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Lilly COUDENHOVE -KALERGI (1891-1975) : de la "cage à poule" au Concorde (1911-1973) [vidéo]
  En 1975, Genève abrite l’une des deux femmes possédant le plus ancien brevet de pilote d’avion, décroché en 1912 en Autriche-Hongrie. La petite cavalière Ilka, alias "Lilly" cesse de voler lorsqu’ elle devient comtesse en 1915. Les avatars du nazisme la voient réfugiée en Suisse après guerre où elle entretient d’excellentes relations avec la direction de l’aéroport de Genève-Cointrin. Elle réussira à voler à bord du Concorde à 82 ans. Elle a aussi sa part dans la redécouverte d’ex-bijoux somptueux d’une archiduchesse d’Autriche.
Ilka "Lilly" Steinschneider, un courageux poids plume au milieu des aviateurs de 1912. Seconde femme pilote d’Autriche-Hongrie : du caractère, de la passion et du talent.

Une cavalière, sportive, et courageuse aviatrice

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Lilly Steinschneider, à 21 ans et 6 mois.

Ilka "Lilly" Hélène Steinschneider -Wenckheim nait le 13 janvier 1891 à Budapest en actuelle Hongrie, fille d’un marchand de meubles de la bourgeoisie. Ce petit bout de femme fera de l’équitation, avantagée par son poids de jockey. Lorsque les premiers aéronefs s’envolent dans le ciel Austro-hongrois, et surtout après le meeting de Budapest en 1910, elle est volontaire pour servir de lest comme passagère lors de compétitions officielles. On cite notamment sa présence auprès des aviateurs Hans Vollmöller (durée de vol), ou Joseph Sablatnig, avec qui elle bat un record de distance de 168km tournant en circuit au-dessus de la campagne (1911).

Cela la stimule ! Maintenant tentée par le pilotage, Lilly suit en juillet 1912 une formation à Vienne-Neustadt, chez Karl Illner, à bord d’un Etrich Taube. Le 15 août, elle devient la 2ème femme brevetée du royaume (brevet no.4). Le comité d’examen se compose du colonel Uzelac, commandant de la section des dirigeables du royaume, du Lt Knirsch et de K.Illner en personne. L’épreuve réussie, Lilly emporte le colonel comme passager et le fait voler à 1800 m ! Depuis ce jour elle porte autour du cou un pendentif en forme de petit aéroplane, décoré de pierres précieuses, devenue l’une des quelque 20 femmes brevetées aviatrices de la planète.

Lilly va participer en tant que pilote à plusieurs meetings aériens nationaux, subira même un crash sur panne moteur : avion détruit, pilote indemne ! Sa 1ère apparition publique se déroule à Nagyvárad le 6 octobre 1912, où elle effectue un vol à seulement 50-60 m de haut (= Oradea, O-Roumanie). A son atterrissage elle reçoit l’ovation de quelque 2.000 spectateurs et arrive au hangar portée par la foule. Elle est présente au célèbre meeting d’Aspern, du 15 au 22 juin 1913, où sont également présents le Genevois E. Audemars (Biogr) et 22 autres participants. Lilly termine 3ème du concours de durée de vol, à bord de son Taube Daimler 65cv et concoure contre la Française Jeanne Pallier brevetée 12 jours avant Lilly. L’empereur François-Josef est présent ainsi que la famille royale. Lilly participe à d’autres meetings avec Antal Lányi, un ami très proche. Elle obtient de travailler pour Motor-Luftfahrzeu GmBh, qui lui donne finalement son congé le 16 mars 1914 … la guerre est proche ! Elle demande alors à être incorporée dans l’armée, avec son avion, financée par son père, sans succès*. On lui propose un rôle d’infirmière !

Un couple judéo-chrétien face à la montée du nazisme

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Le monoplan Etrich "Taube" du brevet de pilote d’août 1912.

Heureusement, le comte Johannes Evangelist Virgilio Coudenhove -Kalergi von Ronspergheim (1893-1965) s’intéresse à cette jeune sportive. Il l’épouse à Vienne le 27 juillet 1915 et lui demande de ne plus piloter. Le couple s’installe quelque temps en actuelle Tchéquie (Ronsperg, Bohème). Une unique fille naît à Prague le 22 juin 1927, prénommée Maria Electa Thecla Elisabeth Christina Helena Sophia, et plus quotidiennement appelée "Piksi".

L’Autriche-Hongrie s’est morcelée entre temps en moult nations. En Allemagne le national-socialisme ne fait que croître. Lilly est d’origine juive, son mari est catholique, la famille craint pour son futur et doit prendre des précautions. Lors d’une vente aux enchères de bijoux royaux, à Vienne, en 1937, elle achète une parure complète de péridots et diamants ayant été porté par l’Archiduchesse Isabelle d’Autriche (tiare, boucles d’oreilles, collier et broche). Lorsque la 2ème Guerre mondiale débute, les émissaires du nazisme cherchent à purifier la race y compris dans les pays occupés. En 1939, Lilly part se cacher en Italie, connait la pauvreté et la maladie. Leur fille est restée avec son père, avec la crainte d’être considérée comme juive. Pour la protéger, le couple signe un accord officiel de séparation le 18 août 1943. En 1945, le décret de Bénès chasse et exproprie les familles germaniques de Tchécoslovaquie, dont son mari et ses proches.

A la fin de la guerre Lilly vit à Nice (F) et à La-Lenk (c. de Berne). Après tant de séparation, les retrouvailles à Genève avec son époux ne recréent pas le couple. Ils divorceront en 1960. Dorénavant Lilly alterne les séjours à Genève et Nice, œuvrant pour jumeler les 2 villes via leurs aéroports. Leur fille émigre aux USA au début des années 50 sous le nom de Marina Kalergi. Elle dépose les bijoux dans une chambre forte de New-York, emballés dans du papier journal, puis les transporte cachés sous son chapeau jusqu’à Los Angeles (1956). Elle épousa Raymond W.Daum à Phoenix le 21 décembre 1954, vivant modestement et sans aucune référence à son histoire familiale. Un de ses ancêtres, le comte Ludwig von Coudenhove (1780-1851) fut même le chambellan impérial et royal, membre du conseil privé de l’archiduc Ludwig d’Autriche (1784-1864)….

A Genève, libre, Lilly revient à l’aéronautique

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La parure de péridots et diamants de l’archiduchesse Isabelle.

La comtesse Lilly de Coudenhove-Kalergi est en contact avec une association internationale d’aviatrices et ne manquera pas de fêter les records de femmes pilotes tout en devenant proche de la direction de l’aéroport de Cointrin où elle participera à plusieurs manifestations officielles. En été 1955, Lilly débute la distribution de télégrammes-gâteaux en chocolat suisse massifs, créés à sa demande par l’Hôtel Métropole (GE), d’abord à destination de Jacqueline Auriol, devenue la plus rapide du monde sur Mystère-IVN, le 17 juillet (F). En février 1958, elle fait parvenir, via Swissair, 4kg de chocolat à Ruth Nichols pour son record d’altitude (USA)), ainsi qu’à Henry Farman pour les 50 ans du 1er vol en circuit fermé. En été c’est un grand "V" en chocolat destiné à marquer le retour au pouvoir du général Charles de Gaule (F). En été 1960, elle reçoit 55 aviatrices américaines du "Club 99" au restaurant "La perle du lac" (GE). En été 1962, elle marquera les cinquante ans de son brevet d’aviatrice etc. En septembre 1964, Hermann Geiger, glorieux pilote de glacier, reçoit des mains de Lilly une coupe en argent sous le regard de François Durafour et d’Armand Dufaux...

C’est l’Hôtel de l’Ancre, rue de Lausanne, que Lilly choisit pour ses escales genevoises et où elle fait maintenant réaliser ses marmites en chocolats et autres cadeaux. En février 1970, elle remet un cadeau de bienvenue au capitaine du 1er Boeing-747 posé à Genève (voir : Récit). En septembre, lorsque l’on fête les 50 ans de l’aéroport intercontinental, elle offre à sa direction un drapeau bleu azur bordé d’or, qui figure dans l’exposition destinée au public, visible dans l’aérogare. Et lorsque son directeur Charles Bratschi (voir : récit) prend sa retraite en 1972, Lilly lui décerne une magnifique coupe en argent en témoignage de sa reconnaissance. Jusqu’à la veille de ses 80 ans, Lilly se permet de temps à autre le plaisir de piloter un petit appareil pour se maintenir en forme et dans le vent, mais plus seule car les règlements le lui interdisent. Elle vole bien-sûr parfois en passager, sur Genève-Nice, mais ça ne lui suffit pas :

- "Eh bien, ainsi qu’elle a tenu à venir nous le dire elle-même, la comtesse Lilly vient de réaliser le rêve de sa vie, et cela peu avant son 83ème anniversaire. Grâce à l’Aérospatiale française, dont elle fut l’invitée, le 19 octobre 1973, elle put effectuer un vol de 1h36’, dont 27’ à une vitesse supérieure à celle du son, jusqu’à Mach2, à bord du fameux appareil Concorde, dans lequel elle prit place à Toulouse, pour se poser ensuite au Bourget près de Paris, après avoir survolé l’Atlantique et décrit une large courbe pour revenir sur le continent. C’était le dernier vol du prototype Concorde 001 qui a désormais pris place au Musée de l’air, qui se trouve au Bourget. Le cdt André Turcat pilotait l’appareil désormais historique avec 45 personnes à bord dont deux seules n’étaient pas liées à l’industrie aéronautique du supersonique. Le comtesse Lilly fut émerveillée par ce vol qu’elle espérait depuis longtemps. "Je n’ai pas quitté le hublot des yeux, nous a-t-elle dit, et l’atterrissage a été d’une telle douceur que je m’en suis pratiquement pas aperçue. Voilà qui changeait avec le "coucou" que je pilotais en 1912, lorsque j’ai obtenu mon brevet d’aviatrice. Mais elle nous a encore confié avec son bel optimisme : "je ne désespère pas de pouvoir piloter un hélicoptère. Aux Etats-Unis ou ailleurs".

Von Coudenhove-Kalergi : de la Bohème à l’Europe

Depuis quelques mois, Lilly est souffrante et séjourna à 2-3 reprises à l’Hôpital cantonal genevois, d’où elle ressort toujours pleine de vigueur et d’espoir. Le 28 mars 1975, Lilly, 2ème plus ancienne aviatrice du monde depuis 1973 – ce dont elle était fière - prend son dernier envol à Genève à l’âge de 84 ans. Elle ne put, hélas, piloter un hélicoptère en double commande. Les obsèques se déroulent dans l’intimité, la comtesse étant inhumée au cimetière de Saint-Georges (GE) puis à Nice (1977).

Le nom de Coudenhove-Kalergi reste pourtant lié à la Suisse, car le beau frère de Lilly, Richard Nikolaus (1894-1972) fut connu pour son européanisme, son fédéralisme et la fondation de l’Union paneuropéenne (1923). De nos jours, la fondation Coudenhove-Kalergi basée à Genève décerne tous les 2 ans un prix récompensant une personnalité européenne œuvrant à la construction politique d’une Europe où les hommes et les idées circulent en liberté.

Par ailleurs, en août 2000, au décès de la fille de Lilly, la parure royale vert-pale en péridots et diamants, toujours emballée dans des serviettes en papier, est retrouvée en parfait état, complète, intacte, majestueuse. Elle n’a jamais été portée ni montrée depuis des lustres. Sa dernière illustration date de 1917. Œuvre du maître viennois Köchert (1825), ces bijoux sont mis en vente par Sotheby en 2001 et passent en mains d’un bijoutier. En 2004, le collier et les boucles d’oreilles sont portés le temps d’une cérémonie des Golden Globe Awards par Joan Rivers. Lilly et ses proches ont laissé des traces indélébiles …

 

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Lilly, passagère du lieutenant H.Bier, lors d’un meeting Viennois de 1912.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 12 février 2013

* - La Convention de la Haye interdisait les femmes combattantes.

  • Une rue "Lilly Steinschneider gasse" fut baptisée à Vienne-Asperm (Autriche).
  • Premières aviatrices brevetées d’avant-guerre : 1910 – "R.Delaroche"/E.Deroche (F), M.Niel (F), M.Marvingt (F), H.Dutrieu (Be), J.Herveux (F). En 1911 – M.L.Driancourt (F), H.Quimby (USA), M.Moisant (USA), L.Zvereva (Ru), H.Hewlett (GB), A.H."Melli" Beese (D), E.V.Anatra (Ru), B.De-Ryk (NL), B.Laglerova (Aut), Ch.de-Beauvoir-Stock (GB), L.Galantschikoff (Est.). En 1912 – W.Buller (GB), J.Clark (USA), Cath.Stinson brevet du 24.07.1912, décédée en 07.1977 (USA), J.Pallier (F), Lilly Steinschneider (Aut), E.Shakhovskaya (Ru), Ch.Möhring (D), B.Miller (USA), R.Law (USA). En 1913 – R.Ferrario (It), M.Behrbohm (D), M.Richer (F), H.De-Plagino (F), A.McKay-Bryant (CDN), H.P.Samsonova (RU), F.Seidel (USA), C.Damedoz (F). En 1914 – H.Caragiani (Roum), Else Haugk (CH), G.Picard (F) … Non exhaustif.
  • [02.2013] Lilly Steinschneider, aviatrice de 1911 ... à 1973 (diaporama, 02’31’’, 6Mo). Format MP4.

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