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[article n° 160]
Premier tour de Suisse sans escale, par François Durafour et son Caudron Phalène (1934)

 

Après avoir arrêté l’aviation durant une douzaine d’années, François Durafour renoue avec l’aéronautique. Devenu l’importateur en Suisse de la firme Caudron, il souhaite réaliser un nouveau record pour marquer l’événement. Ce sera le tour de Suisse en avion, sans escale, effectué en juillet 1934. Déjà réalisé en 1919, mais avec 4 escales, ce trajet n’avait pas encore été réussi non-stop et servira de publicité à la nouvelle activité aérienne de Durafour, jusqu’à la guerre.


François Durafour (à droite en casquette blanche) accompagné de visiteurs devant son Caudron "Phalène" sur l’aérodrome de Cointrin (1934).

Durafour quitte l’aviation pour fonder une famille et reprendre l’air

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Durafour à l’issu du tour de Suisse non-stop.

Après son exploit au Mont-Blanc, un atterrissage et un décollage à 4.331 m sur le Dôme du Goûter qui ne sera copié qu’en 1951, François Durafour (1888-1967) continue de piloter ses deux Caudron G3 durant un an ou deux. A Cointrin, L’aviation commerciale naissante met en œuvre de grands appareils pilotés par de nombreux ex-pilotes militaires de la 1ère Guerre mondiale. Le caractère trempé et le courage de Durafour ne s’accordent pas avec un rôle d’exécutant au sein d’une grande compagnie. Il préfère de loin son indépendance ou changer de métier.

Fin 1923, à 36 ans, il prend enfin le temps de se marier tout en retournant à l’automobile. Il installe un garage à l’entrée de Versoix représentant la marque Mathis puis Chenard & Walcker. Il participe à certaines courses automobiles locales, publicités vivantes de sa nouvelle activité. Son fils Jacques naît en 1924 qui ne connaîtra presque pas sa mère qui décède malheureusement de maladie en 1927. Pour François Durafour et son bébé débute une période très difficile..... qui dure jusqu’en 1933 où Durafour souhaite retourner vers cette aviation à laquelle il n’a jamais cessé de penser.

A mi-1933, la vente de petits avions privés est en hausse et la place enviée d’importateur suisse des appareils de Havilland est accidentellement disponible. Ces biplans connaissent beaucoup de succès. Mais deux candidats la revendiquent. Le Genevois Marcel Weber (1896-1975) quittera la direction de Cointrin pour s’en occuper pendant 27 ans. Durafour va se rabattre sur la représentation de la firme française Caudron qu’il connaît bien depuis 1915 (voir : Récit). Au début 1934 il acquiert un Caudron Phalène, quadriplace et quadri-porte à fuselage en bois, un monoplan à aile haute équipé d’un moteur Renault "Bengali" de 120cv, immatriculé en France (F-AMLU), de couleur verte. Il pratique des baptêmes de l’air, fait le taxi aérien, se voit aux meetings en parallèle aux activités d’auto-école à Genève et d’une petite industrie mécanique à Annemasse (F). A l’occasion du Salon de l’aviation du printemps 1934, conjointement avec Alpar et Swissair (500 baptêmes), Durafour et 4 autres appareils biplaces donnent notamment 200 baptêmes de l’air (27.04/06.05) (voir : Récit).

C’est à cette époque qu’il est très proche de l’héroïne de l’air française Hélène Boucher (1908-1934) qu’il voit aussi décéder dans un crash en novembre 1934 à Guyancourt (F).... Peu avant, en acte publicitaire pour la marque Caudron, et coutumier des challenges à battre, il constate que le tour de Suisse en avion n’a jamais été réalisé non-stop et que ce périple est à la portée de son appareil, ce qu’il va donc réaliser.

Le premier tour de Suisse, avec escales, de 1919

Le 1er et seul tour de Suisse qui ait été réalisé jusque là, date du dimanche 22 juin 1919, effectué par Oscar Bider (1891-1919) mais en 4 escales alors. Le journal bâlois Basler Nachrichten avait demandé à l’écrivain le Dr Theodor Gubler de réaliser ce reportage. Gubler a convaincu Bider de l’emporter sur cet itinéraire d’un peu moins de 900km. L’avion utilisé est un Haefeli DH-3 militaire équipé pour ce test d’un moteur de 200cv de la Fabrique de machines de Winterthur et dont la vitesse maximale atteint 145 km/h.

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Itinéraire non-stop du 12 juillet 1934.

Le départ se fait très tôt le matin depuis le St-Jakobswiese à Bâle (03h41) dans le sens inverses des aiguilles d’une montre, par l’ouest. Bider et Gubler se dirigent alors vers Laufon, Moutier, franchissent le Jura, passent Bürren, Bienne (à 2.800m), puis Estavayer, le canton de Vaud et se dirigent vers Genève, 1ère escale, qu’ils atteignent et où ils se posent sur le terrain de Saint-Georges à 05h35. Ils re-décollent aussitôt pour Lausanne, mais tombent illico en panne d’essence, manquent de chuter dans le Rhône, et se posent à nouveau, en urgence. L’appareil a consommé plus que prévu !

Philippe Latour, rédacteur au Journal de Genève, prévenu de cette escale et levé tôt ce dimanche, les rejoint. Grâce à lui, on peut pénétrer dans le hangar de François Durafour où ils prélèvent 50L de benzine, de quoi rejoindre Lausanne. A 6h24 l’appareil repart vers Lausanne où il se pose à la Blécherette à 6h45 pour un ravitaillement complet en huile et essence. Décollage à 7h22 avec une traversée du Léman en direction d’Aigle (VS), Rochers de Naye, Dents du Midi, Sion, vallée du Rhône, Bietschhorn, Rosenkranz, Münster, la Giacomopass (à 5.000m), Airolo, et Bellizona où l’appareil se pose à 9h17. On repart à 10h25 vers le nord-est, Moesatal, Mesocco, San-Bernardino, Safierberg, Ems où l’on se pose à 11h25. Décollage à 11h53 vers le nord, via Coire, St-Gall, puis vers l’ouest avec 2 orages à traverser, via Brugg, Aarau, Säckingen, Langenbruck, Rheinfelden et Bâle (St-Jacques) rejoignant le point de départ et où ils arrivent à 14h18’.

Ce périple aura duré 7h28’ avec 2 traversées des Alpes, pour un trajet de 850km environ, à une moyenne de 115 km/h de vol et en 4 escales qui totalisent 2h12’. Ceci constitue malgré tout un record sans précédent qui va attendre 15 années avant que l’on pense à le battre. Quant à Oscar Bider, 2 semaines après ce tour de Suisse, il se tue le 16 juillet lors d’un exercice d’acrobatie sur un Nieuport de chasse de 120 CV. Il avait quitté l’armée le 1er juillet pour entrer dans la Compagnie de transport aérien Ad Astra Aero, après avoir accompli un million de km aériens en 4.249 vols depuis le 1er août 1914. Présent à Genève quelque 50 minutes le 22 juin et également présent le 24 avril pour une demi-journée (Voir : Récit), Bider, qui n’a pas fait d’autres séjours aéronautiques dans le canton dans de sa courte vie d’aviateur, possède une rue à son nom aux Avanchets (Vernier, GE) alors que de nombreux héros genevois qui en fait beaucoup plus attendent toujours les honneurs !

Le tour de Suisse sans escales, nouveau record de Durafour

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Durafour aux commandes du Caudron Phalène.

F.Durafour : "En 1934, lorsque j’acquis le Caudron, je trouvai d’abord peu de changement en vol depuis 1922 ; cependant l’atterrissage était tout différent et le terrain me semblait bien court au premier vol. Lors de l’atterrissage, je fus surpris d’effacer le terrain, d’être obligé de remettre de la gomme pour attaquer mon terrain vitesse réduite, ce que je n’aurais pas osé tenter avec mes anciennes machines." Mais pour Durafour, ce tour de Suisse n’est qu’une formalité que l’on avait tout simplement oubliée d’effectuer et qui lui donne l’occasion de se faire à nouveau connaître du public et du monde aéronautique. Le jeudi 12 juillet 1934, de Cointrin, il embarque à bord du Phalène son fidèle ami Eugène Trollux, fana d’aéronautique et journaliste à la Tribune de Genève.

F.D. : "Je partis de Genève à 04h55’, hélice tournant à 2.100 t/min, mes réservoirs gorgés de 200 litres d’essence et de 20 litres d’huile. Après avoir bouclé 900 km en 05h20’, à une vitesse de 150-160 km/h, je me posai à Genève à 10h15 ! Je vous assure que j’eus un immense plaisir à faire cette randonnée et je regrettai bien d’avoir laissé si longtemps mes ailes au hangar !" L’itinéraire intégral de ce périple passe par les villes de : Genève (4h55), Noville (5h05), Sion, Martigny (2.900m), Brigue (6h10, 3.400m), Gletsch, Forts du Gothard (6h35), Lugano, Bellinzona, St.-Moritz, Coire, Appenzell, St.-Gall (6h55), Dübendorf (8h23), Zurich (8h25), Bâle (8h50), Bienne (9h10), Neuchâtel et Genève (10h15). L’altitude de 4.000 m a souvent été atteinte au-dessus des Alpes. Ceci constitue un 1er record national qui est probablement mainte fois battu par la suite et qui, en jet, doit s’établir à moins d’une heure de vol aujourd’hui.

A bord se son Caudron Phalène blanc Durafour larguera notamment une femme parachutiste au meeting de Viry de 1935. Il va faire de nombreux déplacements touristiques en Suisse et en France avec sa compagne, jusqu’au déclenchement de la 2ème guerre mondiale qui interrompt toute activité aérienne. Quant au Caudron Phalène, c’est un appareil bien connus des aéro-clubs français qui l’utilisent jusque dans les années 1960’s.

Caudron C-282/8 PhalèneEnvergure : 11,62mLongueur : 8,25mHauteur : 2,05mLargeur ailes pliées : 3,4m
Surface alaire : 22m2Plafond : 4.500m Décolle en : 110mAtterrit en : 95mPoids essence-huile : 105kg
Autonomie avec 2 Moteur : Renault Vitesse maxi : Croisière :Poids 3 pers. & bagages : 320kg
passagers : 1.500km 120cv 185km/h 155km/h Poids total : 960kg
Consomm. : 27L / 7h-------- Atterrir : 70km/h -------- Mise en service : 1932
 
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Le Caudron F-AMLU, ici à Cointrin, fut aussi exposé au Salon de l’aviation légère de Genève en 1934.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  jeudi 6 avril 2006
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