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René Vidart, l’un des 4 finalistes du raid aérien Paris-Rome, héros de l’air à 21 ans (1911), 1ère partie [vidéo]
  Le jeune Divonnais René Vidart est entré en aviation avec succès en juin 1910. En fin d’année il bat déjà quelques records et se fait un nom grâce à ses vols remarqués sur la Côte d’Azur. Au printemps 1911, proche de ses 21 ans, il s’inscrit comme le plus jeune concurrent d’un raid aérien qui connaîtra de nombreux abandons : Le Paris-Rome. Après 8 jours de lutte, Vidart sera l’un des 4 rescapés à l’arrivée et connu mondialement. Voici la 1ère partie du récit de ce raid raconté par Vidart en personne.
René Vidart (1890-1928), à bord de son Deperdussin-Gnome-Rhône 50 CV, au départ de l’étape de Lyon du raid Paris-Rome, le 30 mai 1911. L’aviateur approche de ses 21 ans.

Les premières compétitions aériennes sur de longues distances en Europe

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Le raid Paris-Rome-Turin est organisé par Le Petit Journal parisien. Une poignée de pilotes seront livrés à eux-mêmes sur 2.100km avec des étapes obligatoires à Dijon, Lyon, Avignon, Nice (870km), Gênes, Pise, Rome (600km), Turin (630km) et bien d’autres, au gré des pannes, de la météo et des pleins d’essence. Des voitures d’assistance de constructeurs suivent les aviateurs pour lesquels il s’agit d’un épuisant raid n’incluant aucun jour de repos obligatoire comme prévu pour le futur Circuit Européen. Quant aux appareils, ils volent entre 100m et 1000m d’altitude et survoleront la montagne et la Méditerranée. Le nombre d’heures de vol est estimé à 45h sachant qu’un moteur doit être révisé au moins toutes les 5h. Globalement, l’épreuve jusqu’à Rome durera entre 85h et 170h et les Prix attribués au 4 premiers s’élèveront à 190.000Fr, soit 2 millions actuels. Ci-dessous, ce récit est de la main-même de René Vidart, à peine âgé de 21 ans en mai 1911.

- Par René Vidart : "Dans la capitale, on ne parlait que des grandes courses à venir : Paris-Madrid, Paris-Rome-Turin, le Circuit-Européen. Nombreux traitaient d’insensées ces randonnées, de fous leurs organisateurs considérant qu’avoir de telles conceptions envoyaient purement et simplement les aviateurs à la mort. Je n’avais jamais pensé pouvoir faire mon trou dans de semblables épreuves. J’étais pourtant décidé à tenter la chance, mais comme aucun appareil n’était prêt je ne pouvais espérer partir dans la 1ère course, le Paris-Madrid, et me contentais d’aller voir le départ à Issy-les-Moulineaux (F). Les dangers, je m’en moquais et comme d’autres les risquaient, je ne voyais pas pourquoi j’aurais hésité ! Grâce à des prodiges de persuasion, annonçant que je courrais coûte que coûte Paris-Rome car d’autres maisons me faisaient des offres, et suite au décès subit de Pierre Marie Bournique, pilote Deperdussin inscrit au raid, j’arrachais à M. Deperdussin l’autorisation de partir à condition que je navigue de Reims à Buc par la voie des airs."

- "Mon appareil fut prêt, grâce à l’appui d’Henri Papa, ingénieur de Deperdussin qui devint le manager de mes courses, et son ami des Arts et Métiers, l’ingénieur Léon Besnard, rentrant des colonies, en congé en France, enthousiasmé par l’aviation et qui sera un des précieux collaborateurs de mes succès. Ils devinrent rapidement mes amis les plus chers, ainsi que mes braves petits mécaniciens, dont André Dehaies et Germain Garde, et je conserverai toujours une immense reconnaissance pour les soins affectueux qu’ils m’ont prodigué en course. Le départ du Paris-Rome avait lieu le dimanche 28 mai 1911 à Buc. Je quittais Reims (F) le vendredi soir sur mon nouvel appareil dans lequel je mettais tous les espoirs. J’atterrissais à Meaux à cause de la nuit et arrivais le lendemain matin à Buc, juste à l’heure fixée. Devant ce 1er succès, M.Deperdussin reprit confiance et c’est peut-être moi à ce moment-là qui regardais la course avec les yeux les plus craintifs. C’était la 1ère fois que j’allais me heurter aux grands champions et je ne voyais pas d’un très bon œil l’issue de ce frottement. Malgré tout, frais et dispos le dimanche matin, je sautais dans mon appareil."

Départ du raid PARIS-ROME, advienne que pourras ! Buc—Troyes et la 1ère chute

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Albert Kimmerling à l’étape de Lyon-Bron (mai 1911).

- [Dimanche 28 mai, 6h03] "Nous étions 12 concurrents qui devions partir ensemble au coup de canon et, fait bizarre, parmi les 4 premiers à nous envoler, nous serons les seuls à arriver à Rome ! Je m’élevai assez rapidement malgré ma charge d’essence, mais quand je perdis de vue le terrain de Buc, je me dis : - « Mon vieux, il va falloir montrer que tu sais te repérer, que tu sais te servir de la boussole et de la carte comme le meilleur des officiers de marine. » Réflexion toute de mélancolie car c’était la 1ère fois que je me servais de cet instrument bizarre qui ressemble assez à une marmite et qu’on appelle la boussole. Quant à la carte, rien n’est plus identique à une route qu’une autre route … Enfin, petit à petit, je repris confiance, je passais la Seine à Corbeil et me dirigeais sur Troyes. Bientôt, je fus obligé de quitter la route que je suivais et qui s’écartait de la ligne droite, pour marcher avec la redoutable boussole."

- [160km] "Après 30min pendant lesquelles je fixais attentivement ce maudit instrument qui tournait dans le genre des petits chevaux, je voyais mon niveau d’essence baisser. Il ne fallait pas penser à faire monter l’essence de mon réservoir sous pression, car en fait de pompe, on m’avait mis une poire en caoutchouc qui, sans doute trop craintive, s’était empressée de fuir. Je ne porterais pas cette poire-là au paradis, je vous le jure ! Il fallait donc atterrir ! Ayant aperçu un terrain à peu près convenable, je me posais au beau milieu, et quel ne fut pas mon ébahissement de voir accourir au-devant de moi une foule assez considérable avec à sa tête 2 de mes mécaniciens qui devaient m’attendre à Troyes. Dès qu’ils furent auprès de moi, je leur laissais comprendre ma stupéfaction, et m’attirais cette réponse extraordinaire à mes yeux : - « Monsieur, c’est tout à fait compréhensible, vous êtes sur l’aérodrome de Troyes ! »

- "Grâce à ma chère boussole, j’étais donc arrivé droit au but ! Aussi, dès ce jour, je pris l’habitude de vénérer ce précieux instrument et de croire qu’il était ma mascotte. Après avoir ravitaillé et réparé ma poire, je décidais d’aller affronter les montagnes qui se trouvent entre Troyes et Dijon. Tout semblait bien se présenter, lorsqu’au départ, après m’être facilement enlevé, j’eus des démêlés avec mon moteur. Ne tenant pas du tout à me trouver au-dessus des cimes avec ces ratés inquiétants, je décidais d’atterrir pour faire nettoyer mes bougies. Comme je m’étais posé assez loin des hangars, je revenais en roulant pour ne pas faire courir mes mécaniciens. Par malheur, il y avait sur ce maudit aérodrome un fossé inconnu et mon monoplan capota avec fracas. Je ne me fis aucun mal, mais me trouvais retardé et il fallut 22h de réparations avant de pouvoir repartir."

Deuxième jour : Troyes—Châlons-sur-Saône—Lyon-Bron, contre vent et orage

- "C’était la noire déveine, car j’étais très bien placé et pouvais peut-être alors prétendre à la victoire. Je ne saurais dire avec quelle tristesse j’apercevais, l’après-midi, plusieurs de mes rivaux passer au-dessus de ma tête. Enfin, il fallait bien faire contre mauvaise fortune bon cœur et j’avais la consolation de me dire qu’après tout le même incident pouvait bien arriver aux autres. Rome était encore loin et peut-être aurais-je le temps de rattraper mon retard. Je passais ma journée pendu au téléphone pour avoir des nouvelles des concurrents, tandis que mes braves mécaniciens réparaient l’appareil. Ce jour-là, je fis la connaissance de celui qui devint par la suite mon plus grand ami et même un véritable frère, Albert Kimmerling dit "Kiki", qui venait d’atterrir à Troyes. Il m’appelait "le gosse" et fit tout pour me remonter le moral."

- [Lundi 29 mai, 5h20] "Le lendemain, plein de confiance, je remontais sur mon appareil tout à fait au point, et prenais aussitôt la direction de Dijon où j’arrivais à 7h30. Le vent soufflait en rafales, mais, malgré tout, dès le plein d’essence fait, je m’envolais vers Lyon [9h08’]. L’ouragan m’aplatissait sans cesse vers le sol. Je ne pouvais me diriger tant j’étais peu maître des éléments. Je ne sais comment je ne me tuais pas ce jour-là. Je passais à 25m au-dessus des maisons de Dijon, zigzaguant sinistrement entre les cheminées d’usines. Puis, une fois ces terrifiants obstacles dépassés, dès que je tentais de m’élever, à 200-300m, aussitôt un coup de vent me rejetait au niveau des arbres des forêts. Je luttais désespérément d’autant plus que le terrain était loin d’être propice pour me recevoir. En arrivant près de Chalon-sur-Saône, après avoir parcouru les 70km qui la séparent de Dijon, en 30min, je touchais un arbre avec le bout de mon aile. Heureusement, j’eus plus de peur que de mal, mais pendant un instant je crus que tout était fini."

- "C’était folie que de vouloir continuer dans de semblables conditions, je décidais d’attendre une accalmie. J’amorçais un grand virage pour me mettre vent debout et me posais dans une prairie, peu avant les 1ères maisons de Chalon-sur-Saône. Ma fatigue était telle que lorsque la foule arriva, elle me trouva endormi dans mon appareil. Mes managers survinrent ensuite, m’emmenant en automobile. Ils me plongèrent dans un bain, me firent prendre un repas léger et m’obligèrent à me coucher jusqu’à 16h. Coïncidence loin d’être réconfortante : je me trouvais dans l’hôtel où, l’année précédente, mon frère fut transporté, blessé dans une chute de concours hippique. A mon réveil, le vent s’était heureusement calmé. Aussi je fis diligence pour continuer ma route et je me retrouvais peu après dans les airs."

- "Arrivant au-dessus de Lyon, je rencontrais un violent orage que je traversais sans trop maugréer. La pluie me cinglait la figure me faisant un mal atroce, mais peu importe : j’approchais du but et allais pouvoir atterrir. Par contre je ne savais pas où trouver Bron ! Je tournais pendant de longs instants, exécutant de larges orbes pour découvrir l’aérodrome. Sur les terrains inconnus l’atterrissage constitue toujours un risque de "casse" et je n’avais que ce seul appareil pour rallier Rome. Je virais donc au ras du sol espérant bien finir par trouver mon chemin. L’aide se présenta sous la forme d’un brave paysan juché sur son toit. A mon signe il comprit que j’étais égaré et d’un geste m’indiqua la bonne direction. A cet instant j’entendis les fusées qui partaient de Bron m’indiquant la voie, puis je vis le monoplan de Legagneux qui venait à ma rencontre [18h20, après 280km]. L’accueil de Lyon fut enthousiaste. Aussitôt après les félicitations, j’allais dîner avec Legagneux, Hanriot père et fils et d’autres camarades qui donnaient une exhibition à Lyon. Je mourais de faim et fis honneur à la cuisine lyonnaise, puis j’allais vite me coucher. Le même soir, Garros et Beaumont, passés avant l’orage, dormaient à Nice ! Je n’étais encore qu’à Lyon !"

 

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Le Morane-Borel de Frey au départ de Buc (F) le 28 mai 1911.

Troisième jour : Lyon—Avignon—Fréjus—Nice, le tiers du raid enfin achevé !

- [Mardi 30 mai] "Le lendemain matin, une pluie fine et perçante tombait tristement sur Lyon. Pour atteindre au but, il me fallait mettre toutes les chances de mon côté : inutile de risquer mon appareil. J’attendais une éclaircie pour m’élancer dans la vallée du Rhône. Ce n’est qu’à 14h que le temps se mit au beau relatif, je pris aussitôt le départ [14h30’]. Mais si la pluie avait cessé le vent n’avait pas été abattu. Il soufflait avec violence, me poussant vers le Midi, mais je pouvais ainsi prendre de la hauteur, car à l’époque nous mettions du temps pour atteindre les nues. Tant pis, je commettais une imprudence, mais j’avais confiance en mon étoile. Je passais moins de 2h après mon départ au-dessus du château des Papes et à 16h exactement me posais sur l’aérodrome d’Avignon." [16h20, après 165km].

- "J’étais un peu fatigué, mais les ovations saluant mon arrivée me remirent vite. Cependant les dames de la Croix-Rouge voulurent absolument m’étendre sur un lit de camp, sous une tente arborant le drapeau rouge et blanc. J’avoue que de me voir transporté vaillant dans une infirmerie me donna un léger frisson : dans notre métier, on est si peu sûr du lendemain ! Enfin, il fallait y passer et le repos ne fut pas mal accueilli. Une charmante dame poussa l’amabilité jusqu’à laisser une bouteille de vin Mariani pour me rendre les forces perdues dans les remous répétés et spéciaux de la vallée du Rhône. J’avais soif, très soif ! Bientôt la bouteille fut vide et ce jour là je dus avoir donné l’impression d’un ivrogne invétéré. Oui, mais j’étais entièrement d’aplomb ! Un orage venant des Alpes menaçait d’interrompre la suite du voyage, je remis mon départ au lendemain. Je passais une soirée fort agréable et allais vite me coucher, malgré la réception délicieuse, car il fallait arriver à Rome au plus tôt et j’en étais encore loin. "

- [Mercredi 31 mai] "A 6h du matin, je repartis par un temps idéal et pour la 1ère fois réussis à monter l’appareil à 1.000m. L’altitude m’éloignera des remous présents sur les Alpes. Je survolais Brignoles où Kimmerling cassa 3 appareils successifs sans pouvoir sortir du terrain où il était enfermé. J’arrivais enfin à Fréjus, au bord de la mer, poussant un long soupir de soulagement, car je redoutais fort les Alpes avec ce monoplan rebelle à la montée. Une fois le ravitaillement effectué je repris mon vol vers Nice, sur une partie du trajet accompli quelques mois plus tôt lors de mon raid Nice-Ste-Maxime. Puis j’aperçus l’aérodrome de la Californie et n’étonnerais personne en avouant pousser un sérieux cri de joie. J’allais terminer la 1ère partie de cette course qui me sembla si dure et que je trouvais si simple alors qu’elle était finie. Toutefois mon moteur tint à me réserver une petite sensation forte dont je me serais bien passé. Je coupais alors le golfe d’Antibes dans sa plus grande largeur pour atteindre plus vite l’aérodrome lorsque j’entendis des ratés plus qu’inquiétants. Je luttais désespérément pour perdre le moins de hauteur possible et réussis enfin à arriver au ras de l’eau sur le terrain tant convoité. Je n’eus pas besoin de faire de vol plané, je vous le garantis : il était temps [10h13, après 263km]. Nouvel enthousiasme, nouvelles acclamations !" Signé René Vidart.

 

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Vidart à l’étape d’Avignon avec les officiels et son équipe technique (30 mai).

Nb : Vidart vient ainsi d’accomplir le tiers de l’itinéraire prévu. Plusieurs concurrents ont déjà abandonné. Il reste à lutter pour la suite de ce raid et les vols sur l’Italie offriront encore bon nombre de surprises aux aviateurs. Rome est à 600km et seuls 4 pilotes semblent pouvoir arriver à destination dans le délai imparti du 9 juin à 21h. C’est pourquoi ce passionnant récit continue bien sûr ici => (Récit 2ème partie).

Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 1er septembre 2016
  • Pour d’autres informations, lire : Ma carrière d’aviateur, par René Vidart, in "La Vie au grand air", juin-juillet-août-1914, ills, à la "Librairie".

  • - Les concurrents inscrits au Paris-Rome : Bathiat (no.2), Beaumont (no.6), Bielovucic (no.8), Frey (no.17), Gaget (no.15), Garros (no.18), Kimmerling (no.10), Landeron (no.11), Lemasson (no.3), Level (no.14), Lusetti (no.9), Manissero (no.21), Molla (no.5), Niemela (no.1), de Nyssol (no.19), Tabuteau (no.16), Tétard (no.7), Védrines (no.12), Vidart (no.4), Weymann (no.20), dont seuls 12 prendront le départ.
    [09.2016] René Vidart et quelques concurrents du raid Paris-Rome : 10 jours épuisants (28.05 / 05.06.1911) (diaporama, 05’00’’, 13Mo). Format MP4.

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