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Ernest BERGER (1904-2000) : sportif de haut vol des années 20-30, aux exploits en équipe ou en solitaire [vidéo]

 

Il s’agit du plus sportif de nos aviateurs des années 30, qualité reconnue mondialement. Berger pratique plus de 20 disciplines dont plusieurs dans lesquelles il s’est fait un nom : football, marche à pied, parachutisme, aviation, pratiquant à un niveau international. On retiendra ici son raid Genève-Rio-de-Oro, seul à bord de son Moth 85 cv et proba- blement les 1ers essais d’Helvétie d’une combinaison palmée dédiée à la chute libre préfigurant déjà le "Base-jump". Quant à son avion Gipsy-Moth HB-OKI, il vole toujours aujourd’hui, en Angleterre.


On n’appelait pas encore cela du "base-Jump", mais Ernest Berger a bel et bien sauté de ponts ou falaises de moins de 50m de haut durant l’été 1936, équipé de sa "wing suit" (Patrie suisse du 25.07.1936).

Une gloire du football helvétique, entre autres…

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Berger au centre (casquette) à St-Gall, un mois avant que l’équipe genevoise du Servette F.C ne gagne sa 1ère coupe de Suisse (02.1928).

Le nom d’Ernest Rudolf Berger (né le 25.09.1904) figure dans la presse sportive dès 1920 et pour 50 ans. Il est d’abord connu à 16 ans comme le goal de l’équipe genevoise du Servette F.C. qui enlève le 11ème titre romand au début de 1921, ratant de peu la finale de la Coupe de Suisse. Berger jouera ensuite au gré des contrats pour Saint-Aubin (NE), Xamax, La Chaux-de-Fonds, Concordia (BE), Urania Montreux, l’Union Sportive Suisse de Paris, etc. Dans l’Equipe nationale suisse, il participe au Championnat inter-nations de 1925 et hésite alors à rejoindre son frère implanté au Chili. Mais il persévère dans le sport avec raison. Redevenu goal du Servette FC, il est dans l’équipe qui remporte sa 1ère Coupe suisse le 25 mars 1928 aux Charmilles (GE), battant le favori Grasshopper, 5 à 1 ! Genève attendra plus de 20 ans une 2ème victoire du genre. Puis Berger joue quelques matchs avec l’équipe nationale tout en pratiquant parallèlement de nombreuses autres activités sportives …

En 1922 Berger dispute le tour cycliste du Léman en amateur ; le vélo pèse alors 12,8kg. En athlétisme, il participe à des tournois en France à Lyon, Annecy, Thonon. En boxe, il se fait notamment battre sévèrement à deux reprises. En pelote basque, il est sacré champion à Barcelone (1921). Il joue aussi de la chistera qui nécessite encore plus de rapidité, d’adresse et de maîtrise du jeu. En hockey sur glace, Berger est cité à Davos, Caux et Château-d’Oex, équipes célèbres alors. Il s’adonne encore au curling à Saas-Fee où il organise des tournois l’hiver (1926). Du côté de la marche, il établit le 1er record du tour du lac de Neuchâtel, (14h20’, 1927). Il est par ailleurs "freineur" aux Championnats du monde de bob à Caux. En cross country, Berger devient champion genevois au Bois de la Bâtie, le dernier jour du Salon de l’Auto de 1928, quelques heures avant de gagner la Coupe suisse de football déjà mentionnée…

Ce résidant de la Promenade du Jura à Nyon, suite à un pari, réalise un Genève-Barcelone à pied. Parti le 21 juillet 1929, Berger établit un record mondial en 7 jours 3h et 45’. En route, il dit n’avoir bu que de l’eau du lait et du café tout en mangeant des petits pains. A l’arrivée ont doit lui ôter les 10 ongles des pieds ; il boitera pendant près de 2 mois. Mais Berger vend dorénavant son nom qui décore des chaussures de sport. Sous l’étiquette de "représentant de commerce" il fait aussi la publicité pour le célèbre café Hag, notamment lors du Comptoir suisse (Lausanne). En 1935, il roule en voiture de sport Tatra-77, celle qui possède un aileron à l’arrière. Oui mais, au fait, il a déjà débuté les cours de saut en parachute et de pilotage d’avion en 1933 ! Elève de Marcel Weber (voir : Biogr.), il obtient d’ailleurs ses brevets de pilote en 1934/35 (no.447).

Un record mondial de saut en parachute avec ouverture retardée

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Au départ du raid Genève—Rio-de-Oro—Genève le 17 août 1935.

A cette époque Berger touche quelque 600 francs par saut en parachute, balançant entre chance et aventure : "Nous commandons un parachute à la maison Ors à Issy (F) moyennant 100 francs. On nous l’envoie plié. A Malaga je dois sauter en compagnie d’un Espagnol. Nous tirons à pile ou face pour savoir qui va sauter le premier. La pièce demeure d’abord debout, on recommence, l’Espagnol gagne et saute. Il se tue !". Mauvais pliage d’usine !

Quant au Russe Evdokimov, il détient le record du monde du saut en parachute à ouverture retardée, mesurée à 247m du sol (17.07.1934). Berger veut faire faire mieux, sautant de 2.900m, le 18 août 1934, à Saint-Cyr (Toulon, F) : "En fait ce fut un record de hasard. Nous devions longer l’aile de l’avion, nous tenir à la roue du train et nous lâcher. L’affaire commence mal, car la roue tourne. Je saute. Au poignet j’ai un gros altimètre, mais la buée envahit mes lunettes et je ne vois pas grand-chose. Le sol se rapproche à toute vitesse, on fait près de 200km/h. Quand je juge qu’il faut ouvrir le parachute, je tire sur une corde ; elle ne répond pas. J’en tire une autre, idem ! La corde de traction s’est enroulée autour de mon bras gauche. Je la trouve enfin et bat le record avec quelques aléas pour ma santé." En ouvrant le parachute à 120m du sol, le choc est si violent que 5 cordes du parachute éclatent. Berger a des membres disloqués, la mâchoire inférieure décrochée et des dents cassées. Il fera 28 jours d’hôpital à Bandol. Mais le record tiendra plus de 40 ans.

L’aviation très légère et le raid Genève—Rio-de-Oro (Maroc)

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Carte des étapes marocaines.

En mars 1935, Berger rachète un biplan biplace de Havilland Gipsy Moth (DH-60G, 85 cv) à l’Aéro-Club de Genève. Il baptise ce HB-OKI "l’Aiglon du café Hag" ; l’avion pèse quelque 435kg et peut emporte une charge maximum de 155kg. Aviateur doué, Berger participe aux activités du Club, donne des baptêmes de l’air, se joint aux sorties aériennes de groupe et défend les couleurs genevoise avec nos meilleurs pilotes lors du Challenge annuel contre les Lyonnais (mai 1935). Lors d’un vol Marseille-Genève, il est une fois à court d’essence, de nuit, en vue du lac. Les lumières du casino Kursaal l’aideront à atterrir sans encombre à Cointrin, non éclairé. C’est alors que Berger est probablement influencé par les raids du Genevois Robert Mussard (1887-1978) qui pratique des vols solitaires de 12h entre Genève et le Maroc où il gère des plantations (1.800 km en Puss Moth). Berger décide ainsi de rallier le sud du Maroc, le Rio-de-Oro, en solitaire, sur les traces de l’Aéropostale, "voulant donner foi en l’avenir de l’aviation commerciale". Et bien que des rallyes soient menés localement dès 1932 par des colons français d’Afrique du Nord, en hiver, Berger choisit d’y voler durant le brûlant mois d’août !

Le samedi 17 août 1935 à 10h20, Berger décolle de Cointrin, cap plein sud, vers de nouvelles aventures, salué par les aviateurs du Club. Marcel Weber et ses passagers Sudan et Magnenat l’accompagnent en vol jusqu’au bout du Jura. A la vitesse de 120km/h, "l’Aiglon" fait des étapes de moins de 400km, via Lyon, Perpignan, Barcelone, Valence ... Tanger, Rabat où résident les Mussard (Kenitra). Berger y est reçu très chaleureusement. Le voyage se poursuit pour l’aviateur, survolant aussi l’Atlas : Une superbe tournée ! J’ai été reçu admirablement partout : en Espagne, à Tanger, à Casablanca. Près de Colomb-Béchar, mon appareil survola à quelque 30km dans le désert l’auto tragique dans laquelle périrent 4 Européens, 3 hommes et une femme terrassés par la chaleur et la soif...". En suivant la côte marocaine, via Agadir, il faut bien compter 3.000km depuis Genève pour atteindre Tarfaya (Cap Juby) sans compter les détours vers Marrakech et la frontière algérienne.

Revenu à Casablanca, Berger rencontre le Gén. Vuillemin (1883-1963) héros de la "Croisière noire", un raid de 30 avions militaires à travers le Sahara en nov-déc 1933. Vuillemin offre à Berger le célèbre insigne bleu-blanc-rouge symbole du raid "Les 3 cocottes". Berger rentre à Genève le jeudi 29 août à 15h25, enchanté de son périple : "Le HB-OKI n’a jamais eu la moindre avarie pendant ce voyage au cours duquel je dus éviter plusieurs vols de sauterelles..." A la fin de 1935, constatons que seuls 5 rares pilotes Helvètes ont fait le voyage de Suisse vers l’Afrique du Nord à bord d’un avion léger : Fernand Fluckiger (1890-1932) et son épouse en hiver 1931-1932 (9.150km en Puss Moth) [voir : Récit) ; R.Mussard, à plusieurs reprises, qui participe aussi à des rallyes Algéro-marocains (1931-1935) ; Le Dr Fusbahn (1905-1958) et madame en nov.-déc. 1932 (10.200km en Klemm L26), ainsi qu’en avril-mai 1935 pour un rallye algérien vers le Sahara où participe également le Dr Clavel, Bâlois, sur Klemm ; et enfin Ernest Berger en août 1935.

Intronisé le "Roi des sports" !

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Le DH-60 Gipsy Moth HB-OKI "Aiglon du café Hag" de 1935, ressemblait à cela.

C’est en octobre 1935 que le succès devient très médiatisé. La 9ème Assemblée de l’Académie mondiale des sports, réunie à Lyon (président Richemond) attribue à Ernest Berger le titre annuel de "Roi des Sports". En effet, notre aviateur pratique 21 sports. Outre ceux déjà nommés ici, il faut y ajouter l’automobilisme, l’escrime, la gymnastique, le hockey sur terre ou sur roulettes, la natation, le ski, le tennis et même le vol à voile ! Le comité de l’AMS se rend donc le 27 octobre à Genève pour remettre les palmes et le diplôme à l’heureux lauréat, chez lui au Quai Gustave Ador. E.Berger : "On disait alors dans les journaux que j’étais un pur amateur, et moi je voulais bien. Mais ce n’était pas tout à fait vrai", précisa t-il dans un sourire.

Petite frayeur 15 jours plus tard, le dimanche 10 novembre vers 16h, en vol avec une passagère au-dessus de Genève : une tige de soupape se brise dans le moteur qui faiblit. Evitant divers obstacles, le HB-OKI est contraint de se poser dans un champ planté de choux, proche du vélodrome de Plan-les-Ouates. En raison de la nature du terrain, l’avion capote après avoir roulé quelques mètres. Berger et sa passagère Mme de Oliveira restent suspendus la tête en bas un instant. Plus de peur que de mal, toutefois l’hélice est brisée, l’aile gauche tordue, la carlingue endommagée, le réservoir crevé, mais l’avion est réparable (voir : Récit) !

Berger pilotera son "Aiglon" bleu aux ailes argentées jusqu’à la déclaration de guerre de 1939. On le voit ainsi à quelques meetings à Genève ou à Lausanne (05.1936). L’avion est un temps prêté à l’Aéro-Club de Genève en 1938 (130h de vol). Puis l’appareil sera vendu à une Genevoise en décembre 1947 et continuera à voler longtemps. Mais ce qui passionne Berger en 1936, c’est de tenter encore sous nos cieux quelque-chose de nouveau, voire de dangereux !

Pionnier de l’aile volante, la future "Wing-suit" du futur "Base-jump"

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La "Wing-suit" de 1936 incluait un lien entre les 2 mains évitant un écart trop important des bras.

Il n’y a qu’un homme sur la planète qui utilise alors une sorte de combinaison palmée ralentissant sa chute libre, débutée à 10.000 pieds, et concluant son vol plané en ouvrant son parachute, il s’agit de l’Américain Clem Sohn, et cela depuis le printemps 1935. Ernest Berger en adapta le principe, se créant une sorte de vêtement en forme d’étoile retenu pas les 2 jambes, les 2 bras et la poitrine. Une corde reliant les deux 2 mains veut éviter que les bras ne soient trop étirés vers l’arrière du corps. Mais il n’est pas prévu de parachute pour Berger car les sauts s’effectueront d’abord à basse altitude. Au 21ème siècle on nommerait cela du "Base-Jump" à l’aide d’une "Wing-suit". En 1936 les journalistes empruntés citent une sorte de parachute ou de planeur !

La 1ère démonstration publique se tient le jeudi soir du 16 juillet près de Villars (VD). Berger saute avec succès des 34m du pont de Chesières devant une foule. On félicite l’audacieux parachutiste en signalant qu’il s’agit là d’une 1ère, à si faible hauteur. Il nous faut donc mettre à jour nos tabelles historiques ! En juillet, Berger annonce qu’il étudie un saut depuis 2-3.000m, exploit qu’il dit "n’avoir été réalisé que par un seul homme, aux USA". Entre temps Berger teste les figures de voltige que lui permettrait sa combinaison palmée. Le 29 juillet, lors d’un saut depuis un tremplin de 27m placé dans la carrière du Pas de l’Ours à Montana (VS), Berger se blesse. Il avait pourtant fait déposer un demi-mètre de foin dans la carrière et débuté son saut par un looping réussi ( ?). Mais sa chute dévie et l’homme heurte durement le sol en se blessant grièvement au front.

On relève Berger sans connaissance. Aucune fracture des membres n’est constatée. Le médecin ne peut se prononcer sur la gravité du cas. On envisage son transport dans une clinique pour une radiographie, craignant une fracture du crâne. Berger fera un mois d’hôpital et s’en sortira à nouveau. A noter que de futurs hommes-oiseaux suisses prendront bientôt la relève : Rudolf Boehlen (1898-1953) dès le 21 août 1937 à Lausanne ; Plinio Romaneschi (1890-1950) en août 1939 à Malvaglia (TI). Aussi, après être remis de sa chute et appris le décès de Clem Sohn (1910-1937) au meeting de Vincennes (F), Ernest Berger se tournera vers d’autres passions toutes aussi louables. On le sait aujourd’hui, entre 1935 et 1961, 72 des 75 hommes-oiseaux décédèrent lors d’essai de leur "wing-suit" ; ainsi que 133 autres de 1981 à août 2009 !

Retour aux sports terrestres, mais toujours avec enthousiasme

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En 1972, à l’heure de la retraite.

Au début de 1937, Ernest Berger pratique le ski de fond en compétitions nationales, dans le Toggenburg ou aux Diablerets, finissant dans les premiers, sinon le 1er. En été 1939 il a rencontré l’amour de sa vie et se marie en grande pompe (504 invités) avec Marcelle Panchaud, habitante de Bottens, village vaudois de 400 habitants où Berger va s’établir et poursuivre ses activité après quelques mois de mobilisation militaire pour cause de guerre mondiale. Le HB-OKI est lui remisé dans une grange jusqu’à la Libération.

Dès 1940, retour au football, Berger devient l’entraîneur du F.C.Bottens pour des dizaines d’années, toujours auréolé de sa médaille d’or de "Roi des sports" et seul Suisse à avoir obtenu cette distinction. Dès 1944, il donne parfois des conférences sur sa carrière sportive et sur son raid au Rio-de-Oro. Au Comptoir Suisse (Lausanne) il est encore présent sur le stand du Café Hag où le "Roi des sports" attire le public. Il est dès lors de plus en plus connu du monde sportif, de la jeunesse, avec le surnom de Jimmy. En 1954, à 50 ans, l’infatigable Berger fonde les "Lions H.C.", club de hockey sur roulette de Lausanne, qui battent Montreux l’inamovible champion. A 52 ans, Berger joue toujours au foot, se casse une jambe mais rejoue encore. En 1957, en ligue A, les Lions se muent en "Lausanne Sport R.H.C". A 60 ans, l’actif Berger est nommé arbitre international de football. En octobre 1971, pétillant de malice et d’enthousiasme, il donne une interview croustillante sur ses nombreuses aventures, dans un quotidien vaudois.

Entre temps, l’Aéro-Club de Genève a remis à Berger les insignes des 25 ans de pilotage (12.1959) et des 25 ans de membre de l’Aéro-Club de Suisse (12.1962). Les années passent et celui qui n’a jamais fumé, qui a parfois été qualifié de casse-cou, s’éteint discrètement le 9 janvier 2000, à 95 ans passés. Superbe carrière !

Mais qu’est devenu le HB-OKI, construit en 1930 (c/n.1823) : ressorti d’une grange suisse en 1950, après avoir eut 16 propriétaires en Helvétie, USA et Grande-Bretagne, il est actuellement immatriculé G-ABEV. Toujours en état de vol à 85 ans, il deviendra certainement centenaire malgré de si diverses aventures aériennes (voir : Appareil).

 

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A Cointrin, devant le Gipsy Moth HB-OKI (coll. O.Steinhauser).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  dimanche 12 janvier 2014
  • Pour d’autres informations, lire : Le Journal de Genève du 09.12.1935 et les Feuille d’Avis de Lausanne, des 28 et 30.10.1971
  • [01.2014] Ernest Berger, le "Roi des sports", quelques images (1928-1936) (diaporama, 03’06’’, 7Mo). Format MP4.

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