Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
 | Agenda | Plan du site  | Pionnair-GE in Deutsch | Pionner-GE in English | Espace privé 
 
 
Jean AUGSBURGER (1909-1986) : ingénieux self made man en aéronautique et célèbre ingénieur du CERN [vidéo]

  Jean Augsburger, l’ingénieux self made man doué en mécanique, gravit dès les années 30 les éche- lons du pilotage (vol à voile, avion, voltige, moniteur), devient construc- teur amateur (1939) et participe à l’arrivée du Piper Cub en Suisse (1946). Il prend alors la direction des ateliers du CERN naissant et s’entoure d’autres petits génies en mécanique, tel Robert Stierlin, et divers constructeurs amateurs passionnés d’aéronefs.

Ses travaux liés au déplacement sur coussin d’air (1958) sont à l’ori- gine de grands projets privés tels qu’Hovercraft (GB) et Aérotrain (F).


Cointrin vers 1932 : Jean Augsburger au centre, appuyé contre la Dodge dont la roue arrière sert de treuil à l’envol des planeurs. Il tient le drapeau qui donnera le départ d’un bref vol de 2 minutes d’alors.

Les débuts du vol à voile genevois : tremplin vers les cieux

JPG - 23.4 ko
Immortalisé par Kelen et Derso en 1937 : Jean Augsburger, l’un des pilotes de l’Aéro-Club de Genève.

Jean V. Augsburger nait à Genève en 1909, à l’heure des premières tentatives de décollage menées par de rares Genevois. La 1ère Guerre mondiale et les études l’amèneront à sa majorité en 1929. Entre temps, il a tâté de la motocyclette et prit part à quelques compétitions. Il débute comme monteur-électricien chez Motosacoche et bricole des nuits entières chez lui, teste des solutions, fait du modélisme ... La création d’un groupe de vol à voile à Genève durant l’hiver 1930-31 et la possibilité de construire un planeur à partir de plans va lui permettre de pénétrer le monde aéronautique. En 1934, pour gagner sa vie, il travaillera pour le professeur Duparc à l’Ecole de Chimie, puis avec Jean-Jacques Pittard qu’il accompagnera à l’Allondon pour y chercher de l’or...

Présent au Groupe Genevois de Vol à Voile dès 1932 (ex Club des planeurs puis GGVV), Augsburger y effectue sa 1ère glissade/vol le 2 juillet 1933 sur le Zögling "Fanchon" (CH-35) et deviendra rapidement l’un des leaders de ce groupe de jeunes vélivoles. En 1934, le GGVV déménage à Gland, sur le terrain de la Tourangelle où un second planeur est en construction, le "moustique" (CH-125). Jean est le 1er à réaliser un vol de plus de 30 secondes et à décrocher le brevet "A", le 1er juillet, à son 34ème départ. Le brevet "B" suit dans la même année qui est celle où il devient membre de l’Aéro-Club de Suisse. M.Dugerdil dixit : "Augsburger toujours à la recherche de l’inédit trouve bon de partir au treuil, depuis le plateau de Burtigny direction le terrain de Gland. Impossible d’atteindre le terrain, le "35" n’est encore qu’un bon fer à repasser, qui permet toutefois de battre le record de durée avec 5’08’’, avec un 1er atterrissage en campagne."

En 1935, Augsburger habite au Bd helvétique et devient ébarbeur puis monteur aux Ateliers des Charmilles. Il participe à la fabrication du 1er "Pou-du ciel" des frères A. & M. Perrin (Récit), prend la responsabilité du GGVV, obtient le brevet de moniteur provisoire et débute les cours de vol à moteur (aviation). Elève de Marcel Weber, il vole seul dès avril 1936, passe les brevets "I" et "II" (no.563). Ceci lui permet de tracter les planeurs au départ de Cointrin dont le Grunau Baby (CH-166). Il est membre de l’Aéro-Club de Genève (1936), de celui de Lausanne (1939) et passa son brevet de voltige aérienne à fin 1937, qui est immortalisé dans un dessin de Kelen et Derso ci-joint (voir : Récit). En 1939 Jean sera mobilisé un temps pour cause de Seconde guerre mondiale.

Constructeur amateur et employé de l’Office Fédéral de l’Air

JPG - 15.7 ko
L’E.P.R.301 construit en 1939-1940 et motorisé par un Salmson de 40 CV.

Rapidement passionné de pilotage, en 1938 Augsburger demande à un ami du GGVV et ingénieur, Emile P. Roesgen, de lui dessiner les plans d’un avion monoplace dédié à la formation à la voltige. Calculs et dessins sont rapidement menés et le dossier accepté par l’Office Fédéral de l’Air (OFA). Jean débute la construction du sesquiplan E.P.R.301 durant les années 39-40, alors que la guerre a débuté et qu’aucun avion civil ne peut plus voler dorénavant ! Après 9.000h de travail, immatriculé HB-OIX, l’appareil pourra malgré tout faire son 1er vol à Cointrin en 1941, grâce à la tolérance de Charles Bratschi, chef de l’aéroport genevois alors militarisé. L’avion monoplace est équipé d’un moteur Salmson en étoile à 9 cylindres de 40 CV pour un poids maximal au décollage de 400kg. Haut de 1,92m, d’une envergure de 7m avec 9,5m2 de surface portante, sa vitesse s’étend de 70 à 145km/h.

Depuis 1940, Augsburger est alors employé par l’OFA à Berne sous les ordres du chef-expert Robert Gsell (1889-1946). Jean y mène un rôle technique lié à l’inspection des appareils civils et celui de piloter leurs vols d’essais. Il faudra attendre le 5 août 1945 à 11h30 pour que le HB-OIX, parti de la capitale via Bienne, revole à Cointrin car l’armistice a été signé en Europe depuis peu. Augsburger utilisera l’appareil jusqu’en automne 1947. Il continuera la voltige sur Bücker jusque dans les années 70, participant aux concours de l’Aéro-Club, aux Championnat nationaux (1952-1955) et pestant au début contre son ex-moniteur qui terminait toujours devant lui au palmarès. Vers 1965, le HB-OIX vole encore, équipé par Ernest Brügger d’un moteur Continental A-65-8F de 65cv. Il est basé à Lenzburg (CH) (voir : Appareil).

Une anecdote du temps de guerre met en action Augsburger. Les avions allemands non armés posés en Suisse par erreur sont renvoyés chez eux avec leur équipage. Un Bücker Bü-181 Bestmann (VS+PS) vert et blanc s’est posé dans un champ près de Bonfol (JU) le 4 avril 1944 à 8h45. L’élève pilote Alkofer, parti de Luxeuil, égaré, était à court d’essence. Le lendemain, le plein fait, l’aviateur refuse de décoller de ce pré bosselé. Un pilote expérimenté de Parc de l’Armée doit ramener l’avion en vol sur l’aérodrome de Granges d’où Alkofer décollera finalement à 16h escorté jusqu’à la frontière par un avion civil suisse piloté par Augsburger.

Piper Cub’s américains : passage à la vie civile

JPG - 31 ko
En 1955, ingénieur au CERN, Augsburger vient essayer l’hélico "Merlin" de Stierlin (moteur Salmson 45cv).

Interdit en 1939-40 le vol à voile reprend en Suisse loin des frontières. Augsburger participe au Camp national des Pléiades où il fait 44 vols (20-28.09.1941) ainsi que l’année suivante (18.07/02.08.1942). En automne 1943, à Belpmoos une douzaine de vélivoles suivent les cours d’aspirant-moniteur sous la tutelle d’Herman Schreiber, planant sur Zögling, Grunau Baby, S16 K. Augsburger y rencontre Elf Schlatter-Müller (1ère femme monitrice), Armin Baltensweiler (directeur techn. Swissair), Freddy Wissel (futur hôtelier volant). En automne 1944, un 2ème cours incluant la voltige, les voit tous diplômés "instructeur de pilotage principal". En juin le GGVV a repris son activité à Cointrin où une météo favorable peu permettre près de 3h30’ de vols cumulés. Et si leur durée moyenne n’est alors que de 10’, Augsburger réussit un plané de près d’une heure !

La guerre terminée et son responsable à l’OFA décédé, Augsburger prend la responsabilité de l’atelier de Transair SA à l’aérodrome de Planeyse (NE) au début 1946. Des lots de Piper Cub achetés 1000$ pièce aux surplus américains de Naples sont remis au standard civil suisse et alimenterons les écoles pilotage tout en faisant le bonheur de pilotes privés durant des décennies (voir : Récit). Révisés, réentoilés, d’un prix abordable, certains appareils sont adaptés pour tracter des planeurs. Une partie d’entre eux est encore revendue à l’étranger. En Suisse, il faut aussi dorénavant entretenir toute cette flotte de 80 Cub’s. Jean Augsburger "technicien genevois de génie" dirige cet atelier durant près de 2 ans, aidé de 2 mécaniciens.

Rentré à Genève fin 1947, logé à la rue des Délices, Augsburger est employé à l’Institut de Physique auprès du professeur Weil. Hormis la voltige aérienne, Jean n’en continue pas moins de tracter les planeurs du GGVV, à Cointrin et sur le terrain de Puplinge (GE) à l’aide du Dewoitine D-26 (qualification militaire) ou d’un Piper Cub. M.Dugerdil dixit : "Michel Martin poussa même la compréhension jusqu’à faire l’achat d’un Piper 65cv qui, avec cette puissance, "ramait" désespérément presque toujours plein gaz. Un jour, avec Augsburger, il tomba en panne du côté de Divonne et se posa sans dommage dans un pré, ce fut la fin des remorquages du Piper". En 1962 Augsburger reçoit l’insigne d’or de l’Aéro-Club de Genève dont il restera membre jusqu’en 1975.

Ingénieur au Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN)

JPG - 19.4 ko
Stierlin et Augsburger inspectent une cloche perforée utilisée dans le déplacement sur coussin d’air (août 1959).

L’Institut de Physique genevois est l’embryon du projet du CERN où Augsburger est nommé responsable des ateliers dès 1950. Les projets de l’accélérateur linéraire LINAC ou du 1er anneau de collision, le Proton-Synchroton (PS), mettent en œuvre des techniques nouvelles où tout l’appareillage est à créer, où les défis sont permanents. Il crée l’Atelier PS, devenu atelier Ouest, surnommé "Atelier Augsburger", et le dirigera jusqu’en 1973, à l’heure de la retraite. Augsburger sait s’entourer de concepteurs et créateurs intelligents, de sa trempe, aptes à surmonter les nombreux défis technologiques posés par ces projets touchant à l’atome. Parmi ces hommes, Robert Stierlin (voir : Récit), embauché en mai 1955, deviendra très vite son responsable de l’atelier mécanique (1961), son ami le plus proche et un appui de poids pour la mise en œuvre de solutions innovatrices. Daniel Bois, également aviateur et voltigeur, parmi d’autres, fera aussi partie de ce milieu très productif. Dans son CV d’embauche, Sterlin avait inscrit à la fin, sous "Divers" : "Construction d’hélicoptères durant mes loisirs." Qui d’autre en Suisse aurait pu prétendre à cela ? Augsburger n’hésita pas à piloter le "Merlin" à l’automne 1955, cet aéronef à voilure tournante qui manquait à son expérience aérienne.

En 1958, il faut trouver un procédé simple pour déplacer une chambre à bulle d’environ 50 tonnes et pouvoir la faire pivoter de 360 degrés. Un matin de bronchite, Augsburger se réveille avec l’idée de la faire glisser sur un coussin de poussière, voir d’air comprimé. C’est Stierlin qui tente l’expérience : il prend une plaque de tôle d’une tonne, de 15cm d’épaisseur, fait un trou au milieu par lequel il envoie un puissant jet d’air comprimé. Il pousse la tôle du pied, elle fait une "ballade" de 2 à 3m. Un essai avec un une plaque de 40 tonnes la voit se déplacer, poussée par une seule main. Puisque cela fonctionne on perfectionne le procédé : une jupe de caoutchouc autour de la base de l’objet à déplacer évitera à l’air de s’échapper trop vite et fera durer la sustentation. Ingénieurs et techniciens viennent regarder, un peu sceptiques, poussent la tôle du doigt. Elle obéit et se déplace. C’est une petite révolution au CERN et le résultat est là, le "coussin d’air" est né et déplacera 600 tonnes !

Encore en 1958, le Courrier du CERN publie une 1ère étude sur ce qu’il appelle "la plate-forme pneumatique". Des précisions sont apportées sur l’invention, sur ses possibilités et sur ses limitations. L’écho dans le monde est immédiat. Des demandes de renseignements affluent. On ne s’occupe plus beaucoup d’Augsburger qui continue son travail. La Société urbaine d’air comprimé à Paris, la British Railways de Londres s’adressent cependant directement à lui. Le CERN ne brevetant pas ses créations, l’invention est aussitôt publique, il n’y a pas de royalties. Et en quelque 2 à 3 ans naissent un peu partout des applications sur ce principe qui ne sont pas une coïncidence : l’aspirateur Hoover sur coussin d’air, le "Hover Scooter" (GB), l’aérotrain Bertin (F), les "Naviplane" (F) et surtout l’Hovercraft (GB), ce bateau aux performances exceptionnelles, qui se maintient légèrement au-dessus de l’eau grâce à l’air comprimé qu’il émet en permanence. Bien d’autres réalisations d’aéroglisseurs civils et militaires en ont découlé en 60 ans. On sait depuis lors que des essais pneumatiques avaient été tenté en URSS dans les années 30 mais elles n’avaient pas été publiées, étaient inconnues en Europe de l’Ouest, et n’utilisaient pas la "jupe".

Retraité à fin 1973, sans descendance, Augsburger et son épouse voyageront en camping-car, loin de l’aéronautique et de la technologie. Jean s’éteint le 22 août 1986 dans sa maison du 29 chemin de Joinville à Cointrin. Il est enterré dans la plus stricte intimité.

 

JPG - 39.8 ko
Augsburger vient d’effectuer à Cointrin le 1er vol du HB-OIX qu’il construisit sur la base de plans d’Emile P. Roesgen (1941)
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mercredi 13 novembre 2013
  • Pour d’autres d’informations, lire : Le principe du cousin d’air utilisé par l’Hovercraft a été inventé par un Genevois. Par Jean-Claude Mayor, Tribune de Genève du Ve 20.07.1979. |*| Au Cern, des dizaines de tonnes se déplacent sur un coussin pneumatique. Journal de Genève du Je 08.10.1959.
  •  

    - Dès l’été 1958 les Britanniques s’intéressent au déplacement sur coussin d’air et filment une démonstration en Suisse :

    [07.2016] Démonstration suisse du déplacement sur coussin d’air (juin 1958) (vidéo sonore n&b, 0’49’’, 17Mo). Images British Movietone. Nécessite le plugin QuickTime 7.5 minimum.

    Vous êtes ici : Accueil > Jean AUGSBURGER (1909-1986) : ingénieux self made man en aéronautique et célèbre ingénieur du CERN [vidéo]