bord d’un appareil d’une compagnie commerciale suisse, il y a parfois l’un de ses anciens élèves aux commandes. Maintenant c’est à son tour de se laisser piloter un peu.

 

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Le pilote de Formule 1 Alain Prost devant l’AS.202 Bravo HB-HFK alors qu’il passait son brevet de pilote à Cointrin en décembre 1995.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 1er décembre 2009
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