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L’autogire et sa première manifestation en Suisse, à Cointrin (1931) [vidéo]

 

Quand l’autogire de la Cierva est produit en petite série dès mars 1931, des démonstrations sont effectuées en Europe. Genève est la 1ère ville suisse à recevoir un tel appareil. D’autres villes helvétiques suivront. Malgré les capacités novatrices évidentes du concept, un seul appareil de ce type sera finalement immatriculé ici avant guerre. Et pourtant, de nos jours, il y a un bon nombre d’autogires qui volent dans la catégorie des ULM un peu partout.


Cointrin le 20 juin 1931, le 1er autogire vu en Suisse vient d’arriver pour un meeting de démonstration : le C.19 Mk.III G-ABFZ fut fabriqué 3 mois plus tôt (ph. : L.Demaurex/J.L.Altherr).

Face au si difficile vol vertical : une solution innovante

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Les 4 pales, les 2 ailes et les doubles dérives sont ici bien visibles.

Entre 1905 et 1920, lors des premières tentatives pour réaliser le décollage vertical à l’aide du moteur à explosion (voir : Récit) quelques progrès sont réalisés mais sans pouvoir dépasser le stade du prototype et sans grande fiabilité. Il faut attendre 1939 pour que le principe de l’hélicoptère soit maîtrisé (Sikorsky) et la fin de la Deuxième guerre mondiale pour que des appareils civils légers soient commercialisés. Malgré tout, plusieurs chercheurs essaient diverses solutions dont l’ingénieur espagnol Juan de la Cierva qui va aboutir a un appareil au décollage et à l’atterrissage très courts grâce à la fusion des caractéristiques d’un avion et celles d’une voilure tournante, dans ce que l’on nommera un autogire (en anglais : autogyro).

Sa carlingue d’avion aux ailes écourtées possède un moteur à l’avant, un train d’atterrissage, une dérive à l’arrière, le tout surmonté d’un mât portant un large rotor quadripale qui tourne librement au vent. Il n’y a aucune liaison mécanique entre le moteur et ce rotor horizontal. Les commandes de vol restent reliées à la dérive et aux ailerons comme sur un avion. La rotation de l’hélice tractrice à l’avant de l’autogire, provoque une poussée d’air qui met en mouvement le rotor horizontal. Le déplacement horizontal de l’appareil au sol fait augmenter la rotation de ce rotor qui finira par sustenter très rapidement l’autogire qui s’élèvera avec facilité. Lors de l’arrêt éventuel du moteur en vol, l’appareil descendra sans perdre de vitesse avec l’autorotation du rotor qui lui sert alors de "parachute" et permet toujours un atterrissage en sûreté.

Dès sa jeunesse de la Cierva eut l’obsession de créer ce type d’aéronef apte à s’élever et à atterrir presque verticalement. Enfin, après plusieurs tâtonnements, le 31 janvier 1923 sur l’aérodrome de Cuatros-Vientos (Madrid), son 1er autogire couvre 4km en circuit fermé. L’homme poursuit ses essais en Angleterre en 1925, en France en 1926 et retourne ensuite en Angleterre. Après avoir créé quelques 18 prototypes et allié à la firme Avro, il conçoit enfin le modèle C.19 Mk.III sorti en mars 1931 qui est assemblé à Hamble (GB). Il s’agit du 1er autogire à être construit en série (10 exemplaires) et qui est maintenant présenté au public en Europe. C’est alors que la Suisse va découvrir son premier "gyro", à Genève, le 20 juin 1931. Il s’agit du G-ABFZ (c/n.5143) au certificat de navigabilité daté du 24 mars 1931.

Données techniques du C.19 Mk.III
Diamètre rotor : 10,66m Vitesse rotor : 125t/min Envergure des ailes fixes : 6,24m
Longueur : 5,56m Hauteur : 3,14m Moteur Armstrong-Siddeley Genet Major I, 105CV
Poids à vide 421-488kg Essence : 70-81 litres Poids total : 635 à 704kg
Vitesse maxi 132-153km/h Vitesse mini : 40-45 km/h Vitesse de croisière : 144km/h
Plafond pratique : 2.286m Plafond théorique : 3.962m Rayon d’action : 281-400km

 

La visite du 1er "gyro" en Helvétie, à Genève puis Lausanne

La démonstration de Cointrin, une première helvétique, est annoncée tardivement aux genevois, le 17 juin, soit trois jours avant le samedi de l’événement. L’organisateur est le Club Suisse d’Aviation (CSA = Aéro-Club genevois) qui y joint la possibilité de baptêmes de l’air pour le public, dès 14h, mais en avion. L’entrée payante est gratuite pour les membres du CSA. La présentation de l’autogire est prévue à 17h avec la démonstration complète des possibilités de l’appareil : descentes verticales, évolutions aux vitesses maximales et minimales, atterrissage à proximité immédiate d’obstacles... Après les vols, les spectateurs pourront s’approcher de l’autogire : "Tous ceux qui s’intéressent aux progrès de l’aviation voudront voir évoluer cet avion aux ailes tournantes, et qui atterrit verticalement. Inutile d’insister sur la sécurité d’un appareil de ce genre, d’un type absolument différent de ce que nous avons vu jusqu’à présent.".

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Cointrin, le 20 juin 1931, le G-ABFZ, (photo L.Demaurex/J.L.Altherr).

Le mauvais temps règne en cette fin de semaine. L’autogire biplace fait un déplacement par étape depuis Hamble (GB), aux mains du capitaine Arthur "Dizzy" H.C.Rawson, le pilote d’essai du constructeur. Il est contraint de s’arrêter à Dijon le 19 et d’y passer la nuit. Il quitte Dijon le samedi 20 à 8h30 et arrive à Cointrin à 10h30 après avoir survolé Genève, confirmant ainsi sa présence au public. A bord, une femme accompagne le pilote (son épouse ?). Entre 12h et 12h30, nouveau vol au-dessus de la ville suscitant la curiosité des passants qui n’auront peut-être ainsi plus autant besoin de monter à Cointrin ( ?). A 17h l’appareil mène de forts intéressantes démonstrations sur l’aérodrome. La presse genevoise est peut volubile sur le sujet ayant d’autres matières à publier. Comme l’aérodrome de Lausanne-Blécherette connaitra les mêmes évolutions le samedi 26, ainsi qu’une presse plus volubile, nous prenons là l’information qui nous manque sur le "clou" de ce meeting genevois :

- Amené au milieu du terrain, ce petit avion actionné par un moteur fixe est mis en position de départ. Le pilote met en mouvement l’hélice sustentatrice à la main et en utilisant si possible le vent comme force de rotation. Puis, lorsqu’elle tourne, vaste tourniquet de gosse à 60 tours par minute, l’avion avance et décolle à l’aide de l’hélice tractive. Il s’élève ainsi gracieusement, sinon verticalement, du moins obliquement. Rien n’est plus original que ce vaste moulin à vent tournant au-dessus de la tête du pilote tandis que l’avion se meut à l’horizontale. Puis, à quelques centaines de mètres en l’air, le pilote coupe les gaz et l’avion sustenté vient se poser délicatement sur le terrain. A sa descente d’appareil, le pilote nous déclare qu’il lui a été difficile de partir, le vent n’étant pas régulier. Il nous confirme que la surface portante des ailerons n’est pas suffisante pour permettre à l’autogire de planer sans l’aide de son hélice sustentatrice.

Bien sûr, lorsque le public comprit que le moteur s’était arrêté en vol, n’entendant que le seul bruit du rotor, des spectateurs imaginèrent le pire ... jusqu’à ce que l’aéronef se pose en douceur comme un parachutiste professionnel : Cet autogire, qu’on nous présentait comme devant révolutionner la navigation aérienne fonctionna parfaitement et ne déçut point le public qui fit à l’aviateur une ovation grandiose et tout à fait justifiée. En résumé, la réalisation de l’autogire La Cierva est particulièrement intéressante, avec de grandes qualités ADAC dirait-on de nos jours : Distance d’atterrissage : 1,80m ; Distance de décollage : 28m ; Vitesse ascensionnelle 152m/min.

Effet limité en Suisse, momentanément…

Après ses démonstrations au bord du lac Léman, l’autogire est notamment présent à Berne, le dimanche 21, où il sera piloté par Rawson mais aussi par l’allemand Günther Groenhoff (1908-1932). Le 26 il est à Bâle. On le cite aussi à Planeyse (NE). Le 3 juillet il rejoint à nouveau Berne car la firme Alpar s’y intéresse. Après des démonstrations de Rawson, ce biplace en doubles commandes voit des pilotes helvétiques s’initier au pilotage d’un autogire. En janvier 1935 Alpar possède enfin son autogire (Avro C.30A, HB-MAB), unique appareil du genre en Suisse et pour longtemps. Grâce à l’instructeur anglais Richardson, il forme quelques pilotes suisses dont Robert Gsell (1889-1946), brevet no.2, et Victor Glardon (1902-1957). On verra notamment le HB-MAB au meeting de Viry du 19 mai 1935 près de Genève. Alpar imaginait pouvoir transporter des clients vers des stations de skis mais hélas l’appareil est déjà détruit en juillet ! Quant au 1er suisse breveté autogire il s’agit du doyen des aviateurs suisse d’alors, le major de cavalerie Hermann Nabholz von Grabow (1869-1955), brevet décroché le 14.10.1934.

La carrière du G-ABFZ, elle, n’est pas terminée. L’appareil est modifié et transformé en C.19 Mk.IVP (04.1932) maintenant la propriété du pilote J.N.Young. Ce dernier quitte Hanworth le 25 avril 1932 pour un raid jusqu’au Cap en Afrique du Sud. On le voit en escale à Beauval, près d’Amiens (F), puis à Abbeville. Il continuera courageusement ainsi par brèves étapes jusqu’au Caire (Egypte) où il choisit finalement d’abandonner son raid. Le 18 décembre 1935 Young vend l’autogire au capitaine Holman Roland Stanley Howe, basé à Ford Naval Air Station (GB). L’autogire sera retiré du service et ferraillé en 1937. Entre-temps, le 9 décembre 1936, Juan de la Cierva était décédé à 41 ans dans un accident aérien près de Croydon, à Purley.

Mais en général, par maints aspects, les autogires ont bien représenté le nec plus ultra en matière d’aéronautique légère dans les années 30. De nombreux appareils seront construits en Angleterre et en France, civils mais aussi militaires. Un regain d’intérêt pour ces aéronefs se reverra dans les années 60 (Russie, Grande-Bretagne etc) et avec encore plus de succès grâce à l’existence de la catégorie ULM ou équivalente (Italie, France, USA etc.). Ils n’ont jamais été aussi nombreux dans le ciel que de nos jours (voir : Récit).

 

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Le C.19 G-ABFZ dans sa version IVP, avec 3 pales, pour le raid Grande Bretagne-Afrique du Sud de 1932.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  samedi 12 mai 2018
[05.2018] Premiers autogires en Suisse G-ABFZ, HB-MAB, G-ACWR, la formule La Cierva n’y fait pas recette (1931-1937) (diaporama n&b, 24ph, 02’20’’, 6Mo). Format MP4.

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