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Dufaux-4 : premier avion suisse produit en série et à porter le drapeau suisse (1909-1911) [2 vidéos]

 

Né dans l’atelier de Corsier, ce biplan monoplace à véritable fuselage, fait ses premiers vols à Viry en décembre 1909. Il donnera naissance à la petite production en série des Dufaux-4 et Dufaux-5 (1910-1911) dont une quinzaine d’appareils sera construite. C’était le plus performant des avions suisses des premières années de l’aviation helvétique sur lequel on devait apprendre à voler seul !


Henri Dufaux et son chapeau melon, aux commandes du Dufaux-4 à moteur Anzani, en mars 1910 à Viry.

Un prototype débuté à Corsier qui est transporté à Viry

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Dufaux-4 à moteur ENV sans l’hélice.

Mi-septembre 1909 : Quelques ouvriers des deux frères Dufaux travaillent à Corsier (GE) sur le prototype de leur premier avion. Le 5 octobre, Armand et Henri commandent un moteur 3 cylindres Anzani de 28 CV, type « Traversée de la Manche », prêt à y fixer une hélice, demandant le sens de rotation du moteur. La Cie de transport « Natural-Lecoultre & Cie » ne livrera ce moteur que le 8 novembre. Le 11, les Dufaux estiment que le prix de revient de l’aéroplane sera de 4.600F, soit 46.000F actuels.

Le 20, les deux frères commandent à Continental 50m2 de tissu caoutchouté, avec 1 kg de colle et de bandes gommées spéciales, à livrer dans les 8 jours (couverture des ailes). Le même jour ils annoncent à l’entreprise Mégevet, constructeur naval genevois, la construction d’une série d’avions qui seront prêts dans 3 ou 4 semaines et tentent d’associer Mégevet à leur société d’étude. Ce même mois, les Dufaux font réaliser différentes pièces, certaines par 100 exemplaires, à diverses entreprises de la place de Genève. Pour cet avion, l’hélice de 2,10m de diamètre tournera à 1.400 t/m, au pas de 0,85. Le 27, souhaitant participer au concours de l’Automobile Club de Suisse (AuCS), récompensant le 1e aéroplane suisse capable de parcourir 1 km en circuit fermé, ils cherchent à trouver un moteur suisse de 28 ou 15 CV en remplacement de l’Anzani français qui n’est pas encore livré (le règlement l’oblige).

Le 3 novembre, ils recherchent auprès de l’Aéro-Club de France des emplacements pour tester leurs avions. Le 15, ils contactent l’aérodrome de Savigny-sur-x ?, celui de Pau (27 nov.), puis la Société d’aviation de Berne (6 déc.) en fournissant des données sur l’avion : envergure de 8,50 m, surfaces portantes 24m2, poids total 175 kg, moteur Anzani 25-30 CV. Pau leur répond notamment qu’il n’y a pas de place pour eux. On cherche donc toujours un terrain, même hors du canton. En France voisine, on visite la plaine qui précède Gex, la baronne de Viry, Valleiry. Le 4, un schéma esquisse déjà ce que sera l’appareil de série. On commande le réservoir d’essence en laiton chez Mégevet, avec croquis. On assemble finalement l’appareil.

En décembre 1909, dans le champ étroit de la Gabiule (Collonge-Bellerive, GE) débutent les premiers essais de roulage. L’appareil se montre très stable et très souple. La connaissance du système de pilotage donne satisfaction. Les ailerons sont commandés par un volant en rotation ; la gouverne de profondeur par le même volant basculé en avant ou en arrière. La trajectoire latérale est orientée par un levier aux pieds du pilote. S’en suivent des sauts de 100 à 150 m, mais "pas plus haut que le sommet de l’herbe. Comme ce terrain est trop petit, il est prévu que les véritables essais de vol se dérouleront à Viry, en Haute-Savoie (F).

Roessinger et Cie assure l’avion Dufaux (police no.14013) qui sera transporté à Viry. Le 14, Mégevet confirme que l’avion est à Viry. On dit alors qu’il s’agit du 1er biplan à queue (= à fuselage). Comparé au Blériot qui a le même moteur, la surface portante est doublée, il s’agira donc d’un excellent planeur et son poids lui est inférieur de 45 kg.

Premiers envols du prototype à Viry

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Le Dufaux-4 à moteur rotatif Gnome, à Brigue, en septembre 1910, piloté par Taddéoli.

Le jeudi 16 décembre 1909, l’avion est assemblé. Les ailes se montent et se démontent rapidement grâce à 4 boulons. A midi : 1er essai de roulage. L’appareil commence à décoller, et vers 14h, il réalise un 1er vol réussi. L’aéroplane s’est élevé à 2 m environ, après avoir parcouru 100 à 130 m. Comme le sol du terrain n’est pas complètement prêt, l’allumage a été coupé et l’appareil s’est donc posé. Quelques minutes plus tard, c’est une 2ème envolée réussie mais les 2 pneus éclatent à l’atterrissage et une roue est fracturée. Les 2 aviateurs, ont piloté leur aéroplane à tour de rôle. Le soir à 16H30 notamment, Henri Dufaux s’élève jusqu’à 1,5 m, sur un terrain rendu franchement mauvais par le dégel. Le « Dufaux-4 » est d’une grande stabilité grâce à son empennage arrière. Vitesse d’atterrissage : 45 km/h. Vitesse maximale de vol : 75 km/h.

Beaucoup d’articles citent la date du 24 décembre 1909, jour de Noël ( ?), pour le 1er vol de l’appareil et l’accident d’Henri ce qui est contredit par les quotidiens genevois de l’époque et leur correspondance. Encore un commentaire amusant d’Henri Dufaux, lors de ses 100 ans en 1979 : "Quand je pilotais je portais toujours mon chapeau melon. Mais maintenant, comment pourrait-il demeurer sur ma tête ?"

Le vendredi 17, après 3 tentatives infructueuses et devant une assistance assez nombreuse, Henri Dufaux tente un dernier départ vers 16h. Il roule d’abord sur environ 150 m sur un terrain boueux, puis l’appareil, oblique vers le ciel. A cet instant, on a l’impression que le pilote tient bien sa machine en mains. Tout à coup, un accident qui aurait pu avoir de graves conséquences se produit. L’aéroplane est à 15 m de hauteur lorsqu’Henri essaye un des ailerons de virage. L’appareil s’incline fortement sur la gauche, puis pique vers le sol en donnant entièrement sur l’aile gauche. Avant que l’on soit arrivé sur les lieux de la chute, Henri Dufaux se relève de lui-même, sans la moindre égratignure. L’appareil a les deux ailes hors d’usage, ainsi que l’hélice. Le moteur est intact. Henri Dufaux dit en souriant « C’est mon inexpérience qui est la cause de l’accident. » En 1979 il dira encore : « Bien sûr. Nous avions des problèmes car mon frère était beaucoup plus lourd que moi. De plus, le moteur de l’appareil était très tangent, L’avion ne pouvait décoller que si j’étais seul à bord. Après, nous y avons apporté des modifications."

Le 20, suite aux vols des Dufaux, M. le comte de Viry décide de créer sur son vaste pré un aérodrome modèle. Des travaux seront entrepris. Le 28, la presse mentionne que l’appareil est réparable et sera au meeting de Planeyse les 9, 10 et 11 janvier. Le 29, la Société de l’Aérodrome de Viry (SAV) est constituée. Les Dufaux versent une part de 2.500F (25.000F actuels). Fin décembre, les Dufaux annoncent à une clientèle potentielle le prix de vente de l’avion en série, pour 12.000F (120.000F actuels), moins 15% de rabais (à certains), avec un délai de livraison de 2 mois. Les Dufaux augmentent le capital de leur société lors de l’assemblée de fin décembre.

Le 4 janvier 1910, les Dufaux annoncent à leur assureur qu’ils ont entrepris la construction d’aéroplanes dans un atelier situé 22 rue du Grand Bureau aux Acacias (GE). Valeur des 5 avions en construction à assurer : 56.500F. Le 5, les Dufaux manifestent leur intérêt envers d’autres moteurs plus puissants que l’Anzani qui seraient utiles pour le Prix de l’AuCS, dont le moteur Ajax (Zurich). Le 6, ils contactent la firme ENV, au sujet d’un moteur anglais de 40 CV, à carburateur. Contacts également avec les frères Seguin, à Lyon, pour un moteur Gnome à injection directe.

Débuts de la carrière publique de l’avion

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Profil du Dufaux-4 de 1910.

Le 9 janvier, Armand Dufaux arrive dans la journée à Planeyse pour le meeting et assemble l’appareil. Les 9, 10 et 11, les deux frères renoncent à faire décoller leur biplan en raison d’un vent trop violent. En février commande d’une série de réservoirs d’essence en laiton chez Jules Mégevet (GE) à 35F pièce. Le 12, le prix de revient du 2ème avion construit se monte à : heures 2.950F, matériel 8.221,60F, moteur 5.335,70F. Total 16.500F (165.000.- actuels). Parution de photographies dans les quotidiens suisses : La Patrie Suisse, Automobile et Sorts, etc. Le 7 avril, les Dufaux passent des annonces dans le journal l’Aérophile. Le 15, Paul Tournier, pilote de course chez Pic-Pic, fait un atterrissage forcé sur un Dufaux qui est détruit. Il fera de plus beaux vols en novembre quand il achètera son propre appareil.

En mai, les Dufaux commandent une hélice Ratmanoff (diamètre 2,354 m) pour le moteur ENV (Paris) de 40 CV, type D, traction de 180 kilos. Le moteur pèse 75 kg y compris la magnéto, et tourne à 1.600 t/min., consommant 15 L/heure. Le prix du moteur est de 6.425F (rotation vers la gauche, vue du pilote). Puis démonstration du "Dufaux-4" à moteur Anzani devant la commission militaire suisse. L’appareil est déclaré inapte aux missions militaires. De ce refus les Dufaux penseront à créer une version améliorée de l’appareil, futur Dufaux-5.

La date de livraison du moteur ENV est inconnue : moteur no.16, série 2, 8 cylindres à 4 temps d’une cylindrée de 8L et de 42 CV. Il y a donc les travaux de son installation sur le châssis à la place de l’Anzani. Le 16 juin à Viry, les Dufaux font plus d’un tour pour régler ce moteur ENV. Le 12 juillet, Armand fait un vol d’entraînement de 31’30’’. Magnifique performance. L’appareil à moteur ENV couvre 18 tours de piste soit environ 36 km en 31’30’’, à 10 m de haut. Après avoir passé une bonne partie de l’après-midi à des réglages avec l’aide de son frère Henri, Armand décolle peu après 19H ... Sans essai préalable, il roule sur 80 m et prend immédiatement son vol pour couvrir la distance annoncée, d’une allure régulière et dans un style « très plaisant ». Il s’arrête finalement devant la tribune, pour la seule raison qu’il s’ennuyait dans les airs. Des ambitions diverses peuvent alors naître ...

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Le 1er avion suisse à porter la Croix fédérale, dès août 1910, avec son empennage codé "2" ou "10".

Le dimanche 18 à Viry, devant un nombreux public, il y a un vent assez violent et après de longues heures d’attente, à 8H moins quelques minutes, le vent ayant faibli, Armand Dufaux s’élève mais ne peut aller bien haut, car il a trop de remous. A certains moments son aéroplane monte au-delà de 10 m.... »

Le 10 août, on attend M. Tournier, pilote de la maison Piccard, Pictet et Cie, qui vient de faire l’acquisition d’un aéroplane Dufaux, qui a été vendu à 2 autres clients (dont 1 à R. von Unruh, à moteur Sigma). L’intérêt de la matinée est devant le hangar Dufaux. On essaye le nouveau moteur Gnome jusqu’à midi, sur un 3ème appareil. Le sens de rotation de l’hélice est à gauche, vu par le pilote. Ce moteur coûte 12.770F (127.700F actuels).

Puis tout s’enchaîne et viendront : le Meeting de Viry du 14 au 21 août (voir : [Récit-244]). Le 28, c’est la fameuse traversée du lac dans sa plus grande longueur (voir : Récit), puis l’école de pilotage en automne avec des appareils biplaces, la présence dans de nombreux meetings en Suisse, l’essai en tant qu’hydravion, etc.

Quelques caractéristiques techniques du prototype

Le châssis en bois de l’appareil, de coupe triangulaire, ne pèse que 16 kg, sans moteur et sans les ailes. Ces dernières ne sont pas gauchissables comme sur le Blériot et la stabilité latérale est obtenue au moyen d’ailerons situés entre les 2 plans à gauche et à droite. De ce fait on baptisa parfois cet appareil de "biplan et demi" ! Quant au train d’atterrissage, il est composé de 2 roues de motocyclette fixées directement et sans ressort au châssis à l’avant et d’un patin à l’arrière. Le bois entrant dans la construction de l’appareil est du frêne, du sapin d’Amérique, du peuplier et du cotonnier.

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Biplan monoplace Dufaux-4I Moteur Anzani : 25-30cvI Surface portante : 24m2I Longueur : 9.50m
Envergure : 8,50mI Hauteur : 2,70mI Poids total à vide : 180kgI Poids maxi en vol : 320kg ?
Vitesse de décollage : 42km/hI Vitesse maxi. : 55-60km/h I Vitesse d’atterrissage : 45km/hI Diamètre hélice : 2,10m
Tours/minute : 1.400t/minI Pas de l’hélice : 0,85I Plafond pratique : 500m/merI Autonomie : 32minutes
Poids du fuselage : 16kgI I I
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Henri Dufaux cite aussi en 1974 : "Oui mais Blériot .... Enfin, on en parlait beaucoup, mais c’était rien. Il a traversé la Manche, c’est vrai. Mais au niveau de la mer, les difficultés n’étaient pas les mêmes que pour nous qui, à Viry, étions à plus de 300 m au-dessus du niveau de la mer. C’était déjà un record du monde d’altitude !"

Premier avion suisse à porter le drapeau helvétique

Sur de rares images du meeting de Viry d’août 1910, le châssis du Dufaux-4 portant le code "2" ou "10" sur la dérive, est décoré de la croix fédérale le long du flanc droit du fuselage sous l’aileron arrière. Cet appareil se verra également au meeting de Brigue (septembre), Berne et Planeyse (octobre) etc. et servira de base à la construction de l’hydravion Dufaux (voir :Récit).

Il s’agit de la plus ancienne présence du drapeau suisse sur un plus lourd que l’air, et qui apparait en premier, curieusement, en Haute-Savoie.

 

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Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 15 août 2005
  • Pour plus d’informations, voir : Les avions des troupes d’aviation suisses depuis 1914, de Jakob Urech. Ed. Th. Gut et Cie, CH-8172 Stäfa, ZH, 366p, ills.
  • - Ils sont au moins une vingtaine à avoir piloté un avion Dufaux : 1909 : Henri Dufaux, Armand Dufaux. 1910 : Emile Taddéoli, Paul Tournier, William Beamish, Ernest Failloubaz. 1911 : François Durafour, Paul Beck, Enrico Cobioni, les élèves d’Avenches George Cailler, Maurice Perret, Otto Charmey, Charles Girod, Gustave Lecoultre, MM. Hollinger et Knutti. Fin 1914 : Henri Kramer, Riccardo Brauzzi. 1916 : Marcel Pasche, etc.

    [05.2014] Une vingtaine de pilotes d’avions Dufaux (1909-1916) (diaporama musical, 2’42’’, 7Mo). Format MP4.

    - L’avion fut exposé 2 semaines dans un hangar de Cointrin, au sein d’une exposition liée au grand meeting aérien de 1955 (voir : Récit).

    [04.2007] Le Dufaux-4, 1909-10 (vidéo-diaporama, n&b, musical, 02’, ≈40 Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

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