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Genevois vainqueur de la 10ème Coupe Gordon Bennett de ballons en Belgique (1921) [1 vidéo, 1 audio]

 

Malgré un ballon de dix ans d’âge et un équipement acheté à la hâte, le leur a été en partie volé en chemin, le Genevois Ansermier gagne la coupe Gordon Bennett pour ballons de 1921. Accompagné de P.Armbruster, ils font face à une douzaine d’équipes nationales équipées à neuf et passeront des heures seuls au-dessus de la mer, atteignant une petite île irlandaise en pleine nuit, sains et saufs.


A quelques secondes du départ de la Coupe Gordon-Bennett de 1921 près de Bruxelles. Au centre et futur vainqueur, le ballon suisse "Zurich" du Genevois Ansermier.

Comment faire du neuf avec du vieux

L’aéronaute Genevois Louis Ansermier (1869-1954), propriétaire du garage Renault de la rue de Lausanne (voir Biogr.), s’est inscrit avec son ami Paul Armbruster (1874-1938) à la compétition de 1921. Ils vont utiliser le ballon à gaz "Zurich" qui a déjà plus de 10 ans d’âge et participé notamment aux compétitions de 1912 et 1913. La coupe Gordon Bennett de 1921 se courre depuis les environs de Bruxelles, à Solbosch, le dimanche 18 septembre. Avant la course, une grande crainte demeure : si le vent est orienté à l’est, on interdit aux aéronautes de dépasser les 25 degrés de longitude, car le chaos règne en Russie ! Heureusement le vent sera contraire. Louis Ansermier fait un récit circonstancié de ces 2 journées de gloire, de cette 2ème victoire suisse en 13 ans, qui permet de revivre cette manifestation ainsi que les dangers qu’elle pourrait receler.

Extraits du récit du capitaine Louis Ansermier :

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Ansermier et Armbruster à Bruxelles avant le départ (1921).

Nous arrivons à Bruxelles le 15 septembre où nous avons expédié notre ballon quelques jours auparavant. A notre grande surprise, nous constatons que la nacelle, des cordes et plusieurs instruments manquent. Nous les cherchons, envoyons des télégrammes çà et là, mais en vain. Plus tard nous apprendrons que des officiers des douanes amateurs de ce sport ont laissé passer l’enveloppe et le filet sans problèmes mais qu’ils ont purement conservé la nacelle avec son contenu. Nous achetons une nacelle et un guiderope et passons du temps à fermer le panneau d’échappement qui a été collé, ouvert, collé à nouveau et encore pendant des années. Nous devons faire face au risque de rencontrer un accident et de nous poser à cause du fonctionnement anormal de ce panneau.

Le président de l’Aéro-club de Belgique, M. Jacobs, aussi bien que le gagnant de la Coupe de 1920, le lieutenant Ernest Demuyter, nous aident dans toutes les étapes et d’une manière très amicale. Les officiers du service aérien belge en font autant. Dans le hangar, nous contrôlons le ballon, réparons le filet et sommes prêts pour le gonflement sur le terrain de Solbosch, proche de la forêt de la Cambre, le samedi 17 septembre. Les 14 ballons sont alignés et se gonflent simultanément car on donne la même qualité de gaz à tous les compétiteurs. L’après-midi le gonflage est interrompu à 18h pour permettre d’amener une pression de gaz suffisante dans les foyers belges des alentours. A 21h, le gonflage repart. Nous restons toute la nuit à le superviser, même si nous savons que nous allons passer une autre nuit sans sommeil dans l’étroite nacelle du ballon.

Tôt le matin, pendant qu’Armbruster prend son tour de garde, je prends le temps d’admirer le matériel neuf des nos concurrents. Nous, suisses, concourrons contre la chance car notre matériel est ancien, nous volons à nos propres frais et payons le gaz par nous-mêmes, alors que nos concurrents sont aidés par leurs gouvernements, possèdent des ballons neufs et ne manquent de rien pour un vol de longue durée. Comparons : l’enveloppe et le filet sont neufs, les nacelles, à plusieurs parois de rotin, possèdent des rangements servant de siège. Des sacs contiennent de nombreux livres, cartes et atlas, une bouteille d’oxygène sur le plancher et aussi des hamacs pour le repos du pilote et de son compagnon ; supplément de cordes, bouées de sauvetage, gilets, etc.. Je ne veux pas parler des vivres et des boissons. Mais là encore : boussole, altimètre, barographe, thermomètre, lampes électriques, embouts, masques à oxygène, une voile de lin pour servir comme guiderope au-dessus de la mer. Déprimé, je retourne à la nacelle du vieux "Zurich" qui ne possède pas tout ce luxe, hélas. Je ne parle pas des mes impressions à mon coéquipier, mais regardant notre drapeau flotter, mes souhaits en une victoire augmentent.

Le dimanche les ballons gonflés se balancent doucement dans le vent. Nous maintenons le "Zurich" près du sol, aussi il bouge moins et résiste aux éléments comme un vieux chêne. Nous sommes prêts depuis longtemps. Les officiels nous demandent de partir car les autres sont en retard. Nous acceptons et commençons à nous élever. Juste à ce moment, notre représentant M. Bally et le chancelier du corps diplomatique suisse, M. Federer, nous adresse un court discours et tend vers le ciel un magnifique bouquet de fleurs orné de rubans aux couleurs nationales belge et suisse. Je le remercie chaleureusement et l’on me remet encore un télégramme du président de l’Aéro-Club de Suisse, le colonel Messner, nous rappelant que les Suisses ne se sont jamais rendus en combat. Un ami suisse, le major Sorg, donne l’ordre traditionnel du "Lachez tout !".

Doucement nous nous élevons, le ballon grimpe. Un vent d’est nous pousse rapidement vers la forêt proche et nous passons juste au-dessus des arbres. Il est exactement 16h57. Nous saluons la foule, lançons quelques fleurs offertes par la délégation suisse, préparons nos instruments de mesure, ce que nous ne pouvions faire avant, et volons dans la direction de la mer du Nord : est-sud-est/ouest-nord-ouest. Nous survolons Alost, Gand, Bruges et à 19h21 atteignons la côte belge à Ostende avec une vitesse de 12 m/seconde (48 km/h). Maintenant la nuit descend, de nombreux navires naviguent dans la Manche, des faisceaux lumineux français et belges nous cherchent. Contrairement à la règle, nous ne transportons pas d’éclairage et aucun autre ballon n’est en vue.

Spectacle nocturne au-dessus de l’Angleterre

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Ansermier et Armbruster.

Après 1h34’ nous traversons la Manche en approche de Ramsgate, le 1er village anglais, traversé à une altitude de 880m. Le ciel est clair, nous survolons la Tamise, atteignons Londres-Wollwich à 22h25, traversons la capitale dans sa longueur, à la même altitude. Des milliers de lumières nous enchantent et sommes impressionnés par l’activité nocturne de cette ville de 7 Mio d’habitants. Nous pouvons très distinctement identifier des piétons aux carrefours des rues, les tramways, ponts, le fameux Hyde-Parc. Ce spectacle est merveilleux et nous en profitons durant une heure. A 01h06 du matin, nous sommes au-dessus d’Oxford. A 03h50’ au-dessus de Cheltenham. Et même si nous n’avons pas dormi la nuit précédente, je ne ressens aucune envie de dormir en étant de quart. Armbruster dort bien sur un sac de lest, dans un coin de la nacelle. Les couches basses nous transportent à environ 10 degrés plus au nord que les couches plus hautes. Nous traversons Hereford et la nuit m’apparaît de plus en plus longue, mais la température de +5 degrés est tolérable.

Parfois je laisse le faisceau de ma lampe électrique Lucifer passer sur les instruments de bord, car je sens un changement. Nous approchons d’une région montagneuse d’une altitude de 1.000m, devant le golfe de Cardigan, et de temps en temps nous sommes fortement secoués, alors je n’attends pas et largue quelques sacs de lest. Presque une éternité se passe avant le levé du jour. Finalement l’horizon s’éclaire, les villages apparaissent et dans le lointain je peux deviner la mer. Je discute avec Armbruster et ne veux pas risquer de m’éloigner en mer d’Irlande sans son accord. Nous acceptons et décidons aussitôt de la traverser et de nous poser sur la côte atlantique de l’île, la dernière frontière de l’Europe.

A 7h30 nous survolons New Quay et sommes maintenant au-dessus de la Mer d’Irlande, après avoir couvert 450km en moins de 4 heures et tenu plus de 18h au-dessus de la mer. Nous quittons la terre et grimpons à 1.600m, un fort vent domine, nous sommes dans une mer de nuages et ne voyons plus rien. Armbruster observe. A 9h, à 11h, toujours du brouillard ! A midi nous sommes à une altitude de 2.050m ; le brouillard disparaît et nous pouvons voir la mer. Un bateau à vapeur se rend vers Dublin ; il pense que nous sommes en danger, nous appelle avec sa sirène et croise notre route. Comme nous n’avons pas de radio nous ne pouvons lui communiquer nos plans et le remercions. Nous voyons un ballon au-dessus de la mer, à environ 80 degrés de notre position, mais même avec le télescope nous n’arrivons pas à l’identifier car son drapeau est de petite taille. En vain je recherche d’autres concurrents à l’horizon, j’en conclus que nous sommes seuls dans la région.

Les pieds dans l’eau à jouer avec le lest et le reste

Nous volons parallèlement à la côte sans la voir. Le vent a tourné n’a plus de vitesse du tout et nous conduit doucement vers le nord. Depuis 4h nous devrions être en Irlande. A 15h, les vents changent subitement. Nous descendons sur la mer, les embruns nous aspergent, le lest s’humidifie et devient compact ; nous avalons de l’eau salée, jetons 100kg de sable, grimpons et retombons. Un autre jet de lest et nous grimpons à 3.600m. Mais là haut nous ne trouvons pas de vent favorable. A 15h55, nous tombons à nouveau vers la mer et n’avons plus de lest, mais grimpons heureusement à nouveau. A 18h nous sommes à une altitude 700m et pouvons voir la côte d’Irlande à travers le brouillard. Parfois il m’apparaît que nous nous en rapprochons, mais le vent change encore. Nous jetons par-dessus bord les sacs de lest vides, pesants d’humidité, suivis par une bouteille de Saint-Emilion et d’Appolinaris. A 19h, la nuit descend doucement. Depuis longtemps les navires ont disparu. Nous pensons que notre dernière heure est venue, bien que nous ayons réfléchi à cette éventualité avant le départ. Mais si un sentiment est bien présent en nous, c’est celui d’obtenir la victoire pour notre pays !

Depuis notre 1ère chute en mer, la grosse boussole est hors service, pleine d’eau salée et de sable. J’utilise ma petite boussole personnelle et j’ai déjà marqué l’emplacement où nous devrions couler. Armbruster pense toutefois atteindre la côte d’Irlande, mais je suis sûr que dans 2h nous arriverions à la fin. Le vent nous repousse vers la mer, en direction du nord-est, vers l’Ecosse, à 180-200km de là. Nous enfilons nos gilets de sauvetage. Je n’ai pas trop confiance en eux, même si je suppose qu’ils nous maintiendront des heures, car la nuit est longue et il n’y a pas de navires dans cette zone, nous n’en avons pas vu un durant les 3 dernières heures de jour. A 20h, c’est la nuit complète. Les yeux tentent de percer la nuit, les batteries de nos lampes sont vides, seule une lampe Jupiter envoie des rayons sur le baromètre qui donne une haute pression et altitude terriblement basse.

La Suisse gagne la Coupe Gordon Bennett pour la 2ème fois !

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En 1922, les 3 ballons réunis : De g. à d. les "Genève" (no.19), "Zurich" (no.20 ) et "Helvetia" (no.18).

Nous voyons enfin une île apparaître, tache noire au milieu de vagues ; doucement nous nous en approchons. Le vent nous pousse vers son angle nord-est ; je lâche la "trail-rope". Le ballon s’approche de cette île de chance ; nous ouvrons la valve plusieurs fois et descendons doucement. Armbruster tire le panneau d’échappement, le ballon se pose doucement au sol sur un lit de buissons et s’affaisse comme un animal mort. Il est exactement 20h20. Bien sûr, nous ne connaissons par le classement, mais j’ai l’impression d’être parmi les premiers et que les autres concurrents sont plus au sud. Nous lisons nos instruments et alors nous comprenons que nous avons couvert 756km, à une altitude maximale de 3.600m et avec une durée de vol de 27h23’. La Suisse gagne la Coupe Gordon Bennett pour la 2ème fois !

L’île de Lambay (Irlande), où nous nous sommes finalement posé, se situe au 6ème degré ouest de Greenwich et au 53,30 degrés de latitude, à 8km des côtes irlandaises. Le prochain village est appelé Rush. L’île appartient à un noble britannique, Cecil Baring, absent en ce moment. Sa fille de 17 ans nous reçoit dans son vieux château du 15ème siècle, dans lequel aucun luxe ne manque. Le jour suivant, l’enveloppe est repliée avec l’aide de quelques domestiques de notre hôte, un bateau de pêcheurs nous amène à Horth près de Dublin où nous mettons le ballon dans le train. A Dublin nous prenons le temps d’admirer les beautés de la ville et de nous mettre à la disposition des journalistes et photographes. Armbruster s’en va vers Bruxelles, où il reçoit un fantastique accueil cérémoniel, pendant que je retourne aussi vite que possible au baraquement militaire de Berne pour une période militaire en tant que capitaine aérostier.

Grâce à Ansermier et Armbruster, la Suisse organisera la coupe Gordon-Bennett de 1922, qui se tiendra à Genève, près de l’ancienne usine à gaz de Vernier (voir Récit).

 

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Les ballons partis de Belgique se sont posé en Gde-Bretagne et Irlande. Celui d’Ansermier et Armbruster figure en haut et à gauche de la carte.

Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 13 décembre 2005
  • Pour plus d’informations, lire Schweizer Luftfahrt, vol.1, par E.Tilgenkamp. Ed. Aero Verlag, ZH, 1941, 384p, ills, à la "Librairie ".
  • [02.2014] Louis Ansermier : témoignage radiophonique sur la Coupe Gordon-Bennett de 1921 (interview sonore du 18.09.1941 par Me Suès, durée 09’). Lien vers le site des Archives de la RTS.

    - Ci-dessous, les 3 départs des Coupes Gordon-Bennett de 1921 en Belgique, vainqueur genevois, de 1922 à Genève, vainqueur belge, et de 1923 (Belgique) :

    [03.2015] Les départs de 3 Coupes Gordon-Bennett de ballons à gaz : 1921, 1922 à Genève, et 1923 (vidéo sonore, 3’44’’, 94Mo). Images British Pathé. Format QuickTime 7.5 minimum. Encore visibles Ici et Là !

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