Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
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[article n° 122]
L’Alouette, appareil ornithoptère pour vol musculaire, dernier prototype d’Henri Dufaux (1965) [3 vidéos]

 

Le véritable rêve d’Icare, le phantasme humain de pouvoir voler à l’aide de sa seule force musculaire, fait l’objet d’un Prix au début du 20ème siècle. Les résultats sont insignifiants. En 1959, le concours réapparaît et de grands pionniers s’y attaquent comme Gabriel Voisin (F) et le Genevois Henri Dufaux. La technique progresse et les résultats finissent par être spectaculaires dès 1977. Henri Dufaux n’y parviendra pas mais aura la satisfaction, à 97 ans, de constater que sur le fond il avait raison d’y croire.


Henri Dufaux à 85 ans, assis dans sur la partie centrale de "l’Alouette", prototype pour le vol musculaire. A ses côtés, deux autres pionniers de l’air : François Durafour et Walter Borner.

Plusieurs Prix relancent l’idée du vol musculaire dès 1912

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Des sandows au niveau du plancher montrent que l’action des jambes complète celle des bras.

Plus l’aviation progresse, plus les technologies se développent et plus l’idée qu’un jour on puisse voler avec sa propre force musculaire remplie la croyance populaire et les cerveaux des ingénieurs. En 1912, le copieux Prix Peugeot (F) de 10.000F est destiné à des performances musculaires modestes, à celui qui volera 2 fois sur 10m de longueur. Personne ne le gagne ! Peugeot lance alors un Prix de 1000F pour qui volera 2 fois sur 1m de distance et à 10cm du sol. Gabriel Poulain (F), sur son vélo muni d’ailes fixes, remporte le Prix à Juvisy le 4 juillet, "planant" sur 3,60m et 3,30m à la force des mollets. Le 22 octobre, Rettich gagne un Prix de 500 F pour un parcours similaire.

En Suisse romande, Marius, le frère de l’aviateur Vaudois René Grandjean veut faire de même. La firme Condor met gratuitement à leur disposition 2 bicyclettes d’un poids unitaire de 4,5kg. Marius construit 2 ailes dans l’ancien atelier de Bellerive (Vully) et un beau matin elles arrivent à Lausanne par le train d’Avenches. Catastrophe, les 2 ailes sont semblables, toutes les 2 du côté droit ! René doit en démonter une et la reconstruire. Finalement les essais débutent sur le quai d’Ouchy près de la tour Haldimand. René effectue d’innombrables tentatives, parvient à décoller, à réaliser quelques petits vols planés et même à "glisser" à 20 ou 30cm de hauteur sur presque 15m. Record suisse de 1912 ! Puis une aile se brise et l’aviateur délaisse la "bicyclette volante" pour son monoplan à flotteurs et ses vols de tourisme avec passager. A Genève, le ferblantier-plombier Narcisse Vincent équipe sa bicyclette de 2 plans supérieurs et de 2 ailes-rames tournant avec le pédalier. L’appareil vu en décembre ne fera pas parler de lui.

Le Prix Peugeot est relancé en 1918, il est à nouveau attribué à Gabriel Poulain le 9 juillet 1921 avec un bond à 1,10m de haut, sur 11,72m et 12,30m de longueur (40 km/h) qui emporte les 10.000F. Plus rien ne se passe avant 1959 ou l’Anglais Herbert Kremer offre un Prix de 5.000£, au nom de la Royal Aeronautical Society, pour la réalisation d’un circuit de vol en "8" autour de 2 pylônes distants de 800m, à 3m d’altitude. Des élèves de l’Université de Southampton réalisent un appareil actionnant une hélice au moyen d’un pédalier qui effectue un superbe vol de 500m mais ne peut négocier de virage. Les ouvriers de l’usine de Havilland créent de leur côté un planeur mu à pédales, le Puffin, qui réalise un vol de 800m également sans virage. On cite encore des appareils à ailes battantes construits par Hartman et Perkins (Belfast).

Les résultats progressent significativement et le Prix Kremer, non encore attribué, est hissé à 50.000£ en 1973, avec les mêmes objectifs à atteindre, pour inciter de nouvelles vocations !

Gabriel Voisin et Henri Dufaux, des candidats sérieux pour le Prix Kremer

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L’Alouette dans son ensemble, dans la halle du Palais des Expositions en été 1965.

Henri Dufaux (1897-1980) rencontre le très célèbre pionnier de l’air Français Gabriel Voisin (1980-1973) lors de son passage à Genève en 1962. Voisin œuvre dans "l’aéronautique" depuis 1897 ; il a l’idée d’un projet d’appareil biplan "Canard" à hélice tractive et à énergie musculaire. Visant un poids à vide de 41kg et une surface portante de 30m2, la construction de l’appareil est prise en charge par les élèves de l’Ecole nationale d’aéronautique de Paris et le professeur Marcel Pain (Supaéro). Mais l’école est transférée à Toulouse et le projet n’est plus suivi vers 1965-66.

L’esprit d’Henri Dufaux est stimulé par cette rencontre, il décide d’imaginer puis de réaliser un appareil à ailes battantes, plus ou moins conçu sur le battement de l’aile du cygne et indépendant du fonctionnement d’une hélice. Au 19ème siècle, Marey avait démontré que le battement des ailes était beaucoup plus efficace lorsqu’il se conjuguait avec un mouvement de translation. Le projet Dufaux portera le nom "d’Alouette" et ne devrait pas être un "miroir à alouettes". Dès la fin de 1963 et jusqu’en 1969 le peintre, qui a plus de 84 ans, va s’atteler à cet immense défi.

Que l’on imagine le lieu de sa construction, dans la maison de style italien du 58 de la rue de Lausanne, ornée de statues, cachée par les arbres, dans l’atelier du peintre au 1er étage. Soit l’effet surprenant et l’aspect surréaliste d’un atelier encombré de toiles classiques, de bibelots, de souvenirs ramenés de lointains voyages, de pièces des débuts de l’aviation (1902-1911) de photos et, au centre, occupant beaucoup d’espace, cette future machine volante, légère dans sa construction et sa conception, même élégante et racée, aux mécanismes de fonctionnement à peine visibles.

Un appareil "canard" à ailes battantes utilisant la force des bras et des jambes

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Henri Dufaux, Edmond Audemars, Gabriel Voisin et François Durafour à Cointrin en 1962.

En 1965, l’appareil n’est toujours pas illustré intégralement dans la presse, protégeant des secrets de fabrication : "Nous ne décrirons pas pour l’instant, les nombreuses innovations mises au point et créées par M. Dufaux, pour assurer toute sa puissance à la "portée" de l’aile. Le système est ingénieux."

L’Alouette nous apparaît néanmoins sous la forme suivante : un châssis en bois et métal, canard, avec une roulette arrière ; un siège à dossier en position centrale et au centre de gravité où, comme pour un rameur de skiff, des "rames" ou leviers mettent en œuvre des sandows et des articulations qui donnent aux 2 ailes un mouvement de battement sensé générer le déplacement de l’appareil et sa portance. Sous les articulations en tube d’acier se trouve la roue du train latéral. Les pieds du pilote reposent sur deux pédales-leviers qui mettent également des sandows sous tension. La poutre centrale en pin d’Oregon s’étire vers un empennage "canard" avant. Les ailes sont en bambou du Japon et entoilées. Leurs nervures sont renforcées par une mousse légère et résistance (composite). Les ailes de grande dimension semblent combiner robustesse et légèreté. Le mécanisme d’articulation des ailes reste un mystère encore aujourd’hui mais utilise des pièces en magnésium !

L’ensemble donne une envergure de 15m pour un poids de 120kg. Avec le poids du pilote, il faudra trouver la force musculaire pour déplacer 200kg. Tout le problème de ce vol réside dans la très faible puissance disponible, car un homme non athlétique peut développer environ 1,4cv avec l’utilisation simultanée des bras et des jambes. Pour Henri Dufaux, il s’agit encore de parvenir à la continuité de l’effort pour obtenir une source d’énergie régulière..

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Narcisse Vincent et son "aviette" en décembre 1912 à Genève.

Il convient encore d’équilibrer toute cette construction pour ne pas la déstabiliser par les vigoureux mouvements du pilote et imaginer comment celui-ci gèrera les déplacements latéraux de l’appareil. Homme modeste aux yeux intelligents et souriants H.Dufaux précise : "Il ne faut jamais arrêter de travailler, voilà tout. Je me réjouis d’arriver au bout de mon travail pour débarrasser mon atelier de cette machine. Mais il faut d’abord que je trouve un terrain et un hangar pour les essais, n’importe où en Suisse. Il faut que j’en finisse avec cet appareil si je veux me remettre à peindre. Pour moi ça reste l’essentiel." Ce sage se souvient de ses expériences antérieures : "S’il vole jamais, nous aurons sans doute commencé par faire beaucoup de "petit bois"." A 84 ans, il est toujours aussi volontaire que lors des essais de 1905 !

Henri Dufaux mettra la dernière main à son appareil dans la halle du Palais des Expositions de Genève vers 1969, il a alors 90 ans, et n’arrivera pas à terminer son ouvrage bien qu’ayant encore 11 ans d’existence devant lui. L’appareil, en pièces détachées, est transmis au Musée des Transports de Lucerne où il y est encore, non remonté. Henri Dufaux avait promis d’expédier les plans de montage de l’appareil mais il n’en fit point.....

Le Prix Kremer sera bien gagné et largement dépassé

L’idée dont Léonard de Vinci nous traça l’esquisse trouvera sa réalisation dès 1977. Le 23 août, le "Gossamer Condor", créé par Paul McCready, remporte le Prix Kremer. Cette large aile en matériaux composites ultra-légère (87kg), actionnée par une hélice motorisée par les jambes d’un coureur cycliste, fait un vol de 07’25’’. En 1979, le nouveau Prix Kremer de 100.000£ est remporté par le "Gossamer Albatros", d’une envergure de 29m (32kg à vide), nouveau produit de McCready. Ce "canard" à hélice propulsive arrière traverse la Manche le 13 juin. Puis en 1980, le "Gossamer Penguin, comparable à "l’Albatros", s’élève par ses panneaux solaires, complété de l’énergie de son pilote. Et les hommes n’ont pas fini de dépasser ces limites et de nous épater. Henri Dufaux avait raison d’y croire !

 

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Eté 1965, Henri Dufaux et "l’Alouette" au Palais des Expositions, à Genève. L’avant de l’appareil est à droite de l’image.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 13 février 2006
  • Pour plus d’information : il n’y a que Pionnair-GE.com !
  • - Regard sur quelques tentatives originales de vols musculaires en Europe entre 1920 et 1969. Tant qu’il y a de la vie, y’a de l’espoir !

    [12.2014] Quelques tentatives de voler par ses propres ailes ... ou jambes (1920-1969) (vidéo musicale, 3’55’’, 98Mo). Format QuickTime 7.5 minimum.

    - En 1963, 4 pionniers se retrouvent à Cointrin : Henri Dufaux, Gabriel Voisin, Edmond Audemars et François Durafour, au pied d’une Caravelle.

    [07.2015] Rencontre H.Dufaux, G.Voisin, E.Audemars et F.Durafour à Cointrin (11.1962) (vidéo sonore, 01’). Sur le site de la RTS..

    - En 1970, Henri Dufaux montre le fonctionnement d’une maquette de son aille battante... rare document, en couleurs, tourné dans l’atelier du peintre :

    [02.2015] Henri Dufaux et la maquette de l’aile battante de l’"Alouette" (1970) (vidéo couleur sonore, 01’37’’, 37Mo). Images Autrefois Genève. Format QuickTime 7.5 minimum.

     
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