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Un raid en "Pou du ciel" sur le Léman et 2 nations : le succès du vol interdit de Donat Guignard (1938) [vidéo]

  Donat Guignard (8.1905-06.1965) né à Vaulion (VD), mécanicien doué, constructeur amateur, son propre pilote d’essai, débute par la construction d’un Henri Mignet HM-8 "Avionnette" (1928) trop rapidement cassé (1932) . Puis il réalise une luge à moteur (1934), un planeur de pente (1936-37), avant de monter patiemment son 1er HM-14 "Pou du ciel" dès 1934.

Ce "Pou" qu’il pilote pour le 2ème jour, le 14 octobre 1938, va devoir réaliser un superbe raid helvetico-français dont on parla fort dans la région : au-dessus le Léman et par dessus les lois de 2 nations.


Le Château de Ripaille près de Thonon, le lac Léman et au loin la côte vaudoise et le Jura : l’itinéraire du raid international de Donat Guignard en Pou du ciel en ce 14 octobre.1938.

Brevet de vol en poche, il est temps de tester ce Pou du ciel

Eté 1938, Donat Guignard dixit : "Je décidais que la 1ère série de beaux jours serait mise à profit une ultime fois pour tenter des essais, après m’être confié à quelques amis indispensables au remontage de l’appareil et à la prise de photos et de films. Il fut décidé que le 13 octobre 1938, à 3h du matin, je partirais seul avec ma moto remorquant le Pou du ciel sur les lieux où j’avais campé en 1935, dans la zone boisée et discrète des Cluds sur le Jura, au pied du Chasseron. J’étais décidé à faire des essais un peu plus poussés vu que je venais d’obtenir mon brevet de vol no.289, le 15 août [catégorie I, vol accompagné !]. Le trajet effectué de nuit, se passa sans encombre. Je cachai l’appareil sous les sapins et revins me coucher à Ste-Croix (VD). Dans la matinée, je retournai sur les lieux accompagné cette fois-ci de mes trois camarades qui tenaient à assister à ces essais.

Il fallait rôder le moteur neuf. On fit divers essais de mise en marche, de roulage, on photographia, filma. Vers 16h, les essais sérieux débutèrent. Je devais apprendre à piloter ce Pou que personne n’avait essayé après les transformations profondes apportées suite aux essais de 1935. Les journées s’écourtant en octobre, je ne pouvais pas faire trainer ces essais et fis en tout et pour tout 3 lignes droites d’environ 100m, à 2-3m de hauteur, totalisant 15 secondes de vol environ. Essayant de voler plus loin, je quittai le terrain, virai à droite, filait sur Ste-Croix par-dessus la forêt, les gorges de Covatannaz et tournai sur le garage où le Pou fut construit. Je survolai la ville à 200m de haut et rentrai tout droit sur mon terrain de fortune où je fis un atterrissage de précision très réussi. J’avais au préalable balisé avec de vieux journaux les obstacles se trouvant sur ce terrain : taupinières, bornes, bosses, gros cailloux, etc. Je rentrai à Ste-Croix sitôt après par des chemins détournés (l’engin avait été caché au préalable) pensant bien que des curieux viendraient voir sur place… Pourquoi suis-je parti si brusquement pour survoler Ste-Croix ? Par reflexes, car lors de la construction de l’avion, je pensai qu’un jour l’oiseau survolerait son nid... !

Rejoignant mes amis à la pension, nous décidions que les essais reprendraient le lendemain. Je dormis peu et au matin repris le chemin de mon "aérodrome". A peine avais-je appuyé ma moto contre un sapin qu’un gendarme m’accostait. Il me posa la question d’usage : "- Est-ce vous qui avez volé sur Ste-Croix à basse altitude ? – Oui. – Avez-vous le droit de la faire ? – Hum, officiellement non." Je lui demandai : "- Qu’avez-vous l’intention de faire de moi ? – Oh, je suis venu pour verbaliser." Il regrettait d’être obligé de le faire, disant même que si je m’étais tenu à faire des essais dans ce coin retiré où il n’y avait pas de risques de blesser quiconque, il n’aurait rien dit. Mais, ma foi, venir survoler Ste-Croix à basse altitude, c’est une autre histoire. Je lui demandai pourtant la permission de faire des photos pour avoir un souvenir, pressentant que mon Pou serait confisqué. Car cela, je n’en voulais en aucun cas ; j’avais la preuve que ce Pou pouvait voler, mais c’était insuffisant. Je voulais du plus spectaculaire et m’envoler plus loin. Le gendarme me permit de rouler et se tint à l’écart avec sa femme et son enfant.

 

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Donat Guignard, 33 ans, et ses amis à l’alpage des Cluds près de Ste-Croix (14.10.38).

Quand la gendarmerie stimule involontairement l’aviation populaire

Midi arriva où chacun pique-niqua auprès des grands sapins. C’était un magnifique jour d’automne, ce vendredi 14 octobre, doux, sans un souffle d’air. Je n’étais pas pressé ; non sans appréhension, je réfléchissais et mesurais toutes les conséquences d’un acte irréfléchi. Je repensai à un but de voyage que j’avais longtemps caressé, qui devait être un de mes 1ers vols : survoler mon village natal de Vaulion et jeter une gerbe de fleurs sur la tombe d’Henri Martignier, un précurseur de l’aviation. Mais je choisis d’aller me poser en France, pays d’Henri Mignet, car mon vol devait être international et spectaculaire. Je savais qu’il valait mieux éviter d’atterrir en Suisse où l’hostilité à la formule "Pou" était notoire. Je voulais aussi relever le défi qui me fut lancé par ce groupe de pilotes lors de l’exposition de Lausanne, à la Riponne, en nov.1935. Je me dis : "Le jour est arrivé où un Pou du ciel survolera Lausanne." Dans quelques heures, on en saura plus. Je confiais ce projet à mes amis présents : ce fut un choc pour eux ! Après cela, je me sentis seul, sans encouragement : aucun ne prendrait la responsabilité de m’avoir poussé à l’aventure.

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On fait le plein des deux réservoirs de 20 L du HM-14 (14.10.38).

Les heures passaient. Le gendarme ne nous inquiétait pas et se trouvait de l’autre côté de la piste d’envol. J’examinais le Pou sous toutes les coutures. Les préparatifs se faisaient discrètement. J’avais la confiance de mes amis. Il fut convenu qu’après le départ, si tout allait bien, je ferais connaitre mes intentions : je lancerai par-dessus bord un message sous forme d’une carte postale lestée à un grand chiffon que je devais lancer à la verticale de Ste-Croix, distant d’environ 5km. Benzine : lors des essais de la veille, seul le réservoir avant avait été rempli, quelque 20L. Cette fois-ci, je fis le plein complet avant et arrière. Le Pou n’avait jamais été testé avec cette surcharge d’environ 30kg. Equipement : il se composait de mon serre-tête de motard, sans lunettes, sans parachute, d’une petite boussole, d’une carte d’état-major de la Suisse-romande, et dans le caisson derrière mon dos, d’une vieille chambre à air pouvant servir de bouée. J’avais aussi une boîte d’allumette, me souvenant de l’accident arrivé à un pilote vélivole genevois tombé dans les forêts du Jura et qui était resté 3-4 jours immobilisé avec sa jambe cassée. Tout le monde le cherchait ailleurs, et ce n’est que par hasard qu’il fut retrouvé par des chasseurs. S’il avait pu faire connaître sa position en faisant un peu de fumée, on aurait peut-être pu le retrouver plus tôt et lui éviter l’amputation d’une jambe (voir : Récit).

Me voici donc paré pour la grande envolée. Le moteur est mis en marche. Je prends place dans la petite carlingue : encore une photo. Personne n’a l’impression que je vais m’évader. Il est 16h20. Après une poignée de mains aux copains et un dernier mot pour leur dire que je les appellerai au téléphone chez l’ami Eugène, je m’ébranle tout doucement, sans avoir l’air d’y toucher et je vais me placer à l’extrême limite du terrain. Je tourne l’appareil face à la légère bise, direction Mauborget. Un moment d’émotion. Il était encore temps de renoncer à cette folle équipée. N’était-ce pas un peu présumer de mes forces et commettre une dangereuse imprudence ? Quelques pensées noires me passèrent par la tête. Je revoyais mes parents et je songeais à la peine qu’ils auraient si l’aventure tournait mal. Ma chère mère ne se doutait de rien, elle qui avait cru un jour que c’en était fini avec ce "pouèt avion". Moralement pourtant j’étais prêt. Il me manquait tout de même quelque chose. Je me recueillis un instant et redis une prière de ma petite enfance.

En vol pour un exploit sur le lac Léman

A ce moment là, je tirais à fond la manette des gaz (sur les avions orthodoxes, on la pousse), le petit Pou vibra de toute son âme et roula quelque 50m et décolla franchement. C’était son 1er vol à pleine charge, 30kg de plus aurait pu modifier son assiette. Je voyais rapidement arriver les grands sapins bordant l’extrémité de la piste d’envol. Je frôlai les cimes, la marge était juste suffisante. Je fis mon 1er virage à 180 degrés pour passer à la verticale sur mes spectateurs qui levaient les bras vers le ciel. Le gendarme, d’étonnement ; les autres, en guise d’adieu. Exclamation du gendarme : "- Mais on dirait qu’il prend la direction des Aiguilles de Baulmes. Est-ce qu’il se sauverait ?" On lui répondit qu’on le saurait bientôt. Après avoir amorcé un virage à la verticale de Ste-Croix à l’altitude de 1.500m, je larguai le message, vérifiant qu’il ne s’accrochait pas au gouvernail, qui fut retrouvé près de Ste-Croix, à la Mouille. Les pétarades de mon petit moteur attiraient dans la rue et aux fenêtres des usines tout un monde de curieux.

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Donnat Guignard sanglé dans son minuscule cockpit montre l’indicateur de vitesse (14.10.38).

Plein sud ! Sitôt passé les aiguilles de Baulmes, j’avais déjà plus de 1.000m de creux sous mes roues. La partie était engagée. Que la campagne vaudoise était belle ! Par-ci, par-là des feux de bergers me donnaient une indication utile quant à la vitesse du vent. Je me souviens qu’en passant au-dessus d’Echallens, je regardai droit au-dessous de moi le petit train qui manœuvrait. Tôt après, ce fut la Blécherette, aérodrome de Lausanne, où j’eus une pensée pour tous les camarades de l’aéroclub. Je ne passai pas inaperçu, et un camarade que je revis plus tard dit en voyant ce véhicule aérien insolite : "- On dirait un Pou, mais ça vole trop haut et ça va tout droit en direction de la Savoie." J’étais à 2.200m et paraissais être au moins à 3.000m. Le moteur intriguait aussi, on aurait dit une grosse moto qui avait de la peine à avancer …. Voici les flèches de la cathédrale au-dessous, puis Ouchy

Et voilà le Léman, 15km en perspective au-dessus de l’eau. En face la côte de Savoie où je me dirige sans connaître d’endroit où me poser. Mais n’étais-je pas décidé à me faire le champion d’une aviation populaire qui pourrait faire atterrir ses appareils n’importe où ? C’était le moment ou jamais de le prouver Quelle folle audace fallait-il avoir pour donner une telle leçon ! Au bout de quelques minutes, le lac était à moitié traversé. J’étais à 2.200m avec un moteur P.Mengin de 25 CV qui n’était pas rôdé et dont je ménageais les tours. J’aurai pu plafonner à 3.500m. Puis mon manomètre de pression d’huile tomba à zéro ! Que se passe-t-il ? Une tuyauterie défectueuse ? Une fuite ? Je m’approche du tableau de bord autant que me le permet la ceinture qui me retient, pour essayer de voir par quelques petites fentes du capot s’il se passait quelque chose d’anormal là derrière. Le nombre de tours du moteur ne baissant pas ; c’était bon signe. Je réduisis cependant un peu les gaz.

Atterrissage mouvementé au château de Ripaille, près de Thonon

Je repensai alors ce que m’avait dit l’ami Albert en me quittant : Sitôt que j’aurais décollé des Cluds, il aviserait son ami Edouard à Lausanne, propriétaire d’un des plus rapides canots du Léman, qu’il se tienne prêt à toute éventualité. Mais je ne vis aucun sillage sur toute cette vaste étendue d’eau, rien qui bougeait. J’aurais donc été seul pour faire le grand plongeon ! J’aborde ainsi la côte savoyarde, à la verticale du casino d’Evian. Je suis toujours au-dessus de 2.000m, C’est le moment de regarder en bas pour repérer un terrain de fortune. Après une pointe vers la Dent d’Oche et quelques exercices de vol (virage, piqué..), je reviens du côté de Thonon en coupant la vallée de la Dranse. Je repère dans les environs un terrain qui aurait pu me recevoir. Je descends en larges orbes, mais je vois que ce terrain se trouve aussitôt peuplé de gens qui s’attendent à me voir me poser là. Comme il n’y a certainement pas de police sur place pour tenir tout ce monde en sûreté, ce n’est pas le moment d’aller faire une victime.

Dans les environs, vers 17h30, le château de Ripaille me fait risette. Une bien belle propriété : un grand parc entouré de grands murs et d’imposants corps de bâtiments. Ce fut au dernier moment l’endroit choisi. Je descends donc en serrant un peu plus mes virages et m’aperçois alors que la piste choisie est barré par un obstacle, une clôture de fil de fer qui était passée inaperçue jusqu’alors. Je décide de survoler le bosquet de grands chênes et d’aller prendre la piste à revers et à fleur d’eau, tout en observant l’état du terrain. Au cours de cette manœuvre, mon attention se relâche un peu quant à ma vitesse de descente. Il y a aussi l’inversion des thermiques qui joue son petit rôle, tant et si bien que je frôle la cime des grands chênes et je vois au dernier moment quelques rameaux fauchés par l’hélice. C’est trop tard pour réagir, car mes roues ont déjà "croché" à un autre groupe d’arbres. L’appareil s’immobilise brutalement à une vingtaine de mètre de hauteur, le gros oiseau se trouve ainsi bien perché !

J’allais déboucler ma ceinture et m’accrocher aux rameaux de l’arbre, quand le Pou s’enfonça tout doucement dans toute cette verdure, et tout à coup, il n’y eut plus de branches pour me retenir. C’était la chute brutale. Je me dégageai sans aucun mal, sauf une légère coupure à la lèvre supérieure, suite à un contact brusque contre le tableau de bord. Ma ceinture s’était cassée (ce n’était qu’une sangle de sommier) ! Je m’employai aussitôt à remettre l’appareil dans une position convenable et constatai les dégâts : aile avant bien abîmée ; bord d’attaque enfoncé jusqu’au longeron ; hélice cassée, train d’atterrissage légèrement faussé ; moteur sans aucun mal, idem pour l’aile arrière et le gouvernail. J’en aurai pour 2 bonnes semaines de réparation si je n’avais pas déjà eu l’idée de construire avant cela une paire d’ailes au profil NACA 23012 plus performantes. Je n’avais donc rien à regretter. A l’inspection des réservoirs je constatais n’avoir brûlé qu’une quinzaine de litres. Le vol avait duré en tout 1h15’, ce qui est assez long pour un si petit trajet, environ 80-90km, mais je n’étais pas venu en ligne droite, cela s’explique. Ce vol constituait pourtant une somme de plusieurs records pour cette catégorie d’avions : voler plus d’une heure, faire plus de 100km et plafonner à plus de 2.000m, et cela du 1er coup !

 

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Il est 16h20, le Pou décolle avec l’intention de rejoindre la Haute Savoie (14.10.38).

L’aviation populaire, pas si impopulaire que ça !

Après ces constatations, il ne me restait plus qu’à m’orienter et prendre la direction du château que j’avais admiré de haut. J’arpentais une des allées de ce parc où vivent de nombreuses biches, car c’est une réserve de chasse. Je vis venir à ma recherche les 1ères personnes rencontrées sur sol français. C’était le châtelain accompagné du garde-chasse qui portait un fusil et une grande gibecière. L’accueil fut un peu réservé : " – C’est Monsieur l’aviateur ? – Oui. – Que diable faites-vous en ces lieux ? On vous a bien vu passer très bas, mais nous ne pensions pas que vous étiez entré dans la propriété. Quelle idée avez-vous eu de la choisir comme place d’atterrissage ? Vous allez certainement nous causer des ennuis avec la maréchaussée !" J’expliquai brièvement ce qui s’était passé et désignait l’endroit où l’appareil gisait. " – Vous nous avez fait peur tout de même. J’ai cru que c’était mon fils qui habite Paris et vient parfois nous trouver en avion. Mais lui s’arrête à Lausanne et traverse le lac en bateau."

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Un ultime passage au-dessus des trois amis et de "la gendarmerie" (14.10.38).

C’est ainsi que dans une grande salle imposante garnie de trophées de chasse, je fus entouré de tout le personnel de la maison, répondant à toutes sortes de questions. Cette histoire, je l’ai racontée à en être las, mais l’interrogatoire ne faisait que débuter. Il s’écoula peu de temps avant que n’arrivent les douaniers qui m’avaient suivi et repéré. Le brigadier de gendarmerie accompagné de 2 subalternes suivit. Un seul journaliste, du Petit Dauphinois, Mr Conversey, eut la permission d’entrer. Je dus expliquer d’où je venais, qui j’étais, et les raisons de mon atterrissage ici. C’était une époque troublée venant juste après les accords de Munich. La tension internationale était déjà grande. Il est bien évident qu’un avion non immatriculé, avec pour seul signe distinctif une grosse étoile jaune à 5 branches, dont la verticale plus grande que les autres, qui constituait "ma bonne étoile", devait intriguer sur plus d’un point. Une fois ma déposition signée, je pus téléphoner à Ste-Croix où l’on était anxieux depuis des heures. Je demandai entre autres que l’on m’envoie de l’argent, étant parti sans un sou en poche.

L’interrogatoire fut épuisant. Puis il me fut signifié que je serais gardé à vue jusqu’à la fin de l’enquête, et que je devais aller me présenter chaque jour au bureau du commissariat à Thonon, l’appareil étant évidemment confisqué par la douane française. Je fus l’hôte de Mr Conversey qui eut la primeur et l’exclusivité de mon récit. Il se chargea d’aviser la presse de mon aventure me transformant presque en une sorte de héros. C’est par ce moyen que mes parents à Vaulion furent avertis de mon escapade. Heureusement qu’ils n’eurent pas à se faire du souci à l’avance. Je visitai la région. Je fus très bien reçu par tout le monde, fus invité au cinéma et à des manifestations locales où l’on était content de me questionner. Au bout de cinq jours, Mr Conversey m’annonça que le Parquet français avait purement et simplement classé l’affaire et que je pouvais rentrer dans mon pays. L’épave restait propriété de la douane qui l’avait déménagé dans un entrepôt. Mais je n’avais pas l’intention de la laisser là !

La facture administrative, binationale, et le "Happy end"

Une transaction menée à la bonne franquette me permit récupérer l’avion à un prix raisonnable. Je fis remarquer la grandeur des dégâts, ne cherchant pas cette fois à les minimiser, et rentrai en possession du Pou pour la somme dérisoire de 293,60 Fr français, soit environ 60 Fr suisses. Ca payait juste les frais de déménagement de Ripaille au dépôt et le garage. Je ne devais pas laisser trop longtemps mon matériel ici si je ne voulais pas payer de droits de garde. Je laissai les ailes à Thonon et appris plus tard qu’elles servirent à des "maquisards" savoyards qui firent des abris improvisés avec les 28m2 de toile imperméabilisée. Les parties les plus coûteuses de l’avion : moteur, tableau de bord, train d’atterrissage, gouvernail, hélice, etc. furent ramenés en Suisse en décembre 1938, par canot-moteur, aimablement prêté par une connaissance de Morges. L’aller-retour prit plus de 4 heures, le lac étant fort agité. L’accostage au port de Morges eut lieu de nuit pour éviter la confiscation du Pou. Là, un douanier avisé par avance dut contrôler notre rentrée. Les formalités furent très brèves, mais je fus tout de même condamné à 5 Fr d’amende pour défaut de formalité de sortie de Suisse. Je m’en tirais à bon compte." Signé : Donat Guignard.

- Nb : Son succès lui attire beaucoup d’amitiés : Une quête organisée par ses amis de Vaulion lui fut offerte : 207 francs. Au tribunal de Grandson (VD) en mars 1939, Me Jacques Lador défendit gratuitement l’aviateur. Le jugement du 9 mars, indiquait que Donat Guignard avait commis des infractions aux articles 7, 14, 15, 18, 19, 20 et 37 sur la réglementation aérienne etc. Il reçut une modeste amende de 20 francs et dû régler les frais de justice de plusieurs centaines de francs. Dans les semaines qui suivirent, plusieurs courriers contenant un billet de 20.- lui furent adressés lui permettant de régler tous ses frais. Sa licence de pilote ne fut pas suspendue. Accessoirement et en conclusion, il faut insister sur le fait que ce récit concerne le plus grand raid en Pou du ciel de l’histoire helvétique d’avant-guerre, même si la FAI ne put en tenir compte à l’époque.

 

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Donat Guignard tractant son Pou du ciel vers l’alpage des Cluds (Ste-Croix, VD).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mercredi 11 novembre 2015
  • Pour plus d’information, lire : "Entre ciel et rêve", de Donat Guignard, Les cahiers du balcon du Jura, 1990, 98p, ills, à la "Librairie".
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  • Roland Py-Guignard, gendre de Donat Guignard, construisit aussi, entre 1969 et 1971, un "Pou du ciel" aujourd’hui exposé au Musée des transports de Lucerne sous l’immatriculation fantaisiste HB-HM8.
  • [11.2015] Extraits du film d’Anne Crété sur l’aviateur Donat Guignard (vidéo sonore, 03’, 95Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.5 minimum.

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