Des moteurs d’avion légers, puissants et porteur du succès aérien militaire

Moteur en "V" Hispano-Suiza 8Be de 220 CV (1917).

Dans le monde automobile dès 1899, le Genevois Marc Birkigt (1878-1953) connaît le succès de ses automobiles Hispano-Suiza dès 1906. Après Barcelone, il crée une usine en France (1911) qui est promise à un bel avenir. Mais en août 1914, lorsque la Grande guerre éclate, l’atelier de Levallois et l’usine de Bois-Colombes sont réquisitionnés par le ministère de la Guerre et placée sous le contrôle de la société Gnome-et-Rhône afin d’y produire des moteurs rotatifs d’aviation Gnome. Ce n’est plus l’automobile qui retient l’attention, mais les armes capables de donner la victoire. Et parmi elles, une toute nouvelle : l’aviation.

Marc Birkigt rejoint Hispano-Suiza à Barcelone où le gouvernement lui confie l’étude d’un moteur d’avion. Il reprend la disposition d’un moteur 8 cylindres en V à 90°, de 140cv et 11,67 litres, qu’il perfectionne grâce à l’expérience acquise dans l’automobile et sa formation en mécanique horlogère. Les cylindres sont en acier et vissés par jeu de quatre dans la culasse. Le refroidissement est à eau. Pour éviter les fuites, il imagine d’émailler les blocs tout en aluminium, comme sur les automobiles de course. Mais toutes les surfaces sont traitées à l’intérieur comme à l’extérieur. L’arbre à cames en tête, graissé sous pression attaque directement les soupapes. Toutes les pièces en mouvement sont enfermées dans un carter. Les pièces sujettes à fatigue sont doublées : ressorts de soupape, bougies, magnétos. Une technique qu’il généralisera ensuite sur tous ses moteurs, avions comme autos.

Ce moteur révolutionnaire pèse 1,5 fois moins qu’un groupe conventionnel, 185 kg à vide avec ses accessoires, et se prête parfaitement à la propulsion des avions de combat. Ce 1er moteur d’avion assure à l’entreprise un départ fulgurant dans un domaine pourtant tout nouveau pour elle. Prêt à la fin 1914, le moteur est baptisé type 8A (HS-8A). Birkigt va mettre son ingéniosité au service de la nation française. Le moteur est proposé au ministère de la Guerre français en février 1915. Après de fructueux essais imposés par ses concurrents jaloux, le moteur est homologué à Chalais-Meudon à la puissance de 140cv et tient 50 heures (juillet) quand les rotatifs sont garantis pour 10 h ! Quelque 50 moteurs sont testés par divers fabricants et Birkigt ne cessera pas de l’améliorer (jusqu’à 230 CV) durant tout le conflit. Le HS-8A de 150cv est produit en France, en Grande-Bretagne, en Italie et en Russie à plus de 6.000 exemplaires. Il va largement contribuer à permettre aux aviateurs français de lutter à armes égales avec leurs homologues allemands.

Le SPAD, un chasseur performant construit autour du nouveau moteur

La 1ère sortie du SPAD VII (c/n.113) avec Guynemer le 4 septembre 1916.

Louis Béchereau (1880-1970) conçoit le SPAD VII autour du moteur HS. En une époque de chasseurs plus petits et plus délicats, le SPAD est conçu pour réunir puissance, vitesse et force brutale par son efficacité en combat. En plus de la robustesse de l’appareil, d’autres caractéristiques sont favorables, dont un bon taux de grimpé et une altitude de 5.354 m. Il grimpe en 15’’ à 3.000m, vole à 190 km/h et sera le plus rapide des 12 mois à venir. On l’équipe de l’hélice Eclair du futur Marcel Dassault et de mitrailleuses synchronisées tirant à 1.000 coups/minute. Après l’essai du 16 avril, l’armée en commande 268 ex. Les appareils entrent en service dans les escadrilles de chasse françaises au début septembre 1916 changeant toutes les données du combat aérien. Avec lui, 2 escadrilles à elles seules comptent 200 avions ennemis abattus durant 6 mois, un record inégalé par aucune autre unité de la guerre. Les unités anglaises et américaines obtiennent bientôt ce chasseur prisé, accroissant non seulement son efficacité, mais sa place dans l’histoire, comme l’appareil donnant la suprématie aérienne aux alliés.

Dès que le moteur 180cv est disponible (HS-8B), il remplace les HS-8A qui sont reversés à la Marine Nationale pour équiper les 4.500 hydravions de combat commandés en février 1916. En Grande-Bretagne, le HS-8Aa de 150cv et son homologue Wolseley "Viper", construit sous licence, équipent de nombreux chasseurs Bristol 12 F2A, le Bristol 13 M.R.1, l’hydravion Norman Thompson NT-4, les appareils Royal Aircraft Factory B.E.2e et S.E.5a, mais aussi, au début, le chasseur Sopwith triplan et les appareils Vickers F.B. 16A et F.B. 25.

Un des meilleurs pilotes français, Georges Guynemer (1894-1917), s’illustre à plusieurs reprises, à bord de son SPAD VII "Vieux Charles*". Il fait partie d’un groupe de pilotes redoutables dont la mascotte est une cigogne. Pour lui rendre hommage, Birkigt adopte cet emblème, dessiné par François Bazin, qui figurera dès lors sur la grille de radiateur des moteurs, puis sur les bouchons de radiateurs de voitures dès 1919. René Fonck (1894-1953), "l’As des As" qui accumulera 75 victoires homologuées, affirme que : "L’arrivée du SPAD et de son moteur Hispano ont changé la physionomie de la guerre aérienne." Le 27 janvier 1917, Marc Birkigt dépose un brevet pour une autre invention, un canon qui se place entre les cylindres en "V" du moteur Hispano et tire via le moyeu de l’hélice. L’une de ses passions touche aux armes automatiques et il a servi comme armurier dans l’Armée Suisse. Fonck, Guynemer et quelques autres sont les seuls pilotes qui osent utiliser ce fameux canon avec un certain succès.

Un usage dans 8 nations, chez 21 constructeurs et produit à 50.000 exemplaires

Hispano-Suiza.

Pour corriger les faiblesses du V8 de 180cv, sujet parfois à des casses dues à son taux de compression élevé (pistons percés), Birkigt en produit une nouvelle version, le type HS-8B, présenté par sécurité sous deux variantes : le 8B de 200cv à taux de compression élevé (celui du moteur 8Ab) ou à taux de compression bas (celui du 8Aa). La puissance est obtenue par un régime plus élevé, 2.300 tours minute, et donc le réducteur 3/4 devient un équipement standard. Malheureusement, ce réducteur se montre parfois peu fiable et est à l’origine de la casse de plusieurs moteurs. Ce moteur équipe le SPAD S.XI et re-motorise le bombardier Caudron C23 en 1917 (France), les chasseurs britanniques Bristol 16 F.2B, quelques Sopwith Triplans, l’hydravion Supermarine N1B Baby, plusieurs unités d’Avro 530, les Martinsyde F2 et S1, et les appareils Royal Aircraft Factory B.E.12b, N.E.1, S.E.5a et F.E.9. En Russie, il équipe les hydravions Albatros achetés en Allemagne et les M-18 russes, ainsi que les chasseurs Lebed XXIV. En 1917, la firme Wolseley produit 450 moteurs 8Ba de 200cv. Puis le SPAD XIII fait son 1er vol le 04.04.1917 est commandé à 1.000ex., vole à 200 km/h monte en 10’ à 3.000m, c’est le meilleur chasseur de la fin de la guerre, on en construira 8.000 ! Le moteur 8B culminera à 235cv. De nombreuses usines automobiles les réaliseront en sous-traitance.

En moins de 4 ans, de février 1915 à novembre 1918, la firme Hispano-Suiza, via ses usines de Barcelone, Bois-Colombes et des firmes sous licences en France, a produit 49.800 moteurs. Outre les SPAD, des Morane-Saulnier, Nieuport, Voisin français, les Bristol, Vickers, de Havilland anglais et le Loening américains en sont équipés, parmi quelque 21 constructeurs français, anglais, américains, hongrois, italiens, roumain, russes ou japonais. La firme est à la 1ère place mondiale, avec 17.600 moteurs équipant différents appareils, 15.000 rien que sur les fameux SPAD, 10.000 moteurs ont été fournis aux alliés et 7.200 moteurs ont été versés à la Marine Nationale. Le V8 Hispano-Suiza a été fabriqué sous licence à l’étranger, chez Wright-Martin Aircraft à New Brunswick (New Jersey), chez Wolseley en Grande Bretagne à Birmingham, chez Nagliati à Florence et chez Itala/SCAT à Turin en Italie (hydravions), chez Aviachim-Trust à Zaparozhié en Hongrie et chez Mitsubishi-Goshi à Tokyo au Japon. En 1917 un nouveau V8 de 300cv est encore réalisé pour le bombardier Breguet XIV.

A noter que parmi les pilotes d’essai des SPADs sortant d’usine avant leur livraison à la troupe, figurent deux Genevois : Paul Wyss (voir : Biogr.) et le Pâquisard John Domenjoz (voir : Biogr.). Célèbre pilote d’acrobatie d’avant guerre, connu en France, Espagne, Amérique du Sud, USA, Canada, il y officie de novembre 1916 à mai 1917, avant de former aux USA les pilotes militaires américains qui vont venir en Europe.

Le moteur V8 de Marc Birkigt a signé la fin des moteurs rotatifs en étoile et prouvé sa valeur sur des dizaines de milliers d’appareils dans ce terrible banc d’essai qu’est la guerre. Dès lors, des versions plus puissantes vont continuer à équiper l’aviation civile et militaire jusqu’après la 2ème Guerre mondiale, frisant les 4.000cv et accumulant de nombreux records.

Les remerciements d’un grand as de la chasse au constructeur du moteur de son performant chasseur : "A Monsieur Birkigt, en souvenir de la guerre pendant laquelle il nous aura bien aidé. Guynemer".