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Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
[article n° 143]
Philatélistes et candidats au baptême de l’air : les grands bénéficiaires du meeting de Cointrin de 1925 [vidéo]

 

En 1921, le parachute féminin fut la grande attraction. En 1922 les escadrilles militaires suisses occupent tout l’espace. En 1925, le Conseil fédéral interdit au dernier instant l’arrivée d’escadrilles militaires étrangères. Les organisateurs vont se rabattre sur la multiplication des baptêmes de l’air avec les avions disponibles. Du côté philatélique, l’oblitération de vignettes triangulaires laissera des traces pour la postérité avec ses envois postaux spéciaux. En l’air, Plinio Romaneschi fait frémir la foule, suspendu à un trapèze volant.


Carte postale vendue en faveur du meeting de mai 1925 sur l’aérodrome de Genève-Cointrin.

Quand le Conseil fédéral met des bâtons dans les trains d’atterrissages

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Le Handley-Page W8f de 12 places de la Sabena (OO-AH..).

Il n’y a pas eu de meeting aérien à Genève depuis celui de mai 1922 complété par la coupe Gordon-Bennett des ballons à Gaz de Châtelaine (GE) la même année. Un comité d’organisation met donc sur pied un grand meeting d’aviation pour les journées du samedi 30 mai au lundi 1er juin 1925. Selon toutes les critiques il va être le plus important organisé en Suisse cette année là. Des escadrilles militaires de diverses nations doivent pour la 1ère fois fouler le gazon d’un aéroport suisse venant de Belgique, France, Gde-Bretagne et Italie. De grandes affiches couleur de la Société pour le Développement de l’Aviation (SDA) vantent la présence d’une escadrille de chasse françaises : "Ce que vous verrez à la Fête aérienne."

On n’imagine pas que le Conseil Fédéral puisse s’y opposer. Pourtant, à la dernière minute, il interdit aux pilotes militaires suisses et étrangers d’y participer, alors que trois aviateurs militaires italiens sont déjà sur place, prêts à prendre part aux exhibitions à bord de leurs Fiat 750cv (Cdt Sacchi, Lt Alvesi & Lt Baldi). Personne n’a vu venir cette opposition fédérale allant même jusqu’à interdire la venue d’escadrilles suisses ! Quoique les organisateurs aient du prévoir de demander au préalable des autorisations, cette interdiction est un coup dur pour eux et pour le financement de la manifestation. Même les Italiens présents auront l’interdiction de voler durant ce meeting !

Priorité aux baptêmes de l’air et au trapèze volant suspendu sous un avion !

Le comité prend le plus de contact possible avec les compagnies aériennes et l’Aéro-club de Genève dans le but de rassembler un maximum d’appareils aptes à faire des baptêmes de l’air au-dessus du lac et des reliefs proches. Finalement, Ad-Astra Aero enverra un monomoteur Junkers F-13 de 8 places aux mains de Hans Schaer (1896-1942) ; Sabena utilisera un gros trimoteur Handley-Page W8f de 12 places piloté par van Opstal (B). Plusieurs pilotes utiliseront des petits avions, dont les Français Maurice Finat* et Max Knipping* (SDA), René Charpentier (1895-1983), Martenet, ainsi que les pilotes suisses locaux Marcel Weber, Marcel Nappez (né en 1896), Charles Koepke (1896-1975) et Henri Studer ( ?- ?).

*NB : Le destin de Max Knipping sera particulier : Croix de guerre 1914-18, dans l’Aéropostale en 1921-23, puis chez Sabena, Croix de guerre 1939-45, capitaine de réserve de l’armée de l’air, détenteur de 2 records de l’air, il sera colonel et malheureusement patron ad interim de la Milice française dans la zone nord de l’Hexagone et finira exécuté le 5 février 1947. Quant à Maurice Finat, il débute par l’Ecole de pilotage militaire en 1916, sur Farman à Etampes. Il mourra dans un crash au Kenya lors d’un vol record Paris-Madagascar (20.04.1935).

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Plinio Romaneschi accroché à son trapèze volant.

Le capitaine Marcel Weber (1896-1975), chef de l’escadrille 7, est devenu le directeur de Cointrin le 1er juin 1922. Il est donc le patron des événements du meeting qui se déroulent sur la piste en herbe de Cointrin. Les baptêmes de l’air, ça le connaît ! Entre 1922 et 1923, avec un hydravion, il l’a donné à près de 5.000 personnes ! De plus, il s’apprête à offrir bientôt des cours de pilotage pour l’Aéro-club genevois (voir : Biogr.).

Le samedi 30 est réservé à l’exposition des divers avions et le public peut approcher leurs pilotes ou équipages et visiter les plus gros appareils de 15 à 18h. Le meeting aérien se déroule autant le dimanche 31 que le lundi 1er juin dès 15h. On dénombre 25.000 spectateurs le dimanche et moins le lundi, évidemment. Parmi les attractions qui font le spectacle on cite : une course de vitesse, un concours d’atterrissage moteur calé (vainqueur Knipping), une chasse aux ballonnets qu’il faut crever en vol avec l’hélice de l’avion (vainqueur Finat). Le clou du spectacle est centré autour du saut en parachute exécuté depuis le Caudron de Knipping, dont celui d’une femme, à nouveau, la parisienne Fernande Gérard, alors que la parachutiste genevoise Mlle Emilie Christinet (1903-1933), 1ère femme brevetée de Suisse (06.02.1925), ne participe hélas finalement pas au meeting. Présente aussi, la démonstration de l’acrobate parachutiste et homme volant, le Tessinois Plinio Romaneschi (1890-1950). Romaneschi est le phénomène suisse du parachute des années 20’s. Le 29 novembre 1921 il a déjà sauté d’une l’altitude de 6.200m. En 1924 il s’éjecte d’un avion en marche à la vitesse de 240 km/h. A Genève, il ouvre son parachute à 1000m, s’en sépare et en ouvre un second à 500m de haut. Il complète ses exhibitions "à l’américaine" faisant de la gymnastique suspendu à un trapèze accroché sous le train d’un avion :

"Quand je suis à bord de mon avion, tout est pesé, mesuré, calculé. Alors quels risques et quelles sensations ? A peine rejoint le trapèze, assis, je regarde tout au-dessous de moi pour me rendre compte de ma position par rapport au public. Je me place à mon aise, facilite ma respiration et peut commencer. Et c’est à ce moment qu’il faut avoir des bras de fer. Je fais les exercices, plutôt à basse altitude pour que les spectateurs puissent bien me voir et pas trop bas parce que mon parachute ne pourrait plus me servir. Mais bon, tant que les bras tiendrons, tout ira bien et il faut croire que je suis solide. Quand le pilote voit que mon programme de trapèze est fini, il commence à grimper pour me permettre le saut dans le vide. Là je pratique de la manière suivante : je me suspends avec la jambe, la tête en bas, à la barre du trapèze ; puis desserre ma prise et tombe pendant que l’avion continue son propre vol. C’est à ce moment que l’ouverture du parachute frêne instantanément ma chute. Pendant que je descends lentement la tête en bas, je me retourne au moyen d’un simple coup de rein pour ne me rétablir qu’au raz du sol, si je veux finir souplement sur la pointe des pieds."

Il n’a cependant pas toujours réussi à se retourner. Lancé de 1.200 mètres au-dessus de Schaffhouse en 1921, il toucha terre avec la tête en bas ! Mais à Cointrin tout cela s’est très bien passé.

Les philatélistes sont à la fête, dans une débauche de matériel commémoratif

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Parmi les nombreuses vignettes postales triangulaires émises ce jour là.

Olivier Steinhauser : Sur le plan philatélique, les choses ont été faites en grand par les organisateurs et les PTT. Un bureau de poste mobile est installé sur l’aérodrome du 30 mai au 1er juin :

- Une carte officielle du meeting est éditée avec un sujet humoristique.

- Un cachet PTT spécial, violet et commémoratif, est créé pour l’oblitération des timbres.

- Inspiré par l’expérience du meeting aérien de Vincennes en 1924 (F), quatre vignettes triangulaires sont mises en circulation et une rosette de couleur rouge pour les oblitérer.

- On peut coller les vignettes sur le courrier déjà pré affranchi avec des timbres ou sur la carte. Ces vignettes triangulaires portent la mention "Suisse-France" ou "Suisse-Europe-centrale" et pour chacune des 2 mentions, il existe une valeur de 30 ct et une de 50 ct tirés à 5.000 exemplaires la pièce. La vignette avec la mention "Suisse-France" peut être apposée sur la correspondance à destination de Paris qui partira le 2 juin. Celle mentionnant "Suisse-Europe-centrale" est utilisée pour le courrier embarqué sur la ligne Genève—Zurich-Munich.

- Il faut noter que bien des philatélistes ne résistèrent pas à l’idée de coller les 4 vignettes ensemble sur une enveloppe du comité organisateur du meeting. Le produit de la vente des vignettes contribuant à couvrir les frais d’organisation de la manifestation, il en existe plusieurs variétés d’impression.

Christian Noir : On peut dire aussi que le comité d’organisation s’en est donné à cœur joie et s’est même inspiré des vignettes triangulaires crées pour le meeting de Vincennes de 1924 (F). En effet, on trouve sur le marché tous genres de vignettes, essais, dentelées, non dentelés, partiellement dentelées, avec surcharge, etc.

Dans la foulée va se créer le cachet postal permanent propre à Cointrin intitulé :"Aérodrome de Genève (Cointrin)". Ce nouveau tampon entre en vigueur le 1e octobre 1925. Imprimé en couleur noire, il est aussi utilisé en bleu et en rouge. Il faut signaler que seule la date est mentionnée.

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L’affiche du meeting aérien de 1925 à Cointrin.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 6 avril 2006
  • Pour plus d’information, voir : Regard inédit sur Meyrin, de O.Steinhauser & Ch.Noir. Ed. Club Philatélique de Meyrin, 1995, 132p, ills, au Club Philatélique de Meyrin site internet
  • La Genevoise Emilie Christinet est la 1ère femme suisse détentrice d’un brevet suisse de parachutiste, décroché à Berne le 6 février 1925. Son instructeur était le Biennois August Hügli.
  • Cointrin et le meeting de 1925 (vidéo, couleur, sonore, 2’17’’, 55Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

     
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